Dr Moreno al Ajamî. Médecin, Docteur en Littérature et Langue arabe, Islamologue, Théologien,… En savoir plus sur cet auteur
Samedi 8 Juin 2013

Des Houris & des hommes 2/2



Nous avons précédemment exprimé notre étonnement et notre inquiétude : Comment, à notre époque, des hommes, mais aussi parfois des femmes, a priori sains d’esprit et de corps peuvent-ils imaginer que le Paradis que tant ils désirent – comme l’espérance d’une existence infiniment pure et absolument juste, à l’image du dieu qu’ils vénèrent – puisse être le lieu d’une jouissance sexuelle assouvie complaisamment ? Comment au nom de Dieu légaliser de tels délires sur le compte de créatures célestes qui ne seraient que la supra-image d’une femme parfaitement soumise aux fantasmes des hommes, un objet créé pour leur unique plaisir ? Comment supposer que le paradis de Dieu soit le reflet de la vision phallocrate et sexiste de ce bas-monde ? Comment concevoir que la condition féminine volée ici-bas soit violée en l’Autre-monde ? Et, nous l’avions déjà clamé : « Si tel est le Paradis, alors c’est l’Enfer ! »

 • Pour autant, nous ne portons pas là, bien évidemment un jugement. Nous savons pertinemment que la problématique est d’ordre exégétique, que l’on en est conscience ou non. De fait, le croyant met toute sa foi à tendre vers les objectifs coraniques, il est ainsi terriblement dépendant du sens de la Révélation. Or, ce sens ne nous est la plupart du temps délivré que par l’intermédiaire de ce que nous avons acquis, ce qui nous a construits. Se referme alors sur nous le cercle herméneutique qui, si l’on n’y prête garde, peut se révéler être le piège de notre raison ou pour le moins un obstacle à notre perception du sens réel du Coran. Bien sûr, ce clair-obscur peut être appelé lumière pour qui mêlera foi et fidéisme et préférera se conformer à la sainte parole de ces pieux prédécesseurs, en ce cas la certitude et la conviction sont maximales et le doute de la raison n’a pas ici sa place. Pour qui ne sait pas, mais cherche à savoir, nous proposons de poursuivre plus avant notre exploration coranique.

Méthodologiquement, nous avions indiqué lors du premier article que l’analyse littérale d’une thématique liée au texte du Coran reposait sur une approche en trois étapes : – Quels sont les sens des mots ? Quel est le sens des phrases impliquées ? Quel est contextuellement le sens voulu ? Concernant notre sujet : 1– Quel est le sens du mot Houri ? 2– Quel est le sens apparent des 4 versets concernés ? 3– Quelle signification coranique en déduire ?

Au volet 1, la conduite de la première étape aura permis de déterminer le sens du terme-clef « hûri ». Nous aurons mis en évidence que cet adjectif n’était pas le nom propre de créatures célestes promises au dépucelage éternel, mais qu’il signifiait « Pures », ainsi le syntagme hûrun ‘în se traduit-il rigoureusement par : Pures aux yeux d’une grande beauté. Concernant la deuxième phase, l’analyse littérale des quatre versets centraux aura montré que par le terme-concept hûri il était fait allusion à une élite parmi les croyantes, élite dont le statut spirituel correspond à une situation particulièrement élevée au Paradis. Conséquemment, nous avions posé que l’existence d’une catégorie de créatures particulières mises à disposition des hôtes du Paradis, les par trop fameuses « Houris », ne relevait que du phantasme exégétique.

Nous pouvons à présent aborder la dernière phase d’analyse :

3– Quelle signification coranique en déduire ?

 Cette troisième et ultime étape suppose que toute herméneutique est par définition circulaire : il faut connaître le tout pour comprendre les parties et comprendre les parties pour connaitre le tout. Dès lors que l’analyse des versets retenus a priori en fonction de mots-clefs a fourni du sens il est nécessaire de vérifier si cette ou ces lignes de sens sont cohérentes sur l’ensemble du Coran. En d’autres termes, peuvent-elles être confirmées ou au contraire infirmées ? Cette démarche amène donc à étudier le Hadith puisque ces textes censés éclairer pour nous le sens du Coran, bien souvent s’y opposent ; de même, ils constituent régulièrement un efficace bouclier brandi contre la raison critique.

