Jeunes femmes musulmanes dans un village musulman pour les études arabes, à Wuzhong, en Chine (Photo muslimvillage.com)
Par Louisa Lim,
Il est 5h50 du matin, des ombres sombres se précipitent à la mosquée à travers des ruelles étroites, répondant aux invitations du muezzin de Kaifeng. Cette ville dans le centre de la Chine, province de Henan, est une enclave islamique où les musulmans ont vécu pendant plus de 1000 ans.
Dans une ruelle appelée Wangjia hutong, les femmes vont à leur propre mosquée, où Yao Baoxia, une femme, dirige l’office cultuel.
Depuis 14 ans, Yao est une femme-imam, ou ahong comme on les appelle ici, un mot dérivé du persan.
Il est 5h50 du matin, des ombres sombres se précipitent à la mosquée à travers des ruelles étroites, répondant aux invitations du muezzin de Kaifeng. Cette ville dans le centre de la Chine, province de Henan, est une enclave islamique où les musulmans ont vécu pendant plus de 1000 ans.
Dans une ruelle appelée Wangjia hutong, les femmes vont à leur propre mosquée, où Yao Baoxia, une femme, dirige l’office cultuel.
Depuis 14 ans, Yao est une femme-imam, ou ahong comme on les appelle ici, un mot dérivé du persan.
Quand elle dirige la prière, Yao se place aux côtés des autres femmes, pas devant elles comme le ferait un imam homme. Mais elle dit que son rôle est identique à celui d’un imam masculin : « le statut est le même, dit Yao en toute confidence, les hommes et les femmes sont égaux ici, peut-être parce que nous sommes un pays socialiste ».
La Chine a environ 21 millions de musulmans, qui ont développé leur propre ensemble de pratiques islamiques avec des "caractéristiques chinoises". La plus grande différence est le développement de mosquées féminines indépendantes avec des imams femmes. Et selon quelques experts, cette situation est unique à la Chine.
Yao a étudié pour devenir un imam pendant quatre ans, après avoir été suspendue de son travail (ouvrière à l’usine). D'abord, elle a étudié avec une femme imam, puis avec un imam homme, aux côtés d’étudiants de sexe masculin.
Son rôle principal en tant que imam est, selon elle, de guider les croyantes dans leur pratique : « quand les gens viennent pour prier, elles ne savent pas comment réciter le Coran, mon travail est donc de les instruire sur l’islam, les apprendre à réciter le Coran et à diriger la prière ».
La cour de la mosquée modeste de Wangjia Hutong contient, à elle seule, toute l'histoire des mosquées pour femmes en Chine. C'est la mosquée pour femmes la plus ancienne en Chine, avec un mur datant de 1820. Comme d’autres mosquées pour femmes, elle a été, à ses débuts, une école coranique pour filles. Se souvenant de sa propre enfance, Guiying Tang, 83-ans, fidèle de la mosquée, dit qu’elle était le seul lieu où une fille pouvait s’instruire. Et ajoutera par la suite : « Je n'ai pas été à l'école quand j'étais petite…Nous étions trop pauvres. Mais je suis venue ici, à la mosquée, pour jouer et étudier ».
Actuellement la mosquée se double d'un centre social pour les femmes. Et à Kaifeng on enregistre seize mosquées pour femmes (ce qui représente un tiers du nombre de mosquées pour hommes).
Une tradition chinoise…
Shui Jingjun, de l'Académie des sciences sociales du Henan et co-auteur d'un livre sur le phénomène, affirme que jusqu'à présent il n’existe pas ce type de mosquée pour femmes dans d'autres pays. Dans la plupart des pays du monde musulman, les femmes prient derrière une cloison ou dans une pièce séparée, mais dans la même mosquée que les hommes.
Shui souligne que les mosquées pour femmes en Chine sont administrées de façon indépendante par des femmes, en plus d'être, dans certains cas, des entités juridiquement distinctes.
Après la réforme en 1979, certaines mosquées féminines sont enregistrées indépendamment, ce qui prouve leur égalité avec celles pour hommes, explique Shui.
A l'inverse, la controverse continue de faire rage dans le monde musulman quant à savoir si les femmes peuvent être imams. En 2006, le Maroc est devenu le premier pays dans le monde arabe à délivrer un diplôme officiel à des femmes, ayant suivi une formation pour être guides spirituelles.
La Chine est le seul pays à avoir une si longue histoire des femmes imams. Cependant, il y a des choses que les imams-femmes ne peuvent pas faire, selon les pratiques coutumières des musulmans chinois. Elles ne peuvent pas, par exemple, conduire des rituels funéraires.
Shui souligne que les mosquées pour femmes en Chine sont administrées de façon indépendante par des femmes, en plus d'être, dans certains cas, des entités juridiquement distinctes.
Après la réforme en 1979, certaines mosquées féminines sont enregistrées indépendamment, ce qui prouve leur égalité avec celles pour hommes, explique Shui.
A l'inverse, la controverse continue de faire rage dans le monde musulman quant à savoir si les femmes peuvent être imams. En 2006, le Maroc est devenu le premier pays dans le monde arabe à délivrer un diplôme officiel à des femmes, ayant suivi une formation pour être guides spirituelles.
La Chine est le seul pays à avoir une si longue histoire des femmes imams. Cependant, il y a des choses que les imams-femmes ne peuvent pas faire, selon les pratiques coutumières des musulmans chinois. Elles ne peuvent pas, par exemple, conduire des rituels funéraires.
Les résistances...
