Le texte suivant est tiré de Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée, Paris, UNESCO : Bureau international d’éducation, vol. XXIV, n° 1-2, 1994, p. 135-156.
L'auteure : Nadia Gamal al-Din (Égypte). Professeur à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université d’Aïn Shams (Le Caire), où elle enseigne les fondements de l’éducation dans le département du même nom, elle a reçu en 1987 le Prix national d’encouragement en sciences sociales en éducation. Voir note 1.
L'auteure : Nadia Gamal al-Din (Égypte). Professeur à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université d’Aïn Shams (Le Caire), où elle enseigne les fondements de l’éducation dans le département du même nom, elle a reçu en 1987 le Prix national d’encouragement en sciences sociales en éducation. Voir note 1.
MISKAWAYH/مسكويه
Le IVe siècle de l’hégire (Xe de l’ère chrétienne) fut l’un des plus florissants de la civilisation islamique. C’est dans ce siècle, qui vit les musulmans parvenir au stade le plus élevé de la maturité intellectuelle et du raffinement culturel et qui fut, pour bon nombre d’auteurs, le « siècle d’or » de cette grande civilisation [2], que naquit Ahmad b. Muhammad b. Ya’qub, dit Abou Ali, surtout connu sous le nom de Miskawayh ou encore Ibn Miskawayh. L’on sait aujourd’hui qu’il s’appelait Miskawayh, mais bon nombre d’écrits qui lui ont été attribués, en particulier ceux dont l’authenticité n’est pas sûre, portent en couverture le nom d’Ibn Miskawayh. Les quelques ouvrages dont l’authenticité est avérée le désignent comme étant Miskawayh nom par lequel le désignaient également les penseurs et gens de lettres qui étaient ses contemporains [3].
Miskawayh a vécu au IVe siècle de l’hégire, et a connu au cours de sa longue vie, qui a empiété d’une vingtaine d’années sur le Ve siècle et s’est donc entièrement déroulée sous la dynastie des Abbassides (132-656 de l’hégire), toutes les facettes du monde scientifique de son époque.
Cette époque a vu les musulmans se lancer dans la traduction des œuvres scientifiques écrites en d’autres langues, et l’édition originale en arabe a ensuite pris le relais des traductions. Nombreux étaient alors les musulmans qui excellaient dans les différents branches du savoir. Devant le nombre croissant des traductions et des œuvres originales dans de nombreux domaines, et avec le développement de l’utilisation du papier, les califes ont entrepris de créer ce qui s’appelait alors Dar al-’ilm ou Dar al-hikma (« maisons de la science » ou « maisons de la sagesse ») à Bagdad, au Caire, à Cordoue et dans d’autres villes du monde musulman.
Ces institutions faisaient office de bibliothèques publiques, pour le lecteur ordinaire comme pour le spécialiste. Sont également apparues des « papeteries » qui vendaient ou louaient des livres, et une certaine compétition s’est instaurée entre les califes, vizirs, savants et autres, qui tous collectionnaient des livres, créaient des bibliothèques privées dans leurs palais et organisaient des conférences scientifiques pour débattre du contenu de ces ouvrages, à l’instar des colloques d’aujourd’hui.
Miskawayh a lui-même exercé les fonctions de conservateurs de plusieurs bibliothèques de vizirs (ministres) de la dynastie iranienne des Buyides (en arabe Buwayhides), ce qui explique peut-être sa parfaite connaissance de la culture de son époque, une culture aux sources diverses et aux expressions multiples. Autodidacte, il a exploré à fond les diverses branches de la science et de la connaissance humaine. Né à Rayy, en Perse, de parents musulmans, il a émigré à Bagdad, où il a étudié, travaillé et acquis une certaine notoriété, puis est retourné en Perse, à Ispahan, où il est décédé, presque centenaire, et où il a très vraisemblablement été enterré. Miskawayh a été une personnalité marquante de la pensée philosophique chez les musulmans, mais sa notoriété était due, non comme on pourrait le penser de prime abord à son travail d’enseignant ou à ses écrits sur l’éducation qui sont parvenus jusqu’à nous, mais à son activité de philosophe.
Miskawayh a vécu au IVe siècle de l’hégire, et a connu au cours de sa longue vie, qui a empiété d’une vingtaine d’années sur le Ve siècle et s’est donc entièrement déroulée sous la dynastie des Abbassides (132-656 de l’hégire), toutes les facettes du monde scientifique de son époque.
Cette époque a vu les musulmans se lancer dans la traduction des œuvres scientifiques écrites en d’autres langues, et l’édition originale en arabe a ensuite pris le relais des traductions. Nombreux étaient alors les musulmans qui excellaient dans les différents branches du savoir. Devant le nombre croissant des traductions et des œuvres originales dans de nombreux domaines, et avec le développement de l’utilisation du papier, les califes ont entrepris de créer ce qui s’appelait alors Dar al-’ilm ou Dar al-hikma (« maisons de la science » ou « maisons de la sagesse ») à Bagdad, au Caire, à Cordoue et dans d’autres villes du monde musulman.
Ces institutions faisaient office de bibliothèques publiques, pour le lecteur ordinaire comme pour le spécialiste. Sont également apparues des « papeteries » qui vendaient ou louaient des livres, et une certaine compétition s’est instaurée entre les califes, vizirs, savants et autres, qui tous collectionnaient des livres, créaient des bibliothèques privées dans leurs palais et organisaient des conférences scientifiques pour débattre du contenu de ces ouvrages, à l’instar des colloques d’aujourd’hui.
Miskawayh a lui-même exercé les fonctions de conservateurs de plusieurs bibliothèques de vizirs (ministres) de la dynastie iranienne des Buyides (en arabe Buwayhides), ce qui explique peut-être sa parfaite connaissance de la culture de son époque, une culture aux sources diverses et aux expressions multiples. Autodidacte, il a exploré à fond les diverses branches de la science et de la connaissance humaine. Né à Rayy, en Perse, de parents musulmans, il a émigré à Bagdad, où il a étudié, travaillé et acquis une certaine notoriété, puis est retourné en Perse, à Ispahan, où il est décédé, presque centenaire, et où il a très vraisemblablement été enterré. Miskawayh a été une personnalité marquante de la pensée philosophique chez les musulmans, mais sa notoriété était due, non comme on pourrait le penser de prime abord à son travail d’enseignant ou à ses écrits sur l’éducation qui sont parvenus jusqu’à nous, mais à son activité de philosophe.
Miskawayh admirait les philosophes grecs, dont les oeuvres avaient fait l’objet de multiples traductions dues aux nombreux traducteurs de l’époque, mais, contrairement aux philosophes qui l’avaient précédé, notamment Farabi (260-339/873-950), que les musulmans appelaient le « second maître » (le premier étant Aristote), il ne s’est pas arrêté à la logique et à la métaphysique et a abordé des domaines que la majorité de ses prédécesseurs ou contemporains avaient négligé. De ces derniers, il se distinguait en effet par l’intérêt qu’il portait à la morale plus qu’aux autres branches de la philosophie traditionnelle de l’époque, ce qui a amené d’aucuns à l’appeler le troisième maître. Il était en fait le premier penseur de l’éthique chez les musulmans [4].
Certes, Miskawayh était surtout connu en tant que moraliste, mais, à l’instar de tous les autres membres de l’élite intellectuelle musulmane, il était un grand admirateur des philosophes grecs les plus connus, Platon, Aristote, etc., dont les écrits avaient été, comme on l’a vu, traduits en arabe et fascinaient tous ceux qui s’adonnaient à la philosophie ou se passionnaient pour la philosophie [5].
L’influence de Platon et d’Aristote est on ne peut plus manifeste dans Ta’dib al- Akhlaqwa Tathir al-a’raq [Traité d’éthique] de Miskawayh, mais celui-ci ne s’est pas inspiré uniquement des grands philosophes grecs. Il a lu et mentionné dans ses divers ouvrages d’autres philosophes moins connus, tels Porphyre, Pythagore, Galien, Alexandre d’Aphrodise et Bryson. A ce dernier, qui n’était guère connu, il a emprunté l’essentiel de sa pensée sur l’éducation des garçons, comme on le verra plus en détail par la suite [6].
Miskawayh se distingue aussi très nettement des autres savants et philosophes musulmans par le fait qu’il citait clairement et franchement les sources auxquelles il empruntait, ce qui prouve son honnêteté scientifique et la grande admiration qu’il portait à toutes les œuvres qu’il avait lues dans les différentes branches du savoir pratiquées dans le monde islamique de l’époque. Il n’hésitait donc pas à récrire ces œuvres dans sa propre langue, l’arabe.
Outre les philosophes grecs, Miskawayh a été également influencé par les philosophes et savants de l’Islam qui l’avaient précédé ou qui étaient ses contemporains, citant certains nommément dans ses écrits, par exemple al-Kindi et al-Farabi, et mentionnant simplement les idées de certains autres.
Mais le principal trait distinctif de Miskawayh, et une preuve supplémentaire de sa grande admiration pour la philosophie grecque qu’il avait étudiée, réside peut-être dans le fait qu’il n’a pas cherché à concilier la religion et la philosophie, comme ont tenté de le faire plusieurs des philosophes musulmans qui l’avaient précédé, pas plus qu’il n’a voulu en faire la synthèse, à l’instar des soufis (Frères de la Pureté), par exemple. Il a exposé des idées fondamentalement grecques en les attribuant la plupart du temps à leurs véritables auteurs [7].