• Aussi, devons-nous prendre en compte le passage faisant suite aux versets de S56 que nous avons d’analyser et qui semblerait s’opposer, d’après le sens que les conventions et traditions exégétiques lui confèrent, à nos résultats. Il concerne une catégorie d’élus dits Gens de la droite, ashâbu–l–yamîn, ou Gens de rectitude [1] dont il est dit qu’ils reposeront sous « des ombrages étendus », v30, et disposeront « d’eau vive, de fruits abondants », v31-32, et seront installés « sur des lits surélevés », v34. Puis il est dit : « Certes, Nous les avons faites en perfection, vierges [abkâran], gracieuses [‘uruban], d’un âge égal [atrâban], [ceci] pour les Gens de la droite. » v35-38. En ces quelques mots se trouve concentré le concept surréel des « vierges paradisiaques ».
Bien qu’elles ne soient pas explicitement mentionnées dans le texte, nous pouvons comprendre qu’il s’agit bien là de la description des « houris » par symétrie avec le passage antérieur, S56.V22-24, et symétrie globale avec S55. Le segment-clef en est : « pour les Gens de la droite », verset que l’exégèse reprend à nouveau pour indiquer que ces vierges sont en quelque sorte en libre-service. Si l’on délaisse cette surinterprétation non étayée, il est simple ici de redresser le sens : puisque le passage relatif aux « Gens de la droite » est manifestement le symétrique de celui consacré aux « Rapprochés », S56-V11-24, il exprime donc un propos qui ne peut être sur le fond qu’à l’identique. Or, comme nous avons rigoureusement démontré précédemment que ces Dames du Paradis n’étaient la propriété de personne à moins de manipuler le texte, c’est donc bien que nous devons entendre le segment « pour les Gens de la droite » comme ne qualifiant pas un quelconque rapport de possession d’une chose matérielle. De plus, en cette démonstration nous avions mis en évidence la rupture grammaticale et syntaxique prouvant que les « houris » ne font pas partie de la liste des biens proposés aux bienheureux, mais, qu’au contraire, il était indiqué qu’elles en étaient elles aussi les bénéficiaires. Il en est donc de même en ce passage symétrique, et tout ce qui est attribué aux Gens de la droite l’est aussi à ces femmes ressuscitées au Paradis en l’état de perfection dit de hûri, c'est-à-dire de Pures. Ainsi, tout comme les « Houris » étaient des femmes vertueuses admises au degré des « Rapprochés », elles seront aussi élues au rang des Gens de la droite ou Gens de rectitude. [2] Telle est l’égalité, la justice et l’élévation du propos coranique.

• Reste que la mention de jeunes beautés vierges suscita de troubles appétits. Or, même si les termes choisis correspondent à l’évocation du canon féminin selon les hommes de l’époque, ils ne sont – dès lors que l’on est en mesure de détourner l’impudique regard exégétique classique et de lire le propos coranique pour ce qu’il est – que l’expression d’une idée fort commune à toutes les descriptions du Paradis : son aspect immuable. Le fait est incontestable et bien connu, tous les éléments de l’univers paradisiaque sont constants et impérissables, les fleuves de miel et de lait, les mets servis, la fraîcheur, le verdoiement, l’eau, les boissons, les postures même des personnages, une félicité sans altération, hors temps. La beauté jamais flétrie et éternellement jeune des Pures du Paradis s’entend en ce contexte-là ! [3]

• Ainsi, les « Houris » sont-elles à l’image du Paradis d’une pureté inaltérable, et donc en ce sens éternellement “vierge”. Ceci, en soi, suffit à invalider l’idée que ces Pures du Paradis puissent être déflorées ! Ceci, de même, permet de comprendre à sa juste valeur le propos coranique, bien au-dessus des intentions de certains !

