Mercredi 16 Juin 2021

Islam, réforme et colonisation. Une histoire de l'ibadisme en Algérie (1882-1962)




Augustin Jomier, Éditions de la Sorbonne, coll. "Bibliothèque historique des pays d'Islam", 2020, 400 p.

Comment écrire une histoire des temps coloniaux à partir de points de vue d'Algériens et comment penser le réformisme musulman, problème majeur de l'histoire contemporaine de l’islam ? C’est à ces deux questions connexes, aussi centrales qu’irrésolues, que s’attaque simultanément Augustin Jomier dans cette étude sur l’ibadisme contemporain.
Ce livre retrace la trajectoire de la minorité des musulmans berbères et ibadites du Mzab, au nord du Sahara, depuis l’occupation de cette région par la France en 1882, jusqu’à l’indépendance de l’Algérie, en 1962. Il montre comment, face à la domination coloniale, des savants musulmans (les oulémas) s’emparent de l’idée de réforme en islam, pour en faire une arme de conquête du leadership et de reconfiguration de la religion et de la société locales, des années 1920 aux années 1950. Par-delà le face à face entre la France et l’Algérie, circuler entre Le Caire, Tunis, Alger, et le Mzab permet à ces lettrés de trouver de nouveaux modèles et d’opérer des ruptures culturelles fortes. Trois générations successives d’oulémas repensent l’ibadisme comme foi et comme pratique, mais définissent surtout la place de leur communauté minoritaire face à l’occupation étrangère, tout en lui ménageant une place dans la nation algérienne en construction. Démographiquement très minoritaires (1 % à peine des Algériens), les ibadites se révèlent ainsi, à travers la question de la modernisation de la vie religieuse, un observatoire unique des bouleversements sociaux, culturels, politiques et économiques vécus par les Algériens à la période coloniale.
Au terme d’un patient travail de terrain et en archives (de langues arabe et française), Augustin Jomier renouvelle la question du réformisme musulman, révélant l’existence de sa variante ibadite et, plus largement, la métamorphose coloniale de l’islam. Il montre surtout qu’observer l’histoire de l’Algérie à travers l’évolution d’institutions sociales et culturelles antérieures à la colonisation permet de restituer la capacité d’action des colonisés, leurs manières de donner sens aux cadres coloniaux et de se réinventer dans ce contexte.

Sommaire

Remerciements
Translittération de l'arabe
Sigles et abréviations
Introduction
Un réformisme ibadite
Réformisme et colonisation
Des conservateurs contre les réformistes
Une sécularisation paradoxale ?
L'histoire coloniale « de l'intérieur »
La colonisation vue par les sources islamiques
Nation et communauté
L’Algérie par le Sud
Une histoire de terrain
Chapitre 1 — D’un pouvoir local à la domination coloniale : le temps long des lettrés ibadites
Culture lettrée et institutions vernaculaires
L’affirmation d’un groupe de statut : les lettrés ibadites
Les ibadites, une minorité localement dominante
Violences, négociations et réemplois : administrer le Sahara
Transactions hégémoniques et bouleversement du champ religieux
La métamorphose du Mzab
Chapitre 2 — Le réformisme ibadite, un phénomène tardif et hybride (1882-1938)
Entre Maghreb et Orient : la double généalogie du réformisme
Des explications contradictoires et téléologiques
Aṭfayyish, réformiste malgré lui ?
La réforme, une affaire de marges ?
Ce que réformer veut dire (I) : de Tunis au Caire, dans les années 1920
Ce que réformer veut dire (II) : la cristallisation des années 1930
À l’interface des sphères publiques francophone et arabophone
Le réformisme, produit d’une hypothèse scientifique ?
Chapitre 3 — Des polygraphes aux publicistes : les oulémas dans l’entre-deux-guerres
Des pratiques culturelles en rupture
Le nouveau style des oulémas et du 'ilm
Les réseaux du réformisme mozabite
Les oulémas réformistes, acteurs d’une histoire sacrée
Chapitre 4 — La difficile conquête réformiste du Mzab dans l’entre-deux-guerres
Réformer le système éducatif ibadite
Être moderne ou périr
Des magistères en compétition
Chapitre 5 — L’appel de la discorde : le taqrīb et ses limites
Le taqrīb, un débat transnational et savant ?
Unir les Algériens
Les limites locales du rapprochement
Chapitre 6 — Réformer le culte, refonder la communauté
Lier les vivants et les morts
Une critique radicale
Conservateurs et réformistes : une opposition à nuancer
Les sanctuaires, des ressources à contrôler
Rationaliser les rites, refonder la communauté
Chapitre 7 — Les marchands et la mosquée : les ressorts économiques du changement religieux
Un paysage économique et social en reconfiguration
Oulémas et commerçants, une solide alliance
Gagner en mobilité grâce aux commerçants
Les oulémas, l’économie et la communauté
La légitimation religieuse d’un ethos marchand
Chapitre 8 — De la mosquée à l’Assemblée : cheikh Bayyūḍ, za'īm sécularisateur (1940-1962) ?
Bayyūḍ, mobilisateur de la jeunesse
L’islam au cercle
Conquérir ou contourner les institutions locales ?
Une deuxième génération de réformistes
Un magistère conservateur impuissant ?
Portrait de Bayyūḍ en za'īm
1948-1962 : du magistère réformiste au leadership politique
Chapitre 9 — À l’ombre de la nation : les Mozabites dans l’Algérie indépendante
Assimilation institutionnelle et résilience communautaire
La république au Mzab
Les fondements d’une continuité
Œcuménisme, historiographie et allégeance à la nation
Conclusion
Le réformisme, un discours d’interface
Réformisme et sécularisation
Une communauté dans l’Algérie coloniale
Glossaire
Sources et bibliographie
Index
Table des figures
 



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