Depuis cette recension une deuxième édition revue et augmentée a été publiée, toujours aux Éditions Les cahiers de l'Islam .
Existe-t-il une philosophie islamique ? C'est la question posée par l'ouvrage d'Omar Merzoug, édité par nos soins, et pour lequel nous proposons ici une recension réalisée par l'Académie des sciences d'outre-mer
Broché: 110 pages
Édition : Les Cahiers de l'Islam (22 juin 2014)
Collection : HISTOIRE EPISTEMOLOGIE
ISBN-10 : 1093058013
ISBN-13 : 979-1093058016
Dimensions du produit : 10 x 15 x 21 cm
Prix : 12€
Pour commander l'ouvrage cliquez sur la photo ou ici.
Édition : Les Cahiers de l'Islam (22 juin 2014)
Collection : HISTOIRE EPISTEMOLOGIE
ISBN-10 : 1093058013
ISBN-13 : 979-1093058016
Dimensions du produit : 10 x 15 x 21 cm
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Docteur en philosophie, M.Omar Merzoug enseigne la philosophie et la civilisation islamiques à l’Institut Al Ghazali de Formation des Imams de la Grande Mosquée de Paris; il admet que ce petit ouvrage est d’abord destiné à ses étudiants qui, par leurs questions pertinentes, l’ont conduit à rédiger ce manuel didactique intitulé Existe-t-il une philosophie islamique ? Il y répond de manière dépassionnée et érudite en conservant ce sourire et cet esprit de conciliation qui le rendent si populaire auprès de ses étudiants et de ses collègues dont je suis.
La philosophie musulmane n’est pas suffisamment connue, ni d’ailleurs enseignée en France, soit en terminale, soit dans le cursus universitaire hors études orientales. Pourtant, comme le dit l’auteur, les Moutazilites, Al Farabi, Avicenne d’Iran, Averroès d’Espagne, ont interrogé le monde et cette puissance de la pensée étonne après tant de siècles; Roger Bacon (1214-1294) parle « des Juifs, Grecs, Arabes, comme de nos vrais ancêtres »; Nicolas de Cue (1401-1464) écrit Le Coran tamisé; Leibniz (1646-1716) estime que « Le Commentaire d’Averroès paraît être le mieux entré dans le sens d’Aristote parmi ceux de sa nation ». L’ouvrage met en relief, en partant de citations coraniques, les mérites de la philosophie islamique, interrogeant plus particulièrement certains auteurs et a contrario, ses opposants, clercs professionnels ou penseurs laïques.
M. Merzoug montre que le Coran encourage parfois des pratiques spéculatives, comme ces versets : « L’homme doit se servir de la raison », ou « Ne s’amendent que ceux qui sont doués d’esprit » (sourate Al Imran, verset 7) qui incitent à une lecture interprétative ou « ta’wil ». En fait, Dieu, dans le Livre révélé, s’adresse au commun des mortels, aux théologiens et aux philosophes «qui interprètent et démontrent » comme Al Farabi (872-950) dans son Livre de la Conciliation des opinions de Deux sages ou Ibn Bagga (1085-1138) dans son Régime du Solitaire et Ibn Tofayl (1110-1155) dont le roman philosophique Hayy Ibn Yaqdhan traduit en anglais au XVIIe siècle sous le titre Le Philosophe autodidacte, aurait pu inspirer Swift pour le personnage de Robinson Crusoé. Pour les « Frères de la Pureté », qui jouèrent un rôle important au Xe siècle dans la diffusion d’idées gnostiques et ismaéliennes, la philosophie est supérieure à la religion. Quant à Ibn Sina, latinisé en Avicenne (980-1038), né dans l’Ouzbékistan actuel, héritier de Platon, d’Aristote, qu’il fit connaître en Occident, de Plotin, « Nul n’a plaidé la cause de la philosophie en Orient avec autant de conviction que lui et nul n’a mis à son service des dispositifs de pensée et de rhétorique aussi rigoureux ». Ibn Sina trouva les formules, les notions, les concepts qui touchent, des siècles après, par leur pertinence et leur à-propos. En Andalousie, Ibn Rouchd latinisé en Averroès (1126-1198), cadi et jurisconsulte à Cordoue , tombé en disgrâce puis réhabilité par les dynastes almohades, mort à Marrakech en 1198, aura prôné l’utilisation du « qiyas » ou discernement appliqué à l’exégèse et de la philosophie dans son Discours décisif et sa Réfutation de la Réfutation ;pour lui, « les choses sont les signes de l’existence de l’Artisan (As-Sani)».
