Omar Merzoug est journaliste et collabore régulièrement avec différents journaux algériens dont… En savoir plus sur cet auteur
Dimanche 22 Mai 2016

A bâtons rompus avec Jack Lang à l’IMA. La France, L’Algérie.



Le président de l’Institut du Monde arabe (IMA), Jack Lang, a l’accueil chaleureux. Entouré d’une équipe qui ne ménage pas ses efforts, il a pu aussi, en trois ans, redorer le blason d’une institution rongée par le doute et la perplexité. Et s’il peut être crédité d’une telle réussite, c’est d’abord parce qu’il évolue dans son élément, qu’il dispose d’une solide expérience et, surtout, parce que sa vision du Monde arabe et des véritables rapports de la France et du Monde arabe lui permettent de montrer le cap et de fermement s’y tenir !

Entretien

Cet entretien est publié avec l'aimable autorisation de son auteur.

 


Omar MerzougDepuis trois ans, vous êtes à la tête de l’Institut du Monde arabe, à Paris, si vous deviez évoquer votre action, comment la décrieriez- vous ?
 
Jack Lang : Globalement, je pense que nous avons réussi à redonner quelques couleurs à une maison qui était en proie au doute. Nous avons, avec les uns et les autres, recréé un climat de confiance à l’intérieur et à l’extérieur, et c’est très important. J’ai personnellement renoué des liens avec chacun des pays arabes, les gouvernements mais aussi les artistes, les créateurs, les institutions culturelles. On ne peut tout changer instantanément mais nous avons réussi à agir au moins sur quatre plans. D’abord, nous avons veillé à concevoir de grands événements qui puissent frapper l’imaginaire collectif, l’exposition sur le pèlerinage de La Mecque, sur l’Orient-Express [1], est de ceux-là. Dans quelques jours, nous inaugurons un événement sur les «Jardins d’Orient», d’autres expositions, plus ramassées, notamment sur les bijoux berbères dont l’Algérie sera partie prenante. Le deuxième aspect, très important, revêtant une dimension «université populaire », consiste en la mise en place de laboratoires d’idées, des forums, de débats, de rencontres et nous allons essayer de multiplier les manifestations culturelles sur tous les thèmes : la culture arabe ancienne, les cultures contemporaines, les droits des femmes, la coexistence des religions. J’ai créé les rendez-vous de l’histoire du Monde arabe qui, l’an dernier, autour du thème de la ville, a réuni des spécialistes du monde entier. Cette année, en mai 16, nous rééditions l’expérience avec un thème qui n’est pas des plus faciles, «Religions et pouvoirs». Le troisième aspect concerne la programmation culturelle artistique. Nous allons essayer de préserver les programmations traditionnelles et, en même temps, d’introduire plus de modernité, par exemple, la scène musicale algérienne a été très présente à plusieurs reprises cette année encore, mais nous programmons aussi la participation d’autres pays. Le quatrième aspect a trait à la langue arabe pour laquelle nous avons engagé un effort énorme de développement et d’amélioration. Nous avons mis à la tête de ce projet une personnalité reconnue, Mme Nada Yafi . Nous allons probablement obtenir, ce sera la seule institution qui pourra délivrer une certifi cation de niveau qui n’existait pas jusque-là pour la langue arabe, alors que ça existe pour d’autres langues, le français, l’allemand, l’anglais, etc. ça va être un grand changement !


O.M : Dans l’immédiat et à court terme, quels sont les projets que vous avez conçus pour l’Institut ?
 
J.L : Dans l’immédiat, c’est l’exposition «Jardins d’Orient» qui vient d’être inaugurée. Et, comme je vous l’ai dit, nous préparons en mai les rendez-vous de l’histoire du Monde arabe consacrée au thème «Religions et pouvoirs». Pour la rentrée prochaine, le thème retenu est «Les grandes épopées arabes sur les mers jusqu’au XVIe siècle» et au printemps 17, ce sera une exposition de plusieurs mois sur «L’islam et l’Afrique» ou «Le Monde arabe et l’Afrique » ; le titre n’est pas encore définitivement fixé. C’est un gigantesque événement historique, contemporain, culturel, économique et civilisationnel.

O.M : Et pour cela, vous ferez appel aux experts et aux spécialistes dans les différents domaines que couvrira cette exposition considérable ?
 
J.L : Oui, absolument il y a un conseil scientifique.
 
O.M : Comment ça se passe ?
 
J.L : Le conseil se réunit, délibère mais parfois il y a des désaccords entre eux (rires).
 

O.M : Vu la conjoncture actuelle, on parle beaucoup de théologie et de religion, mais moins de poésie. Avez vous des projets pour promouvoir la poésie ?
 
J.L : Vous mettez le doigt sur l’une des lacunes inacceptables que je dois combler très vite. Certes, la poésie est présente, nous invitons des poètes, Le Printemps des poètes organise un événement, cette année, c’était autour d’Andrée Chedid [2]. Mais, à mon goût, ce n’est pas suffisant. On parlait à l’instant de la langue arabe, et quand on sait à quel point la langue arabe est liée à la poésie. Nous recrutons, cette année, une nouvelle directrice des actions culturelles qui nous rejoint, au début de mai 2016, et l’une des missions que je lui ai confiée est de donner à la poésie une envergure extrêmement importante. De même, la philosophie arabo-musulmane doit avoir toute sa place.
 


