Mercredi 23 Octobre 2024

Antoine Galland, Ahmed Youssef, Kawa arabica, Orients Éditions, 2024



C’est à Antoine Galland – traducteur des Mille et Une Nuits et du Coran – que nous devons ce joli traité republié ici, De l’Origine et du progrès du café (1699). Dans un livre aux incroyables images, le préfacier Ahmed Youssef de l’Institut d’Égypte reprend avec gourmandise ce chemin venant d’Orient qui unit tous les peuples.

Orients éditions
 
   
  

Broché: 128 pages
Éditeur :
Orients Editions  (18 octobre 2024)
Collection : Icones
Langue : Français
ISBN-13:
979-1093315386
Prix : 11,90 €
 

Quatrième de couverture

 
    Notre kawa vient vraiment de là-bas mais on l’avait oublié… Que d’aventures et de chemins depuis l’Abyssinie et le Yémen voisins !  Ce berceau de l'humanité aura aussi donné au monde sa boisson la plus populaire. D’abord consommée par les musulmans, cette boisson sera reprise par les chrétiens qui ne voudront pas se priver de ses bienfaits. Popularisé par les soufis, le café continue son chemin : l’Égypte, la Turquie, Venise, puis toute l’Europe.

   Ce breuvage souvent associé au vin pour sa convivialité et ses effets stimulants se dote de maisons de café, lieux d’accueil et d’échanges, mais qui feront aussi naître des fatwas, et des interdictions politiques en Europe.

  À l’aube du XVIIIe siècle, le génial Antoine Galland – traducteur des Mille et Une Nuits et du Coran – sera à l’origine des Turqueries en France, le premier orientalisme. Nous lui devons ce joli traité, De l'Origine et du progrès du café (1699), que nous republions.

Dans un livre aux incroyables images, le préfacier Ahmed Youssef de l’Institut d’Égypte reprend avec gourmandise ce chemin venant d’Orient qui unit tant de monde dans un livre aux incroyables images.

L’or noir, le kawa arabica, a bien conquis le monde.

 

Le grand café du Nil à Alexandrie, © Katia Boyadjian
 
 

Extrait – Préface par Ahmed Youssef

 
    Ecrire l'histoire des civilisations avec une plume trempée dans une tasse de café ! Voici de quoi s'attendre à des surprises, et surtout, de quoi exciter l'esprit par ce breuvage, le « kawa », l'arabica qui vient des tréfonds de la civilisation de l'islam pour gagner ses lettres de noblesse dans les salons des cours de l'Europe. Lecteur pavlovien, en lisant ces lignes, avez-vous senti quelques subtils arômes de fines herbes florales ou ambrés de café fraîchement torréfié ?
 
   Les Français aiment ce liquide si amer et si doux (77 % en seraient des buveurs réguliers) et beaucoup parmi nous en font une philosophie de vie sans soupçonner une seconde que derrière la banale petite tasse, quatre siècles d'orientalisme nous contemplent.

     Parler d'orientalisme au parfum de café ne peut que nous mener tout droit à l'illustre traducteur des Mille et Une Nuits, Antoine Galland.

    Nommé ambassadeur de France auprès du sultan Mohamed IV à Constantinople (entre 1670 et 1675), il devient son ami. Il l'accompagne partout dans ses voyages dans l'Empire ottoman jusqu'à la Syrie et la Palestine. C'est ainsi que Galland eut l'occasion non seulement de parfaire le turc, l'arabe et le persan qu'il apprit au Collège Royal [1] mais aussi les us et coutumes de ces populations qui formaient la gigantesque mosaïque ottomane. Il revint à plusieurs reprises dans cet Orient, devenu pour lui une science, pour ne pas dire une raison d'être. Il ne faut pas s'étonner de voir que le fruit dune telle passion n'était autre que la traduction des Mille et Une Nuits. Si le pape Sylvestre II, le fameux « pape de l'an mille », a introduit les chiffres arabes en Occident [2], Antoine Galland, lui, y a introduit les Mille et Une Nuits et cette mode orientale dite des « Turqueries ».

L'année 1701 est une année charnière dans sa vie : il entame sa traduction colossale et il est nommé à l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres. C'est aussi l'année où il fait don de son trésor de manuscrits orientaux à l'Académie et à la Bibliothèque du roi. Ainsi Galland est entré dans la glorieuse galerie de l'orientalisme européen par la porte royale.

