Un ouvrage qui fera prendre conscience au lecteur que contrairement à l’image véhiculée dans l’opinion publique par les médias, l’Islam n’est pas monolithique sur le plan de la pensée et qu' « Il n’est pas non plus intrinsèquement fondamentaliste dans son rapport aux enseignements du Prophète. Débats d’idées, oppositions de partis au sein de l’Islam, penseurs cherchant à montrer la nécessité d’un apport de la raison et de la réflexion philosophique dans l’interprétation théologique. Il y a toujours eu et il y a encore, dans le vaste monde islamique, des courants d’idées diversifiés.(4eme de couverture)
Pour aller plus loin sur la philosophie islamique, le lecteur intéressé pourra se reporter à l'ouvrage Existe-t'il une philosophie Islamique ? (Seconde édition, revue et augmentée) d'Omar Merzoug parut aux Éditions Les cahiers de l'Islam.
Broché: 173 pages
Éditeur : Editions Médiaspaul (1 octobre 2005)
Langue : Français
ISBN-10: 2894205694
ISBN-13: 978-2894205693
Dimensions du produit: 18,6 x 12,4 x 1,2 cm
Sur l'auteur
Docteur d'État ès lettres de la Sorbonne (1949) et spécialiste de la pensée musulmane, Albert Nader est Libanais d'origine, mais il vit au Québec depuis plusieurs années. Il a enseigné l'histoire de la pensée et des sciences arabes dans des universités au Liban, en Égypte, en Irak, en Libye et au Maroc. Il est l'auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages spécialisés en philosophie musulmane et a supervisé plus de 50 thèses de doctorat reliées à ce domaine. On lui doit notamment : Le système philosophique des mu'tazila : Premiers penseurs de l'Islam , Coll. «Recherches» No. 3, Beyrouth, I.L.O., 1956 et 1984; Les principales sectes musulmanes, Coll. «Textes et études» No. 7, Beyrouth, Imprimerie catholique, 1956; « Deux questions fondamentales dans la théologie musulmane », Actes du 2e Congrès international de philosophie médiévale, Cologne, 1961
Les premiers temps et le Kalam
Dans une première partie intitulée « Les sectes ou partis musulmans », l'auteur expose les causes et les fondements politico-théologiques de l’apparition des premiers courants de pensée en Islam. Commençant par préciser que l’apparition de ces courants fut provoquée par la recherche de la « compréhension de la religion » et la « confrontation avec d’autres civilisations » (ou d’autres systèmes théologiques, p.5), la première partie s’articule principalement autour des difficultés occasionnées par le problème de la succession du Prophète de l'Islam. Il s’agit en particulier de présenter le concept d’Imamat, fondement de l’institution califale. Le problème du califat resurgira au XXe siècle (et accessoirement en fin d’ouvrage) avec l'abolition de cette institution.
L’auteur montre comment, à partir d’une réflexion menée sur le statut du Calife et notamment sur l’attitude que l’on doit adopter dans le cas où ce dernier commet des péchés, trois positions se dégagèrent concernant le sens que l’on doit donner à la foi en Islam. La position des trois principaux courants, qui apparurent à cette occasion et qui font chacun l’objet d’un chapitre de cette première partie, est ainsi résumée : « Tandis que les Khawarij considéraient les actes prescrits par la loi comme partie intégrante de la foi, et que les Shi’a faisaient de la croyance en l’Imam un dogme de la foi, les Murji’a donnaient de la foi une définition alors toute nouvelle. La foi, selon les Murji’a, consiste à croire, dans son for intérieur, qu’il y a un Dieu et qu’Il a envoyé des prophètes. Ils n’attachent donc aucune importance, en matière de foi, aux actes et gestes extérieurs : prières, jeûne, pèlerinage, jihad, etc. ». (p.35)
