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Par Vincent Engel
Publié le 25 mars 2017 sur Le Soir.
Dans leur essai Molenbeek-sur-Djihad (éditions Grasset), Christophe Lamfalussy et Jean-Pierre Martin dressent un tableau implacable d’une lente dérive qui a conduit à la situation que nous connaissons : une commune de Bruxelles devenue le symbole mondial du terrorisme. Une analyse détaillée, confortée par de nombreux éléments factuels, et que l’actualité de la Commission d’enquête sur les attentats vient confirmer à sa manière. Un an après les attentats de Bruxelles, on ne peut que recommander la lecture de cet ouvrage.
Lamfalussy et Martin identifient une série de raisons qui expliquent pourquoi on en est arrivé à cette situation dramatique. La première est structurelle, et liée à l’organisation communale de notre pays, système qui « entretient les petits potentats locaux et ne facilite pas la mise en place d’une politique rationnelle dans le champ social, économique et bien sûr dans la lutte contre la criminalité et le terrorisme. »
Ce qui est malheureux, dans ce constat, c’est que la commune devrait être le lieu de la démocratie. Historiquement, des pays comme la Belgique et l’Italie partagent cette particularité d’avoir connu un développement « communal » précoce, avec des droits arrachés par les citoyens et des organisations bien plus démocratiques que celles qui prévalaient alors à l’échelle nationale. Aujourd’hui encore, si la démocratie a une chance de se revivifier, c’est en repartant de l’échelon local ; ce n’est donc peut-être pas le principe d’un morcellement de Bruxelles en petites communes qui est la cause de cette dérive, mais la manière dont il a été géré. Et les auteurs ont raison de pointer le fait qu’une telle structure peut être l’occasion pour des satrapes de se construire des petits royaumes.
De ce point de vue, Philippe Moureaux, qui a régné sur la commune pendant 20 ans, porte une responsabilité écrasante, que les auteurs détaillent implacablement, rappelant qu’au début des années 1980, Flupke Moustache faisait campagne contre l’immigration et tenait, dix ans plus tard, des positions anti-immigrés – avant de comprendre l’importance électorale de ces électeurs, dont il deviendra le défenseur farouche, n’hésitant plus dès lors à traiter de nazis des journalistes de la RTBF « coupables » d’un reportage objectif sur la radicalisation en cours dans son fief. Car Moureaux va bel et bien laisser se développer un islam radical sur ses terres. « Pendant deux décennies, les autorités politiques et les organisations issues de la société civile ont fait mine de ne pas voir l’émergence de cet islamisme radical. Trois raisons expliquent cette absence de réaction. D’abord le clientélisme politique, ensuite l’illusion de pouvoir acheter la paix communautaire en contrepartie d’une inaction déclarée, et enfin la peur de stigmatiser une partie importante de la population socialement marginalisée. »
Moureaux, comme tous les responsables politiques de son temps, ont une méconnaissance absolue de ce qu’est l’islam. Ils laissent faire n’importe quoi et abandonnent tout contrôle de l’État. La démographie et les naturalisations leur apportent des voix faciles à capter, si du moins on consent des avantages à ceux qui, petit à petit, prennent le contrôle d’une population laissée en marge de la société belge, où le chômage dépasse les 40 % et où les jeunes n’ont absolument aucun espoir de s’intégrer un jour. Les auteurs le soulignent justement : un haut taux de naturalisation peut avoir un impact négatif quand la situation socio-économique est mauvaise et que les gens ont le sentiment d’être rejetés, alors que la naturalisation est censée être un accueil.
Molenbeek devient, au fil des ans, un ghetto, du moins dans certains quartiers du vieux Molenbeek. Les recettes fiscales sont insuffisantes, les logements se fractionnent. Des chercheurs tirent la sonnette d’alarme dès les années 1980 et il y aura des émeutes en 1995 ; mais les autorités, sous la houlette de Moureaux, ne prennent aucune mesure. Moureaux n’est pas seul responsable ; il agit avec l’assentiment des responsables politiques à tous les échelons de pouvoir et de son parti, le PS, davantage préoccupé de renforcer son électorat à Bruxelles.
Même les autorités marocaines sont conscientes des dangers de cette situation : « Il s’agit de jeunes de la troisième génération de migrants [majoritairement marocains], qui ont vécu en marge de la société, en raison des défaillances dans la politique d’intégration, et qui ont trouvé dans le discours extrémiste un élément salvateur à leur misère intellectuelle. […] De même, la prolifération des armes à feu en Belgique conforte l’amplitude de la part d’une nouvelle génération de repris de justice pour des faits liés au grand banditisme, au narcotrafic international ou ayant basculé dans le terrorisme. » Les autorités marocaines estiment que « l’État doit intervenir dans le contrôle de la foi » et qu’il n’est pas normal que des mosquées puissent se créer comme ça, dans des garages, sans aucune autorisation. Cependant, le roi du Maroc prétend régler aussi la vie religieuse des Marocains vivant à l’étranger, et on ne peut pas dire que ce soit une réussite, alors que la Turquie, qui procède de la même manière, a obtenu d’autres résultats.
L’aveuglement des politiques
Moureaux n’est pas le seul non plus à s’aveugler sur les dangers d’un islam radical qui se développe en Europe. Cette radicalisation a été aussi encouragée par les plus hauts responsables politiques européens, comme Laurent Fabius qui, en 2012, déclare que « Bachar el-Assad ne mérite pas d’être sur terre », pour ajouter, quelques mois plus tard, que « sur le terrain, le Front al-Nostra fait du bon boulot ». En Belgique, l’incompétence des responsables politiques va les conduire à laisser se propager un islam privilégiant une lecture du Coran victimaire...
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