© Les Cahiers de l'Islam
Depuis ce qui a été désigné sous le nom de « printemps arabe », la thématique ‘‘Islam et démocratie’’ est revenue à la mode. Ainsi, l’Université du Wisconsin (États-Unis) a organisé, le 14 et 15 avril 2012, une conférence internationale sur ce thème. Au cours de la conférence, la thématique fut déclinée sur plusieurs plans : de la « perspective théologique musulmane » en matière de démocratie à « l’Islam, laïcité et État », en passant par des thèmes plus ou moins pertinents comme « Islam et nationalisme », « les femmes musulmanes et la démocratie », « l’Islam et la démocratie au Moyen-Orient », « Islam et démocratie en Europe », etc. L’idée de cette rencontre était à la fois de faire le point sur le rapport ‘‘Islam et démocratie’’ mais aussi de scruter l’évolution politique actuelle des sociétés musulmanes.
C’est dans cette perspective aussi que le New York Times proposait un débat, le 05 octobre dernier, avec pour thème : « L'Islam est-il un obstacle à la démocratie ? ». Un débat animé autour de six intervenants.
Rappelons néanmoins que les questions abordées lors de la rencontre organisée par l'Université du Wisconsin et celle soulevée par le New York Times ne sont pas nouvelles, même si avec le « printemps arabe » elles sont récurrentes dans l'actualité médiatique. Mais déjà en 2003, elles étaient largement traitées, par exemple, dans le numéro 104 de la Revue Pouvoirs .
Si dans ces nombreux débats et rencontres sur la thématique ‘‘Islam et démocratie’’ les contributions pertinentes ne manquent pas, il faut regretter chez certains intervenants le manque de questionnement sur la notion même de « démocratie » à notre époque ainsi que sur les ‘‘valeurs’’ qui sont souvent logées derrière elle. Il n’y a pas de preuve plus révélatrice de la stagnation de la pensée politique à l’époque contemporaine que de considérer la notion de « démocratie » comme évidente en soi et par soi, et se faisant, prendre part à cette idée naïve et bruyante qu’il n’y a plus rien à rechercher, plus de modèle à chérir…
Dans ces débats et rencontres, nous aurions souhaité bénéficier d’interventions (introductives ?) consacrées spécifiquement à questionner la notion de « démocratie » à notre époque et, dans une approche comparative, confronter les modèles des pays dits « démocratiques ». L’approche comparative, nous pouvons le supposer, aurait l’avantage de révéler les visages multiples de ‘‘la démocratie’’ et ainsi permettre de nuancer et de circonscrire les discours génériques et vagues sur cette thématique.
Concernant l’ « Islam », nous savons qu’il ne se conjugue qu’au pluriel. Il n’y a pas ‘‘Un Islam’’ mais ‘‘Des Islams’’, et Roxanne D. Marcotte en donne une démonstration majestueuse dans son ouvrage intitulé à juste propos Un Islam, des Islams (éd. l’Harmattan, 2010). Dans cet ouvrage, l’auteur écrit à propos de cette pluralité des interprétations et des manifestations (contredisant toute approche essentialiste) :
« L’Islam contemporain est loin d’être homogène ou uniforme. Chaque communauté et chaque société musulmane propose ses propres solutions et interprétations, selon sa culture et le contexte historique particulier dans lequel elle se retrouve et les différentes idéologies (fondamentalisme, sécularisme, socialisme, et ainsi de suite) qu’elle adopte, défend ou combat ».
Roxanne D. Marcotte s’emploie à illustrer, tout au long des 302 pages, « les multiples facettes d’un Islam fort dynamique et au sein duquel se déploie une variété de positions rendant impossible toute réduction de l’Islam contemporain à un « Islam » universel et atemporel ».
Ce mythe, il n’y a pas d’autres mots, d’un « Islam atemporel », fixé ne varietur, n’est pas seulement présent chez des non-musulmans mais aussi, hélas, chez une partie des fidèles musulmans...et sert de justification aux "clôtures dogmatiques" ( M. Arkoun ).