Le camp des opposants à l’introduction d’une philosophie islamique s’appuient également sur des versets coraniques comme celui-ci : « On n’interroge pas Dieu sur ce qu’il fait; ce sont les hommes qui sont interrogés » (Coran, Al Anbiya 23); l’auteur rappelle l’étymologie du mot « Islam » (page 25) qui est, grammaticalement, un masdar de 4e forme et a le sens de « s’en remettre à quelqu’un », c’est-à-dire à Dieu, tandis que le verbe « aslama » signifie « faire allégeance » (dans le langage commun : « se faire musulman »). Ce sont les Hanbalites qui furent les plus virulents adversaires de la philosophie, tellement Ibn Hanbal (780-855) en voulait aux Mutazilites qui l’avaient fait emprisonner; on sait que ce « madhdhab » ou Rite débouchera sur le « wahhabisme » adopté au XVIIIe siècle. Ibn Taymiyya (1263-1328) sera impitoyable pour le mouvement philosophique et ses virulentes fatouas sont instrumentalisées aujourd’hui par Al Qaîda et ses clones ou par le Daech. Du côté des penseurs non-cléricaux, Al Ghazali (1058- 1111), dans sa Réfutation des Philosophes, souligne l’impuissance de la raison humaine à unir les esprits. Ayant réparti les philosophes en trois classes, les matérialistes, les naturalistes et les déistes, il dénonce ce système de pensée emprunté à la Grèce comme « innovation blâmable ». Ibn Khaldoun (1332-1406), le grand sociologue maghrébin, reproche à la philosophie d’« être vaine » car « Nul ne devrait se mettre à la logique sans s’être rendu maître des sciences religieuses de l’islam »; le réformiste Jamaleddine Al Afghani, au XIXe siècle, portera le même jugement.
Le lecteur appréciera la bibliographie (page 83), notamment celle relative aux trop rares ouvrages classiques de cette discipline traduits en français, les seize notices (page 89) des philosophes, des oulémas, des mouvements de pensée cités dans l’ouvrage et l’incontournable glossaire (page 101). Ce complément pédagogique si utile ne manquera pas de convaincre, en ces temps d’indispensable réflexion sur les apports de la civilisation islamique qu’on ne saurait rapprocher des évènements actuels d’un terrorisme inhumain, tous ceux qui souhaitent se familiariser avec la partie islamique de la philosophie mondiale.
Christian Lochon
La philosophie musulmane n’est pas suffisamment connue, ni d’ailleurs enseignée en France, soit en terminale, soit dans le cursus universitaire hors études orientales. Pourtant, comme le dit l’auteur, les Moutazilites, Al Farabi, Avicenne d’Iran, Averroès d’Espagne, ont interrogé le monde et cette puissance de la pensée étonne après tant de siècles; Roger Bacon (1214-1294) parle « des Juifs, Grecs, Arabes, comme de nos vrais ancêtres »; Nicolas de Cue (1401-1464) écrit Le Coran tamisé; Leibniz (1646-1716) estime que « Le Commentaire d’Averroès paraît être le mieux entré dans le sens d’Aristote parmi ceux de sa nation ». L’ouvrage met en relief, en partant de citations coraniques, les mérites de la philosophie islamique, interrogeant plus particulièrement certains auteurs et a contrario, ses opposants, clercs professionnels ou penseurs laïques.