O.M : Deux institutrices de Prunelli-di-Fiumorbu, un petit village de Haute- Corse, avaient projeté de faire chanter aux élèves la chanson Imagine de John Lennon en plusieurs langues, dont l’arabe, pour la fête de l’école. Mais «des parents ont précisé qu’ils ne voulaient pas que leur enfant parle l’arabe». Beaucoup ont été sensibles au soutien que vous apportez à ces deux institutrices…
 
J.L : Oui, c’est un geste citoyen. Ces deux institutrices ont pris une excellente initiative, et c’est pour cela que je les ai soutenues.

O.M : Mais est-ce parce que vous pensez que l’arabe est en France une langue minorisée ?
 
J.L : Je pense que la langue arabe doit avoir toute sa place, je l’ai montré quand j’étais ministre de l’Education nationale j’ai redonné à la langue arabe une place qu’elle avait perdue. Pendant les deux années où j’ai occupé le poste de ministre, j’ai créé de très nombreux postes au concours du Capes et de l’agrégation.

O.M : Mais vos successeurs n’ont pas continué sur cette lancée…
 
J.L : Pas suffisamment, je le regrette. C’est pourquoi ici à l’IMA, je m’emploie à mettre en valeur la langue arabe. Nous avons accueilli de très nombreux étudiants, des petits comme des grands. Cela a eu un tel succès que nous avons dû emprunter des locaux à notre grand voisin de l’Université Jussieu. Du coup, nous avons convaincu nombre d’étudiants de Jussieu à venir apprendre l’arabe.


O.M : Est-ce que l’Algérie a une place dans les dispositifs culturels que vous mettez en place ?
 
J.L : Bien entendu. D’abord, une place régulière, sous la forme de la présence d’écrivains aux différentes manifestations au sein des Jeudis de l’IMA, dans nos forums, dans nos rencontres, dans les cafés de l’IMA que nous organisons tous les jeudis. La scène musicale algérienne contemporaine est très présente depuis que je suis président. A la rentrée, en septembre 16, il y aura un grand événement sur Biskra, sous le titre «Biskra, la perle du désert» et ce grâce à l’appui d’un collectionneur algérien. Au reste, il y a en ce moment une exposition de BD algériennes.

O.M : Pensez qu’il faille l’encourager ?
 
J.L : Certainement, d’autant que la BD algérienne est l’une des plus brillantes sur la scène internationale. Il faut la soutenir et l’encourager plus qu’on ne le fait, et les dessinateurs algériens sont remarquables, vraiment. Par conséquent avec l’Algérie, nous avons beaucoup de projets, nous travaillons à l’organisation d’un grand événement sur l’Algérie contemporaine et, en particulier, sur la création algérienne contemporaine, qui portera sur les arts plastiques, le cinéma, le roman, la poésie pendant trois ou quatre mois. Il sera inauguré à l’automne 17. Il faut qu’on se mette d’accord avec nos amis algériens sur le choix de deux commissaires indépendants afin de confier le projet à une équipe. J’espère qu’on réussira à monter ce projet qui réunirait des artistes vivant en Algérie ou à l’extérieur de l’Algérie.

 


O.M : Comment financez-vous ces projets ?
 
J.L : Ah ! C’est un vrai parcours du combattant. Nous nous y prenons méthodiquement, projet par projet. Pour l’exposition sur le Hadj, j’ai obtenu un soutien de la Bibliothèque du roi Abdelaziz de Riyad, soutien technique, scientifique et financier. Concernant l’exposition sur les «Jardins d’Orient», nous espérons une affluence nombreuse. Mais nous avons un soutien de Casino, de Total, nous avons un soutien en nature de maisons qui nous ont fourni toutes les plantations. Chaque fois, c’est un cas d’espèce et, au fond, c’est très bien ainsi.

O.M : Et les financements par les pays arabes ?
 
J.L : Il n’y en a plus.

O.M : Depuis quand ?
 
J.L : Depuis quinze ans maintenant. Les cotisations arrivaient tardivement, voire jamais. Cela créait un état d’incertitude. Dans le cas de l’exposition que j’évoquais sur l’Algérie, il faudra que je me rende en Algérie et m’entretenir avec les responsables algériens. Mais ce ne sera peut-être pas nécessairement l’Etat algérien qui fournira les subsides nécessaires.


O.M : Je m’adresse maintenant à l’homme politique et à l’excellent ministre de la Culture que vous fûtes. Je reviens sur l’affaire Kamel Daoud, ex-chroniqueur au Quotidien d’Oran, que vous inspire-t-elle ?
 