Dans le centre de la Chine, la plupart des musulmans acceptent l’existence des mosquées féminines, mais il existe une certaine résistance dans les localités proches de la frontière avec le Pakistan et l'Afghanistan. Des localités exposées à la ligne la plus dure du wahhabisme et du salafisme. « Historiquement, au nord-ouest de la Chine, il n'y avait pas de mosquées féminines », explique Shui, le chercheur. Il y avait « une résistance parce que les gens pensaient que la construction de mosquées féminines était contraire aux règles de la religion. Mais dans le centre de la Chine et dans la plupart des provinces, les gens pensent que c'est une bonne innovation pour l'islam ».
Dans la dernière décennie, des mosquées pour femmes ont vu le jour au nord-ouest de la Chine. Le phénomène semble se propager, aidé politiquement par l'Association islamique de Chine, un organisme contrôlé par l'Etat et qui délivre des licences pour l’exercice de la fonction d’imam, aux hommes et aux femmes.
Cela fait partie de l'anomalie religieuse en Chine. En effet, les autorités chinoises sont athées, mais approuvent une pratique que certains musulmans trouvent inacceptable. Bien qu'il existe un large soutien parmi les musulmans de Kaifeng en faveur des mosquées pour femmes, il y a aussi une certaine opposition.
« L'éducation des femmes musulmanes est un travail très important », dit Guo Baoguang, de l'Association islamique de Kaifeng. Mais il admet qu'il a été critiqué pour l'organisation de forums d'éducation religieuse pour hommes et femmes à la fois.
« Il y a eu quelques critiques affirmant que les femmes devraient être à la maison, et ne devrait pas prendre part à des activités sociales. Je pense que ces critiques sont trop conservatrices et ne tiennent pas compte de l'importance de l'éducation des femmes dans l'Islam », dit-il. Guo estime que quand il s'agit de femmes imams, la Chine montre la voie.
« Compte tenu du développement rapide de l'économie chinoise, je pense que l'islam chinois va devenir plus important dans le monde musulman », dit Guo. Le rôle joué par les femmes chinoises « sera plus accepté par les musulmans ailleurs dans le monde ».
Dans la dernière décennie, des mosquées pour femmes ont vu le jour au nord-ouest de la Chine. Le phénomène semble se propager, aidé politiquement par l'Association islamique de Chine, un organisme contrôlé par l'Etat et qui délivre des licences pour l’exercice de la fonction d’imam, aux hommes et aux femmes.
Cela fait partie de l'anomalie religieuse en Chine. En effet, les autorités chinoises sont athées, mais approuvent une pratique que certains musulmans trouvent inacceptable. Bien qu'il existe un large soutien parmi les musulmans de Kaifeng en faveur des mosquées pour femmes, il y a aussi une certaine opposition.
« L'éducation des femmes musulmanes est un travail très important », dit Guo Baoguang, de l'Association islamique de Kaifeng. Mais il admet qu'il a été critiqué pour l'organisation de forums d'éducation religieuse pour hommes et femmes à la fois.
« Il y a eu quelques critiques affirmant que les femmes devraient être à la maison, et ne devrait pas prendre part à des activités sociales. Je pense que ces critiques sont trop conservatrices et ne tiennent pas compte de l'importance de l'éducation des femmes dans l'Islam », dit-il. Guo estime que quand il s'agit de femmes imams, la Chine montre la voie.
« Compte tenu du développement rapide de l'économie chinoise, je pense que l'islam chinois va devenir plus important dans le monde musulman », dit Guo. Le rôle joué par les femmes chinoises « sera plus accepté par les musulmans ailleurs dans le monde ».
Tradition et économie de marché....
Dans les mosquées pour femmes, la plupart des fidèles sont des personnes âgées. Les jeunes femmes avec des familles n'ont souvent pas le temps d’assister à l’office cultuel, surtout plusieurs fois par jour.
Troisième génération d’imam Sun Chengying, qui a été imam durant vingt un ans, s'inquiète de l'avenir : « je n'ai eu aucune étudiante depuis 1996 », dit-elle en secouant la tête. Les femmes « ne veulent plus êtres imams, parce que les salaires dans les mosquées sont trop bas. Personne n'est prêt à le faire ».
Une femme imam gagne parfois très peu, 40 $ par mois, un tiers de ce qui peut être gagné dans d'autres emplois. Les jeunes femmes ont besoin de gagner plus pour soutenir leurs familles.
Et il semble donc que l'avenir des femmes imams en Chine soit menacé. Menacé non pas par l'Etat ou la résistance de l'intérieur de la communauté musulmane, mais par les forces de l'économie de marché.
___________________________
En partenariat avec National Public Radio
Vous pouvez regarder ci-dessous un resumé (en anglais) du reportage réalisé par Louissa Lim.
Troisième génération d’imam Sun Chengying, qui a été imam durant vingt un ans, s'inquiète de l'avenir : « je n'ai eu aucune étudiante depuis 1996 », dit-elle en secouant la tête. Les femmes « ne veulent plus êtres imams, parce que les salaires dans les mosquées sont trop bas. Personne n'est prêt à le faire ».
Une femme imam gagne parfois très peu, 40 $ par mois, un tiers de ce qui peut être gagné dans d'autres emplois. Les jeunes femmes ont besoin de gagner plus pour soutenir leurs familles.
Et il semble donc que l'avenir des femmes imams en Chine soit menacé. Menacé non pas par l'Etat ou la résistance de l'intérieur de la communauté musulmane, mais par les forces de l'économie de marché.
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En partenariat avec National Public Radio
Vous pouvez regarder ci-dessous un resumé (en anglais) du reportage réalisé par Louissa Lim.