Dans la continuité des affrontements politiques résultant de ce schisme, vinrent s’ajouter des disputes théologiques portant, entres autres, sur l’Unicité Divine (va-t-elle jusqu’à dénier toute liberté à l’homme ?), les attributs Divins (sont‑ils partie intégrante de l’essence divine ?) ainsi que sur le statut du Coran, en tant que parole de Dieu (le Coran est-il créé ou incréé ?) Ces questions, toujours d’actualité de nos jours, sont à l’origine des différents courants de pensée chez les musulmans. D’après l’auteur, dans un premier temps, ces réflexions auraient été élaborées en réaction aux thèses chrétiennes de la Trinité. Puis celles-ci posant parfois des problèmes de logique pure à la raison humaine auraient finies par donner naissance à différents courants de pensées, « s’affrontant » dans le cadre de la science appelée « Kalam » (littéralement le Discours). Chaque courant de pensée accorda ensuite plus ou moins d’importance à la Raison face à la Révélation. L’auteur rapporte ensuite les thèses des trois courants principaux : Les Mu’tazila (nous reproduisons la graphie que l’auteur a retenu, p.39) qui érigèrent la foi sur des bases « rationnelles », la révélation ne faisant que corroborer les données de la raison, les « traditionalistes » (p.49) qui considèrent que la « science d’Allah » dépasse la raison humaine et qu’en conséquence il faut s’en remettre aux sources scripturaires que sont le Coran et les Hadiths et enfin le courant Ash‘arite (p.55), qui tente de concilier les deux approches précédentes en limitant « le rôle de la raison dans l’interprétation afin d’éviter l’exagération ; il soutient qu’il faut admettre certains versets tels quels et essayer de les comprendre sans toutefois détruire la vérité qu’ils contiennent » (p.59) . Comme le souligne l’auteur en p.60, ce sera l’attitude d’al-Ash‘ari qui finira par prévaloir en Islam : « Elle est adoptée dans les grandes lignes par les ahl al-Sunna (les Sunnites), […] ».
L’auteur montre comment, à partir d’une réflexion menée sur le statut du Calife et notamment sur l’attitude que l’on doit adopter dans le cas où ce dernier commet des péchés, trois positions se dégagèrent concernant le sens que l’on doit donner à la foi en Islam. La position des trois principaux courants, qui apparurent à cette occasion et qui font chacun l’objet d’un chapitre de cette première partie, est ainsi résumée : « Tandis que les Khawarij considéraient les actes prescrits par la loi comme partie intégrante de la foi, et que les Shi’a faisaient de la croyance en l’Imam un dogme de la foi, les Murji’a donnaient de la foi une définition alors toute nouvelle. La foi, selon les Murji’a, consiste à croire, dans son for intérieur, qu’il y a un Dieu et qu’Il a envoyé des prophètes. Ils n’attachent donc aucune importance, en matière de foi, aux actes et gestes extérieurs : prières, jeûne, pèlerinage, jihad, etc. ». (p.35)
Dans la continuité des affrontements politiques résultant de ce schisme, vinrent s’ajouter des disputes théologiques portant, entres autres, sur l’Unicité Divine (va-t-elle jusqu’à dénier toute liberté à l’homme ?), les attributs Divins (sont‑ils partie intégrante de l’essence divine ?) ainsi que sur le statut du Coran, en tant que parole de Dieu (le Coran est-il créé ou incréé ?) Ces questions, toujours d’actualité de nos jours, sont à l’origine des différents courants de pensée chez les musulmans. D’après l’auteur, dans un premier temps, ces réflexions auraient été élaborées en réaction aux thèses chrétiennes de la Trinité. Puis celles-ci posant parfois des problèmes de logique pure à la raison humaine auraient finies par donner naissance à différents courants de pensées, « s’affrontant » dans le cadre de la science appelée « Kalam » (littéralement le Discours). Chaque courant de pensée accorda ensuite plus ou moins d’importance à la Raison face à la Révélation. L’auteur rapporte ensuite les thèses des trois courants principaux : Les Mu’tazila (nous reproduisons la graphie que l’auteur a retenu, p.39) qui érigèrent la foi sur des bases « rationnelles », la révélation ne faisant que corroborer les données de la raison, les « traditionalistes » (p.49) qui considèrent que la « science d’Allah » dépasse la raison humaine et qu’en conséquence il faut s’en remettre aux sources scripturaires que sont le Coran et les Hadiths et enfin le courant Ash‘arite (p.55), qui tente de concilier les deux approches précédentes en limitant « le rôle de la raison dans l’interprétation afin d’éviter l’exagération ; il soutient qu’il faut admettre certains versets tels quels et essayer de les comprendre sans toutefois détruire la vérité qu’ils contiennent » (p.59) . Comme le souligne l’auteur en p.60, ce sera l’attitude d’al-Ash‘ari qui finira par prévaloir en Islam : « Elle est adoptée dans les grandes lignes par les ahl al-Sunna (les Sunnites), […] ».