La production scientifique de Miskawayh n’a pas été que philosophique et éthique. Elle comprend aussi une œuvre historique exceptionnelle ainsi que des travaux de chimie et des œuvres littéraires et autres, qui en font un homme d’une culture aux multiples facettes, reflet de l’époque où il a vécu, et d’une civilisation aux nombreux foyers qui a produit des œuvres à caractère encyclopédique [8].
Parlant de son ouvrage sur la réforme des moeurs, Miskawayh précise qu’il « s’adresse à l’élite éprise de philosophie et non aux gens ordinaires » [9]. Ces paroles prouvent on ne peut mieux la forte influence de la culture qui pénétrait alors le monde musulman, et écartent dans une certaine mesure Miskawayh de l’optique islamique, qui ignore l’élitisme dans le domaine scientifique. Cette idée que les sciences de l’esprit sont réservées à l’élite est en effet une idée éminemment grecque.
Certes, Miskawayh était surtout connu en tant que moraliste, mais, à l’instar de tous les autres membres de l’élite intellectuelle musulmane, il était un grand admirateur des philosophes grecs les plus connus, Platon, Aristote, etc., dont les écrits avaient été, comme on l’a vu, traduits en arabe et fascinaient tous ceux qui s’adonnaient à la philosophie ou se passionnaient pour la philosophie [5].
L’influence de Platon et d’Aristote est on ne peut plus manifeste dans Ta’dib al- Akhlaqwa Tathir al-a’raq [Traité d’éthique] de Miskawayh, mais celui-ci ne s’est pas inspiré uniquement des grands philosophes grecs. Il a lu et mentionné dans ses divers ouvrages d’autres philosophes moins connus, tels Porphyre, Pythagore, Galien, Alexandre d’Aphrodise et Bryson. A ce dernier, qui n’était guère connu, il a emprunté l’essentiel de sa pensée sur l’éducation des garçons, comme on le verra plus en détail par la suite [6].
Miskawayh se distingue aussi très nettement des autres savants et philosophes musulmans par le fait qu’il citait clairement et franchement les sources auxquelles il empruntait, ce qui prouve son honnêteté scientifique et la grande admiration qu’il portait à toutes les œuvres qu’il avait lues dans les différentes branches du savoir pratiquées dans le monde islamique de l’époque. Il n’hésitait donc pas à récrire ces œuvres dans sa propre langue, l’arabe.
Outre les philosophes grecs, Miskawayh a été également influencé par les philosophes et savants de l’Islam qui l’avaient précédé ou qui étaient ses contemporains, citant certains nommément dans ses écrits, par exemple al-Kindi et al-Farabi, et mentionnant simplement les idées de certains autres.
Mais le principal trait distinctif de Miskawayh, et une preuve supplémentaire de sa grande admiration pour la philosophie grecque qu’il avait étudiée, réside peut-être dans le fait qu’il n’a pas cherché à concilier la religion et la philosophie, comme ont tenté de le faire plusieurs des philosophes musulmans qui l’avaient précédé, pas plus qu’il n’a voulu en faire la synthèse, à l’instar des soufis (Frères de la Pureté), par exemple. Il a exposé des idées fondamentalement grecques en les attribuant la plupart du temps à leurs véritables auteurs [7].
La production scientifique de Miskawayh n’a pas été que philosophique et éthique. Elle comprend aussi une œuvre historique exceptionnelle ainsi que des travaux de chimie et des œuvres littéraires et autres, qui en font un homme d’une culture aux multiples facettes, reflet de l’époque où il a vécu, et d’une civilisation aux nombreux foyers qui a produit des œuvres à caractère encyclopédique [8].
Parlant de son ouvrage sur la réforme des moeurs, Miskawayh précise qu’il « s’adresse à l’élite éprise de philosophie et non aux gens ordinaires » [9]. Ces paroles prouvent on ne peut mieux la forte influence de la culture qui pénétrait alors le monde musulman, et écartent dans une certaine mesure Miskawayh de l’optique islamique, qui ignore l’élitisme dans le domaine scientifique. Cette idée que les sciences de l’esprit sont réservées à l’élite est en effet une idée éminemment grecque.
Éthique et éducation
Le Traité d’éthique est l’ouvrage de Miskawayh qui a acquis le plus de notoriété du vivant de son auteur, et c’est sur son contenu que nous allons nous arrêter afin d’en tirer l’essentiel de la pensée de Miskawayh sur le sujet précis de l’éducation, encore que l’intention première de ce dernier était de montrer au lecteur la voie du bonheur suprême. Cette perspective peut être considérée comme une traduction concrète, ou une application dans la pratique, des partis pris théoriques de l’auteur, dont celui qui veut que « la réflexion précède l’action » [10], et que la connaissance précède l’action. Si le lecteur trouve le bonheur éthique et est influencé par le contenu du livre, de tous ses actes naissent de bonnes actions comme le dit l’auteur. On peut donc considérer que l’ouvrage de Miskawayh ouvre la voie du bonheur suprême à qui prend connaissance de son contenu, car la personnalité de l’apprenant et ses mœurs sont indissociables de la science qu’il étudie et du but qu’il cherche à atteindre par cette étude [11].
Le deuxième chapitre (l’ouvrage en compte sept) est consacré à l’étude des créatures et de l’être humain et aux moyens d’éduquer les adolescents et les jeunes garçons, le premier chapitre étant consacré à l’âme et à ses vertus et le tout constituant une sorte d’introduction générale imposée par les usages de l’époque. Les études spirituelles avaient en effet préséance sur tout autre sujet philosophique et constituaient le préambule obligé de toute œuvre de philosophie.
Le « bonheur éthique » est le bonheur qui permet à l’individu de trouver la quiétude en menant une vie vertueuse. Il s’agit donc d’un bonheur personnel que chacun peut atteindre par une action de l’intellect et un effort d’acquisition des sciences qui permettent à son esprit d’appréhender tous les aspects des choses et toutes les réalités et de se dégager des considérations matérielles pour atteindre le stade de la sagesse qui donne à voir la plénitude de l’être. L’initié qui a atteint ce stade du bonheur est, aux dires de Miskawayh, « totalement heureux » et en état de jouissance intellectuelle [12]. Le bonheur suprême que Miskawayh aborde dans le troisième chapitre du Traité d’éthique est ensuite décrit en détail afin que ceux qui l’ignorent s’y intéressent, le recherchent et soient pris par le désir d’y parvenir [13].
Miskawayh entreprend alors de décrire les différentes formes de bonheur - et leurs vertus respectives - auxquelles l’individu peut aspirer s’il veut vivre heureux sur terre, dans le respect de ce qu’il considère être la vertu. Pour cela, il faut remplir plusieurs conditions, les unes internes, les autres externes. Parmi les conditions internes qui influent sur l’intellect de l’individu et sur sa prédisposition morale au bien ou au mal, il y a celles d’ordre corporel, qui font que l’individu est en bonne santé et d’humeur égale. Quant aux conditions extracorporelles, qui aident l’individu à surmonter ses faiblesses et à vouloir le bien d’autrui, elles ont trait aux amis, aux enfants et à la fortune personnelle. L’amour des autres et la compassion à leur égard peuvent contribuer à l’élévation et à la noblesse des sentiments en créant un espace où peuvent se réaliser les différentes vertus. Il y a en outre les conditions propres au milieu qui entoure l’individu, la « socialité » étant une condition essentielle pour parvenir au bonheur suprême. L’individu ne peut réaliser sa plénitude que s’il s’affirme en tant qu’être social et non plus seulement être raisonnable.
C’est par l’interaction et les contacts avec autrui que l’individu enrichit son expérience et ancre les vertus dans son âme par leur pratique effective. Pour Miskawayh, l’importance des rapports avec autrui tient au fait qu’ils font apparaître des vertus - la décence, la charité et la générosité, par exemple - qui ne peuvent se manifester que dans la compagnie des autres et l’interaction avec ses semblables. Faute d’un tel milieu humain, ces vertus ne peuvent se manifester et l’individu s’apparente alors à la matière inerte ou aux habitants du royaume des morts. Miskawayh rappelle à maintes reprises que pour toutes ces raisons, les sages ont dit que l’être humain est par nature un citadin c’est-à-dire qu’il a besoin d’une cité à la population nombreuse pour atteindre le bonheur humain. L’on voit bien la véritable origine de cette idée, à savoir Aristote et son « « Éthique à Nicomaque » [14].
