Professeur de philosophie politique à l’université de Séville et vice président de la Junta islamica, Antonio de Diego González propose dans ce livre une réflexion stimulante, nourrie à la fois de sa spécialité universitaire et de sa connaissance des univers islamiques, historiques et contemporains. Le livre est une charge forte contre l’islam politique requalifié de populisme islamique. En effet, il s’agit de décrire les courants les plus sonores de l’islam actuel, qui mobilisent à la fois dans les pays majoritairement musulmans et en Europe, sous l’angle du populisme dont l’auteur décrit la progression dans le champ politique en général. Ce populisme sera – en conclusion – renvoyé à l’antihumanisme. Le concept permet une lecture transversale du phénomène qui affecte l’islam et implique le dépassement de toute opposition entre islam et Occident. Le phénomène de populisme est transculturel et sévit partout dans le monde, comme une sorte de négation de l’universalisme et du cosmopolitisme auquel l’auteur appelle à revenir. La tradition islamique en effet est également riche de traits humanistes, que l’on voit particulièrement à l’œuvre dans le soufisme. Ce n’est donc pas sans raison, parce qu’il fait appel à la liberté individuelle et à la complexité, recherchant surtout la coexistence pacifique des êtres humains de toutes croyances et cultures, que les différentes formes de populisme islamique s’en prenne à lui. Le chapitre sur le soufisme (4), venant démontrer que la tradition islamique recèle des trésors d’humanisme et n’est pas condamné à l’islamisme, lequel procède à son « assassinat », est paradoxalement à la fois le plus fort, pour les perspectives qu’il donne quant au futur, et le plus faible, car il laisse de côté les tentations salafistes d’un certain néosoufisme qui lui aussi recherche la cohésion groupale pour constituer un sujet politico-identitaire et les méthodes évangéliques d’autres tariqas qui passent la tradition par pertes et profits. Le « soufisme de consommation » occidental est cependant dénoncé.
Antonio de Diego González, Editorial Almuzara, s.l., 2020
Avec son double ancrage dans la philosophie politique et l’islamologie, le livre né de l’interrogation sur les raisons de la crise de l’islam et sur l’opposition, créée et instrumentalisée, entre islam et Occident cherche à construire un cadre théorique plus général pour problématiser la question récurrente de la part de l’islam dans l’islamisme. En effet, la perspective populiste permet d’une part d’inclure les évolutions récentes de l’islam dans l’étude de ce mouvement politique mondialisé – la montée en puissance des populismes – comme un cas d’étude et d’autre part d’utiliser des instruments propres à la science politique pour investiguer un univers qui se présente comme religieux.
L’introduction propose une réflexion relevant de la philosophie politique sur le populisme dont l’auteur cherche à définir les grands traits, en relation avec le contexte pénétré de questions de sécurité : un peuple, un leader considéré comme un messie, et explore les différents outils idéologiques.L’auteur n’entre pas dans les détails de la théorisation du populisme, particulièrement travaillée ces dernières années, devant l’inflation du phénomène et de sa conceptualisation, et notamment il ne distingue pas le populisme du fascisme, une idéologie qui transcende elle aussi la droite et la gauche. Le concept de populisme religieux en tout cas rend compte de la rencontre et de l’hybridation de la religion et de la politique, sous un jour différent de celui de la théologiepolitique. Les grands traits ainsi définis s’appliquent pour l’auteur particulièrement à un certain nombre de courants de l’islam moderne (apparu en gros dès le 18e siècle), et il va s’attacher à faire ressortir la structure populiste dans de nombreux mouvements islamiques qu’il identifie comme des réinventions de l’islam, nées de la réforme de l’islam à la fin du 19e siècle et donc de la perte de l’épistémè classique, remplacée par le nationalisme identitaire et le millénarisme. L’intérêt de la conceptualisation en termes de science politique est qu’elle permet de ne pas distinguer entre des courants théologiquement différents comme le sunnisme et le chiisme. Avant de traiter de la façon dont le peuple et le leader sont traduits dans les réalités musulmanes, l’auteur commence par démontrer le processus de mythologisation qui a défiguré l’islam, notamment par le biais de l’islamisation des sciences sociales. Or, l’islam n’étant pas une réalité homogène, comme le montre les travaux anthropologiques dignes de ce nom, toute tentative d’homogénéisation conduit fatalement à un tournant idéologique – populiste. Le mythe le plus puissant peut-être de cet islam idéologique (politique) est celui du califat, dont l’auteur montre qu’alors qu’il ne correspond à rien, historiquement, il est cependant à la base du populisme islamique, décliné surtout par Qutb, Mawdudi et Khomeiny. Il en résulte des « théologies durcies et des spiritualités résilientes ».