L’exégèse étant le fruit que l’homme greffe à l’arbre du Coran, il aura fallu imaginer un stratagème pour contourner l’impossibilité ontologique dictée par ces versets. L’on produisit donc quelques hadîths nous expliquant en substance que : « à chaque relation charnelle la houri est toujours vierge et ne se plaint pas de ces rapports, l’homme quant à lui demeure en érection et ne connaît pas d'éjaculation… » Fort heureusement, nous n’aurons pas à imputer au Prophète un tel déni du Coran et une pareille vulgarité, ces hadîths étant tous classifiés faibles, da‘îf. Nous avons vu que le Coran, et cela est cohérent, s’il parle de la situation des hommes et des femmes ne fait pas mention de rapports sexuels au Paradis, ce qui est dit est explicite : « Ils seront accoudés sur des divans alignés et Nous les unirons à des Pures aux yeux d’une grande beauté. » S52.V20, « Ils revêtiront des habits de fine soie et de brocart, se faisant face ; ainsi, et Nous les unirons à des Pures aux yeux d’une grande beauté. » S44.V54. Nous avons montré que l’union est ici un appariement et non un rapprochement sexuel ! Dieu serait-Il l’entremetteur de nos pulsions ?!
De fait, cette négation coranique a été toujours perçue comme une entrave à la volonté exégétique des mâles interprètes, aussi fournit-on un hadîth qui, à contre-Coran, soutient le contraire : « L’homme aura au Paradis la puissance sexuelle de cent hommes ». Ce hadîth, rapporté uniquement par at-Tirmidhy, est dit par lui seul sahîh, mais il est gharîb, isolé ou étrange, c'est-à-dire sans aucune possibilité d’identification croisée réelle. [4] En dehors même de cet aspect technique, que vaut un hadîth face au Coran en son sens obvie ? Encore une fois, comme supposer que le Prophète ait dévié du sens coranique ? !

Signalons qu’il est très souvent fait référence en les innombrables articles internet consacrés au thème fort prisé des houris à un hadîth rapporté par al Bukhârî et mentionné dans les termes suivants : « Au sujet des mots du Coran « des houris cloitrées dans leurs tentes » Qays a relaté que le Messager de Dieu a dit : « Il y a au Paradis une tente faite d’une seule perle creusée et de soixante milles de largeur. A chacun de ses coins il y aura des femmes (les houris) qui ne verront pas celles des autres coins et les croyants les visiteront et jouiront d’elles. » L’argument est aussi explicite qu’imparable, si vous aviez un doute le voici balayé : les houris vous attendent. Sauf que ce hadîth n’existe tout bonnement pas ! Nous en trouvons quatre versions chez al Bukhârî et deux chez Muslim, toutes sont rapportées du même Abdullâh ibn Qays, mais aucune n’est en ces termes, aucune ne mentionne les houris et aucune ne dit que les hommes jouiront d’elles ! La version complète rapportée par al Bukhârî en tant que commentaire de S55.V72 dit exactement : « Il y aura au Paradis une tente faite d’une perle creusée de soixante milles de largeur. A chacune de ses extrémités, il y a des gens (ahl) qui ne pourront voir les autres. Les croyants s’y promèneront. Il y aura deux jardins aux ustensiles d’argent et deux autres jardins à l’identique. Et entre les gens (qawm) et la vision de leur Seigneur, il n’y aura qu’un voile de majesté sur Sa face au Jardin d’Éden. » L’on a donc ajouté en ces versions les houris et, plus encore, la mention au sujet de la vision de Dieu, summum de la béatitude paradisiaque, a été remplacée par une promesse de jouissance sexuelle ! En soi, tout est dit des intentions de chacun.

Ceci étant, attention à ne pas nous laisser prendre aux filets de la Toile, l’araignée pourrait s’avérer venimeuse. Si l’avènement de l’informatique a effectivement démocratisé l’accès à la connaissance, il convient de rester prudent face à l’abondante redondance de l’offre, car ce même outil favorise aussi le développement de la science ignorante, celle du copié/collé et de la “science” à moindre effort. Sous un autre aspect, nous voyons naître chaque jour sous nos yeux ébahis une nouvelle forme de Hadîth apocryphe, ce qui au demeurant peut nous aider à comprendre les conditions d’apparition de la masse du Hadîth entre le IIe et le IIIe siècle de l’Hégire. De plus, et pour les mêmes raisons, cette dérégulation assez frénétique du savoir, qui pourrait être un formidable atout, se traduit actuellement par le développement d’un néo-islam, web-islam antérograde puisque dominé par les forces du petro-islam hanbalo-wahhabite des plus archaïques monarchies du monde.