Il y a lieu de noter en outre que les conditions et facteurs sans lesquels le bonheur est inaccessible sont d’ordre psychologique en ce sens que le travail de réforme, de purification et d’éducation qui doit permettre à l’âme de tirer parti des expériences générales ou particulières repose essentiellement sur la volonté de l’individu et sa capacité à surmonter ses penchants pour parvenir au degré de bonheur qui lui convient. Le sixième chapitre, intitulé « Le remède de l’âme » explique combien il importe pour l’homme de connaître ses défauts, et le septième, « La guérison de l’âme », explique comment soigner les maladies de celle-ci, Miskawayh ne faisant à cet égard aucune différence entre vice et maladie. Les vices que Miskawayh assimile ainsi à des maladies de l’âme, sont l’irresponsabilité, la lâcheté, la vanité, la vantardise, la bouffonnerie, l’arrogance, la raillerie, la perfidie, l’acquiescement à l’injustice et la peur. Miskawayh a abordé la question de la peur de la mort et du deuil, estimant que le sage qui aspire à épargner les malheurs à son âme et à la sauver de la perdition peut aisément se prémunir et se guérir des maladies, mais qu’il ne peut le faire qu’avec l’aide de Dieu et par un effort personnel, les deux étant nécessaires et complémentaires [15].
L’exposé qui précède montre peut-être combien Miskawayh lie clairement la morale et le but de l’éducation de l’individu. Il insiste en effet constamment sur l’impossibilité de séparer la personnalité et les moeurs d’un individu de la science qu’il étudie et du but qu’il poursuit par cette étude. Ce principe est réaffirmé clairement dans l’introduction de Traité d’éthique où Miskawayh dit : « Notre but dans le présent ouvrage est de nous doter de moeurs telles que tous nos actes soient beaux, des moeurs qui soient en même temps aisées à pratiquer et non un fardeau, et ce, par un enseignement construit et organisé, la voie pour y parvenir étant de connaître d’abord notre propre âme, ce qu’elle est, ce qu’elle représente, pour quelle raison elle est en nous, je veux dire sa plénitude et son but, ses points forts et ses dons qui, si on les utilise comme il convient, nous hissent vers les sommets, les choses qui nous en détournent, celles qui la purifient et font sa prospérité et celles qui la foulent aux pieds et font sa perte » [16]. En tant que sujet de recherche philosophique, la morale peut être considérée comme relevant de la pratique, un effort de définition de ce qui doit être. Son étude ne saurait donc être une simple réflexion philosophique sur les fins premières, elle doit servir dans la vie concrète. Telle est la position de principe de Miskawayh, corroborée par sa division de la philosophie en deux branches, distinctes mais complémentaires, l’une théorique et l’autre pratique [17].
Il y a lieu de rappeler ici que l’intérêt que Miskawayh porte à la question de l’éducation des garçons ne se comprend qu’en tant qu’élément de l’intérêt intellectuel extraordinaire qu’il portait à l’objectif ultime que tout homme se donne ou devrait se donner, cet objectif que sa philosophie morale dans son ensemble vise, à savoir le bonheur suprême. Il n’est nullement question ici d’enfer ou de paradis, de récompense ou de sanction, parce que la philosophie et la religion sont deux choses aussi respectables l’une que l’autre, mais deux choses distinctes. La seconde s’impose durant l’enfance et l’adolescence, lorsque l’intellect est encore chancelant, tandis que la première et le bonheur suprême sont le lot de l’homme jeune et adulte, dont l’intellect a mûri et porte aux plus hautes vertus et aux desseins parfaits [18].
Les considérations qui précèdent prouvent amplement que Miskawayh est l’un des penseurs musulmans les plus fidèles à la tradition grecque, en ce sens qu’il distingue la raison de la foi, la philosophie de la religion, et fait du bonheur suprême un bonheur humain qui n’est ni imposé ni interdit à l’homme par une volonté extérieure à la sienne ou par un esprit supérieur au sien19. C’est dans cette perspective qu’il faut replacer le discours de Miskawayh sur la formation des jeunes garçons et des adolescents, et c’est aussi dans cette perspective qu’il faut comprendre pourquoi il a choisi de parler exclusivement de ce groupe d’âge et d’exposer certaines des conceptions et points de vue relatifs à sa formation.
Le deuxième chapitre (l’ouvrage en compte sept) est consacré à l’étude des créatures et de l’être humain et aux moyens d’éduquer les adolescents et les jeunes garçons, le premier chapitre étant consacré à l’âme et à ses vertus et le tout constituant une sorte d’introduction générale imposée par les usages de l’époque. Les études spirituelles avaient en effet préséance sur tout autre sujet philosophique et constituaient le préambule obligé de toute œuvre de philosophie.
Le « bonheur éthique » est le bonheur qui permet à l’individu de trouver la quiétude en menant une vie vertueuse. Il s’agit donc d’un bonheur personnel que chacun peut atteindre par une action de l’intellect et un effort d’acquisition des sciences qui permettent à son esprit d’appréhender tous les aspects des choses et toutes les réalités et de se dégager des considérations matérielles pour atteindre le stade de la sagesse qui donne à voir la plénitude de l’être. L’initié qui a atteint ce stade du bonheur est, aux dires de Miskawayh, « totalement heureux » et en état de jouissance intellectuelle [12]. Le bonheur suprême que Miskawayh aborde dans le troisième chapitre du Traité d’éthique est ensuite décrit en détail afin que ceux qui l’ignorent s’y intéressent, le recherchent et soient pris par le désir d’y parvenir [13].
Miskawayh entreprend alors de décrire les différentes formes de bonheur - et leurs vertus respectives - auxquelles l’individu peut aspirer s’il veut vivre heureux sur terre, dans le respect de ce qu’il considère être la vertu. Pour cela, il faut remplir plusieurs conditions, les unes internes, les autres externes. Parmi les conditions internes qui influent sur l’intellect de l’individu et sur sa prédisposition morale au bien ou au mal, il y a celles d’ordre corporel, qui font que l’individu est en bonne santé et d’humeur égale. Quant aux conditions extracorporelles, qui aident l’individu à surmonter ses faiblesses et à vouloir le bien d’autrui, elles ont trait aux amis, aux enfants et à la fortune personnelle. L’amour des autres et la compassion à leur égard peuvent contribuer à l’élévation et à la noblesse des sentiments en créant un espace où peuvent se réaliser les différentes vertus. Il y a en outre les conditions propres au milieu qui entoure l’individu, la « socialité » étant une condition essentielle pour parvenir au bonheur suprême. L’individu ne peut réaliser sa plénitude que s’il s’affirme en tant qu’être social et non plus seulement être raisonnable.
C’est par l’interaction et les contacts avec autrui que l’individu enrichit son expérience et ancre les vertus dans son âme par leur pratique effective. Pour Miskawayh, l’importance des rapports avec autrui tient au fait qu’ils font apparaître des vertus - la décence, la charité et la générosité, par exemple - qui ne peuvent se manifester que dans la compagnie des autres et l’interaction avec ses semblables. Faute d’un tel milieu humain, ces vertus ne peuvent se manifester et l’individu s’apparente alors à la matière inerte ou aux habitants du royaume des morts. Miskawayh rappelle à maintes reprises que pour toutes ces raisons, les sages ont dit que l’être humain est par nature un citadin c’est-à-dire qu’il a besoin d’une cité à la population nombreuse pour atteindre le bonheur humain. L’on voit bien la véritable origine de cette idée, à savoir Aristote et son « « Éthique à Nicomaque » [14].
Il y a lieu de noter en outre que les conditions et facteurs sans lesquels le bonheur est inaccessible sont d’ordre psychologique en ce sens que le travail de réforme, de purification et d’éducation qui doit permettre à l’âme de tirer parti des expériences générales ou particulières repose essentiellement sur la volonté de l’individu et sa capacité à surmonter ses penchants pour parvenir au degré de bonheur qui lui convient. Le sixième chapitre, intitulé « Le remède de l’âme » explique combien il importe pour l’homme de connaître ses défauts, et le septième, « La guérison de l’âme », explique comment soigner les maladies de celle-ci, Miskawayh ne faisant à cet égard aucune différence entre vice et maladie. Les vices que Miskawayh assimile ainsi à des maladies de l’âme, sont l’irresponsabilité, la lâcheté, la vanité, la vantardise, la bouffonnerie, l’arrogance, la raillerie, la perfidie, l’acquiescement à l’injustice et la peur. Miskawayh a abordé la question de la peur de la mort et du deuil, estimant que le sage qui aspire à épargner les malheurs à son âme et à la sauver de la perdition peut aisément se prémunir et se guérir des maladies, mais qu’il ne peut le faire qu’avec l’aide de Dieu et par un effort personnel, les deux étant nécessaires et complémentaires [15].
L’exposé qui précède montre peut-être combien Miskawayh lie clairement la morale et le but de l’éducation de l’individu. Il insiste en effet constamment sur l’impossibilité de séparer la personnalité et les moeurs d’un individu de la science qu’il étudie et du but qu’il poursuit par cette étude. Ce principe est réaffirmé clairement dans l’introduction de Traité d’éthique où Miskawayh dit : « Notre but dans le présent ouvrage est de nous doter de moeurs telles que tous nos actes soient beaux, des moeurs qui soient en même temps aisées à pratiquer et non un fardeau, et ce, par un enseignement construit et organisé, la voie pour y parvenir étant de connaître d’abord notre propre âme, ce qu’elle est, ce qu’elle représente, pour quelle raison elle est en nous, je veux dire sa plénitude et son but, ses points forts et ses dons qui, si on les utilise comme il convient, nous hissent vers les sommets, les choses qui nous en détournent, celles qui la purifient et font sa prospérité et celles qui la foulent aux pieds et font sa perte » [16]. En tant que sujet de recherche philosophique, la morale peut être considérée comme relevant de la pratique, un effort de définition de ce qui doit être. Son étude ne saurait donc être une simple réflexion philosophique sur les fins premières, elle doit servir dans la vie concrète. Telle est la position de principe de Miskawayh, corroborée par sa division de la philosophie en deux branches, distinctes mais complémentaires, l’une théorique et l’autre pratique [17].