M. Merzoug montre que le Coran encourage parfois des pratiques spéculatives, comme ces versets : « L’homme doit se servir de la raison », ou « Ne s’amendent que ceux qui sont doués d’esprit » (sourate Al Imran, verset 7) qui incitent à une lecture interprétative ou « ta’wil ». En fait, Dieu, dans le Livre révélé, s’adresse au commun des mortels, aux théologiens et aux philosophes «qui interprètent et démontrent » comme Al Farabi (872-950) dans son Livre de la Conciliation des opinions de Deux sages ou Ibn Bagga (1085-1138) dans son Régime du Solitaire et Ibn Tofayl (1110-1155) dont le roman philosophique Hayy Ibn Yaqdhan traduit en anglais au XVIIe siècle sous le titre Le Philosophe autodidacte, aurait pu inspirer Swift pour le personnage de Robinson Crusoé. Pour les « Frères de la Pureté », qui jouèrent un rôle important au Xe siècle dans la diffusion d’idées gnostiques et ismaéliennes, la philosophie est supérieure à la religion. Quant à Ibn Sina, latinisé en Avicenne (980-1038), né dans l’Ouzbékistan actuel, héritier de Platon, d’Aristote, qu’il fit connaître en Occident, de Plotin, « Nul n’a plaidé la cause de la philosophie en Orient avec autant de conviction que lui et nul n’a mis à son service des dispositifs de pensée et de rhétorique aussi rigoureux ». Ibn Sina trouva les formules, les notions, les concepts qui touchent, des siècles après, par leur pertinence et leur à-propos. En Andalousie, Ibn Rouchd latinisé en Averroès (1126-1198), cadi et jurisconsulte à Cordoue , tombé en disgrâce puis réhabilité par les dynastes almohades, mort à Marrakech en 1198, aura prôné l’utilisation du « qiyas » ou discernement appliqué à l’exégèse et de la philosophie dans son Discours décisif et sa Réfutation de la Réfutation ;pour lui, « les choses sont les signes de l’existence de l’Artisan (As-Sani)».
Le camp des opposants à l’introduction d’une philosophie islamique s’appuient également sur des versets coraniques comme celui-ci : « On n’interroge pas Dieu sur ce qu’il fait; ce sont les hommes qui sont interrogés » (Coran, Al Anbiya 23); l’auteur rappelle l’étymologie du mot « Islam » (page 25) qui est, grammaticalement, un masdar de 4e forme et a le sens de « s’en remettre à quelqu’un », c’est-à-dire à Dieu, tandis que le verbe « aslama » signifie « faire allégeance » (dans le langage commun : « se faire musulman »). Ce sont les Hanbalites qui furent les plus virulents adversaires de la philosophie, tellement Ibn Hanbal (780-855) en voulait aux Mutazilites qui l’avaient fait emprisonner; on sait que ce « madhdhab » ou Rite débouchera sur le « wahhabisme » adopté au XVIIIe siècle. Ibn Taymiyya (1263-1328) sera impitoyable pour le mouvement philosophique et ses virulentes fatouas sont instrumentalisées aujourd’hui par Al Qaîda et ses clones ou par le Daech. Du côté des penseurs non-cléricaux, Al Ghazali (1058- 1111), dans sa Réfutation des Philosophes, souligne l’impuissance de la raison humaine à unir les esprits. Ayant réparti les philosophes en trois classes, les matérialistes, les naturalistes et les déistes, il dénonce ce système de pensée emprunté à la Grèce comme « innovation blâmable ». Ibn Khaldoun (1332-1406), le grand sociologue maghrébin, reproche à la philosophie d’« être vaine » car « Nul ne devrait se mettre à la logique sans s’être rendu maître des sciences religieuses de l’islam »; le réformiste Jamaleddine Al Afghani, au XIXe siècle, portera le même jugement.
Le lecteur appréciera la bibliographie (page 83), notamment celle relative aux trop rares ouvrages classiques de cette discipline traduits en français, les seize notices (page 89) des philosophes, des oulémas, des mouvements de pensée cités dans l’ouvrage et l’incontournable glossaire (page 101). Ce complément pédagogique si utile ne manquera pas de convaincre, en ces temps d’indispensable réflexion sur les apports de la civilisation islamique qu’on ne saurait rapprocher des évènements actuels d’un terrorisme inhumain, tous ceux qui souhaitent se familiariser avec la partie islamique de la philosophie mondiale.
Christian Lochon
Recension réalisée par l'Académie des sciences d'outre-mer sous licence Creative Commons.