• Mais, nous dirions-nous en un ultime espoir de sauver la projection de toutes ces frustrations, le Coran n’a-t-il pas dit que les Houris seront déflorées au Paradis ? Effectivement, il y est dit à deux reprises au sujet des « houris » : « Des Pures [hûrun], retirées sous les tentes […] que n’ont déflorées auparavant [qabla-hum] ni homme ni djinn. » S55.V72-74. Les traductions standardisées proposent un : « que n’ont déflorées avant eux aucun homme ou djinn. » En ce cas, l’affaire est claire, les houris seront dépucelées en primeur par les hôtes du Paradis. Encore une fois, si le texte du Coran subsiste, sa lecture, totalement sous la dépendance de l’exégèse, nous pose problème. En effet, le sens a été ici dévié à partir d’un “mésusage” de la locution adverbiale qabla-hum. Sur les 15 occurrences coraniques de cette locution, elle indique à 13 reprises qu’un temps ancien est révolu, ce qui en français a pour équivalent : auparavant, jadis. Ex : « Combien avons-Nous anéanti auparavant [qabla-hum] de générations ! Perçois-tu d’eux un seul être ? Entends-tu le moindre murmure ?! » S19.V98. Les deux autres occurrences sont celles de S55 relatives à nos houris. Il est donc ici confondu l’usage coranique de la locution adverbiale qabla-hum avec celui du complexe prépositionnel min qabli-him qui signifie effectivement avant eux. Par conséquent, l’emploi adverbial de qabla-hum en ces deux versets indique que par : « des Pures [hûrun], retirées sous les tentes […] que n’ont déflorées auparavant [qabla-hum] ni homme ni djinn » nous devons comprendre que l’état de virginité de ces Pures est hors du temps, absolu et infrangible, et que nul, ni homme ni djinn, ne l’altérera ; une métaphore de la perfection virginale conforme à l’aspect immuable du Paradis selon les descriptions coraniques, ici l’image de la pureté. Notons, pour l’anecdote, que le grand exégète ar-Râzî avait vu que le segment « retirées sous les tentes » rendait de plus impossible que les « houris » fussent accessibles à nos désirs, il imagina donc un stratagème. [5]

• Nous aurons donc compris que le propos du Coran consiste à définir l’état de perfection et de pureté d’une élite féminine parmi les élus du Paradis. Nous avons montré en la partie1/2 qu’il s’agissait bien là du statut des femmes les plus vertueuses d’ici-bas. Ceci est explicite en deux versets fort connus, v56 et v70 de sourate « ar-Rahmân », que nous avons analysés et que l’on peut ainsi commenter : « Parmi elles, [les femmes qui seront admises au Paradis, il y aura] celles aux chastes regards [dites hûr, c'est-à-dire Pures] » et « Parmi elles [idem] de nobles élues [les hûr]. »
Il n’y a ainsi aucune réalité textuelle et littérale au délire fantasmatique ayant transformé l’élite sainte de la gent féminine du Paradis en victime d’une oblation phallique délirante. Il n’y a donc pas de Houris au Paradis, ce qui n’était qu’un adjectif qualificatif indiquant la pureté a été improprement réduit à un nom commun, dérive linguistique commune traduisant un abus de sens et dissimulant un abus des sens. N’eussent été les voiles de l’exégèse, nous aurions pu identifier aisément ces Pures, ces saintes parmi les saintes.

• Au final, le Coran ne qualifie donc pas de « hûri », Pures aux yeux d’une grande beauté, des créatures de jouissances, mais des femmes récompensées par Dieu pour leur piété ici-bas, en cela elles ne différent des autres femmes admises au Paradis que par leur élévation spirituelle particulière. Nous lisons en la première description donnée du Paradis dans l’ordre du Livre : Et fais belle annonce à ceux qui croient et œuvrent en bien : ils auront des jardins au pied desquels coulent les ruisseaux. Toutes les fois où il leur sera octroyé des fruits comme subsistance, ils diront : « Voilà ce que l’on nous attribuait autrefois », mais ce qu’ils recevront n’en aura que l’apparence. Ils auront là pures compagnies [6] [azwâjun mutahharatun] et ils y séjourneront éternellement.” S2.V25 idem en S3.V15 et S4.V57. Dans le Coran, l’adjectif mutahharah ne signifie pas purifiées, mais pures, puisqu’affirmer qu’elles auraient été purifiées aurait supposé que les femmes fussent auparavant impures ![7] Cependant, le qualificatif hûr est plus intense que mutahharah et si ce dernier est appliqué à toutes les femmes du Paradis, hûr, nous l’avons vu, ne concerne qu’une élite parmi elles : « Parmi elles, de nobles élues de vertueuse beauté […] des Pures [hûrun], retirées sous les tentes. », S55.V70-72. Ceci étant, elles sont toutes des croyantes dont la piété aura permis qu’elles accèdent au Paradis. En ce sens, l’Autre-monde est le reflet de la vie pieuse en ce bas-monde : « Ils entreront aux jardins d’Éden ainsi que ceux qui furent vertueux parmi leurs ancêtres, leurs conjoints et leurs descendants ; les Anges les accueilleront à toutes les portes. » S13.V23. Les couples vertueux se retrouveront donc en l’Au-delà : « Ce jour, les Hôtes du Paradis seront en occupation, béats,[8] eux et leurs “compagnes”,[9] sous les ombrages, accoudés sur des lits de repos ». S36.V55-56.[10] Nous avons vu qu’il en était de même pour les Pures, les hûr : « Ils seront accoudés sur des divans alignés et Nous les unirons à des Pures aux yeux d’une grande beauté. » S52.V20 ; « Ils revêtiront des habits de fine soie et de brocart, se faisant face ; ainsi, et Nous les unirons à des Pures aux yeux d’une grande beauté. » S44.V54. Pure félicité paradisiaque, immuable, parfaite, inaccessible aux sens et à la raison. Dès lors, il apparaît évident que la seule différence entre les femmes élues au Paradis et les femmes élevées au rang de « houris » est affaire de degré tout comme il existe des degrés spirituels au Paradis, une hiérarchie de la béatitude, si ce concept peut réellement faire sens pour notre entendement.