Il y a lieu de rappeler ici que l’intérêt que Miskawayh porte à la question de l’éducation des garçons ne se comprend qu’en tant qu’élément de l’intérêt intellectuel extraordinaire qu’il portait à l’objectif ultime que tout homme se donne ou devrait se donner, cet objectif que sa philosophie morale dans son ensemble vise, à savoir le bonheur suprême. Il n’est nullement question ici d’enfer ou de paradis, de récompense ou de sanction, parce que la philosophie et la religion sont deux choses aussi respectables l’une que l’autre, mais deux choses distinctes. La seconde s’impose durant l’enfance et l’adolescence, lorsque l’intellect est encore chancelant, tandis que la première et le bonheur suprême sont le lot de l’homme jeune et adulte, dont l’intellect a mûri et porte aux plus hautes vertus et aux desseins parfaits [18].
Les considérations qui précèdent prouvent amplement que Miskawayh est l’un des penseurs musulmans les plus fidèles à la tradition grecque, en ce sens qu’il distingue la raison de la foi, la philosophie de la religion, et fait du bonheur suprême un bonheur humain qui n’est ni imposé ni interdit à l’homme par une volonté extérieure à la sienne ou par un esprit supérieur au sien19. C’est dans cette perspective qu’il faut replacer le discours de Miskawayh sur la formation des jeunes garçons et des adolescents, et c’est aussi dans cette perspective qu’il faut comprendre pourquoi il a choisi de parler exclusivement de ce groupe d’âge et d’exposer certaines des conceptions et points de vue relatifs à sa formation.
La formation des jeunes garçons et des adolescents
Le raffinement des mœurs
Miskawayh n’utilisait jamais dans ses écrits le terme tarbiya [éducation], qui n’était pas très usité à l’époque et dans le milieu où il vivait, du moins avec le contenu sémantique qu’il a aujourd’hui [20]. Il faut peut-être rappeler à ce propos le fait notoire que dans les langues européennes également, ce terme n’est utilisé que depuis peu dans son sens actuel. Nous avons pris le parti d’utiliser la terminologie de l’auteur lui-même, qui employait dans ses écrits le terme ta’dib [éducation], afin de ne pas lui faire dire plus que ce qu’il a dit et de connaître sa pensée relative à cet important processus humain qu’est l’éducation sans diminuer le mérite qui lui est dû. La lecture du texte dans l’optique de la langue de l’époque et avec le sens que l’auteur lui-même donne aux mots est, à notre avis, le meilleur gage de l’exactitude et de la probité scientifiques.
Précisons également que le terme le plus répandu et le plus employé dans la civilisation islamique pour désigner bon nombre d’aspects de ce que l’on appelle aujourd’hui tarbiya [éducation] était celui de ta’lim [enseignement, instruction]. Les termes ta’lim et ta’allum [apprentissage] cohabitaient donc avec des termes tels que ta’dib « formation » et ardab [savoir vivre] pour exprimer le sens voulu et leur usage s’est répandu aux troisième et quatrième siècles de l’hégire. D’aucuns pensent aussi que l’emploi du terme tarbiya dans le texte sacré du Coran en restreint la portée à ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui la prime enfance, et ils invoquent à l’appui de leur thèse les paroles du Seigneur tout puissant, notamment celles de la sourate du Voyage nocturne (verset 24) où il est dit : « Seigneur, veuille être compatissant envers eux comme ils furent pour moi lorsqu’ils m’élevèrent tout petit ». Elever signifie dans ce contexte l’effort que les adultes, les parents en particulier, se doivent d’assumer à l’égard des enfants[21]. L’on peut dès lors considérer que le terme ta’dib désigne plutôt l’effort déployé par les adultes pour inculquer aux enfants les informations, les mœurs, les traditions et les comportements qui les préparent à se couler dans le moule humain jugé acceptable par leur société, la oumma islamique en l’occurrence.
En abordant la question de la « réforme des moeurs » et des moyens d’y parvenir, Miskawayh prend acte des vues d’Aristote, qui lui servent de point de départ : « Aristote qui disait dans son Éthique ainsi que dans ses catégories que le malfaiteur peut être amené au bien par la formation, mais sans que cela soit une règle absolue, car il voyait bien que les exhortations répétées, la formation et les politiques du bien et de la vertu ont nécessairement des effets différents selon les différentes catégories d’individus. D’aucuns aspirent à cette formation et s’engagent rapidement sur la voie de la vertu, tandis que d’autres se contentent de l’accepter et ne progressent que lentement vers la vertu » [22].
De ce débat, Miskawayh tire la conclusion que tout être est perfectible, ce qui n’est pas sans importance pour les adolescents et les jeunes garçons et implique que leur éducation est une obligation. Miskawayh ne s’arrête pas à ce point de vue d’Aristote et tire aussi argument des lois authentiques, celles que Dieu impose à ses créatures [23]. Miskawayh en déduit aussi que les habitudes prises par le jeune garçon dans son enfance influent sur sa vie d’adulte, d’où les pages qu’il a consacrées spécialement à l’éducation des jeunes garçons dans son livre. Mais son discours sur l’éducation ne constitue qu’un maillon dans la recherche intellectuelle qui était la sienne. Il n’a donc pas hésité à s’appuyer sur l’un des ouvrages qui était disponible et connu dans le milieu scientifique de son époque, en citant sa source avec une honnêteté exemplaire, peut-être parce que sa préoccupation première n’était pas ce que l’on écrirait à son sujet, quelle que fût son importance. En outre, l’auteur grec auquel il se réfère, célèbre à son époque, correspondait exactement à son dessein, aussi a-t-il puisé dans ses écrits, et donné au deuxième chapitre de son Traité d’éthique ce titre on ne peut plus clair : « De la formation des adolescents et des jeunes garçons, chapitre dont j’ai tiré la substance du libre de Broussène ».
Certains orientalistes ont pu se procurer des exemplaires de cet ouvrage, dont un qui se trouvait à la Maison égyptienne du livre et était intitulé « Le livre de Brissis sur l’organisation par l’homme de sa maison », mais dont la page de garde indiquait que l’auteur en était « Broussène ». L’orientaliste allemand p. Kraus est finalement parvenu à la conclusion qu’il s’agissait de Bryson [24]. Quoi qu’il en soit du nom de l’auteur, ce manuscrit s’intéresse au mode d’organisation par l’homme de sa maison en examinant les quatre points suivants : l’aspect financier, la domesticité, la femme, l’enfant. Les emprunts de Miskawayh à cet auteur grec concernent le quatrième point, relatif à l’enfant, comme indiqué plus haut. Ses emprunts sont la plupart du temps littéraux, même s’il les complète de temps à autre par le récit d’expériences personnelles ou par des observations tirées de choses vécues [25]. Mais il faut peut-être à présent entrer dans le détail des conceptions de Miskawayh.
Précisons également que le terme le plus répandu et le plus employé dans la civilisation islamique pour désigner bon nombre d’aspects de ce que l’on appelle aujourd’hui tarbiya [éducation] était celui de ta’lim [enseignement, instruction]. Les termes ta’lim et ta’allum [apprentissage] cohabitaient donc avec des termes tels que ta’dib « formation » et ardab [savoir vivre] pour exprimer le sens voulu et leur usage s’est répandu aux troisième et quatrième siècles de l’hégire. D’aucuns pensent aussi que l’emploi du terme tarbiya dans le texte sacré du Coran en restreint la portée à ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui la prime enfance, et ils invoquent à l’appui de leur thèse les paroles du Seigneur tout puissant, notamment celles de la sourate du Voyage nocturne (verset 24) où il est dit : « Seigneur, veuille être compatissant envers eux comme ils furent pour moi lorsqu’ils m’élevèrent tout petit ». Elever signifie dans ce contexte l’effort que les adultes, les parents en particulier, se doivent d’assumer à l’égard des enfants[21]. L’on peut dès lors considérer que le terme ta’dib désigne plutôt l’effort déployé par les adultes pour inculquer aux enfants les informations, les mœurs, les traditions et les comportements qui les préparent à se couler dans le moule humain jugé acceptable par leur société, la oumma islamique en l’occurrence.
En abordant la question de la « réforme des moeurs » et des moyens d’y parvenir, Miskawayh prend acte des vues d’Aristote, qui lui servent de point de départ : « Aristote qui disait dans son Éthique ainsi que dans ses catégories que le malfaiteur peut être amené au bien par la formation, mais sans que cela soit une règle absolue, car il voyait bien que les exhortations répétées, la formation et les politiques du bien et de la vertu ont nécessairement des effets différents selon les différentes catégories d’individus. D’aucuns aspirent à cette formation et s’engagent rapidement sur la voie de la vertu, tandis que d’autres se contentent de l’accepter et ne progressent que lentement vers la vertu » [22].