C’est dans cette perspective aussi que le New York Times proposait un débat, le 05 octobre dernier, avec pour thème : « L'Islam est-il un obstacle à la démocratie ? ». Un débat animé autour de six intervenants.
Rappelons néanmoins que les questions abordées lors de la rencontre organisée par l'Université du Wisconsin et celle soulevée par le New York Times ne sont pas nouvelles, même si avec le « printemps arabe » elles sont récurrentes dans l'actualité médiatique. Mais déjà en 2003, elles étaient largement traitées, par exemple, dans le numéro 104 de la Revue Pouvoirs .
Si dans ces nombreux débats et rencontres sur la thématique ‘‘Islam et démocratie’’ les contributions pertinentes ne manquent pas, il faut regretter chez certains intervenants le manque de questionnement sur la notion même de « démocratie » à notre époque ainsi que sur les ‘‘valeurs’’ qui sont souvent logées derrière elle. Il n’y a pas de preuve plus révélatrice de la stagnation de la pensée politique à l’époque contemporaine que de considérer la notion de « démocratie » comme évidente en soi et par soi, et se faisant, prendre part à cette idée naïve et bruyante qu’il n’y a plus rien à rechercher, plus de modèle à chérir…
Dans ces débats et rencontres, nous aurions souhaité bénéficier d’interventions (introductives ?) consacrées spécifiquement à questionner la notion de « démocratie » à notre époque et, dans une approche comparative, confronter les modèles des pays dits « démocratiques ». L’approche comparative, nous pouvons le supposer, aurait l’avantage de révéler les visages multiples de ‘‘la démocratie’’ et ainsi permettre de nuancer et de circonscrire les discours génériques et vagues sur cette thématique.
Concernant l’ « Islam », nous savons qu’il ne se conjugue qu’au pluriel. Il n’y a pas ‘‘Un Islam’’ mais ‘‘Des Islams’’, et Roxanne D. Marcotte en donne une démonstration majestueuse dans son ouvrage intitulé à juste propos Un Islam, des Islams (éd. l’Harmattan, 2010). Dans cet ouvrage, l’auteur écrit à propos de cette pluralité des interprétations et des manifestations (contredisant toute approche essentialiste) :
« L’Islam contemporain est loin d’être homogène ou uniforme. Chaque communauté et chaque société musulmane propose ses propres solutions et interprétations, selon sa culture et le contexte historique particulier dans lequel elle se retrouve et les différentes idéologies (fondamentalisme, sécularisme, socialisme, et ainsi de suite) qu’elle adopte, défend ou combat ».
Roxanne D. Marcotte s’emploie à illustrer, tout au long des 302 pages, « les multiples facettes d’un Islam fort dynamique et au sein duquel se déploie une variété de positions rendant impossible toute réduction de l’Islam contemporain à un « Islam » universel et atemporel ».
Ce mythe, il n’y a pas d’autres mots, d’un « Islam atemporel », fixé ne varietur, n’est pas seulement présent chez des non-musulmans mais aussi, hélas, chez une partie des fidèles musulmans...et sert de justification aux "clôtures dogmatiques" ( M. Arkoun ).
Les points de vue des six intervenants du New York Times :
Ed HUSAIN,
Pour lui, les uns, « progressistes », trouvent dans l’Islam lui-même un appel à la démocratie et, les autres, « conservateurs », rejettent et s’opposent à la démocratie au nom de l’Islam, ils « rejettent la souveraineté populaire comme une importation occidentale ».
« L'Islam n'est pas [une religion] différente [des autres] : il s'agit d'une religion préoccupée par le salut, et non une idéologie politique en compétition avec le capitalisme et la démocratie ».
Pour Ed HUSAIN, il n’existe pas dans l’héritage prophétique une préférence ou la recommandation pour un système de gouvernance en particulier. Mais au contraire, cet héritage met l’accent sur des principes moraux comme « la justice, l’égalité, la lutte contre la corruption, etc. » et laisse la responsabilité aux fidèles de les réaliser dans la société.