• Des « Houris & des hommes » illustre parfaitement la main mise exégétique sur le Texte sacré et le pouvoir de sens qu’elle exerce sur les lecteurs du Coran. L’emprise est forte et elle impose une lecture paraissant a priori insurpassable, le respect voué aux autorités de l’interprétation scellant l’esprit critique de la majorité.
L’analyse littérale des versets impliqués aura mis en évidence la cohérence du Coran qui à aucun moment ne se départit de l’égalité de considération entre les hommes et les femmes comme nous l’avons établi au cours d’une série d’articles précédents [cf. Des houris & des hommes » Partie 1 : note 1]. Le Coran n’est ni patriarcal, ni misogyne, ni phallocrate ou sexiste, il ne prône pas une inégalité foncière entre les genres qui ferait de la femme un être de deuxième zone. Ce sont les hommes qui ont imposé au Coran cette lecture en interprétant et surinterprétant la totalité des matériaux disponibles. Cela est particulièrement vrai concernant la condition féminine qui, une fois lue au travers du prisme de l’exégèse des hommes d’une certaine époque et culture, se révèle être très éloignée de l’idéal égalitaire réellement prôné par le Coran. Lorsque nous disons le Coran, nous entendons bien par là qu’il s’agit de l’expression de la volonté divine, dès lors, l’on comprend aisément que ce texte, comme tous les textes dits sacrés, ait pu être l’objet de toutes les convoitises depuis près de 14 siècles. L’exégèse au service de la volonté des hommes s’est donc emparé de la Révélation et en a asservi le sens en fonction de leurs intérêts, lesquels relèvent tout autant de l’histoire que de certains types de culture. Ce n’est point en soi une critique que nous émettons, mais le simple constat sémantique que tout texte est soumis à cette règle, les textes fondateurs de religion toutefois bien plus que d’autres. Il ne s’agit donc pas pour nous de vouloir reproduire les erreurs du passé en produisant comme solution à l’inadéquation de l’exégèse classique et des réalités des musulmans actuels une multième interprétation que l’on qualifierait alors de moderne ou de contemporaine. Nous nous en sommes à plusieurs reprises expliqué, nous proposons seulement à ceux qui s’interrogent, et en toute modestie, une méthodologie de lecture destinée à précisément court-circuiter les modalités d’interprétation qui nous animent, qu’elles soient héritées ou personnelles. Cette ascèse intellectuelle, ce retour à la source du Livre, nous semble être une voie permettant d’accéder au delà des pesanteurs de l’histoire exégétique au sens premier du Coran, le Message initial. Espoir sans doute idéaliste, mais, et telle est notre foi, Message éternel et universel qui, une fois entendu, nous permet nécessairement d’être en phase avec l’humanité et l’humanisme.

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[1] « Gens de rectitude », ce choix est plus pertinent, car par la suite il sera question de « Gens de la gauche » subissant le châtiment de l’Enfer, lequel n’est semble-t-il pas à la gauche du Paradis.

[2] De plus, la préposition « li » en li-ashâbi–l–yamîn indique autre chose que la possession par le verbe « avoir », et l’on pourrait tout aussi bien traduire sans difficulté aucune par : « [ceci] quant aux Gens de la droite », ou « ceci concerne les Gens de la droite », ou « Ceci en faveur des Gens de la droite » ou « ceci au sujet des Gens de la droite », etc.

