L'article que nous publions ci-dessous a le mérite de rappeler, clairement, que le combat contre l'islamophobie doit être mené dans le cadre plus général de la lutte contre toutes les formes de discrimination. Réduire la question de l'islamophobie à un discours cloîtré sur l'islam et les musulmans est une approche insatisfaisante. En plus de cela, l'auteur rappelle, avec pertinence, qu'il ne faut pas confondre islamophobie et rejet ou critique du radicalisme s'exprimant au nom de l'islam. Si l'islamophobie est une réalité, il faut savoir faire bon usage du mot qui l'exprime.
Une publication avec l'accord de l'auteur et de la rédaction du site www.huffingtonpost.fr
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Le suffixe "phobie" a un certain succès dans les débats publics et est aujourd'hui associé aux mots désignant divers groupes victimes d'ostracisme, de rejet ou de violence. Il en va ainsi des mots d'homophobie, d'islamophobie, de négrophobie et de judéophobie (que certains utilisent au lieu d'antisémitisme). Noirs, Juifs, homosexuels ou musulmans sont indéniablement la cible de certains discours et parfois la cible de violences en raison de leur identité ethnique, communautaire ou religieuse. Le mot "phobie" est cependant assez peu porteur pour évoquer soit la haine, soit une prédisposition à la violence ou encore un préjugé chevillé au corps. Il place le respect du vivre ensemble sur un plan linguistique et psychologique qui est trop étroit.
La loi et la répression sont souvent suffisantes pour punir les violences qui visent n'importe quel groupe ou individu. Les attaques visant des musulmans, des Noirs ou des Juifs tombent sous le coup de la loi, qu'elles soient motivées par une soi-disant "phobie", donc la peur, une haine incontrôlée ou une bêtise sans nom. Le mot "phobie" suggère une réaction psychologique mais la loi ne punit pas les impressions, les aversions ou les sentiments qui ne se traduisent pas par des actes (ou des paroles publiques qui équivalent à des incitations à agir). Dans l'histoire de l'antisémitisme il est bien connu que les "philosémites" sont parfois plus problématiques pour les Juifs que les antisémites, car ils donnent aux Juifs un rôle central dans l'histoire du monde (voir Leon Wieseltier).
La France a une prédilection pour les interdictions linguistiques, comme si le contrôle de la parole publique traitait les phénomènes politiques ancrés dans des réalités profondes. Les expressions sont surveillées mais les facteurs systémiques qui attisent les haines et la montée de la misère qui fait grimper les haines entre groupes sont à peine évoqués. L'islamophobie n'est donc, bien souvent, qu'une histoire de discours et réduit tout débat portant sur le racisme à un "j'aime/j'aime pas" ou "phobie" contre "philie". C'est l'avancée de la pensée facebook, naïvement manichéenne, dans l'univers du débat public.
Le terme "d'islamophobie" encourage la confusion entre Arabes et musulmans et mêle lutte anti-raciste à des débats religieux ou idéologiques. Cette confusion, encouragée par les racistes ou xénophobes, l'est fréquemment aussi par les dénonciateurs du phénomène. Quel est le référent d'un terme comme "islamophobie"? Ceux qui ont la "phobie" de l'islam sont-ils des racistes, des fidèles d'autres religions ou bien des féministes qui désapprouvent le sort fait aux femmes dans nombre de pays musulmans ? Quel islam est visé par la phobie, celui pacifique et républicain des nombreux musulmans qui ont trouvé leur place dans le pacte républicain ou celui des extrémistes, salafistes ou partisans d'al Qaeda ? Le raciste englobe tous les musulmans (ou tous les Arabes) dans une même détestation mais le dénonciateur de l'islamophobie risque souvent d'en faire autant. La confusion entre, d'une part, diversité ethnique et religieuse qui est constitutive de toutes les démocraties libérales et doit être protégée par le respect et, d'autre part, le débat d'idées auquel, dans un système démocratique de liberté d'expression sont soumises toutes les idéologies, religieuses ou non, est totale.
Tous les mots se terminant en "phobie" dans le vocabulaire politique induisent le même type de confusion et se prêtent à des jeux rhétoriques. L'antisémitisme est parfois mêlé à des rhétoriques de défense des gouvernements israéliens, comme si la lutte contre l'antisémitisme impliquait une position politique spécifique et un soutien à un gouvernement ou une idéologie particulière. La dénonciation de l'islamophobie, une rhétorique bien faible lorsqu'il s'agit de violence meurtrière, se prête aussi à des manipulations ou des exhortations à aimer des mouvances idéologiques. On peut détester les Frères musulmans sans être "islamophobe", ne rien trouver d'admirable chez certains individus ou groupes se réclamant de l'islam.
De plus, dans un pays où l'anticléricalisme a été aussi vivace et important, il est légitime que les religions soient soumises à critiques, voire moqueries, sans que les individus fidèles à ces religions soient attaqués. Il ne sert à rien d'aimer l'islam plus que l'athéisme pour lutter contre les violences racistes. Ce n'est pas parce qu'un parti réactionnaire comme le FN joue avec la laïcité que celle-ci, née à gauche et dans un combat républicain légitime, a soudain perdu sa légitimité. La laïcité sert à protéger les cultes en même temps que la République qui n'en épouse aucun.