Quant à la révélation coranique, les « premiers savants musulmans » ont utilisé la recommandation à la ‘‘shûrâ’’ (consultation/concertation) pour appeler à « gouverner avec le consentement [du peuple] et à élaborer un contrat avec les gouvernés ». Et à cette notion de ‘‘shûrâ’’ s’est ajoutée la notion de ‘‘bay'a’’ ou d’allégeance.
Concernant le rapport des pays musulmans à la démocratie, Ed HUSAIN note qu’il existe des avancées « rapides de nos jours ». Des avancées qu’il illustre à travers deux exemples : celui de Rachid al-Ghannouchi (fondateur et chef du parti Ennahda au pouvoir en Tunisie) pour qui la démocratie n’est pas contraire aux principes de l’Islam et, le second exemple est celui du premier ministre turque, Recep Tayyip Erdogan, qui « a franchi, dit Ed HUSAIN, une étape supplémentaire en donnant des leçons aux Frères musulmans d'Egypte sur l'importance de la laïcité dans le maintien de la démocratie et la préservation de la liberté religieuse pour tous ».
Ces « avancées » restent malgré tout fragiles puisque, selon lui, ces « voix relativement progressistes » s’appuyant « sur l'Islam pour façonner leurs sociétés dans le sens de la démocratie » sont contrebalancées par celles des « conservateurs religieux » estimant « quant à eux que l’Islam interdit la démocratie ». Ces voix « conservateurs » auraient pour source d’inspiration les écrits de « oulémas saoudiens comme Ibn Baz et Ibn Uthaymine » pour « rejeter la démocratie » en tant qu’un produit de l'Occident.
Pour terminer, compte tenu de ces antagonismes à l’intérieur des sociétés musulmanes elles-mêmes, Ed HUSAIN recommande de la part des Etats-Unis « plus de pression, de mesures incitatives » mais aussi la voie du « dialogue et du commerce » pour « aider ces sociétés à s’orienter vers un modèle identique à celui de la Turquie » qui s’oppose à ceux du « Pakistan et de l’Iran ».
Pour lui, les uns, « progressistes », trouvent dans l’Islam lui-même un appel à la démocratie et, les autres, « conservateurs », rejettent et s’opposent à la démocratie au nom de l’Islam, ils « rejettent la souveraineté populaire comme une importation occidentale ».
« L'Islam n'est pas [une religion] différente [des autres] : il s'agit d'une religion préoccupée par le salut, et non une idéologie politique en compétition avec le capitalisme et la démocratie ».
Pour Ed HUSAIN, il n’existe pas dans l’héritage prophétique une préférence ou la recommandation pour un système de gouvernance en particulier. Mais au contraire, cet héritage met l’accent sur des principes moraux comme « la justice, l’égalité, la lutte contre la corruption, etc. » et laisse la responsabilité aux fidèles de les réaliser dans la société.
Quant à la révélation coranique, les « premiers savants musulmans » ont utilisé la recommandation à la ‘‘shûrâ’’ (consultation/concertation) pour appeler à « gouverner avec le consentement [du peuple] et à élaborer un contrat avec les gouvernés ». Et à cette notion de ‘‘shûrâ’’ s’est ajoutée la notion de ‘‘bay'a’’ ou d’allégeance.
Concernant le rapport des pays musulmans à la démocratie, Ed HUSAIN note qu’il existe des avancées « rapides de nos jours ». Des avancées qu’il illustre à travers deux exemples : celui de Rachid al-Ghannouchi (fondateur et chef du parti Ennahda au pouvoir en Tunisie) pour qui la démocratie n’est pas contraire aux principes de l’Islam et, le second exemple est celui du premier ministre turque, Recep Tayyip Erdogan, qui « a franchi, dit Ed HUSAIN, une étape supplémentaire en donnant des leçons aux Frères musulmans d'Egypte sur l'importance de la laïcité dans le maintien de la démocratie et la préservation de la liberté religieuse pour tous ».
