Photo Marianne 2, Mohammad Hannon/AP/SIPA
Par Charles Saint-Prot (juillet 2012)
Le "printemps arabe" a surtout été un slogan médiatique ne signifiant absolument rien si l'on veut bien considérer que la situation dans chaque pays n'est pas comparable. En tout état de cause, une alouette ne fait pas le printemps et il faudrait que l'on nous explique pourquoi ceux qui célèbrent à qui mieux mieux le prétendu printemps arabe n'évoquent jamais la situation dramatique du peuple palestinien ou celle de l'Irak détruit, menacé d'éclatement et, pour partie, en voie de colonisation par l'Iran. A vrai dire, il est possible de faire un bilan très mitigé des événements qui ont marqué la région depuis décembre 2010. Dans certains pays, en particulier en Tunisie et en Egypte, on ne peut que constater le chaos ou des risques de retour en arrière dans le cadre de tractations opportunistes entre diverses forces tentant de récupérer le mouvement. Dans d'autres pays, où toute forme d'aspiration au changement est étouffée, il règne un inquiétant immobilisme ou une répression sanglante comme en Syrie.
L'affaire syrienne est particulièrement importante. Depuis 1970, ce pays est soumis à la dictature d'un régime qui n'est en rien baassiste mais simplement sectaire et criminel. Lointain héritier de la secte des Assassins, ce régime n'a pas seulement eu recours à l'assassinat politique et aux attentats terroristes, notamment au Liban et à Paris (assassinat de Salahedine Bitar, en 1981 ; attentat de la rue Marbeuf, en 1982), il a martyrisé son peuple durant quatre décennies. Il faut se souvenir qu'en 1982, les troupes d'Hafez el Assad avaient massacré près de 30 000 personnes dans la ville de Hama ! On peut simplement se demander pourquoi, un tel régime a bénéficié aussi longtemps de la complaisance de certaines puissances. La réponse est simple, le régime du clan Assad et de ses proches n'a cessé de jouer contre les causes arabes, notamment en se montrant l'adversaire acharné du président palestinien Yasser Arafat et se faisant l'allié de l'Iran perse contre les Arabes. C'est ce même Iran qui envoie maintenant des milliers de miliciens (Pasdarans et autres) au secours de son vieux complice. C'est dire si Téhéran ne peut en aucun cas être partie prenante à une solution de la crise syrienne.
Aujourd'hui encore, des esprits malins tentent de soutenir que le renversement des assassins pourrait créer un désordre régional, comme si les tortures et les massacres ne constituaient pas un désordre! Tout est là. Il est impossible de comprendre l'enjeu des événements actuels en Syrie sans tenir compte de la place de ce pays dans la région. La Syrie est considérée, à juste titre, comme le coeur du monde arabe, son centre de gravité. Elle constitue un verrou stratégique essentiel qui contrôle le passage de la Mésopotamie (Irak) et de la Péninsule arabe vers la Méditerranée. Elle a une influence naturelle sur les évolutions au Liban et en Palestine. Historiquement, Damas a été le berceau du mouvement national arabe qui s'est développé au début du XXe siècle. Du coup, depuis la chute de l'Empire ottoman la question syrienne a été au centre des enjeux régionaux. Le contrôle ou la neutralisation de la Syrie pour l'empêcher de jouer un rôle prépondérant dans l'organisation d'une force arabe indépendante a constitué un objectif prioritaire pour les puissances hégémoniques. Ainsi, la terrible épreuve qui oppose le peuple syrien et le régime, soutenu par une Russie qui, fidèle à sa vieille stratégie d'accès aux mers chaudes, ne veut pas perdre sa dernière base en Méditerranée, ne concerne pas seulement l'avenir de la Syrie. C'est ici un enjeu géopolitique majeur pour tout le Proche-Orient et c'est peut-être ici qu'aura lieu le début du vrai printemps arabe, le jour où la Syrie retrouvera un Etat national fidèle à sa "mission éternelle".
Article publié avec l'aimable accord de Charles Saint Prot
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