Penseurs de la Falsafa, du soufisme & réformateurs Egyptiens
Dans une deuxième partie (« Les penseurs »), nous poursuivons notre cheminement concernant l'articulation entre la Raison et la Révélation en compagnie des philosophes (falasifa) et de certains de leurs contradicteurs, ici principalement le théologien, soufi mais aussi philosophe Abu Hamid Al-Ghazali (p.75). Pour ces philosophes (p.63), Raison et Révélation ont la même source divine et ne peuvent pas se contredire. D’après l’auteur et suivant en cela l’avis des orientalistes du XXe siècle, al‑Ghazali « réfutera » cette approche [1] avant d'être « réfuté » à son tour par Averroès (Ibn Rushd, m. 1198) : « Non seulement philosophie et révélation ne doivent pas se contredire, mais la révélation même exalte la réflexion philosophique » [2] (p.82). En réalité depuis une vingtaine d’années les études sur l’œuvre du théologien ont montré que ce n’est pas tant le fait que Raison et Révélation puissent être en correspondance qu’il a voulu réfuter, mais plutôt la prétention des philosophes à placer la Raison systématiquement au dessus de la Révélation (Cf. par exemple F.Griffel, Al-Ghazali's Philosophical Theology, Oxford University Press, 2009).
Dans cette partie, le système cosmogonique développé par les falāsifa nous est également présenté. L’auteur nous montre comment ce dernier s’est constitué à partir de la théorie de l’émanation initialement élaborée par les philosophes grecs antiques et leurs successeurs néoplatoniciens, comme chez Plotin (m.270). Cette cosmologie stipule « l’émanation du monde à partir du premier Être (l’un) et établit une série d’intermédiaires entre lui et l’homme » (p.64). Cette théorie sera adoptée et perfectionnée par Al-Faribi puis Ibn Sina (Avicenne) : « En effet, ils diront que de l’Un éternel n’émane qu’un être simple de toute éternité ; c’est un intellect. Etant dérivé du premier Être, il est contingent ; mais cela ne constitue pas une création dans le temps ; bien au contraire, cette émanation est éternelle et elle est de la nature même du premier Être. Voici une première solution qui satisfait à la fois la révélation, laquelle parle de création, et la raison, à qui il répugne d’admettre une création ex nihilo dans le temps. » (p.65).
L’auteur passe ensuite au registre de la philosophie politique. C’est ainsi qu’il nous expose les grands principes de la cité vertueuse d’al-Fārābī (p.69-73). Ce dernier, reprenant les thèses de Platon, tente de fournir un modèle d’organisation de la société humaine, plus exactement musulmane, en phase avec la Révélation. Nous passons ensuite à l’exposé de la doctrine d’Ibn Toufayl (philosophe andalou du 12eme siècle) au travers du résumé de son conte philosophique « Le Philosophe autodidacte » (source du Robinson Crusoé de William Defoe), où le personnage fictif, vivant seul sur une île, va intuiter l’existence de Dieu à partir de la Raison (p.85-92). Le panorama des écoles et thèmes philosophiques s’achève sur la présentation du mouvement des « Iḫwān al-Safa » (Les frères de la pureté) (p.93-101), dont seulement certains auteurs sont clairement identifiés. Ce mouvement de pensée chiite, souvent rattaché à l’ismaélisme et dont les origines sont encore discutées, a produit une œuvre monumentale, al‑Rasā’il al‑Iḫwān al-Ṣafā’ (Les Épîtres des Frères de la pureté) dont la rédaction s’est étalée du VIIIe siècle et le Xe siècle et où théologie, métaphysique, philosophie, éthique et ésotérisme se côtoient tout au long des 52 épîtres.
