Mercredi 29 Octobre 2014

[Courrier des Balkans] Alexandre Popović : la disparition d’un maître des études islamiques


Alexandre Popović, auteur d’une oeuvre marquante, atypique et pionnière sur l’islam des Balkans mais aussi toutes les pratiques « déviantes » et mystiques de l’islam, est décédé à Paris le 1er octobre 2014. Le Courrier des Balkans rend hommage à un grand scientifique et à un grand homme.




Alexandre Popović, auteur d’une oeuvre marquante, atypique et pionnière sur l’islam des Balkans mais aussi toutes les pratiques « déviantes » et mystiques de l’islam, est décédé à Paris le 1er octobre. Le Courrier des Balkans rend hommage à un grand scientifique et à un grand homme.

Par Jean-Arnault Dérens 

De son profil d’émigré yougoslave, qui aurait pu être un handicap, voire le priver de toute carrière dans l’orientalisme, Alexandre Popović avait su faire un atout, en osant quitter les routes balisées de l’étude de l’islam classique et du monde musulman central, pour se lancer, au risque d’être marginal, sur le sentier alors peu emprunté des recherches sur l’islam et les musulmans des Balkans.

Né à Belgrade, en 1931, dans une famille originaire de Serbie occidentale, il apprit le français alors qu’il fréquentait l’école Saint Joseph des frères jésuites, où son père était enseignant. À la sortie du lycée, il choisit de faire des études de philologie orientale (arabe, turc, persan) auprès du célèbre professeur de l’époque, Fehim Bajraktarević. Il pensait avant tout que cette formation (tout comme le sport dans lequel il excellait) lui permettrait un jour de sortir du carcan imposé par le nouveau régime communiste. Quelques temps après avoir obtenu son diplôme, il put en effet partir pour Paris, où il arriva au début du mois de novembre 1954. Il s’inscrivit alors à l’École des langues orientales pour faire un diplôme d’arabe littéral, tout en survivant grâce à de multiples « petits boulots ». Il fit ensuite, avec Charles Pellat, une thèse sur la révolte des Zandj en Irak au III/IXe siècle, un sujet qu’il avait choisi afin de montrer le caractère fantaisiste des interprétations marxistes de l’événement. En 1967, il devint « collaborateur technique » de l’un des plus grands orientalistes français, Maxime Rodinson, et occupa ce poste durant plus de dix ans.


Alexandre Popović
C’est au cours de cette période qu’il décida pourtant de se diriger vers un domaine resté jusque là presque vierge : celui de l’islam du pays dont il est originaire, la Yougoslavie, et des autres pays balkaniques, qui plus est, à l’époque moderne. Dès le début des années 1970, il posa les bases de ses futurs travaux dans une série d’articles. Il était aussi l’auteur de nombreux comptes-rendus qui, d’un côté, lui permettaient « d’apprendre le métier », comme il aime à le dire lui-même, et de l’autre, donnaient aux chercheurs occidentaux la possibilité d’accéder à la littérature spécialisée en langue serbo-croate. À partir de 1973, un séminaire à l’École pratique des Hautes Etudes, VIe section (la future École des Hautes Etudes en Sciences Sociales), intitulé « Histoire moderne et contemporaine des musulmans balkaniques », lui permit d’analyser et de présenter la volumineuse documentation qu’il rassemblait peu à peu. Ce travail aboutit à la rédaction d’une thèse d’État (dirigée par Robert Mantran), publiée sous le titre : L’Islam balkanique. Les musulmans du sud-est européen dans la période post-ottomane (Berlin-Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1986, 493 p.). Il s’agit d’une somme qui est un manuel incontournable pour qui s’engage désormais dans l’étude de l’histoire des musulmans des Balkans.

Retrouvez la suite de cet article sur Le Courrier des Balkans.


En complément de cet article, nous vous proposons une bibliographie non exhaustive d'Alexandre Popovic : 

Parmi ses principales publications figurent Les Ordres mystiques dans l’islam. Cheminements et situations actuelles, Paris, Editions de l’EHESS, 1986 et Les Voies d’Allah. Les ordres mystiques dans le monde musulman des origines à aujourd’hui, Paris, Fayard, 1996(tous deux dirigés en collaboration avec Gilles VEINSTEIN); Un ordre de derviches en terre d’Europe (La Rifâ‘iyya), Lausanne, L’Age d’Homme, 1993 ; L’Islam balkanique. Les musulmans du sud-est européen dans la période post-ottomane, Berlin-Wiesbaden, Otto Harrassowitz Verlag, 1986 ; La révolte des esclaves en Irak au IIIe/IXe siècle, Paris, Geuthner, 1976 ; Les conversions à l’islam en Asie mineure et dans les Balkans aux époques seldjoukide et ottomane. Bibliographie raisonnée (1800-2000), Athènes, École française d’Athènes, 2011 (dirigé en collaboration avec Gilles GRIVAUD).

Une grande partie de ses articles a été regroupée dans trois volumes publiés par les Editions Isis à Istanbul.



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