Les deux chapitres suivants traitent donc des deux traductions du « peuple » et du « leader ». Le peuple est l’oumma constituée, au rebours de son sens classique et selon une raison instrumentale, dans une logique ami/ ennemi, contre « l’Occident », lui-même réifié. Les conséquences en sont à la fois la victimisation et le sentiment de supériorité, et la diffusion d’un discours identitaire antidémocratique et anti impérialiste, pour construire un islam comme « prison doctrinale », fondé sur une idéologie essentialiste, conservatrice et autoritaire, et l’invention d’armes politiques inédites comme le hijab. Le chapitre sur le leader examine les différentes incarnations de ce concept, montrant qu’il n’y a rien de théologique ou de religieux dans la rhétorique identitaire qui en découle. Les différents chefs réalisent des « performances populistes » et se définissent essentiellement par opposition au grand Satan(les États-Unis et Israël). Ce chapitre se distingue par la qualité des récits sur le pouvoir de Kadhafi entendu en termes populistes ainsi que par la conception d’un leadership mondialisé pour Ben Laden. Les chapitres suivants vont explorer les méthodes de propagande de ce populisme islamique : la création de l’ennemi intérieur, soit le soufisme, comme a été construit l’ennemi extérieur (l’Occident), le « fake-ilm » ou le pseudo-savoir, notamment tel qu’il est diffusé grâce aux nouvelles technologies de communication et qu’il s’est constitué principalement à Médine, où vont étudier de futurs propagateurs d’une doctrine standardisée, et la morale et la charia, dont le but devient de supprimer la liberté de conscience et d’islamiser le monde islamique pour le changer en sujet politique (oumma). La morale puritaine devient un instrument d’oppression. L’auteur montre le continuum entre les ambitions politiques de ce populisme, qu’il veuille restaurer le califat ou construire une théocratie, et la violence : en effet, celle-ci peut être de basse intensité, décelable par exemple dans l’instrumentalisation de l’islamophobie, ou aller jusqu’au djihadisme, interprété comme une forme de messianisme, avide de vengeance et de destruction du monde corrompu et vicié. En effet, dans le contexte de la guerre froide, l’islamisme, et en particulier Qutb, mit en place la triade conceptuelle islamwadin wa dawla (islam, religion et état) et l'idée d'un monde régi par la charia (loi islamique). Cette structuration sociale s’obtiendrait au terme du triomphe de l’islam, obtenu par la dawah et par le djihad.
Dans le dernier chapitre, l’auteur examine la situation des musulmans en Occident, pris dans un double bind notamment en France qu’il estime dominée par son « fondamentalisme laïque ». Condamnés à des « mosquées garages » (ce que nous appellerions l’islam des caves), ils n’ont souvent pas imaginé d’autres résistances que celle, simpliste et erronée, que lui proposait le populisme islamique.
Le livre, qui a une ambition théorique certaine, manque parfois d’incarnation, mais quand il entre dans le détail de cas historiques, il est excellent, notamment parce qu’il se déplace sur des terrains souvent moins explorés du monde musulman : le Pakistan, l’Indonésie, la Libye. Les perspectives qu’il ouvre à la fois sur la dimension messianique et sur la libération donnent au concept de populisme un ancrage inédit.