Ces « avancées » restent malgré tout fragiles puisque, selon lui, ces « voix relativement progressistes » s’appuyant « sur l'Islam pour façonner leurs sociétés dans le sens de la démocratie » sont contrebalancées par celles des « conservateurs religieux » estimant « quant à eux que l’Islam interdit la démocratie ». Ces voix « conservateurs » auraient pour source d’inspiration les écrits de « oulémas saoudiens comme Ibn Baz et Ibn Uthaymine » pour « rejeter la démocratie » en tant qu’un produit de l'Occident.
Pour terminer, compte tenu de ces antagonismes à l’intérieur des sociétés musulmanes elles-mêmes, Ed HUSAIN recommande de la part des Etats-Unis « plus de pression, de mesures incitatives » mais aussi la voie du « dialogue et du commerce » pour « aider ces sociétés à s’orienter vers un modèle identique à celui de la Turquie » qui s’oppose à ceux du « Pakistan et de l’Iran ».
J. LAMPTEY,
Les principes en oeuvre dans [le Pacte de Médine] révèlent un chevauchement important avec les valeurs démocratiques de participation, de liberté, des droits de l'homme et du pluralisme.
« La tradition islamique ne recommande pas en soi un modèle de gouvernement en particulier. La diversité des modèles de gouvernance et de participation aussi bien dans des nations contemporaines à majorité musulmane que dans l'histoire Islamique attestent de ce fait. Ce que la tradition islamique recommande dans la sphère socio-politique est la pratique et l'exemplification de certaines valeurs, notamment l’égalité de tous les individus, la non coercition, le respect de la diversité et le respect de l’ensemble des communautés ».
Au cœur donc de la Cité musulmane, la question centrale n’est pas le modèle de gouvernement mais les valeurs morales qui animent et font vivre la Cité. Pour J. LAMPTEY, cette centralité des principes moraux s’illustre dans le Pacte établi entre le Prophète et les habitants de Médine : « Muhammad vint à Yatrib (rebaptisée plus tard Médine) pour agir comme un arbitre parmi diverses factions qui se faisaient la guerre. Son rôle de dirigeant et sa vision sociopolitique ont été par la suite décrits dans le Mithaq al-Madina, le Pacte de Médine. Ce contrat plaçait l’ensemble des groupes de la ville dans une alliance mutuelle, dans laquelle ils s’engageaient à protéger la ville, à venir en aide aux alliés et à accepter Muhammad en tant que chef politique et militaire. Cette alliance n'était nullement subordonnée à l'appartenance religieuse. Il n'y avait aucune obligation de respecter les rites cultuels pratiqués par Muhammad, et, en fait, les communautés religieuses bénéficiaient des droits à l'autonomie et à l'autodétermination ».
Ainsi selon J. LAMPTEY, les valeurs au cœur de ce Pacte se croisent avec « les valeurs démocratiques de participation, de liberté, des droits humains et du pluralisme ». Le Pacte prophétique était donc en avance sur son temps et offre un modèle de gestion de la Cité aux musulmans.
Les principes en oeuvre dans [le Pacte de Médine] révèlent un chevauchement important avec les valeurs démocratiques de participation, de liberté, des droits de l'homme et du pluralisme.
« La tradition islamique ne recommande pas en soi un modèle de gouvernement en particulier. La diversité des modèles de gouvernance et de participation aussi bien dans des nations contemporaines à majorité musulmane que dans l'histoire Islamique attestent de ce fait. Ce que la tradition islamique recommande dans la sphère socio-politique est la pratique et l'exemplification de certaines valeurs, notamment l’égalité de tous les individus, la non coercition, le respect de la diversité et le respect de l’ensemble des communautés ».
