Samedi 12 Novembre 2016

Face au terrorisme, la recherche en action


De nombreux projets soutenus dans le cadre de l’appel du CNRS portent sur le phénomène de radicalisation. Sur ce sujet complexe et objet de multiples recherches depuis des années, le CNRS a organisé en septembre une première école thématique internationale, rassemblant chercheurs en sciences humaines et sociales, professionnels de la santé et de l’éducation, et experts du monde politique et judiciaire. Entretien avec l’historien Jacques Sémelin et la politiste Sylvie Ollitrault, coorganisateurs de l’événement.




Comprendre la radicalisation

Publié le 08 novembre 2016
Propos recueillis par Stéphanie Arc

De nombreux projets soutenus dans le cadre de l’appel du CNRS portent sur le phénomène de radicalisation. Sur ce sujet complexe et objet de multiples recherches depuis des années, le CNRS a organisé en septembre une première école thématique internationale, rassemblant chercheurs en sciences humaines et sociales, professionnels de la santé et de l’éducation, et experts du monde politique et judiciaire. Entretien avec l’historien Jacques Sémelin et la politiste Sylvie Ollitrault, coorganisateurs de l’événement.
  
  
Pourquoi avez-vous organisé (1) cette « école thématique » et quels en étaient les objectifs ?

Jacques Sémelin (2) : Cet événement, consacré à la question de la radicalisation, un problème ô combien sensible dans l’actualité politique de ce pays depuis les attentats de janvier 2015 à Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, s’inscrit dans une perspective de formation. D’où le fait qu’il s’agisse d’une « école », et non d’un colloque. Elle a en effet pour enjeu de constituer une communauté scientifique capable de travailler sur la diversité des phénomènes de radicalisation dans nos sociétés contemporaines. Et elle vise une mise à niveau interdisciplinaire et internationale grâce aux échanges d’expériences entre chercheurs et professionnels (élus, formateurs, personnels de la justice et des ministères, éducateurs, enseignants, etc.), mais aussi à la diffusion de leurs travaux, tout aussi essentielle, auprès de la société civile.
Sylvie Ollitrault (3) : En effet, ce projet est né d’une convergence des demandes. D’une part, dans le sillage de l’appel « Attentats-recherche » lancé par le président du CNRS Alain Fuchs le 18 novembre 2015, les chercheurs ont fait remonter l’ensemble de leurs travaux sur le sujet et l’Institut national des sciences humaines et sociales (INSHS) – où je suis chargée de mission – est très impliqué dans ce champ. De l’autre, au-delà des médias, par lesquels nous sommes très régulièrement sollicités, surtout sur ce qu’est la radicalisation islamiste, nous avons constaté une forte demande sociale d’éclairage. L’école thématique a ainsi rencontré un réel succès dans le monde professionnel. Et cela notamment parce que les sphères médiatique et politique instrumentalisent le sujet dans un contexte de période préélectorale et que ces questions sont sources de clivages… À les écouter, et pour le dire vite, la population serait scindée en deux parties : l’une que les « radicalisations » inquiètent, l’autre qui est considérée comme un terreau de radicalisation.
 

En l’intitulant « Radicalisations », vous avez tenu à mettre l’accent sur la forme plurielle du phénomène… En quoi était-ce important ?

J. S. : Nous voulions dissocier le rapport simpliste, trop souvent fait actuellement, entre radicalisation et islam. Nous avons donc tenu à inclure, outre bien sûr les recherches sur le djihadisme et les attentats islamistes, des travaux sur d’autres processus de radicalisation politiques ou sociaux, tels qu’ils surgissent dans les mouvements indépendantistes (corses, basques, etc.), d’extrême gauche, d’extrême droite, etc. Parallèlement, nous tenions également à faire dialoguer des perspectives différentes sur le sujet, celles des chercheurs, dont les travaux divergent parfois entre eux, mais aussi celles des praticiens, des acteurs institutionnels, des élus ou des personnels d’établissements pénitentiaires qui ont leur propre approche, sur le terrain, de ce qu’est la radicalisation. C’est pourquoi nous n’avons pas de prime abord imposé une définition univoque du terme.

S. O. : La notion de radicalisation est très ambiguë et, à ce titre, peut s’avérer problématique pour les chercheurs en sciences humaines et sociales eux-mêmes. Telle qu’elle est couramment employée, elle désigne en effet à la fois le fait d’avoir des opinions ou des pratiques considérées comme radicales, notamment religieuses (on parle alors d’« intégrisme » ou de « fondamentalisme »), et le fait de commet­tre des actes violents (ou « terroristes »). Or, bien sûr, l’un n’implique pas l’autre. Problématique, cette notion n’en reste pas moins incontournable, en ce qu’elle permet de pointer un phénomène social : celui d’un engagement progressif qui peut mener à la violence. C’est d’ailleurs essentiellement de radicalisation violente qu’il a été question ici, celle qui implique un passage à l’acte tel que l’attentat, l’assassinat, les meurtres de masse, une prise d’otages…

Retrouvez la suite de cet article sur le site de CNRS LE JOURNAL.

1. avec Ariane Jossin, du Sirice (Unité CNRS/Univ. Panthéon-Sorbonne/Univ. Paris-Sorbonne), programme « Saisir l’Europe », et Pamela Torres, du Ceri (Unité CNRS/Sciences po Paris).
2. Centre de recherches internationales (Unité CNRS/Sciences Po Paris).
3. Centre de recherches sur l’action politique en Europe (Unité CNRS/Univ. Rennes 1/EHESP/Sciences Po Rennes).



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