L’introduction propose une réflexion relevant de la philosophie politique sur le populisme dont l’auteur cherche à définir les grands traits, en relation avec le contexte pénétré de questions de sécurité : un peuple, un leader considéré comme un messie, et explore les différents outils idéologiques.L’auteur n’entre pas dans les détails de la théorisation du populisme, particulièrement travaillée ces dernières années, devant l’inflation du phénomène et de sa conceptualisation, et notamment il ne distingue pas le populisme du fascisme, une idéologie qui transcende elle aussi la droite et la gauche. Le concept de populisme religieux en tout cas rend compte de la rencontre et de l’hybridation de la religion et de la politique, sous un jour différent de celui de la théologiepolitique. Les grands traits ainsi définis s’appliquent pour l’auteur particulièrement à un certain nombre de courants de l’islam moderne (apparu en gros dès le 18e siècle), et il va s’attacher à faire ressortir la structure populiste dans de nombreux mouvements islamiques qu’il identifie comme des réinventions de l’islam, nées de la réforme de l’islam à la fin du 19e siècle et donc de la perte de l’épistémè classique, remplacée par le nationalisme identitaire et le millénarisme. L’intérêt de la conceptualisation en termes de science politique est qu’elle permet de ne pas distinguer entre des courants théologiquement différents comme le sunnisme et le chiisme. Avant de traiter de la façon dont le peuple et le leader sont traduits dans les réalités musulmanes, l’auteur commence par démontrer le processus de mythologisation qui a défiguré l’islam, notamment par le biais de l’islamisation des sciences sociales. Or, l’islam n’étant pas une réalité homogène, comme le montre les travaux anthropologiques dignes de ce nom, toute tentative d’homogénéisation conduit fatalement à un tournant idéologique – populiste. Le mythe le plus puissant peut-être de cet islam idéologique (politique) est celui du califat, dont l’auteur montre qu’alors qu’il ne correspond à rien, historiquement, il est cependant à la base du populisme islamique, décliné surtout par Qutb, Mawdudi et Khomeiny. Il en résulte des « théologies durcies et des spiritualités résilientes ».
Les deux chapitres suivants traitent donc des deux traductions du « peuple » et du « leader ». Le peuple est l’oumma constituée, au rebours de son sens classique et selon une raison instrumentale, dans une logique ami/ ennemi, contre « l’Occident », lui-même réifié. Les conséquences en sont à la fois la victimisation et le sentiment de supériorité, et la diffusion d’un discours identitaire antidémocratique et anti impérialiste, pour construire un islam comme « prison doctrinale », fondé sur une idéologie essentialiste, conservatrice et autoritaire, et l’invention d’armes politiques inédites comme le hijab. Le chapitre sur le leader examine les différentes incarnations de ce concept, montrant qu’il n’y a rien de théologique ou de religieux dans la rhétorique identitaire qui en découle. Les différents chefs réalisent des « performances populistes » et se définissent essentiellement par opposition au grand Satan(les États-Unis et Israël). Ce chapitre se distingue par la qualité des récits sur le pouvoir de Kadhafi entendu en termes populistes ainsi que par la conception d’un leadership mondialisé pour Ben Laden. Les chapitres suivants vont explorer les méthodes de propagande de ce populisme islamique : la création de l’ennemi intérieur, soit le soufisme, comme a été construit l’ennemi extérieur (l’Occident), le « fake-ilm » ou le pseudo-savoir, notamment tel qu’il est diffusé grâce aux nouvelles technologies de communication et qu’il s’est constitué principalement à Médine, où vont étudier de futurs propagateurs d’une doctrine standardisée, et la morale et la charia, dont le but devient de supprimer la liberté de conscience et d’islamiser le monde islamique pour le changer en sujet politique (oumma). La morale puritaine devient un instrument d’oppression. L’auteur montre le continuum entre les ambitions politiques de ce populisme, qu’il veuille restaurer le califat ou construire une théocratie, et la violence : en effet, celle-ci peut être de basse intensité, décelable par exemple dans l’instrumentalisation de l’islamophobie, ou aller jusqu’au djihadisme, interprété comme une forme de messianisme, avide de vengeance et de destruction du monde corrompu et vicié. En effet, dans le contexte de la guerre froide, l’islamisme, et en particulier Qutb, mit en place la triade conceptuelle islamwadin wa dawla (islam, religion et état) et l'idée d'un monde régi par la charia (loi islamique). Cette structuration sociale s’obtiendrait au terme du triomphe de l’islam, obtenu par la dawah et par le djihad.
Dans le dernier chapitre, l’auteur examine la situation des musulmans en Occident, pris dans un double bind notamment en France qu’il estime dominée par son « fondamentalisme laïque ». Condamnés à des « mosquées garages » (ce que nous appellerions l’islam des caves), ils n’ont souvent pas imaginé d’autres résistances que celle, simpliste et erronée, que lui proposait le populisme islamique.
Le livre, qui a une ambition théorique certaine, manque parfois d’incarnation, mais quand il entre dans le détail de cas historiques, il est excellent, notamment parce qu’il se déplace sur des terrains souvent moins explorés du monde musulman : le Pakistan, l’Indonésie, la Libye. Les perspectives qu’il ouvre à la fois sur la dimension messianique et sur la libération donnent au concept de populisme un ancrage inédit.