Aujourd'hui en France, il est donc à la fois vrai que les Arabes ou les musulmans servent de nouveau boucs émissaires, comme les Juifs l'étaient dans les années 30 ou à la fin du XIXe siècle, mais aussi que la défense de la République ne passe pas par l'approbation d'une religion ou de pratiques religieuses. Les Arabes comme les Juifs, les Noirs et tous les autres doivent être protégés au nom des droits universels des êtres humains. Les croyances des uns ou des autres ont leur place uniquement dans le cadre du respect des lois républicaines et ne doivent pas être protégées de la critique. Tout est critiquable dans le catholicisme, l'islam, le marxisme, le néolibéralisme et doit le rester, c'est notre liberté d'opinion. Ainsi, quelqu'un qui aurait une "phobie" du marxisme, de l'islam ou du christianisme ou de certaines versions de ces croyances ou idéologies ne perd pas son droit d'expression dans le débat d'idées mais n'a aucun droit d'agresser. Personne n'est soumis à un devoir d'aimer, la liberté de penser s'applique à toutes les idées. Des termes comme "cathophobes" ou "marxophobes", on le comprend aisément, seraient inutiles pour débattre d'idées.
Les meilleurs défenseurs des Juifs du temps de l'affaire Dreyfus n'avaient pas besoin d'être philosémites, il suffisait qu'ils soient républicains et intransigeants en matière de justice. Dreyfus devait être défendu par amour de la justice plutôt que par amour des Juifs ou d'une croyance. Aujourd'hui, les meilleurs défenseurs des Arabes ou des musulmans n'ont pas à avoir de prédilection pour l'islam, il leur suffit d'être animés par le même souci de la justice que les Dreyfusards d'antan.
Les pays arabo-musulmans sont la proie de vifs conflits entre divers groupes se réclamant de l'islam. Ces conflits sont politiques et idéologiques et mettent aux prises, en Tunisie, par exemple, des républicains et des religieux souvent peu respectueux des libertés des autres, notamment des athées. Il est clair que l'on peut préférer certains groupes musulmans à d'autres, certaines versions de l'islam à d'autres. Dire "l'islam" au singulier gomme les diverses interprétations et obédiences. Il en va de même pour le catholicisme qui va de l'opus dei à la théologie de la libération. En France, les individus doivent garder le droit au respect et jouir de l'égalité des droits, les cultes sont protégés mais aucune injonction à aimer une religion n'a sa place dans le débat public, quelle que soit cette religion ou cette obédience religieuse. Il n'est donc d'aucune utilité d'être "pour les musulmans" pour s'opposer à ceux qui sont "contre les musulmans".
Le mot "islamophobie" est donc tout aussi impropre que celui, a-historique, d'islamofascisme qui sert à délégitimer en simplifiant. A part, quelques groupes extrémistes, qui sont sous surveillance, les catholiques ne cherchent plus en France à imposer leur foi, leurs idées ou leurs valeurs à la République. Tous les cultes qui n'ont pas d'agenda théocratique et les groupes respectueux de la loi et de la diversité ethnique et culturelle doivent jouir des mêmes libertés. La lutte contre le racisme ne peut cependant pas passer par des exhortations psychologisantes. Les musulmans comme les autres citoyens ont besoin de justice et de respect, pas d'une défense affective de leur croyance. Ne laissons pas la République et la laïcité à l'extrême droite.
Les meilleurs défenseurs des Juifs du temps de l'affaire Dreyfus n'avaient pas besoin d'être philosémites, il suffisait qu'ils soient républicains et intransigeants en matière de justice. Dreyfus devait être défendu par amour de la justice plutôt que par amour des Juifs ou d'une croyance. Aujourd'hui, les meilleurs défenseurs des Arabes ou des musulmans n'ont pas à avoir de prédilection pour l'islam, il leur suffit d'être animés par le même souci de la justice que les Dreyfusards d'antan.
Les pays arabo-musulmans sont la proie de vifs conflits entre divers groupes se réclamant de l'islam. Ces conflits sont politiques et idéologiques et mettent aux prises, en Tunisie, par exemple, des républicains et des religieux souvent peu respectueux des libertés des autres, notamment des athées. Il est clair que l'on peut préférer certains groupes musulmans à d'autres, certaines versions de l'islam à d'autres. Dire "l'islam" au singulier gomme les diverses interprétations et obédiences. Il en va de même pour le catholicisme qui va de l'opus dei à la théologie de la libération. En France, les individus doivent garder le droit au respect et jouir de l'égalité des droits, les cultes sont protégés mais aucune injonction à aimer une religion n'a sa place dans le débat public, quelle que soit cette religion ou cette obédience religieuse. Il n'est donc d'aucune utilité d'être "pour les musulmans" pour s'opposer à ceux qui sont "contre les musulmans".
Le mot "islamophobie" est donc tout aussi impropre que celui, a-historique, d'islamofascisme qui sert à délégitimer en simplifiant. A part, quelques groupes extrémistes, qui sont sous surveillance, les catholiques ne cherchent plus en France à imposer leur foi, leurs idées ou leurs valeurs à la République. Tous les cultes qui n'ont pas d'agenda théocratique et les groupes respectueux de la loi et de la diversité ethnique et culturelle doivent jouir des mêmes libertés. La lutte contre le racisme ne peut cependant pas passer par des exhortations psychologisantes. Les musulmans comme les autres citoyens ont besoin de justice et de respect, pas d'une défense affective de leur croyance. Ne laissons pas la République et la laïcité à l'extrême droite.