Mercredi 20 Juillet 2016

L’horreur ne suffit pas à faire l’acte terroriste (Libération)


Par Olivier CHRISTIN, Professeur d’histoire moderne à l’université de Neuchâtel et directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE) à Paris — 18 juillet 2016 à 20:11





Par Olivier CHRISTIN, Professeur d’histoire moderne à l’université de Neuchâtel et directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE) à Paris — 18 juillet 2016 à 20:11



Crash de la Germanwings, meurtre de Jo Cox, massacre d’Orlando… Le geste terroriste se définit en lien avec une idéologie et une organisation collective. Mais en adoubant des initiatives isolées, l’EI crée une rupture.


L’horreur ne suffit pas à faire l’acte terroriste

Devant le monument du Centenaire, lundi à Nice, à l’occasion de la minute de silence nationale. Photo Olivier Monge. MYOP
Crash de la Germanwings, tuerie d’Orlando, attaques de Charlie, du Bataclan et de Bruxelles, assassinat de policiers à leur domicile, meurtre de la travailliste Jo Cox au Royaume-Uni, massacre de Nice : les opinions et les autorités politiques sont confrontées à des tragédies «sans nom» en raison de l’horreur qu’elles inspirent et des difficultés que nous rencontrons pour les qualifier et les disqualifier. La langue elle-même fait défaut, à la fois devant l’hésitation à nommer l’indicible et devant les pièges que tend toute désignation inexacte, qui risque de prolonger les effets des gestes eux-mêmes en instruisant des procès incomplets ou erronés. (Photo DR)

En témoignent les polémiques sur le traitement médiatique de la tuerie d’Orlando ou du meurtre de Jo Cox et les choix lexicaux des responsables politiques. Des républicains américains ont ainsi condamné la prudence du président Obama refusant d’invoquer sur-le-champ le terrorisme islamiste et préférant parler de tuerie de masse ou «d’acte de terreur» : pour Donald Trump, ce refus de nommer «l’islam radical» est une «honte» qui aurait dû conduire Obama à la démission. A l’inverse, des journaux et des chercheurs se sont indignés de voir les actes perpétrés par des musulmans plus systématiquement qualifiés de terroristes que ceux des suprématistes blancs, comme l’assassin de Jo Cox ou Dylann Roof, l’auteur présumé de la tuerie de Charleston. En juin 2015, dans le Washington Post, Andrea Butler condamnait le deux poids deux mesures dans l’interprétation des massacres récents : «Les tireurs de couleur sont appelés des "terroristes" et des "voyous". Pourquoi les tireurs blancs sont-ils appelés des "malades mentaux" ?» De même, nombre de commentateurs ont souligné à propos des événements de Nice le contraste entre la célérité de la dénonciation du terrorisme islamiste de la part du couple exécutif et la prudence du ministre de l’Intérieur, attendant de disposer d’informations précises sur l’identité du chauffeur et sur d’éventuelles revendications avant de se prononcer.

Ici encore, c’est dans l’accumulation d’informations sur les signes d’une adhésion ou d’une conversion des assassins à l’islam radical que l’on a cherché une réponse. Mais ni l’horreur des massacres, ni la sauvagerie des modes opératoires - qui ne font aucune distinction entre victimes et frappent aveuglément hommes, femmes, enfants, représentants de l’Etat, citoyens et touristes étrangers -, ni le respect scrupuleux de certaines obligations religieuses ne suffisent pour qualifier de terroristes les crimes abjects dont nous sommes témoins. Il ne sert sans doute à rien de vouloir les faire entrer à toute force dans des définitions toutes faites. Le pilote de la Germanwings a lui aussi tué en grand nombre des innocents, sans considération de nationalité, de religion, de sexe, d’âge : l’horreur ne suffit pas à faire l’acte terroriste. Et force est de constater que quelques-uns des pires attentats récents ont été commis par des hommes dont les convictions religieuses ne semblent s’être manifestées qu’à l’occasion du massacre.

Plutôt que de traquer des signes qui ne trompent pas, il faudrait observer ce que disent et font les auteurs de tueries de masse et la manière dont ils relient ou non leur acte à une cause religieuse et politique. On peut ici partir de ce qui s’est joué autour des martyrs. Confrontée aux persécutions mais aussi au zèle religieux de certains de ses membres qui voulaient mourir pour leur foi, l’Eglise a dû définir ce qui constituait un martyr et le distinguait d’un fou, d’un criminel supplicié ou d’un candidat au suicide. Pour saint Augustin et saint Thomas, la réponse tenait en une règle simple : «Ce n’est pas la souffrance, c’est la cause qui fait le martyr» (Augustin, Sermon CCCXXVIII). Les tourments des criminels condamnés ne pouvaient en aucun cas être tenus pour des martyres dignes de louange.

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