L’auteur poursuit sa revue des courants de pensée par le Soufisme et sa quête de spiritualité (p.103-110) pour terminer par Ibn Khaldun (p.111) qu’il nous présente en tant que « philosophe de l’histoire » (p.113), père de la sociologie et comme réfutant l’approche rationaliste lorsqu’il s’agit de réfléchir sur la Révélation (p112).
La troisième partie de l’ouvrage, Les réformateurs, est consacrée au renouveau de la pensée islamique initié en Égypte aux XIXe et XXe siècles avec des penseurs tels que Jamal al-Din al-Afghani (p.121-123), Mohammed Abdu (p.123-135) et ses disciples (Rashid Rida, p.137) ou d’autres encore comme Qasim Amin (p.145). Il y est question une fois encore de raison, mais aussi de réforme, de la condition de la femme, et pour finir de Panislamisme, d’institution Califale ou bien encore de laïcité (p.149-161). A cette occasion, l’auteur nous montre bien les tensions existantes entre conservateurs et libéraux, nationalistes et pro-occidentaux, Panislamistes et Laïcs. Autant de courants et de tensions qui préfiguraient la situation actuelle.
Dans cette partie, le système cosmogonique développé par les falāsifa nous est également présenté. L’auteur nous montre comment ce dernier s’est constitué à partir de la théorie de l’émanation initialement élaborée par les philosophes grecs antiques et leurs successeurs néoplatoniciens, comme chez Plotin (m.270). Cette cosmologie stipule « l’émanation du monde à partir du premier Être (l’un) et établit une série d’intermédiaires entre lui et l’homme » (p.64). Cette théorie sera adoptée et perfectionnée par Al-Faribi puis Ibn Sina (Avicenne) : « En effet, ils diront que de l’Un éternel n’émane qu’un être simple de toute éternité ; c’est un intellect. Etant dérivé du premier Être, il est contingent ; mais cela ne constitue pas une création dans le temps ; bien au contraire, cette émanation est éternelle et elle est de la nature même du premier Être. Voici une première solution qui satisfait à la fois la révélation, laquelle parle de création, et la raison, à qui il répugne d’admettre une création ex nihilo dans le temps. » (p.65).
L’auteur passe ensuite au registre de la philosophie politique. C’est ainsi qu’il nous expose les grands principes de la cité vertueuse d’al-Fārābī (p.69-73). Ce dernier, reprenant les thèses de Platon, tente de fournir un modèle d’organisation de la société humaine, plus exactement musulmane, en phase avec la Révélation. Nous passons ensuite à l’exposé de la doctrine d’Ibn Toufayl (philosophe andalou du 12eme siècle) au travers du résumé de son conte philosophique « Le Philosophe autodidacte » (source du Robinson Crusoé de William Defoe), où le personnage fictif, vivant seul sur une île, va intuiter l’existence de Dieu à partir de la Raison (p.85-92). Le panorama des écoles et thèmes philosophiques s’achève sur la présentation du mouvement des « Iḫwān al-Safa » (Les frères de la pureté) (p.93-101), dont seulement certains auteurs sont clairement identifiés. Ce mouvement de pensée chiite, souvent rattaché à l’ismaélisme et dont les origines sont encore discutées, a produit une œuvre monumentale, al‑Rasā’il al‑Iḫwān al-Ṣafā’ (Les Épîtres des Frères de la pureté) dont la rédaction s’est étalée du VIIIe siècle et le Xe siècle et où théologie, métaphysique, philosophie, éthique et ésotérisme se côtoient tout au long des 52 épîtres.
L’auteur poursuit sa revue des courants de pensée par le Soufisme et sa quête de spiritualité (p.103-110) pour terminer par Ibn Khaldun (p.111) qu’il nous présente en tant que « philosophe de l’histoire » (p.113), père de la sociologie et comme réfutant l’approche rationaliste lorsqu’il s’agit de réfléchir sur la Révélation (p112).