De ce débat, Miskawayh tire la conclusion que tout être est perfectible, ce qui n’est pas sans importance pour les adolescents et les jeunes garçons et implique que leur éducation est une obligation. Miskawayh ne s’arrête pas à ce point de vue d’Aristote et tire aussi argument des lois authentiques, celles que Dieu impose à ses créatures [23]. Miskawayh en déduit aussi que les habitudes prises par le jeune garçon dans son enfance influent sur sa vie d’adulte, d’où les pages qu’il a consacrées spécialement à l’éducation des jeunes garçons dans son livre. Mais son discours sur l’éducation ne constitue qu’un maillon dans la recherche intellectuelle qui était la sienne. Il n’a donc pas hésité à s’appuyer sur l’un des ouvrages qui était disponible et connu dans le milieu scientifique de son époque, en citant sa source avec une honnêteté exemplaire, peut-être parce que sa préoccupation première n’était pas ce que l’on écrirait à son sujet, quelle que fût son importance. En outre, l’auteur grec auquel il se réfère, célèbre à son époque, correspondait exactement à son dessein, aussi a-t-il puisé dans ses écrits, et donné au deuxième chapitre de son Traité d’éthique ce titre on ne peut plus clair : « De la formation des adolescents et des jeunes garçons, chapitre dont j’ai tiré la substance du libre de Broussène ».
Certains orientalistes ont pu se procurer des exemplaires de cet ouvrage, dont un qui se trouvait à la Maison égyptienne du livre et était intitulé « Le livre de Brissis sur l’organisation par l’homme de sa maison », mais dont la page de garde indiquait que l’auteur en était « Broussène ». L’orientaliste allemand p. Kraus est finalement parvenu à la conclusion qu’il s’agissait de Bryson [24]. Quoi qu’il en soit du nom de l’auteur, ce manuscrit s’intéresse au mode d’organisation par l’homme de sa maison en examinant les quatre points suivants : l’aspect financier, la domesticité, la femme, l’enfant. Les emprunts de Miskawayh à cet auteur grec concernent le quatrième point, relatif à l’enfant, comme indiqué plus haut. Ses emprunts sont la plupart du temps littéraux, même s’il les complète de temps à autre par le récit d’expériences personnelles ou par des observations tirées de choses vécues [25]. Mais il faut peut-être à présent entrer dans le détail des conceptions de Miskawayh.
Les buts de la formation du jeune garçon chez Miskawayh
Miskawayh était convaincu que les mœurs pouvaient être réformées et purifiées de ce qu’elles avaient acquis de vices et de défauts. L’auteur ne dit-il pas d’ailleurs que « l’œuvre éthique, celle qui vise à introduire la perfection dans les actes des hommes en tant qu’hommes, est la plus noble des œuvres » [26]. Cette conviction est corroborée par les multiples passages du livre où l’auteur affirme que ce qu’il dit sur le jeune garçon s’applique également à l’adulte [27]. Plus précisément, Miskawayh considère que la modification des mœurs de l’adulte, mœurs que ce dernier a acquises et qui ont grandi avec lui, n’est pas chose aisée et suppose que soient réunies un certain nombre de conditions particulières, notamment que l’adulte ait lui-même réalisé l’ampleur des défauts de ses mœurs et pris la résolution de les changer. « Un tel homme est celui qui fait tout pour s’arracher progressivement à ses anciennes mœurs et retrouver la voie exemplaire par la pénitence, la fréquentation des hommes de bien et de sagesse et la pratique assidue de la philosophie » [28].
Quant à l’explication de sa conviction qu’il est possible de réformer les mœurs, de purifier les âmes et d’en extirper les mauvaises habitudes, etc., elle réside dans sa conception de l’homme, un homme bon par nature ou bon par la loi et l’apprentissage [29]. Cela étant, les hommes diffèrent par le degré d’empressement qu’ils mettent à accepter la formation et à apprécier les mœurs nobles et les bonnes manières [30]. Ils ne sont donc pas tous à mettre sur le même plan pour ce qui est de la perméabilité à la vertu. Et ces différences et disparités, qui sont infinies en nombre, imposent d’accorder toute l’attention voulue à la formation et d’habituer les adolescents à agir comme il convient. Négliger cette formation conduit à une situation où chacun demeure en l’état où il était dans son enfance. En d’autres termes, Miskawayh considère que l’homme doit en permanence corriger les traits et habitudes hérités de son enfance ou correspondant à sa nature. Faute de quoi il est réduit à la condition d’âme en peine, sans liens avec son créateur. Cette infortune l’atteint s’il persévère dans : a) la paresse, l’oisiveté et le fait de passer sa vie à ne rien faire qui soit humainement utile ; b) la sottise et l’ignorance qui résultent, comme l’ont dit les sages, du renoncement à la réflexion et à l’exercice intellectuel inhérents à l’apprentissage ; c) l’impudence de celui qui perd son âme en s’abandonnant aux tentations et plonge tête baissée dans les errements et les vices ; et d) la perdition où mène la poursuite des turpitudes [31].
A chacun de ces maux - qui sont des « maladies » - correspond un type de cure auquel le sage peut recourir s’il veut s’en guérir. Les règles de vie dont Miskawayh parle à propos de la formation des adolescents et des jeunes garçons peuvent donc avoir des effets bénéfiques sur qui les acquiert.
Cette formation (ou éducation) peut être envisagée sous un autre angle, celui de la réalisation d’objectifs précis touchant soit celui qui en est chargé soit celui qui la reçoit. Il est peut-être utile pour expliciter ce point de se référer aux paroles de l’auteur lui-même, afin de déterminer les objectifs qu’il est possible d’assigner à ce processus d’éducation : « Ces règles de vie utiles aux jeunes garçons le sont aussi aux adultes, mais elles le sont davantage aux adolescents parce qu’elles les habituent à aimer la vertu et les élèvent dans cette voie, si bien qu’ils n’ont aucune peine à se garder du vice et à se conformer aux prescriptions de la sagesse et aux dispositions de la loi divine [chari’a] et de la tradition du Prophète. Ils apprennent la maîtrise de soi qui permet de résister à la tentation des plaisirs immoraux, de ne jamais y succomber et de la chasser de son esprit. Cette culture leur inculque le goût de la philosophie et leur fait toucher les choses supérieures que nous évoquions au début du livre : proximité de Dieu tout puissant, voisinage des anges, et en même temps bonheur sur terre, vie heureuse, belle jeunesse, rareté des ennemis, abondance des louanges et sollicitude des hommes de bien et de l’élite » [32].
Le discours qui précède, et qui est répété sous de multiples formulations différentes dans le Traité d’éthique, montre que Miskawayh assigne plus d’un objectif à cette entreprise de réforme et de formation. Certains objectifs revêtent un caractère d’urgence dans la vie d’ici-bas et d’autres sont à plus longue échéance et se rapportent à la vie éternelle, même si les uns dépendent des autres et réciproquement. Se former, éviter le vice, acquérir la maîtrise de soi et se conformer aux prescriptions de la loi divine et de la tradition du Prophète et aux préceptes des sages, telles sont les vertus dont la conjonction est cause de prospérité, de vie heureuse et de belle adolescence, ce qui se traduit concrètement par la rareté des ennemis, l’abondance des louanges et la sollicitude du plus grand nombre. L’objectif pratique de la réforme des mœurs en ce qui concerne le monde d’ici-bas est donc d’adapter l’individu à son entourage, c’est-à-dire d’adapter son comportement et ses relations avec autrui. Celui qui s’en tient à cette ligne de conduite, axée sur le savoir juste et la pratique droite - car, comme l’affirme constamment Miskawayh, « il n’y a pas de limites à la connaissance des vertus, il n’y a de limites qu’à leur mise en pratique » [33]-et qui pratique effectivement ce qu’il sait, celui-là a atteint le stade de la sagesse, ou ce qui peut être considéré comme la plénitude absolue de son humanité [34]. L’effort inhérent à la quête du savoir et l’effort déployé dans la pratique et le comportement conduisent au bout du compte l’homme « au bonheur complet, à la proximité du Dieu tout puissant, un Dieu dont il est la créature obéissante et dont il désire ardemment la compassion et l’amour » [35].
Miskawayh affirme, en se référant à Aristote, que « Dieu est le bonheur et la sagesse suprêmes et il ne peut être aimé que du sage heureux, car, en définitive, qui se ressemble s’assemble ». Quiconque recherche en toute bonne foi la proximité et les faveurs de Dieu toutpuissant, « Dieu l’aimera et recherchera sa proximité et son affection » [36]. Quiconque se rapproche de Dieu, et que Dieu appelle à lui, aura atteint le stade du bonheur suprême, le bonheur au-delà duquel il n’est d’autre bonheur [37]. Tel est l’objectif ultime du périple terrestre de l’être humain, le couronnement de son action et de sa foi, l’objet de son effort de purification de ses mœurs, objectif que Miskawayh entreprend donc de définir à l’intention de tous ceux qui aspirent à acquérir un savoir susceptible de les aider à atteindre ce bonheur sans égal. Une fois cette finalité définie, il faut se doter des moyens de la réaliser, la question essentielle étant alors de savoir quelle formation peut aider l’individu à atteindre l’objectif ainsi fixé. Pour Miskawayh, la réponse à cette question réside dans la formation et la réforme de l’âme, ce qui impose en premier lieu de connaître l’âme des jeunes garçons et des adolescents et les facteurs qui exercent une influence sur elle, c’est-à-dire, pour employer le langage d’aujourd’hui, la nature humaine et les facteurs qui contribuent à la façonner.