Au cœur donc de la Cité musulmane, la question centrale n’est pas le modèle de gouvernement mais les valeurs morales qui animent et font vivre la Cité. Pour J. LAMPTEY, cette centralité des principes moraux s’illustre dans le Pacte établi entre le Prophète et les habitants de Médine : « Muhammad vint à Yatrib (rebaptisée plus tard Médine) pour agir comme un arbitre parmi diverses factions qui se faisaient la guerre. Son rôle de dirigeant et sa vision sociopolitique ont été par la suite décrits dans le Mithaq al-Madina, le Pacte de Médine. Ce contrat plaçait l’ensemble des groupes de la ville dans une alliance mutuelle, dans laquelle ils s’engageaient à protéger la ville, à venir en aide aux alliés et à accepter Muhammad en tant que chef politique et militaire. Cette alliance n'était nullement subordonnée à l'appartenance religieuse. Il n'y avait aucune obligation de respecter les rites cultuels pratiqués par Muhammad, et, en fait, les communautés religieuses bénéficiaient des droits à l'autonomie et à l'autodétermination ».
Ainsi selon J. LAMPTEY, les valeurs au cœur de ce Pacte se croisent avec « les valeurs démocratiques de participation, de liberté, des droits humains et du pluralisme ». Le Pacte prophétique était donc en avance sur son temps et offre un modèle de gestion de la Cité aux musulmans.
R. D. KAPLAN,
Pas d’incompatibilité entre Islam et démocratie…
Pour R.D. KAPLAN, l’Islam « n’est pas incompatible avec la démocratie », et la vie politique dans les pays comme l’Indonésie, la Malaisie et même le Bangladesh vont à l’encontre d’une affirmation contraire. « Mais il y a une différence entre ces sociétés du Grand Océan Indien et celles du Moyen-Orient » pouvant être expliquée par le mode de diffusion de l’Islam. En « Asie du Sud-Est, l'Islam s'est répandu progressivement au cours des siècles par le biais des marchands cosmopolites », qui le marièrent avec d’autres civilisations.
Au Moyen-Orient par contre, l'Islam, « après avoir dominé les civilisations byzantines et persanes, est devenu tout un mode de vie - en plus d'être un système de croyance ». Considéré en soi comme un mode de vie complet et total, l’Islam, dans cette partie du monde, restera fermé à un système comme la démocratie.
Mais, pour R.D. KAPLAN, cette « situation est en train d’évoluer sous nous yeux. Tout a commencé quand des modernistes musulmans en Egypte, au 19ème siècle, ont cherché les moyens pour relever le défi posé par l'Occident […]. Les premières phases de l'expérience démocratique seront tumultueuses, avec des partis islamiques jouant un rôle majeur. [Mais] il n'y a pas d'autre voie. ». Ainsi, le processus de démocratisation du monde musulman ne pourrait pas s’opérer dans une marginalisation des partis religieux.
Pas d’incompatibilité entre Islam et démocratie…
Pour R.D. KAPLAN, l’Islam « n’est pas incompatible avec la démocratie », et la vie politique dans les pays comme l’Indonésie, la Malaisie et même le Bangladesh vont à l’encontre d’une affirmation contraire. « Mais il y a une différence entre ces sociétés du Grand Océan Indien et celles du Moyen-Orient » pouvant être expliquée par le mode de diffusion de l’Islam. En « Asie du Sud-Est, l'Islam s'est répandu progressivement au cours des siècles par le biais des marchands cosmopolites », qui le marièrent avec d’autres civilisations.
Au Moyen-Orient par contre, l'Islam, « après avoir dominé les civilisations byzantines et persanes, est devenu tout un mode de vie - en plus d'être un système de croyance ». Considéré en soi comme un mode de vie complet et total, l’Islam, dans cette partie du monde, restera fermé à un système comme la démocratie.
Mais, pour R.D. KAPLAN, cette « situation est en train d’évoluer sous nous yeux. Tout a commencé quand des modernistes musulmans en Egypte, au 19ème siècle, ont cherché les moyens pour relever le défi posé par l'Occident […]. Les premières phases de l'expérience démocratique seront tumultueuses, avec des partis islamiques jouant un rôle majeur. [Mais] il n'y a pas d'autre voie. ». Ainsi, le processus de démocratisation du monde musulman ne pourrait pas s’opérer dans une marginalisation des partis religieux.