J.L : Je l’ai découvert en tant qu’écrivain par son livre Meursault contre-enquête qui aurait dû, à mon sens, décrocher le véritable Prix Goncourt, pas seulement le Goncourt du premier roman. C’est un livre éblouissant. Kamel Daoud est reconnu et apprécié en tant qu’écrivain. C’est un auteur qui a un style original, une écriture forte, mais aussi une puissante personnalité, une vision très laïque, très réservée à l’égard des religions, pour ne pas dire davantage mais qui est la sienne. Certains l’ont attaqué injustement. Moi, je suis pour la liberté, la tolérance et le respect. Que les différentes opinions s’expriment, que mille et une fleurs s’épanouissent, même si je ne partage pas toutes les analyses de Daoud ; je suis toutefois réservé quant à son analyse touchant les événements qui se sont déroulés à Cologne parce que liés à une religion. Ce que Daoud dit ne tient pas compte du fait qu’on a connu ailleurs des agressions du même genre avec d’autres types de personnes mais j’insiste, Kamel Daoud est un écrivain remarquable !


O.M : Croyez-vous qu’il y a encore une politique arabe de la France ?
 
J.L : Je dirais qu’il y a une grande présence de la France dans le Monde arabe, et c’est l’un des grands mérites de François Hollande. C’est la première fois que le président de l’Institut du Monde arabe fait partie de la délégation restreinte qui se rend dans chaque pays arabe. Je suis en instance de départ avec le président de la République au Liban, au Caire en Jordanie, je suis allé en Algérie pour rencontrer le président Bouteflika, au Maroc à l’invitation du roi du Maroc, en Tunisie. Je note que le président Hollande est respecté par sa personnalité ouverte, attentive. Entre nous, c’est un exploit d’avoir réussi à maintenir de bonnes relations avec l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. Au reste, le président Hollande souhaite que la France garde des rapports d’amitié avec les pays du Maghreb. Bien entendu, il ne s’agit pas de nier les contentieux qui peuvent exister. De même j’ai vu le président s’activer dans les pays du Golfe, au Liban. Il y a une présence française grâce à sa politique qui est meilleure, il faut bien le dire !


O.M : S’agissant du terrorisme, on parle beaucoup des dispositifs sécuritaires, pensez-vous que la solution puisse être uniquement sécuritaire ? Ou faut-il agir en amont ?
 
J.L : Il faut s’activer sur les deux fronts. Bien entendu, les mesures sécuritaires sont nécessaires, les renseignements, les enquêtes, etc. l’Algérie, sur ce plan-là, a accompli un travail très efficace et puis il y a les racines du mal...

O.M : Vous avez été ministre de l’Education nationale, vous pensez qu’il faut agir de ce côté-là. Comment prendre en charge ces jeunes qui sont tentés par la dérive terroriste ?
 
J.L : Sans aucun doute mais il faut le faire avec une infinie délicatesse, une infinie subtilité, comme François Hollande l’a exprimé dans sa récente intervention télévisuelle. Quels sont les mécanismes qui font qu’à un instant T du temps, un jeune bascule, est emporté par un fanatisme aveugle… Il faut donc mettre en place des dispositifs de détection précoces des signes de radicalisation ou de pré-radicalisation. Il y a mille et une mesures à prendre qui, je crois, sont aujourd’hui mises en application en France. Mais je pense qu’il y a des questions plus générales ; je crois qu’il faut être capable de redonner à la jeunesse un sens aux choses, des perspectives, une espérance. Notre monde est archi-individualiste, les inégalités sociales sont trop fortes partout, et il faut lutter contre les phénomènes d’exclusion de tous ordres, c’est un combat permanent !

O.M : Pensez-vous que l’islamophobie soit une réalité, qu’elle augmente ?
 
J.L : Moi, je suis de tempérament optimiste, la France est un pays qui a su, de génération en génération, entremêler les cultures, les civilisations, les religions et, aujourd’hui, les musulmans de France sont beaucoup mieux reçus, perçus, soutenus qu’il y a, disons, quinze ans. Mais les racistes n’ont pas disparu, et parfois ce que vous appelez islamophobie se déguise sous le terme de laïcité. On invoque parfois la laïcité pour désigner du doigt l’islam. Mais je pense que c’est là une tendance minoritaire. Ce n’est toutefois pas une raison pour ne pas s’entêter à vaincre toutes les formes de phobies, xénophobie, antisémitisme, islamophobie, qui ne sont pas acceptables.

O.M : Un dernier mot sur l’état d’urgence. Pensez-vous qu’il soit nécessaire ? Qu’en est-il de son efficacité ?
 
J.L : L’état d’urgence n’est pas appelé à se perpétuer, ou alors ce n’est plus un état d’urgence. Est-il efficace ? C’est une discussion qui reste ouverte. Il a été prolongé jusqu’en juin 16 ; en réalité, à moment X c’était peut-être souhaitable mais sa prolongation ne peut se faire indéfiniment.

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[1] L’Orient-Express est un train de luxe lancé par la Compagnie internationale des Wagons-Lits, qui assurait la liaison entre Paris, Vienne, Venise, Istanbul, desservant des métropoles européennes.
[2] Andrée Saab Chedid, poétesse d’expression française. Elle a obtenu le Prix Goncourt de poésie en 2002.



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