Première publications : Revue belge de philologie et d'histoire, Année 1924, Volume 3, Numéro 3, p. 665 - 668. S
Référence de l'ouvrage : Gaudefroy-Demonbynes, Le Pèlerinage à La Mecque, Paris, Geuthner, 19*53 (Annales du Musée Guîmet), gr. in-8°, 312 p. Les ouvrages consacrés à l'Arabie, un des rares pays du monde restés mystérieux, excitent toujours une grande curiosité, et tous les islamisants, et avec eux beaucoup de lettrés, ont dû ou devraient lire, par exemple, le merveilleux récit du Pèlerinage aux villes saintes de l'Islam, dans lequel un grand seigneur algérien, délicieusement imprégné de culture française, Caïd ben Chérif, mort récemment à la fleur de l'âge, a décrit son voyage aux régions interdites aux infidèles. Il y apparaît comme un admirable écrivain, digne émule des Loti et des Farrère, et sait combiner en un mélange aussi heureux que rare, l'enthousiasme du croyant sincère et l'exactitude d'un observateur sagace.
Ce n'est pas un travail de ce genre que nous offre M. Gaudefroy-Demonbynes, le distingué professeur d'arabe littéral à l'École de Langues orientales de Paris. Ii n'a pas, tels Burton, Snouck ou Burckhardt, visité sous un déguisement, au grand péril de sa vie, les cités très saintes du mahométisme. Ce qu'il nous donne, c'est une œuvre de cabinet, une étude complète sur le quatrième « pilier de l'Islam », à savoir le Hadjdj ou pèlerinage à La Mecque qui incombe à tout musulman en état de l'accomplir.
L'auteur a utilisé une multitude de sources, européennes et orientales, dont la liste figure au seuil de son ouvrage. C'est un ensemble imposant, et beaucoup de publications intéressantes y sont ajoutées à celles que Wensinck énumère à la suite de son excellent article sur le Hadjdj dans l'Encyclopédie de l'Islam. M. Gaudefroy-Deraonbynes ne cite pas Querry, Droit musulman chyite, mais il le signale souvent dans le corps de son livre. Il n'a pu lire, sans doute, car il ne le mentionne pas, l'ouvrage déjà rare, quoique assez récent, de Keane, Six months in the Hedjaz, by an Englishman professing Mohammedanism (Londres, Ward & Downey, 1887 [1].
Nous ne trouvons pas trace, non plus, de la relation si instructive d'un Pèlerinage à La Mecque en 1910-1911 du Persan Kazem Zadeh, parue, en 1912, dans la Revue du Monde musulman. M. Gaudefroy-Demonbynes ne se borne pas, ce qui, d'ailleurs, serait déjà un travail d'érudition extrêmement laborieux et méritoire, à rassembler tous les témoignages accessibles sur la géographie, l'histoire, la légende, le droit canonique musulman et sa casuistique raffinée, relatifs au pèlerinage à La Mecque. Il tâche de démêler, en folkloriste et ethnographe averti, l'origine des innombrables rites pour la plupart très anciens et antéislamiques, qui compliquent le Hadjdj : tâche difficile et précaire, comme en général toutes les recherches d'origines.
L'auteur, qui a donné comme sous-titre à son ouvrage « Etude d'histoire religieuse », déclare ne pas vouloir étudier le pèlerinage au point de vue politique, et se borne à déclarer que « le rôle politique du pèlerinage à La Mecque est de second plan ». Il s'élève contre l'idée répandue par certains publicises (il aurait pu ajouter : et pas mal d'islamisants notoires) qui veulent y voir « comme le centre d'expansion du mouvement politico-religieux... appelé le panislamisme *. Ce n'est pas le lieu de discuter ici cette simple affirmation.
L'ouvrage du savant arabisant français sera désormais, et sans doute pour longtemps, le standard worh pour l'étude de cet intéressant ensemble de cérémonies qui constitue le Hadjdj. Nous aurions dû en donner un résumé, si l'auteur ne l'avait fait d'avance lui-même dans son admirable petit manuel sur les Institutions musulmanes, paru récemment dans la Bibliothèque de culture générale (Paris, Flammarion, s. d.). On y trouve, au degré le plus éminent, une qualité essentielle qui caractérise aussi ses Cent et une nuits, traduction de contes arabes (Paris, Challemel, 1911) et qu'on cherche vainement dans d'autres publications analogues : tous les savants ouvrages de M. Gaudefroy sont brillamment écrits.