R. ASLAN,
Une question qui n’a pas de sens…
Si R.D. KAPLAN partait de l’affirmation que « l’Islam n’est pas incompatible avec la démocratie », pour R. ASLAN la question même « de savoir si l'Islam est compatible avec la démocratie n'a pas de sens ». Cette question suppose, en effet pour lui, que la religion musulmane « est quelque peu différente, unique ou spéciale, et que, contrairement à d’autres religions, elle ne serait pas affectée par l'histoire, la culture ou le contexte ».
Concernant la démocratie, il se trouve qu’ « une religion n’encourage ni ne repousse la démocratie en soi. […] » et les religions « n'existent pas en dehors [des] interprétations des [fidèles]. Ce n'est pas un hasard si aux États-Unis les propriétaires d'esclaves et les abolitionnistes utilisaient non seulement la même Bible pour justifier leurs arguments, mais exactement les mêmes versets. […] ». L’Islam et le judaïsme n’échappent pas à ce fait, ils sont aussi le lieu du conflit des interprétations (titre d’un ouvrage de Paul Ricœur).
En définitive, la « question n'est pas de savoir si l'Islam favorise ou non la démocratie » mais si « les musulmans » en font la promotion. Pour R. ASLAN, la réponse est « que certains le font et d'autres non, comme c'est le cas avec les fidèles de toutes les traditions religieuses ».
Une question qui n’a pas de sens…
Si R.D. KAPLAN partait de l’affirmation que « l’Islam n’est pas incompatible avec la démocratie », pour R. ASLAN la question même « de savoir si l'Islam est compatible avec la démocratie n'a pas de sens ». Cette question suppose, en effet pour lui, que la religion musulmane « est quelque peu différente, unique ou spéciale, et que, contrairement à d’autres religions, elle ne serait pas affectée par l'histoire, la culture ou le contexte ».
Concernant la démocratie, il se trouve qu’ « une religion n’encourage ni ne repousse la démocratie en soi. […] » et les religions « n'existent pas en dehors [des] interprétations des [fidèles]. Ce n'est pas un hasard si aux États-Unis les propriétaires d'esclaves et les abolitionnistes utilisaient non seulement la même Bible pour justifier leurs arguments, mais exactement les mêmes versets. […] ». L’Islam et le judaïsme n’échappent pas à ce fait, ils sont aussi le lieu du conflit des interprétations (titre d’un ouvrage de Paul Ricœur).
En définitive, la « question n'est pas de savoir si l'Islam favorise ou non la démocratie » mais si « les musulmans » en font la promotion. Pour R. ASLAN, la réponse est « que certains le font et d'autres non, comme c'est le cas avec les fidèles de toutes les traditions religieuses ».
R. W. BULLIET,
Si la démocratie doit naître dans le monde musulman, les partis politiques religieux en seront les sages-femmes.
Les « élections ne signifient pas nécessairement la démocratie. La plupart des pays à majorité musulmane, y compris les monarchies comme le Koweït, la Jordanie et le Maroc, tiennent des élections. En général les régimes nationalistes les ont instituées, et les leaders nationalistes les ont transformées en instrument de dictature, en partie en interdisant les partis religieux ».
Au-delà de ces élections de pure forme, la question centrale de nos jours serait, selon R. W. BULLIET : « un parti musulman, une fois élu, se moquerait inévitablement du processus [démocratique] en créant une dictature religieuse », qui prendrait la place des dictatures postcoloniales.
R. W. BULLIET reprend l’argument déjà exposé que l’Islam ne recommande aucune forme particulière de gouvernement et, pour lui, ce qui est notable actuellement est que de « plus en plus de musulmans croient aussi bien en leur religion qu’en la démocratie ».
Si la démocratie doit naître dans le monde musulman, les partis politiques religieux en seront les sages-femmes.