La troisième partie de l’ouvrage, Les réformateurs, est consacrée au renouveau de la pensée islamique initié en Égypte aux XIXe et XXe siècles avec des penseurs tels que Jamal al-Din al-Afghani (p.121-123), Mohammed Abdu (p.123-135) et ses disciples (Rashid Rida, p.137) ou d’autres encore comme Qasim Amin (p.145). Il y est question une fois encore de raison, mais aussi de réforme, de la condition de la femme, et pour finir de Panislamisme, d’institution Califale ou bien encore de laïcité (p.149-161). A cette occasion, l’auteur nous montre bien les tensions existantes entre conservateurs et libéraux, nationalistes et pro-occidentaux, Panislamistes et Laïcs. Autant de courants et de tensions qui préfiguraient la situation actuelle.
Sur l'ouvrage
Tout d'abord quelques remarques (mineures) sur le contenu. La phrase d’ouverture de l’ouvrage est sensée mentionner les piliers de la foi en Islam. Trois seulement sur les six couramment admis sont mentionnés (du reste en page 36, une citation partielle du Hadith de Gabriel nous permet d’en récupérer deux autres : les anges et les livres. A l’inverse, la seconde phrase de l’ouvrage mentionne le « Jihad » comme pilier de la pratique ce qui n’est pas courant (idem page 36). Dans le même passage, Zakat est traduit par Dîme. Ce terme est désormais, plus communément traduit par « aumône légale » ou « aumône purificatrice légale ». Page 36, à notre sens, il faut lire « Iman » et non « Imam ». Il y est question de foi et non d’Imamat.
Peut-être quelques « manquements ». Les batailles de Siffin et du Chameau sont évoquées sans être nommées, de même pour le mouvement de la Nahda. En règle générale, les courants de pensée chiites sont réduits à la portion congrue. En particulier, les réformateurs chiites ne sont pas évoqués. Le lecteur intéressé par cette pensée pourra se reporter à l’ouvrage Qu'est-ce que le shî'isme ? (Fayard, 2004) de Mohammad-Ali Amir-Moezzi et Christian Jambet qui en dresse un panorama.
En conclusion
Au final, ce livre assez compact, nous donne une excellente base de réflexion sur la question. Abordant, dans l’ordre chronologique l’apparition des différents courants, il peut être considéré comme un cours d’introduction, à la pensée rationaliste en Islam. Montrant la richesse et la diversité de l’Islam depuis ses origines jusqu’à l’époque contemporaine (au moins en Égypte) , cet ouvrage fournit une première grille de lecture, des clés, permettant de comprendre une partie de la situation prévalent actuellement au Proche Orient.
Nous pouvons être reconnaissant à l’auteur de ne pas avoir utilisé le schéma simpliste qui veux qu'à l'origine, il y eût eu un islam orthodoxe sunnite, censé être fidèle à l'enseignement et aux pratiques du prophète de l'islam. Et que se serait suite à une série de conflits et à de luttes, que les divers courants seraient nées, rompant ainsi cette belle unité mythique. En réalité, comme le montre bien l’auteur, au commencement, n'étaient ni le sunnisme ni le chiisme, mais un islam qui se cherchait. Utiliser le terme de « sectes », en évitant ceux d'hérésie et d'hérésiographie nous parait judicieux et doit être placé au crédit de l’auteur. Plus encore, le vocable « groupes politico-religieux » parait judicieux (l’auteur utilise « partis »). En effet, comme le laisse transparaître cet ouvrage, sans vraiment l’expliciter nous semble-t-il, il est possible de considérer le sunnisme comme une apparition tardive, issue d’une genèse lente, en réaction contre le mu`tazilisme aux alentours du IXe s. Du reste, les savants musulmans du Moyen Age comme par exemple al-Shahrastānī (dont on peut regretter l’absence de la bibliographie) qui s'intéressèrent aux différents courants se contentaient de les présenter dans leur diversité en justifiant leur entreprise par un hadith attribué au Prophète de l’Islam: « Ma communauté se divisera en soixante-treize sectes. Toutes iront en enfer, à l'exception d'une seule ».