Ajoutons qu'ayant longtemps vécu dans le monde musul· man, il ne J'apprécie pas uniquement en touriste émerveillé, ou en érudit tout transporté et incapable de voir la réalité autrement qu'à travers le mirage né de ses études bien-aimées. Notre auteur sait tenir un juste milieu entre l'admiration béate et l'optimisme bêlant de certaines productions sur le mahométisme, et l'hostilité aveugle, et non moins funeste à une saine vision des choses, qui dépare d'autres écrits, œuvres de polémique plus que de science. Nous avons souvent le tort, quand nous jugeons d'autres civilisations ou d'autres peuples, de les comparer à notre idéal que nous sommes loin d'atteindre nous-mêmes, au lieu de les mettre en regard de ce que nous sommes réellement.
Nous n'adresserons qu'un reproche à M. Gaudefroy, c'est de ne pas avoir enrichi son livre d'un ou même de plusieurs index alphabétiques (sujets traités, termes arabes, noms propres) qui auraient singulièrement rehaussé l'utilité d'un travail destiné à être, avant tout, un ouvrage de référence. Mais c'est une omission qu'il est encore temps de réparer.
L'auteur a utilisé une multitude de sources, européennes et orientales, dont la liste figure au seuil de son ouvrage. C'est un ensemble imposant, et beaucoup de publications intéressantes y sont ajoutées à celles que Wensinck énumère à la suite de son excellent article sur le Hadjdj dans l'Encyclopédie de l'Islam. M. Gaudefroy-Deraonbynes ne cite pas Querry, Droit musulman chyite, mais il le signale souvent dans le corps de son livre. Il n'a pu lire, sans doute, car il ne le mentionne pas, l'ouvrage déjà rare, quoique assez récent, de Keane, Six months in the Hedjaz, by an Englishman professing Mohammedanism (Londres, Ward & Downey, 1887 [1].
Nous ne trouvons pas trace, non plus, de la relation si instructive d'un Pèlerinage à La Mecque en 1910-1911 du Persan Kazem Zadeh, parue, en 1912, dans la Revue du Monde musulman. M. Gaudefroy-Demonbynes ne se borne pas, ce qui, d'ailleurs, serait déjà un travail d'érudition extrêmement laborieux et méritoire, à rassembler tous les témoignages accessibles sur la géographie, l'histoire, la légende, le droit canonique musulman et sa casuistique raffinée, relatifs au pèlerinage à La Mecque. Il tâche de démêler, en folkloriste et ethnographe averti, l'origine des innombrables rites pour la plupart très anciens et antéislamiques, qui compliquent le Hadjdj : tâche difficile et précaire, comme en général toutes les recherches d'origines.
L'auteur, qui a donné comme sous-titre à son ouvrage « Etude d'histoire religieuse », déclare ne pas vouloir étudier le pèlerinage au point de vue politique, et se borne à déclarer que « le rôle politique du pèlerinage à La Mecque est de second plan ». Il s'élève contre l'idée répandue par certains publicises (il aurait pu ajouter : et pas mal d'islamisants notoires) qui veulent y voir « comme le centre d'expansion du mouvement politico-religieux... appelé le panislamisme *. Ce n'est pas le lieu de discuter ici cette simple affirmation.
L'ouvrage du savant arabisant français sera désormais, et sans doute pour longtemps, le standard worh pour l'étude de cet intéressant ensemble de cérémonies qui constitue le Hadjdj. Nous aurions dû en donner un résumé, si l'auteur ne l'avait fait d'avance lui-même dans son admirable petit manuel sur les Institutions musulmanes, paru récemment dans la Bibliothèque de culture générale (Paris, Flammarion, s. d.). On y trouve, au degré le plus éminent, une qualité essentielle qui caractérise aussi ses Cent et une nuits, traduction de contes arabes (Paris, Challemel, 1911) et qu'on cherche vainement dans d'autres publications analogues : tous les savants ouvrages de M. Gaudefroy sont brillamment écrits.