Les « élections ne signifient pas nécessairement la démocratie. La plupart des pays à majorité musulmane, y compris les monarchies comme le Koweït, la Jordanie et le Maroc, tiennent des élections. En général les régimes nationalistes les ont instituées, et les leaders nationalistes les ont transformées en instrument de dictature, en partie en interdisant les partis religieux ».
Au-delà de ces élections de pure forme, la question centrale de nos jours serait, selon R. W. BULLIET : « un parti musulman, une fois élu, se moquerait inévitablement du processus [démocratique] en créant une dictature religieuse », qui prendrait la place des dictatures postcoloniales.
R. W. BULLIET reprend l’argument déjà exposé que l’Islam ne recommande aucune forme particulière de gouvernement et, pour lui, ce qui est notable actuellement est que de « plus en plus de musulmans croient aussi bien en leur religion qu’en la démocratie ».
O. SAFI,
[…] la cohérence morale exige de nous de reconnaître le même ensemble de droits et de responsabilités pour les citoyens non-musulmans dans les sociétés à majorité musulmane.
« Il est anachronique de se demander si ‘‘l'Islam’’ approuve le constitutionnalisme ou la démocratie. L'Islam en tant que tel ne proscrit aucun système de gouvernement en particulier. Bien sûr, ‘‘l'Islam’’ ne fait rien, ce sont les musulmans qui agissent. Nous, les êtres humains, sommes les agents de nos traditions religieuses ».
Ici aussi l’accent est mis, par O. SAFI, sur les principes éthiques que doit garantir et promouvoir une Cité musulmane. Ainsi, un « système de gouvernement adopté par les musulmans doit garantir des principes comme la justice sociale, la protection de la vie, les biens et l'honneur, la répartition de la richesse et la protection des minorités ».
Pour O. SAFI il n’existe pas, dans le domaine politique, de système « parfait » et lorsqu’il s’agit de « démocratie » pour les musulmans, l’objectif ne doit pas être de copier par exemple « le modèle américain, qui est à bien des égards détérioré - redevable à des groupes d'intérêts particuliers, et peut être étiqueté comme une oligarchie ou une ploutocratie. Le modèle idéal, écrit-il, que je vois pour les musulmans serait plus proche de certains modèles européens qui combinent la démocratie avec la garantie de services sociaux : comme les soins de santé universels, l'éducation généralisée, le respect des droits de l'homme et minimisent les dépenses militaires. Là encore, nous voyons certains de ces mêmes modèles européens lutter aujourd'hui avec leur propre racisme inhérent envers les musulmans, nous devons donc être assez honnêtes pour admettre que le système ‘‘parfait’’ est celui que nous devrons nous adapter, plutôt qu’adopter ».
Pour l’auteur, il faut placer au cœur de ce débat (Islam et démocratie) la notion de citoyenneté. En effet, les « musulmans et non-musulmans sont maintenant des citoyens dans des sociétés pluralistes où nous vivons ensemble comme voisins. Nous devons commencer par nous rendre compte de la nature holistique de la justice (et de l’injustice) ; que ce qui arrive à l’un d’entre nous a un profond impact politique et moral sur nous tous ». Dans le cadre de la citoyenneté, l’auteur signale que si « nous insistons pour dire que les musulmans américains sont des citoyens pleins et entiers et non pas simplement des invités que l’on tolère; si nous insistons pour dire que les musulmans indiens sont des citoyens pleins et entiers de l'Inde et non les descendants tolérés d’‘‘envahisseurs étrangers’’, et si nous insistons pour dire que les musulmans palestiniens (et les chrétiens palestiniens) ne sont pas citoyens de seconde catégorie en Israël, mais méritent exactement le même ensemble de droits, de responsabilités et de privilèges que les citoyens juifs d'Israël reçoivent- alors la cohérence morale exige de nous de reconnaître le même ensemble de droits et de responsabilités pour les citoyens non-musulmans dans les sociétés à majorité musulmane. En d'autres termes, […] l'engagement fondamental pour la justice exige que notre engagement envers la démocratie aille de paire avec une notion solide de la citoyenneté, qui englobe tous les citoyens d'un pays sans distinction de race, de religion, de sexe, de classe et d'origine ethnique ».