L’homme est, selon Miskawayh, la plus noble des créatures en ce bas monde [38], et l’âme du jeune garçon est disposée à accueillir la vertu car elle est « encore innocente, ne s’est encore coulée dans aucun moule et est encore dépourvue d’opinions ou de volonté qui lui feraient privilégier telle chose sur telle autre » [39]. L’âme du jeune garçon étant en de telles dispositions, il faut s’en occuper, la préserver et ne pas l’abandonner à un mauvais formateur ou à une personne dépourvue de qualités de caractère et de penchants nobles. Miskawayh précise que ces vues sont empruntées à Aristote, ce qui ne l’empêche pas d’emprunter également, à la République de Platon cette fois, une autre conception de l’âme du jeune garçon, où celle-ci connaîtrait trois pulsions, le désir, la colère et la sagesse, qui apparaissent progressivement, dans cet ordre, parallèlement au développement de l’enfant. La pudeur représente le couronnement de la sagesse et de la raison, lorsque le jeune garçon acquiert la faculté de discernement, la formation à la pudeur se traduisant alors par la crainte de paraître insolent [40].
Miskawayh présente ensuite le moyen ou la méthode qui permettent de déterminer si le jeune garçon a atteint ce stade, de se faire une idée de sa mentalité, en essayant de détecter la présence des qualités requises. Si le jeune garçon ainsi observé baisse la tête et ne fait montre d’aucune effronterie ni impudence, il faut y voir le signe de sa distinction, de sa crainte de toute apparence d’infamie, de son penchant pour le bien et de sa sagesse. L’âme de cet enfant est alors prête à la formation, et elle doit faire l’objet de soins attentifs et ne souffrir aucune négligence. Le savoir-faire de Miskawayh dans ce domaine et sa culture grecque sont le guide et la source de sa pensée. Le milieu social au sein duquel le jeune garçon grandit joue un rôle certain dans la constitution de la mentalité de ce dernier, dans ce que l’on pourrait appeler son évolution. L’âme innocente et encore non altérée du jeune garçon est en effet disposée à accueillir la formation et les soins mais, si elle baigne dans un milieu social néfaste, elle subit l’influence de son entourage et se détériore. Elle accepte ce dans quoi elle grandit et s’y habitue, d’où l’importance qu’il y a à préserver plus particulièrement les jeunes garçons et les adolescents [41], les parents étant les principaux responsables à cet égard [42].
Au début de son évolution, le jeune garçon tend, selon Miskawayh, à commettre de mauvaises actions : il raconte des choses qu’il n’a ni vues ni entendues, il colporte des mensonges, voire met la main sur ce qui ne lui appartient pas, rapporte les paroles qu’il entend et devient par trop curieux. Pour toutes ces raisons, il faut se préoccuper de sa formation et de sa réforme alors qu’il est encore jeune. A ce stade, l’enfant apprend et se forme plus rapidement, par ce que son caractère est plus apparent au début de son évolution et qu’il n’est pas en mesure de le cacher ou d’user de subterfuges à cet effet comme c’est le cas pour l’adulte, dont l’évolution s’est achevée et qui sait que telle ou tel comportement est mauvais et le dissimule par des actes qui ne correspondent pas à sa vraie nature. Dans ces conditions, il est plus facile de déceler un caractère qui se détériore chez l’adolescent ou le jeune garçon, afin de l’en libérer et de l’habituer aux comportements vertueux, qu’il est par ailleurs en mesure d’assimiler rapidement [43].
Quant à l’explication de sa conviction qu’il est possible de réformer les mœurs, de purifier les âmes et d’en extirper les mauvaises habitudes, etc., elle réside dans sa conception de l’homme, un homme bon par nature ou bon par la loi et l’apprentissage [29]. Cela étant, les hommes diffèrent par le degré d’empressement qu’ils mettent à accepter la formation et à apprécier les mœurs nobles et les bonnes manières [30]. Ils ne sont donc pas tous à mettre sur le même plan pour ce qui est de la perméabilité à la vertu. Et ces différences et disparités, qui sont infinies en nombre, imposent d’accorder toute l’attention voulue à la formation et d’habituer les adolescents à agir comme il convient. Négliger cette formation conduit à une situation où chacun demeure en l’état où il était dans son enfance. En d’autres termes, Miskawayh considère que l’homme doit en permanence corriger les traits et habitudes hérités de son enfance ou correspondant à sa nature. Faute de quoi il est réduit à la condition d’âme en peine, sans liens avec son créateur. Cette infortune l’atteint s’il persévère dans : a) la paresse, l’oisiveté et le fait de passer sa vie à ne rien faire qui soit humainement utile ; b) la sottise et l’ignorance qui résultent, comme l’ont dit les sages, du renoncement à la réflexion et à l’exercice intellectuel inhérents à l’apprentissage ; c) l’impudence de celui qui perd son âme en s’abandonnant aux tentations et plonge tête baissée dans les errements et les vices ; et d) la perdition où mène la poursuite des turpitudes [31].
A chacun de ces maux - qui sont des « maladies » - correspond un type de cure auquel le sage peut recourir s’il veut s’en guérir. Les règles de vie dont Miskawayh parle à propos de la formation des adolescents et des jeunes garçons peuvent donc avoir des effets bénéfiques sur qui les acquiert.
Cette formation (ou éducation) peut être envisagée sous un autre angle, celui de la réalisation d’objectifs précis touchant soit celui qui en est chargé soit celui qui la reçoit. Il est peut-être utile pour expliciter ce point de se référer aux paroles de l’auteur lui-même, afin de déterminer les objectifs qu’il est possible d’assigner à ce processus d’éducation : « Ces règles de vie utiles aux jeunes garçons le sont aussi aux adultes, mais elles le sont davantage aux adolescents parce qu’elles les habituent à aimer la vertu et les élèvent dans cette voie, si bien qu’ils n’ont aucune peine à se garder du vice et à se conformer aux prescriptions de la sagesse et aux dispositions de la loi divine [chari’a] et de la tradition du Prophète. Ils apprennent la maîtrise de soi qui permet de résister à la tentation des plaisirs immoraux, de ne jamais y succomber et de la chasser de son esprit. Cette culture leur inculque le goût de la philosophie et leur fait toucher les choses supérieures que nous évoquions au début du livre : proximité de Dieu tout puissant, voisinage des anges, et en même temps bonheur sur terre, vie heureuse, belle jeunesse, rareté des ennemis, abondance des louanges et sollicitude des hommes de bien et de l’élite » [32].
Le discours qui précède, et qui est répété sous de multiples formulations différentes dans le Traité d’éthique, montre que Miskawayh assigne plus d’un objectif à cette entreprise de réforme et de formation. Certains objectifs revêtent un caractère d’urgence dans la vie d’ici-bas et d’autres sont à plus longue échéance et se rapportent à la vie éternelle, même si les uns dépendent des autres et réciproquement. Se former, éviter le vice, acquérir la maîtrise de soi et se conformer aux prescriptions de la loi divine et de la tradition du Prophète et aux préceptes des sages, telles sont les vertus dont la conjonction est cause de prospérité, de vie heureuse et de belle adolescence, ce qui se traduit concrètement par la rareté des ennemis, l’abondance des louanges et la sollicitude du plus grand nombre. L’objectif pratique de la réforme des mœurs en ce qui concerne le monde d’ici-bas est donc d’adapter l’individu à son entourage, c’est-à-dire d’adapter son comportement et ses relations avec autrui. Celui qui s’en tient à cette ligne de conduite, axée sur le savoir juste et la pratique droite - car, comme l’affirme constamment Miskawayh, « il n’y a pas de limites à la connaissance des vertus, il n’y a de limites qu’à leur mise en pratique » [33]-et qui pratique effectivement ce qu’il sait, celui-là a atteint le stade de la sagesse, ou ce qui peut être considéré comme la plénitude absolue de son humanité [34]. L’effort inhérent à la quête du savoir et l’effort déployé dans la pratique et le comportement conduisent au bout du compte l’homme « au bonheur complet, à la proximité du Dieu tout puissant, un Dieu dont il est la créature obéissante et dont il désire ardemment la compassion et l’amour » [35].