L’ouvrage reste donc à notre avis une « Introduction » et non une somme. Même si sa lecture suppose une bonne connaissance du monde arabo-musulman, les thèmes abordés sont traités rapidement sans réel approfondissement, à l’inverse de ce que des auteurs tels que Louis Gardet, Roger Arnaldez ou encore Josef Van Ess ont pu produire sur le sujet. C’est ainsi, par exemple, que l’historique du soufisme et de « sa pensée » sont traités en sept pages. On regrettera aussi qu’Ibn Sina ne soit simplement qu’évoqué. A contrario, au final, cela permet une lecture fluide et aisée, embrassant successivement le Kalam, la falsafa, la Nahda (ce qui reste unique au sein de notre bibliothèque). Ce que l’on perd en précision, nous le gagnons en clarté. D’autant plus que l’auteur expose les thèses et argumentations de chacun de façon très claire. Au lecteur intéressé de poursuivre ensuite ses recherches.
De même, nous dirons « Pensée rationaliste », contrairement à ce que pourrait laisser penser le titre. En effet, la majeure partie de l’ouvrage est dédié à l’exposé des thèses des courants « rationalistes ». A la décharge de l’auteur, et contrairement aux idées reçues, il est indéniable que l’Islam accorde une grande place à l’entendement et à la raison. Cependant la part des « non rationalistes » apparaît tout de même comme « maigre ». Une dizaine de pages sur la genèse des courants « politico-religieux » Kharijite, Chiite, Murjite, six pages sur les courants « traditionnistes », cinq pages pour al-Ghazali et comme cela a déjà été mentionné, sept pages sur le soufisme. C’est dire si de nombreux auteurs et courants dont la doctrine ne constitue pas des systèmes (purement) « rationalistes » sont laissés de côté. Nous citerons rapidement Al Māturīdī et Ibn Taymiyya, Sohrawardi le philosophe de l’illumination ou encore plus proche de nous Abdelwahhab (fondateur du wahhabisme), voire Hassan al-Bannā fondateur des frères musulmans et Sayyid Qutb puisque l’auteur a choisi de nous parler des courants de pensée contemporains égyptiens.
Cependant, par le panorama, même partiel, qu’il dresse des courants de pensée en Islam, l’ouvrage fait prendre conscience au lecteur que contrairement à l’image véhiculée dans l’opinion publique par les médias, l’Islam n’est pas monolithique sur le plan de la pensée. « Il n’est pas non plus intrinsèquement fondamentaliste dans son rapport aux enseignements du Prophète. Débats d’idées, oppositions de partis au sein de l’Islam, penseurs cherchant à montrer la nécessité d’un apport de la raison et de la réflexion philosophique dans l’interprétation théologique. Il y a toujours eu et il y a encore, dans le vaste monde islamique, des courants d’idées diversifiés. » (4eme de couverture).
Peut-être quelques « manquements ». Les batailles de Siffin et du Chameau sont évoquées sans être nommées, de même pour le mouvement de la Nahda. En règle générale, les courants de pensée chiites sont réduits à la portion congrue. En particulier, les réformateurs chiites ne sont pas évoqués. Le lecteur intéressé par cette pensée pourra se reporter à l’ouvrage Qu'est-ce que le shî'isme ? (Fayard, 2004) de Mohammad-Ali Amir-Moezzi et Christian Jambet qui en dresse un panorama.
En conclusion
Au final, ce livre assez compact, nous donne une excellente base de réflexion sur la question. Abordant, dans l’ordre chronologique l’apparition des différents courants, il peut être considéré comme un cours d’introduction, à la pensée rationaliste en Islam. Montrant la richesse et la diversité de l’Islam depuis ses origines jusqu’à l’époque contemporaine (au moins en Égypte) , cet ouvrage fournit une première grille de lecture, des clés, permettant de comprendre une partie de la situation prévalent actuellement au Proche Orient.