Pour finir, l’auteur appelle à l’émergence d’une « démocratie de musulmans » (et non une « démocratie islamique ») qui se construirait dans la recherche d’un ‘‘grand nous’’.
Débat organisé par le New York Times.
[…] la cohérence morale exige de nous de reconnaître le même ensemble de droits et de responsabilités pour les citoyens non-musulmans dans les sociétés à majorité musulmane.
« Il est anachronique de se demander si ‘‘l'Islam’’ approuve le constitutionnalisme ou la démocratie. L'Islam en tant que tel ne proscrit aucun système de gouvernement en particulier. Bien sûr, ‘‘l'Islam’’ ne fait rien, ce sont les musulmans qui agissent. Nous, les êtres humains, sommes les agents de nos traditions religieuses ».
Ici aussi l’accent est mis, par O. SAFI, sur les principes éthiques que doit garantir et promouvoir une Cité musulmane. Ainsi, un « système de gouvernement adopté par les musulmans doit garantir des principes comme la justice sociale, la protection de la vie, les biens et l'honneur, la répartition de la richesse et la protection des minorités ».
Pour O. SAFI il n’existe pas, dans le domaine politique, de système « parfait » et lorsqu’il s’agit de « démocratie » pour les musulmans, l’objectif ne doit pas être de copier par exemple « le modèle américain, qui est à bien des égards détérioré - redevable à des groupes d'intérêts particuliers, et peut être étiqueté comme une oligarchie ou une ploutocratie. Le modèle idéal, écrit-il, que je vois pour les musulmans serait plus proche de certains modèles européens qui combinent la démocratie avec la garantie de services sociaux : comme les soins de santé universels, l'éducation généralisée, le respect des droits de l'homme et minimisent les dépenses militaires. Là encore, nous voyons certains de ces mêmes modèles européens lutter aujourd'hui avec leur propre racisme inhérent envers les musulmans, nous devons donc être assez honnêtes pour admettre que le système ‘‘parfait’’ est celui que nous devrons nous adapter, plutôt qu’adopter ».
Pour l’auteur, il faut placer au cœur de ce débat (Islam et démocratie) la notion de citoyenneté. En effet, les « musulmans et non-musulmans sont maintenant des citoyens dans des sociétés pluralistes où nous vivons ensemble comme voisins. Nous devons commencer par nous rendre compte de la nature holistique de la justice (et de l’injustice) ; que ce qui arrive à l’un d’entre nous a un profond impact politique et moral sur nous tous ». Dans le cadre de la citoyenneté, l’auteur signale que si « nous insistons pour dire que les musulmans américains sont des citoyens pleins et entiers et non pas simplement des invités que l’on tolère; si nous insistons pour dire que les musulmans indiens sont des citoyens pleins et entiers de l'Inde et non les descendants tolérés d’‘‘envahisseurs étrangers’’, et si nous insistons pour dire que les musulmans palestiniens (et les chrétiens palestiniens) ne sont pas citoyens de seconde catégorie en Israël, mais méritent exactement le même ensemble de droits, de responsabilités et de privilèges que les citoyens juifs d'Israël reçoivent- alors la cohérence morale exige de nous de reconnaître le même ensemble de droits et de responsabilités pour les citoyens non-musulmans dans les sociétés à majorité musulmane. En d'autres termes, […] l'engagement fondamental pour la justice exige que notre engagement envers la démocratie aille de paire avec une notion solide de la citoyenneté, qui englobe tous les citoyens d'un pays sans distinction de race, de religion, de sexe, de classe et d'origine ethnique ».
Pour finir, l’auteur appelle à l’émergence d’une « démocratie de musulmans » (et non une « démocratie islamique ») qui se construirait dans la recherche d’un ‘‘grand nous’’.
Débat organisé par le New York Times.