[3] Ici, l’on cite régulièrement en tant que commentaire de ces versets le hadîth disant en substance : « N’entreront pas au Paradis les vieilles femmes… mais Dieu les ressuscitera toutes « vierges, coquettes, d’égale jeunesse » [S56.V36-37]. Bien qu’il confirme en quelque sorte notre analyse, nous tenons à signaler que ce propos fort connu n’est pas du Prophète, il est rapporté isolément pour les besoins par Ibn Kathîr, il s’agit en réalité d’un propos apocryphe rapporté par at-Tirmidhy en « ash-shamâ’il al muhammadyya », propos qui n’est pas répertorié dans les ouvrages admis de hadîths.

[4] Il existe bien deux versions légèrement différentes, mais de sens identique rapporté par Ibn Hanbal et elles sont classifiées faible, da‘îf, à cause de la présence de Sulayman ibn Hahran.

[5] Ceci lui paraissait, à raison, incompatible avec la permanence de la félicité paradisiaque. Il supposa alors qu’elles se déplaçaient dans l’espace paradisiaque à bord de leur tente volante [sic] pour se rendre incognito chez qui les désirerait…

[6] Le pluriel azwâj est le plus souvent traduit par épouses, mais cet emploi anthropomorphiste légaliste est peu compatible avec le monde paradisiaque. De plus, ce type de verset présente une formulation parfaitement mixte et réversible. En effet, par « ceux qui croient et œuvrent en bien » l’on entend « les croyants et les croyantes » auxquels il est promis les mêmes Jardins. Or, azwâj est un terme parfaitement mixte désignant « deux choses faisant la paire » et, s’agissant d’un couple il qualifie aussi bien l’homme que la femme. La neutralité de fonction pourrait être rendue en français par conjoints/conjointes ou compagnons/compagnes, mais pour respecter aussi la neutralité de genre du azwâj arabe nous avons employé, à défaut, le mot compagnie, d’où notre : « ils [c'est-à-dire les croyants comme les croyantes] auront là pures compagnies [azwâjun mutahharatun] et ils y séjourneront éternellement ». Quoiqu’ayant fait l’objet d’âpres spéculations, l’accord au féminin de l’adjectif mutahharatun [et non pas mutahharâtun] est régulier en arabe coranique et correspond à l’accord d’un nom de choses au pluriel, ici azwâj [pluriel dit brisé], ce qui implique qu’il ne modifie pas la neutralité de genre en ce verset et qu’il doit se comprendre comme pouvant aussi bien signifier purs ou pures, le syntagme azwâjun mutahharatun signifiant alors : purs compagnons et pures compagnes. Signalons que le français dispose de la locution latine alter ego, de genre neutre, et que certains usages rendent proche de azwâj, seules des questions de forme ne nous permettent pas de l’employer en ce type de versets. En application directe, sans doute nous faudra-t-il réapprendre à lire le Coran autrement que de par l’œil exclusif de l’homme, mais bien plus selon une égalité de genre tout à fait inédite pour le temps de la Révélation tout comme pour l’immense majorité masculine des temps actuels, mais aussi, et ce n’est pas un paradoxe, pour une grande majorité de lectrices.

[7] Les deux autres occurrences coraniques de ce terme qualifient les feuillets sur lesquels sont écrits du Coran, ex : « Un prophète de Dieu [Muhammad] qui récite des feuillets purs [suhufan mutahharah] » S98.V2.

[8] Le participe présent fâkihûn n’est employé dans le Coran que pour qualifier l’état de bonheur extrême des hôtes du Paradis. Les commentateurs en donnent comme synonyme farihûn, heureux, mais nous observons pour notre part qu’il est loisible de le rapprocher du français « béat, béatitude », termes théologiques au sens fort provenant du latin beatus signifiant être à l’origine heureux.

[9] En référence à notre note 6, il est peut-être ici possible d’orienter le genre du pluriel azwâj vers le féminin compagnes du fait de la symétrie de construction et de thème entre S36.V55-56 et S44.V55.

[10] Ibn Kathîr rapporte qu’un interprète, sans doute par trop enflammé, comprenait que l’extase paradisiaque ici décrite [les Hôtes du Paradis seront en occupation, béats] signifiait : « ils s’occuperont de dépuceler des vierges [sic] ! »



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