Miskawayh affirme, en se référant à Aristote, que « Dieu est le bonheur et la sagesse suprêmes et il ne peut être aimé que du sage heureux, car, en définitive, qui se ressemble s’assemble ». Quiconque recherche en toute bonne foi la proximité et les faveurs de Dieu toutpuissant, « Dieu l’aimera et recherchera sa proximité et son affection » [36]. Quiconque se rapproche de Dieu, et que Dieu appelle à lui, aura atteint le stade du bonheur suprême, le bonheur au-delà duquel il n’est d’autre bonheur [37]. Tel est l’objectif ultime du périple terrestre de l’être humain, le couronnement de son action et de sa foi, l’objet de son effort de purification de ses mœurs, objectif que Miskawayh entreprend donc de définir à l’intention de tous ceux qui aspirent à acquérir un savoir susceptible de les aider à atteindre ce bonheur sans égal. Une fois cette finalité définie, il faut se doter des moyens de la réaliser, la question essentielle étant alors de savoir quelle formation peut aider l’individu à atteindre l’objectif ainsi fixé. Pour Miskawayh, la réponse à cette question réside dans la formation et la réforme de l’âme, ce qui impose en premier lieu de connaître l’âme des jeunes garçons et des adolescents et les facteurs qui exercent une influence sur elle, c’est-à-dire, pour employer le langage d’aujourd’hui, la nature humaine et les facteurs qui contribuent à la façonner.
L’homme est, selon Miskawayh, la plus noble des créatures en ce bas monde [38], et l’âme du jeune garçon est disposée à accueillir la vertu car elle est « encore innocente, ne s’est encore coulée dans aucun moule et est encore dépourvue d’opinions ou de volonté qui lui feraient privilégier telle chose sur telle autre » [39]. L’âme du jeune garçon étant en de telles dispositions, il faut s’en occuper, la préserver et ne pas l’abandonner à un mauvais formateur ou à une personne dépourvue de qualités de caractère et de penchants nobles. Miskawayh précise que ces vues sont empruntées à Aristote, ce qui ne l’empêche pas d’emprunter également, à la République de Platon cette fois, une autre conception de l’âme du jeune garçon, où celle-ci connaîtrait trois pulsions, le désir, la colère et la sagesse, qui apparaissent progressivement, dans cet ordre, parallèlement au développement de l’enfant. La pudeur représente le couronnement de la sagesse et de la raison, lorsque le jeune garçon acquiert la faculté de discernement, la formation à la pudeur se traduisant alors par la crainte de paraître insolent [40].
Miskawayh présente ensuite le moyen ou la méthode qui permettent de déterminer si le jeune garçon a atteint ce stade, de se faire une idée de sa mentalité, en essayant de détecter la présence des qualités requises. Si le jeune garçon ainsi observé baisse la tête et ne fait montre d’aucune effronterie ni impudence, il faut y voir le signe de sa distinction, de sa crainte de toute apparence d’infamie, de son penchant pour le bien et de sa sagesse. L’âme de cet enfant est alors prête à la formation, et elle doit faire l’objet de soins attentifs et ne souffrir aucune négligence. Le savoir-faire de Miskawayh dans ce domaine et sa culture grecque sont le guide et la source de sa pensée. Le milieu social au sein duquel le jeune garçon grandit joue un rôle certain dans la constitution de la mentalité de ce dernier, dans ce que l’on pourrait appeler son évolution. L’âme innocente et encore non altérée du jeune garçon est en effet disposée à accueillir la formation et les soins mais, si elle baigne dans un milieu social néfaste, elle subit l’influence de son entourage et se détériore. Elle accepte ce dans quoi elle grandit et s’y habitue, d’où l’importance qu’il y a à préserver plus particulièrement les jeunes garçons et les adolescents [41], les parents étant les principaux responsables à cet égard [42].
Au début de son évolution, le jeune garçon tend, selon Miskawayh, à commettre de mauvaises actions : il raconte des choses qu’il n’a ni vues ni entendues, il colporte des mensonges, voire met la main sur ce qui ne lui appartient pas, rapporte les paroles qu’il entend et devient par trop curieux. Pour toutes ces raisons, il faut se préoccuper de sa formation et de sa réforme alors qu’il est encore jeune. A ce stade, l’enfant apprend et se forme plus rapidement, par ce que son caractère est plus apparent au début de son évolution et qu’il n’est pas en mesure de le cacher ou d’user de subterfuges à cet effet comme c’est le cas pour l’adulte, dont l’évolution s’est achevée et qui sait que telle ou tel comportement est mauvais et le dissimule par des actes qui ne correspondent pas à sa vraie nature. Dans ces conditions, il est plus facile de déceler un caractère qui se détériore chez l’adolescent ou le jeune garçon, afin de l’en libérer et de l’habituer aux comportements vertueux, qu’il est par ailleurs en mesure d’assimiler rapidement [43].
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1. Nadia Gamal al-Din (Égypte). Professeur à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université d’Aïn Shams (Le Caire), où elle enseigne les fondements de l’éducation dans le département du même nom, elle a reçu en 1987 le Prix national d’encouragement en sciences sociales en éducation. Elle a signé un certain nombre d’ouvrages sur l’éducation chez les musulmans, parmi lesquels Falsafat al-Tarbiyyacind Ikhwan al-Safa’ [La philosophie de l’éducation chez les frères de la Pureté], Le Caire, Al-Markaz al-’arabi lil-Sihafa, 1983, et en collaboration Madaris al-Tarbiya fil-Hadarat al-islamiyya [Les écoles de pensée en pédagogie dans la civilisation islamique], L Caire, Dar al-Fikr al-’arabi, 1984. Nous lui devons également de nombreuses études et recherches sur le terrain , ainsi que de diverses communications adressées à des colloques spécialisés et des conférences consacrées à l’enseignement supérieur en Égypte, concernant en particulier l’éducation des adultes et l’enseignement destiné aux femmes analphabètes des zones rurales. Dernière étude publiée dans ce domaine : « Illiterate Rural Women in Egypt, Their Educational Needs and Problems - A case study », dans : Eve Malmquist (dir. publ.), Women and Literacy Development in the Third World, Linköping, Suède, Université de Linköping, en collaboration avec l’UNESCO et l’ASDI, 1992.
2. Voir par exemple, Adam Mez, Al-Hadarat al-islamiyya fi l-qarn al-rabic’ al-hijri [La civilisation islamique au IVe siècle de l’hégire] (traduit par Muhammad ‘ Abd al-Hadi Abou Rayda), Le Caire, Lajnat al-Ta’lif wal-Tarjama wal-Nachr, 1957.
3. Voir par exemple, Abou Hiyan Al-Tawhidi, Al-Imta’ wal-Mu’anasa, Beyrouth, Maktabat’ al-Hayat, sans date, et T.J. de Boer, Ta’rikh al-Falsafa fi l-Islam [Histoire de la philosophie en Islam] (traduit par Muhammad ‘ Abd al-Hadi Abou Rayda ), Le Caire, Lajnat al-Ta’lif wal-Tarjama mal-Nachr, 1938.
4. ‘Abd al-’Aziz ‘Izzat, Ibn Miskawayh, Falsafatuh al-akhlaqiyya wa Masadiruha [La philosophie morale d’Ibn Miskawayh et ses sources], Le Caire, Éditions Mustapha al-Babi al-Halabi, 1946, p. 80 ; pour plus de détails sur la vie de Miskawayh, voir p. 77-123.
5. Pour plus de détails sur les ouvrages traduits, du grec en particulier, et sur les traducteurs, voir par exemple
6. Ibn Al-Nadim (Abu Faraj Muhammad b. Abi Ya’ qub Ishaq, dit « al-Warraq ») Kitab al-Fihrist [Le livre des catalogues] publié sous la direction de Reza Tajadid, Téhéran, 1971.
7. On trouvera les profils d’al-Farabi, d’Aristote et de Platon dans la présente série des cent « Penseurs de l’éducation ».
8. Pour plus de détails, outre l’ouvrage précédent, voir Al-Qafti (Jamal al-Din Abu Al-Mahassin ‘Ali bin Al-Qadi, Al-Achraf Youssuf), Akhbar al-’ulama’bi Akhbar al-hukama’ [Des sages et des philosophes], Beyrouth, Dar al-Athar li l-Taba’a wa-l-nachr wa-l-Tawzi’, sans date.
9. ‘Abd al-’Aziz ‘Izzat, op. cit, p; 349 et suiv.
10. On trouvera plus de détails sur les effets propres aux productions de cette période de la civilisation islamique dans l’ouvrage susmentionné d’Adam Mez, ainsi que dans Ahmed Amin, Zuhr al-Isham [L’aube de l’Islam], Le Caire, Maktabat al-Nahdat al-Misriyya, 1966, 4 parties.
11. Abu Ali Ahmad b. Muhammad, plus connu sous le nom de Ibn Miskawayh, Ta’dib al-akhlaq [Traité d’éthique]. Le Caire, Maktabat Muhammed ‘Ali Sabih, 1959, p. 76. Nous sommes convaincus qu’il s’agit de Miskawayh et non d’Ibn Miskawayh, mais le texte n’a pas été mis au point par un spécialiste, et le nom qui figure sur sa couverture est bien Ibn Miskawayh. Nous conservons donc cette appellation de l’auteur, conformément aux usages scientifiques communément admis en la matière.
12. (Ibn) Miskawayh, op. cit., p. 76.
13. Ibid., p. 30.
14. Ibid., p. 7.
15. Ibid., p. 137.
16. ‘Abd al-’Aziz ‘Izzat, op.cit., p. 387.
17. (Ibn) Miskawayh, op.cit., p. 226-235.
18. Ibid., p. 3.
19. Ibid., p. 40-41.
20. Ibid., p. 42, 60, 203.
21.‘Abd al-’Aziz ‘Izzat, op. cit., p. 383.
