Mardi 21 Février 2017

Asma Lamrabet: «Le corps de la femme musulmane est devenu un champ de bataille» [Le Soir/Belgique]


Médecin biologiste à l’université de Rabat, Asma Lamrabet est une féministe marocaine reconnue. Elle donne une conférence ce lundi soir, à l’ULB.





Publié le 20 février sur LE SOIR
Par Elodie Blogie


Depuis 2011, elle dirige le Centre des Etudes Féminines en Islam au sein de la « Rabita Mohammadia » des ulémas du Maroc. Une femme, donc, qui est à la tête d’un département au sein d’une institution religieuse islamique. C’est qu’Asma Lamrabet, par ailleurs biologiste à l’université de Rabat, croit au changement de l’intérieur. Elle croit profondément qu’islam et modernité ne sont pas incompatibles. Tout comme l’idée d’être féministe et musulmane ne lui pose aucun problème. Elle choisit donc la « troisième voie », thème de la conférence qu’elle donne ce lundi soir, à l’Université Libre de Bruxelles.

LE SOIR : Vous en appelez à une troisième voie, qui dépasserait donc les deux voies dont vous êtes exclue ou dont vous vous excluez. Quelles sont-elles ?

Asma Lamrabet : Je revendique une vision universelle mais qui ne ferait pas fi de mon particularisme, du contexte qui est le mien. Je suis d’abord une femme marocaine, ensuite j’ai une identité religieuse et surtout je m’inscris dans la défense des droits humains et universels. Or, je vois bien que certaines idéologies essaient de m’exclure çà et là. Dans mon propre particularisme, dans le traditionalisme islamique patriarcal, je dérange car je transgresse cette spécificité dans laquelle je dois m’enfermer, et qui serait ma seule identité. Toute revendication autre que celle-ci est considérée comme une trahison ; je deviens une « occidentalisée », voire une « non-croyante ». C’est ce dont on me traite parfois au Maroc. Mais, de l’autre côté, on me réduit aussi à cette identité-là ! Il y a une pensée féministe hégémonique, « mainstream », ou une pensée idéologique occidentale qui me considère comme trop religieuse, trop musulmane, trop arabe, trop voilée. Je revendique le droit d’être enracinée dans une identité, tout en la critiquant et en m’ouvrant à toute la richesse du monde.

Aujourd’hui, le corps de la femme musulmane semble devenu l’enjeu de toutes les crispations, entre ceux qui veulent couvrir ce corps, et ceux qui veulent le dévoiler…

Le corps de la femme musulmane est devenu un champ de bataille. Le champ de bataille de tous les extrémismes. L’extrémisme musulman islamique qui veut le couvrir entièrement, le confiner à l’espace de non-vie. Puis, un autre extrémisme de la « pensée dominante » qui, même de la part de personnes pas spécialement féministes, considère que libérer la femme musulmane, la dévoiler, c’est faire acte de civilisation. Or, selon moi, c’est surtout un acte de suprématie, d’ethnocentrisme, d’européocentrisme. La femme musulmane est dépossédée de son corps. On lui donne d’ailleurs rarement le droit à la parole…

Que répondez-vous à ces féministes « occidentales » qui considèrent que voile et féminisme sont intrinsèquement antagonistes…

Je fais toujours une double critique. Aujourd’hui, le voile est pris en otage entre la vision traditionaliste exclusiviste, et la vision orientaliste – héritage colonial – qui ne voit dans le voile que la soumission des femmes aux hommes, à l’islam ; un signe d’oppression. C’est une question très polémique, et, honnêtement, je ne comprends pas le degré d’hystérie qu’il provoque. Cela dit, je suis du genre à vouloir balayer devant ma porte. On est ce qu’on reflète. Et, s’il y a une problématique du voile aujourd’hui, même s’il y a de l’islamophobie ou du racisme, c’est d’abord parce qu’il y a une réelle problématique du voile à l’intérieur du discours islamique ! Ce discours s’est focalisé sur cette question du corps des femmes. Alors que quand on fait des recherches académiques, ce que j’ai fait, le voile n’est ni une priorité, ni une question centrale dans les textes et l’histoire de l’islam ! Cette vision est le produit des prêches satellitaires, de ces théologiens payés à coup de pétrodollars et qui, depuis des décennies, n’ont qu’un seul message envers les femmes musulmanes : « Couvrez-vous, c’est votre seul salut » ! 

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