Vendredi 25 Novembre 2016

Elle a perdu son âme


La République est menacée par un communautarisme national, qui place la question de l’identité avant la liberté, l’égalité et la fraternité.



Projet «Territoires de fictions», photomontage de Julie Guiches. Photo Julie Guiches. Picturetank

Par Cécile Laborde, Professeure de théorie politique, université de Londres, auteure de Français, encore un effort pour être républicains ! (Seuil, 2010) —

Libération, 22 novembre 2016 à 17:36 (mis à jour à 18:37)

Creusement des inégalités, ascenseur social en panne, défiance à l’égard des élites, vague sans précédent d’attentats terroristes islamistes, négligence de la question sociale, crise de l’intégration, victoire sans appel de mouvements populistes et xénophobes aux Etats-Unis et au Royaume-Uni : rarement une période préélectorale aura été aussi lourde d’angoisses et de dangers.

Un des dangers qui menacent la République française est sa mutation, sournoise mais profonde, en communautarisme national. En particulier, la progression inquiétante d’une laïcité purement identitaire vient mettre à mal le républicanisme, tradition de liberté politique, d’égalité sociale, de citoyenneté laïque et de démocratie.

La laïcité identitaire est à la fois contre-productive et contraire à l’esprit du républicanisme. Contre-productive, car à jeter en permanence la suspicion sur l’appartenance des musulmans à la communauté nationale, elle fait d’abord le jeu à la fois de Daech et des Trump, Farage et Le Pen, sans faire avancer d’un iota le progrès social. Contraire à l’esprit du républicanisme ensuite, qui est un principe universaliste et égalitaire, et non communautariste et identitaire : la République est d’abord une communauté de citoyens, pour reprendre la belle formule de Dominique Schnapper.

Plusieurs d’entre nous plaident depuis quelque temps pour un républicanisme de la non-domination, qui repenserait les trois termes de la devise républicaine à l’aune de cet idéal.

La liberté d’abord, conçue non comme émancipation de la religion, mais comme non-domination : non-emprise du citoyen par des pouvoirs arbitraires - économiques, théocratiques, administratifs, politiques, patriarcaux. A trop se focaliser sur des signes et vêtements dont le port, en soi, ne bafoue aucun droit, on laisse les «dominations ordinaires» se développer sans vergogne : violence domestique, inégalités d’accès à l’emploi, dégradation du statut des femmes dans les banlieues, discrimination au faciès, insécurité générale sur le marché de l’emploi.

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