22.On trouvera plus de détails sur les différents sens et emplois de ce terme en consutant Nadia Gamal
Al-Din, Ma’a kitab tahdhib al-akhlaq wa-tahthir al-a’raq [Du rafinement du caractère et de la purification des penchants], dans Hassan Mohamed Hassan et Nadia Gamal Al-Din, Madaris al-Tarbiya fi l-Hadahat alislamiyya [Les écoles de pensée en pédagogie dans la civilisation islamique], Le Caire, Dar al-Fikr al-’arabi, 1984, p. 194-198.
23. Pour plus de détails sur ce point précis, voir Abdelaftah Galal, Min Usul al-Tarbiya fi l-Islam [Des fondements de l’éducation en Islam], Sirs al-Layyan, Centre international d’éducation fonctionnelle des adultes dans le monde arabe, 1977, p. 17 et suiv.
24. (Ibn) Miskawayh, op.cit., p. 35.
25. Ibid.
26. Pour plus de détails sur les emprunts de Miskawayh au philosophe grec Aristote et sur les oeuvres de ce dernier traduites en arabe, voir ‘Abd al-’Aziz ‘Izzat, op. cit., p. 366 et suiv. ; sur la comparaison entre les emprunts de Miskawayh au Livre de « Broussène » (comme il l’appelait) et la traduction arabe de ce dernier, voir ibid., p. 425 et suiv. ; ce point sera repris plus en détail ci-après.
27. Pour plus de détails, voir Ibid.
28. (Ibn) Miskawayh, op.cit., p. 36.
29. Ibid., p. 31.
30. Ibid., p. 66-67.
31. Ibid., p. 76.
32. Ibid., p. 34-35.
33. Ibid., p. 126.
34. Ibid., p. 64-65.
35. Ibid., p. 176.
36. Ibid., p. 67.
37. Ibid., p. 177.
38. Ibid ., p. 174.
39. Ibid., p. 75, 105, 125, 175.
40. Ibid., p. 27.
41. Ibid., p. 58, 77.
42. Ibid., p. 58-59.
43. Ibid., p. 66.
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1. Nadia Gamal al-Din (Égypte). Professeur à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université d’Aïn Shams (Le Caire), où elle enseigne les fondements de l’éducation dans le département du même nom, elle a reçu en 1987 le Prix national d’encouragement en sciences sociales en éducation. Elle a signé un certain nombre d’ouvrages sur l’éducation chez les musulmans, parmi lesquels Falsafat al-Tarbiyyacind Ikhwan al-Safa’ [La philosophie de l’éducation chez les frères de la Pureté], Le Caire, Al-Markaz al-’arabi lil-Sihafa, 1983, et en collaboration Madaris al-Tarbiya fil-Hadarat al-islamiyya [Les écoles de pensée en pédagogie dans la civilisation islamique], L Caire, Dar al-Fikr al-’arabi, 1984. Nous lui devons également de nombreuses études et recherches sur le terrain , ainsi que de diverses communications adressées à des colloques spécialisés et des conférences consacrées à l’enseignement supérieur en Égypte, concernant en particulier l’éducation des adultes et l’enseignement destiné aux femmes analphabètes des zones rurales. Dernière étude publiée dans ce domaine : « Illiterate Rural Women in Egypt, Their Educational Needs and Problems - A case study », dans : Eve Malmquist (dir. publ.), Women and Literacy Development in the Third World, Linköping, Suède, Université de Linköping, en collaboration avec l’UNESCO et l’ASDI, 1992.
2. Voir par exemple, Adam Mez, Al-Hadarat al-islamiyya fi l-qarn al-rabic’ al-hijri [La civilisation islamique au IVe siècle de l’hégire] (traduit par Muhammad ‘ Abd al-Hadi Abou Rayda), Le Caire, Lajnat al-Ta’lif wal-Tarjama wal-Nachr, 1957.
3. Voir par exemple, Abou Hiyan Al-Tawhidi, Al-Imta’ wal-Mu’anasa, Beyrouth, Maktabat’ al-Hayat, sans date, et T.J. de Boer, Ta’rikh al-Falsafa fi l-Islam [Histoire de la philosophie en Islam] (traduit par Muhammad ‘ Abd al-Hadi Abou Rayda ), Le Caire, Lajnat al-Ta’lif wal-Tarjama mal-Nachr, 1938.
4. ‘Abd al-’Aziz ‘Izzat, Ibn Miskawayh, Falsafatuh al-akhlaqiyya wa Masadiruha [La philosophie morale d’Ibn Miskawayh et ses sources], Le Caire, Éditions Mustapha al-Babi al-Halabi, 1946, p. 80 ; pour plus de détails sur la vie de Miskawayh, voir p. 77-123.
5. Pour plus de détails sur les ouvrages traduits, du grec en particulier, et sur les traducteurs, voir par exemple
6. Ibn Al-Nadim (Abu Faraj Muhammad b. Abi Ya’ qub Ishaq, dit « al-Warraq ») Kitab al-Fihrist [Le livre des catalogues] publié sous la direction de Reza Tajadid, Téhéran, 1971.
7. On trouvera les profils d’al-Farabi, d’Aristote et de Platon dans la présente série des cent « Penseurs de l’éducation ».
8. Pour plus de détails, outre l’ouvrage précédent, voir Al-Qafti (Jamal al-Din Abu Al-Mahassin ‘Ali bin Al-Qadi, Al-Achraf Youssuf), Akhbar al-’ulama’bi Akhbar al-hukama’ [Des sages et des philosophes], Beyrouth, Dar al-Athar li l-Taba’a wa-l-nachr wa-l-Tawzi’, sans date.
9. ‘Abd al-’Aziz ‘Izzat, op. cit, p; 349 et suiv.
10. On trouvera plus de détails sur les effets propres aux productions de cette période de la civilisation islamique dans l’ouvrage susmentionné d’Adam Mez, ainsi que dans Ahmed Amin, Zuhr al-Isham [L’aube de l’Islam], Le Caire, Maktabat al-Nahdat al-Misriyya, 1966, 4 parties.
11. Abu Ali Ahmad b. Muhammad, plus connu sous le nom de Ibn Miskawayh, Ta’dib al-akhlaq [Traité d’éthique]. Le Caire, Maktabat Muhammed ‘Ali Sabih, 1959, p. 76. Nous sommes convaincus qu’il s’agit de Miskawayh et non d’Ibn Miskawayh, mais le texte n’a pas été mis au point par un spécialiste, et le nom qui figure sur sa couverture est bien Ibn Miskawayh. Nous conservons donc cette appellation de l’auteur, conformément aux usages scientifiques communément admis en la matière.
12. (Ibn) Miskawayh, op. cit., p. 76.
13. Ibid., p. 30.
14. Ibid., p. 7.
15. Ibid., p. 137.
16. ‘Abd al-’Aziz ‘Izzat, op.cit., p. 387.
17. (Ibn) Miskawayh, op.cit., p. 226-235.
18. Ibid., p. 3.
19. Ibid., p. 40-41.
20. Ibid., p. 42, 60, 203.
21.‘Abd al-’Aziz ‘Izzat, op. cit., p. 383.
22.On trouvera plus de détails sur les différents sens et emplois de ce terme en consutant Nadia Gamal
Al-Din, Ma’a kitab tahdhib al-akhlaq wa-tahthir al-a’raq [Du rafinement du caractère et de la purification des penchants], dans Hassan Mohamed Hassan et Nadia Gamal Al-Din, Madaris al-Tarbiya fi l-Hadahat alislamiyya [Les écoles de pensée en pédagogie dans la civilisation islamique], Le Caire, Dar al-Fikr al-’arabi, 1984, p. 194-198.
23. Pour plus de détails sur ce point précis, voir Abdelaftah Galal, Min Usul al-Tarbiya fi l-Islam [Des fondements de l’éducation en Islam], Sirs al-Layyan, Centre international d’éducation fonctionnelle des adultes dans le monde arabe, 1977, p. 17 et suiv.
24. (Ibn) Miskawayh, op.cit., p. 35.
25. Ibid.
26. Pour plus de détails sur les emprunts de Miskawayh au philosophe grec Aristote et sur les oeuvres de ce dernier traduites en arabe, voir ‘Abd al-’Aziz ‘Izzat, op. cit., p. 366 et suiv. ; sur la comparaison entre les emprunts de Miskawayh au Livre de « Broussène » (comme il l’appelait) et la traduction arabe de ce dernier, voir ibid., p. 425 et suiv. ; ce point sera repris plus en détail ci-après.
27. Pour plus de détails, voir Ibid.
28. (Ibn) Miskawayh, op.cit., p. 36.
29. Ibid., p. 31.
30. Ibid., p. 66-67.
31. Ibid., p. 76.
32. Ibid., p. 34-35.
33. Ibid., p. 126.
34. Ibid., p. 64-65.
35. Ibid., p. 176.
36. Ibid., p. 67.
37. Ibid., p. 177.
38. Ibid ., p. 174.
39. Ibid., p. 75, 105, 125, 175.
40. Ibid., p. 27.
41. Ibid., p. 58, 77.
42. Ibid., p. 58-59.
43. Ibid., p. 66.