Nous pouvons être reconnaissant à l’auteur de ne pas avoir utilisé le schéma simpliste qui veux qu'à l'origine, il y eût eu un islam orthodoxe sunnite, censé être fidèle à l'enseignement et aux pratiques du prophète de l'islam. Et que se serait suite à une série de conflits et à de luttes, que les divers courants seraient nées, rompant ainsi cette belle unité mythique. En réalité, comme le montre bien l’auteur, au commencement, n'étaient ni le sunnisme ni le chiisme, mais un islam qui se cherchait. Utiliser le terme de « sectes », en évitant ceux d'hérésie et d'hérésiographie nous parait judicieux et doit être placé au crédit de l’auteur. Plus encore, le vocable « groupes politico-religieux » parait judicieux (l’auteur utilise « partis »). En effet, comme le laisse transparaître cet ouvrage, sans vraiment l’expliciter nous semble-t-il, il est possible de considérer le sunnisme comme une apparition tardive, issue d’une genèse lente, en réaction contre le mu`tazilisme aux alentours du IXe s. Du reste, les savants musulmans du Moyen Age comme par exemple al-Shahrastānī (dont on peut regretter l’absence de la bibliographie) qui s'intéressèrent aux différents courants se contentaient de les présenter dans leur diversité en justifiant leur entreprise par un hadith attribué au Prophète de l’Islam: « Ma communauté se divisera en soixante-treize sectes. Toutes iront en enfer, à l'exception d'une seule ».
L’ouvrage reste donc à notre avis une « Introduction » et non une somme. Même si sa lecture suppose une bonne connaissance du monde arabo-musulman, les thèmes abordés sont traités rapidement sans réel approfondissement, à l’inverse de ce que des auteurs tels que Louis Gardet, Roger Arnaldez ou encore Josef Van Ess ont pu produire sur le sujet. C’est ainsi, par exemple, que l’historique du soufisme et de « sa pensée » sont traités en sept pages. On regrettera aussi qu’Ibn Sina ne soit simplement qu’évoqué. A contrario, au final, cela permet une lecture fluide et aisée, embrassant successivement le Kalam, la falsafa, la Nahda (ce qui reste unique au sein de notre bibliothèque). Ce que l’on perd en précision, nous le gagnons en clarté. D’autant plus que l’auteur expose les thèses et argumentations de chacun de façon très claire. Au lecteur intéressé de poursuivre ensuite ses recherches.
De même, nous dirons « Pensée rationaliste », contrairement à ce que pourrait laisser penser le titre. En effet, la majeure partie de l’ouvrage est dédié à l’exposé des thèses des courants « rationalistes ». A la décharge de l’auteur, et contrairement aux idées reçues, il est indéniable que l’Islam accorde une grande place à l’entendement et à la raison. Cependant la part des « non rationalistes » apparaît tout de même comme « maigre ». Une dizaine de pages sur la genèse des courants « politico-religieux » Kharijite, Chiite, Murjite, six pages sur les courants « traditionnistes », cinq pages pour al-Ghazali et comme cela a déjà été mentionné, sept pages sur le soufisme. C’est dire si de nombreux auteurs et courants dont la doctrine ne constitue pas des systèmes (purement) « rationalistes » sont laissés de côté. Nous citerons rapidement Al Māturīdī et Ibn Taymiyya, Sohrawardi le philosophe de l’illumination ou encore plus proche de nous Abdelwahhab (fondateur du wahhabisme), voire Hassan al-Bannā fondateur des frères musulmans et Sayyid Qutb puisque l’auteur a choisi de nous parler des courants de pensée contemporains égyptiens.
Cependant, par le panorama, même partiel, qu’il dresse des courants de pensée en Islam, l’ouvrage fait prendre conscience au lecteur que contrairement à l’image véhiculée dans l’opinion publique par les médias, l’Islam n’est pas monolithique sur le plan de la pensée. « Il n’est pas non plus intrinsèquement fondamentaliste dans son rapport aux enseignements du Prophète. Débats d’idées, oppositions de partis au sein de l’Islam, penseurs cherchant à montrer la nécessité d’un apport de la raison et de la réflexion philosophique dans l’interprétation théologique. Il y a toujours eu et il y a encore, dans le vaste monde islamique, des courants d’idées diversifiés. » (4eme de couverture).