Tout cela serait bien établi et reconnu par la postérité si l'intrépide orientaliste ne nous avait pas caché une belle surprise : bien avant Les Mille et Une Nuits, il avait écrit, en 1699, un très surprenant traité intitulé De l'Origine et du progrès du café. 1699 est une date charnière à bien des titres. Louis XIV est un monarque tourné vers l'Orient, mais la guerre avec les Turcs est aux portes de Vienne. Il accepte d'accueillir avec beaucoup d'égards Soliman agha, l'émissaire de Mehmed I, qui arrive avec leur fameuse boisson orientale en cadeau : le café. Cet ambassadeur se montre peu impressionné par le faste de la réception : trône d'argent et costume tressé de pierreries. Il offre au Roi-Soleil une tasse de café sucré dans de la porcelaine chinoise. Blessé, Louis XIV commandite des pièces de théâtre pour ridiculiser les Turcs, comme le fameux Bourgeois gentilhomme.

Le titre de son traité est à lui seul un plan de travail. Il donne la mesure de l'ambition de notre orientaliste de faire connaître l'origine de cette nouvelle boisson arabe qui envahit la France et les raisons de sa fulgurante propagation. L'ambition de Galland était, en réalité, de faire connaître son expérience de ce monde musulman qui était devenu impérieusement son métier.

[1] - Devenu Collège de France à la chute de Napoléon III.
[2] - Ahmed Youssef, Sylvestre II, le pape qui aimait Allah, Paris, éd. Dervy, 2019.


 

M. Kheir, Nature morte au café, XXe s © DR

Extrait – Antoine Galland De l’Origine et du progrès du café (1699)

 
    À Monsieur
Chassebras de Camaille.

MONSIEUR,

     Je ne sais si je me trompe, et si vous avez remarqué, comme moi, que le Café sert d'entretien, et que l'on en prend rarement que l'on n'exprime le plaisir qu'il fait, en disant qu'il est bon, qu'il est excellent, d'une manière plus vive qu'à l'égard des autres boissons. Mais je sais, et vous le savez aussi bien que moi, que dans les visites réglées, les Turcs le présentent d'abord que la conversation devient languissante. Alors on ne manque pas de s'écrier que le Café est admirable et que le maître de la maison a des gens qui s'entendent parfaitement à le préparer. Et comme si le Café réveillait l'esprit, comme il est vrai en effet qu'il le réveille, l'on passe de cette matière à d'autres, pendant que l'on apporte le sorbet et le parfum, et l'on sort enfin très-content de la visite que l'on a faite.

    La même chose arrive chez vous assez souvent, lorsque vous régalez vos amis du Café que vous prenez du plaisir à faire vous-même, en quoi vous réussissez mieux que ceux qui en font profession. La conversation que vous ne laissez jamais languir, change alors agréablement, pour louer la bonté du Café et celui qui l'a préparé.

    C'est ce qui arriva la dernière fois que je me trouvai chez vous, où l'excellence du Café que je pris, me donna lieu de vous dire que j'avais découvert dans un historien turc le temps que l'on avait commencé d'en prendre à Constantinople, et que ce même historien, après avoir fait le récit du trouble que cette boisson y avait causé peu de temps après qu'elle v eut été introduite, rapportait comment elle y avait été reçue et approuvée, nonobstant les oppositions formées pour en interdire l'usage.

     Ce que je vous dis alors en peu de mots des particularités rapportées par cet auteur, vous fit naître la curiosité d'en savoir davantage. Vous me priâtes, vous et la compagnie qui se trouvait chez vous, de les mettre par écrit, et dv ajouter ce que j'avais pu observer de l'usage que l'on fait du Café à Constantinople, où j'ai demeuré long-temps, parce que vous trouviez que ceux qui en ont traité n étaient pas entrés dans un assez grand détail sur cette matière.

     L'estime particulière que je fais de votre personne et la considération que j'ai pour la compagnie ne me permirent pas de différer d'un moment à satisfaire votre curiosité, et à répondre en même temps à la bonne opinion que vous aviez de moi. Mais, avant que de venir à l'exécution, m'étant souvenu d'avoir lu dans la bibliothèque orientale de feu M. d'Herbelot qui paraîtra au premier jour, et dont j'ai déjà un exemplaire à l'occasion que vous savez, qu'il y avait dans la bibliothèque du Roi un manuscrit arabe, lequel contenait l'apologie du Café contre certains docteurs mahométans qui avaient prétendu que l'usage devait en être défendu aux Musulmans, je crus que je devais le consulter pour voir si je n'v trouverais pas la première origine de cette boisson. Je l'ai obtenu par la bonté de M. l'abbé De Louvois, qui se fait un plaisir d'obliger tout le monde, et particulièrement les gens de lettres, et jy ai trouvé ce que je cherchais. Ainsi, Monsieur, vous aurez plus que vous n'avez demandé ; car vous n'aurez pas seulement l'origine du Café à Constantinople, mais encore la première origine avant qu'il y fût introduit, ...

 

Julien Solé, Okelle à Alexandrie, 2018 © Julien Solé


 



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