Ajoutons qu'ayant longtemps vécu dans le monde musul· man, il ne J'apprécie pas uniquement en touriste émerveillé, ou en érudit tout transporté et incapable de voir la réalité autrement qu'à travers le mirage né de ses études bien-aimées. Notre auteur sait tenir un juste milieu entre l'admiration béate et l'optimisme bêlant de certaines productions sur le mahométisme, et l'hostilité aveugle, et non moins funeste à une saine vision des choses, qui dépare d'autres écrits, œuvres de polémique plus que de science. Nous avons souvent le tort, quand nous jugeons d'autres civilisations ou d'autres peuples, de les comparer à notre idéal que nous sommes loin d'atteindre nous-mêmes, au lieu de les mettre en regard de ce que nous sommes réellement.
Nous n'adresserons qu'un reproche à M. Gaudefroy, c'est de ne pas avoir enrichi son livre d'un ou même de plusieurs index alphabétiques (sujets traités, termes arabes, noms propres) qui auraient singulièrement rehaussé l'utilité d'un travail destiné à être, avant tout, un ouvrage de référence. Mais c'est une omission qu'il est encore temps de réparer.
[1] Keane était un jeune marin anglais d'esprit aventureux, qui osa, en 1877-1878, se mêler, sous un déguisement, à la suite d'un émir hindou et put visiter ainsi la farouche La Mecque et aussi la ravissante Médine, cette perle des cités d'Orient, que bien peu de chrétiens ont eu la chance d'admirer. Le récit sans prétentions de Keane, écrit avec une verve endiablée, est plein de descriptions extrêmement vivantes des hommes et des choses, et de renseignements précieux qu'on chercherait vainement ailleurs. Nous croyons utile de profiter de l'occasion pour citer ici un passage particulièrement intéressant (p. 112-113) :
« Le matin, je ne me levai que quand je fus éveillé par le bruit du repliement des tapis. II faisait grand jour, et l'heure de la prière du matin était depuis longtemps passée. Tous mes compagnons étaient si absorbés par le soin de faire la paix les uns avec les autres et de se pardonner leurs griefs dans la pensée que, ce jour-là, ils allaient être absous de tous leurs péchés passés, que nul n'avait fait attention à moi... Nous nous embrassions, nous faisions l'aveu de toutes nos menues offenses, certains que nous étions d'être pardonnés avec des larmes. Je me fiai d'abord à mon imagination pour me ressouvenir de mes fautes, mais mes compagnons ne tardèrent pas à me rappeler force occasions où je leur avais manqué consciemment ou inconsciemment. Ils semblaient bien sincères, et se confessèrent loyalement, eux aussi. Et c'est ainsi que j'appris enfin où étaient allés quantité de petits objets disparus de mes bagages. Un tel s'était approprié un canif, tel autre une paire de chaussettes. Et bien entendu, je donnai et pardonnai avec la meilleure grâce possible. Nous étions supposés, dès lors, être en paix avec tout le monde des vrais croyants, et dignes de paraître, la conscience tranquille, à Arafa. » Je ne me rappelle avoir vu ou entendu mentionner nulle part cette cérémonie curieuse d'aveux et de pardons réciproques, préalable au vouqoûf ou « station » sur le mont Arafa, qui est le rite le plus important du pèlerinage.
« Le matin, je ne me levai que quand je fus éveillé par le bruit du repliement des tapis. II faisait grand jour, et l'heure de la prière du matin était depuis longtemps passée. Tous mes compagnons étaient si absorbés par le soin de faire la paix les uns avec les autres et de se pardonner leurs griefs dans la pensée que, ce jour-là, ils allaient être absous de tous leurs péchés passés, que nul n'avait fait attention à moi... Nous nous embrassions, nous faisions l'aveu de toutes nos menues offenses, certains que nous étions d'être pardonnés avec des larmes. Je me fiai d'abord à mon imagination pour me ressouvenir de mes fautes, mais mes compagnons ne tardèrent pas à me rappeler force occasions où je leur avais manqué consciemment ou inconsciemment. Ils semblaient bien sincères, et se confessèrent loyalement, eux aussi. Et c'est ainsi que j'appris enfin où étaient allés quantité de petits objets disparus de mes bagages. Un tel s'était approprié un canif, tel autre une paire de chaussettes. Et bien entendu, je donnai et pardonnai avec la meilleure grâce possible. Nous étions supposés, dès lors, être en paix avec tout le monde des vrais croyants, et dignes de paraître, la conscience tranquille, à Arafa. » Je ne me rappelle avoir vu ou entendu mentionner nulle part cette cérémonie curieuse d'aveux et de pardons réciproques, préalable au vouqoûf ou « station » sur le mont Arafa, qui est le rite le plus important du pèlerinage.