Président du Centre Arabe pour l'Education au Droit International Humanitaire et aux Droits Humains… En savoir plus sur cet auteur
Dimanche 16 Mars 2014

La question des minorités et le statut des non-musulmans en Islam (Première partie)



Le texte d'une intervention lors d'un Colloque intitulé: La religion est-elle un obstacle à l'application des droits de l'homme?, organisé les 10-11 décembre 2004 à Lyon, par l'Institut des Droits de l'Homme de Lyon en collaboration avec l''Intercenter de Messina, et le Centre Arabe de l'Education au Droit international Humanitaire et aux Droits Humains.

La fin de la première guerre mondiale a marqué un progrès dans le domaine de la protection des droits de l'homme en instituant le régime des "minorités".

Ainsi, cinq traités de minorités ont été conclus entre 1919 et 1920 par les Etats vaincus. Ces traités ont reconnu aux minorités certains droits, et ils les ont placé sous la garantie de la Société des Nations. Et, comme cette organisation avait le pouvoir de recevoir des plaintes, on a parlé des minorités comme possédant "la personnalité juridique internationale" [1].

En plus de ces traités des minorités, on trouve divers traités bilatéraux comme, par exemple, la convention germano-polonaise du 15 mai 1922. On peut également citer les dix déclarations unilatérales souscrites par l'Albanie, les Etats Baltes, la Finlande et l'Irak lors de leur admission à la Société des Nations. Tous ces textes concernant les droits des minorités protégeaient " l'homme en tant qu'appartenant à une certaine race, en tant que professant une certaine religion, en tant que parlant une certaine langue" [2]. Il s'agissait donc, d'une protection sélective.

Mais en s'intéressant à la question de la protection des minorités, on n'a pas cherché à définir le terme "minorité".
La question des minorités est devenue, après la 2ème guerre mondiale, un problème humanitaire s'insérant dans le domaine de la protection des droits de l'homme [3].

Cependant, la communauté internationale n'a pas réussi, à trouver une définition du terme "minorité", malgré les différentes tentatives internationales et européennes [4].

Je vais vous surprendre maintenant en disant que la notion de "minorité" n'existe pas dans la Charia ou le droit musulman, parce que qu'il n'y a pas une "majorité", d'une part.

D'autre part, il n'y a pas de distinction entre les habitants (résidents, migrants etc...) dans l'Etat islamique [5], et la seule distinction existe, dans la Charia, entre les musulmans et les non-musulmans. Ainsi, je vais vous exposer le statut des non-musulmans en Islam d'après les règles de la Charia.

Nous allons commencer par une brève présentation du droit musulman et ses sources (I), puis nous allons examiner le statut juridique des non-musulmans (II).

I. Le droit musulman et ses sources

Ce qui vient à l'esprit, à première vue, chaque fois que l'on évoque le droit musulman ou Charia, est l'aspect rituel de ce droit qui se traduit dans des actes de dévotion, ou 'ibâdat. Or, malgré leur importance capitale et leur signification dans la vie des musulmans, ces actes ne représentent qu'un seul aspect de l'Islam, son aspect spirituel. Un autre aspect important de cette religion monothéiste est d'ordre temporel [6].
Les relations du croyant avec Dieu constituent les droits de Dieu, hukuk Allâh.Les relations entre croyants constituent les droits de l'homme, hukuk al-'insân / hukuk al-'abd, indissociables d'une société donnée, compte tenu de tous les rapports économiques, politiques et culturels qui peuvent exister [7].

Le droit musulman organise toutes ces relations entre les croyants et leur Créateur et entre les croyants eux-mêmes. Ceci sans négliger les relations qui sont établies entre le souverain et ses ressortissants et entre l'Étatislamique et les autres États dans l'état de paix et de guerre. Or, le droit musulman comporte un ensemble considérable de règles, de conceptions, de sanctions et de garanties. Il s'agit d'une "théorie de droit complète et indépendante" [8], concernant la vie individuelle et collective.

Quant aux sources du droit musulman [9], nous pouvons distinguer entre les sources complémentaires, à savoir: Le Coran, la Sunna ou la tradition du Prophète Muhammad, le consensus général ou ijmâ, et le raisonnement déductif ou qiyâs. Et, les sources complémentaires, à savoir: l'opinion personnel ou ijtihâd, trouver le bien ou al-istihsân, l'intérêt général ou masalha, et la coutume [10].
 
Les travaux des oulémas musulmans [11] sur le statut des non-musulmans constituaient, selon le grand orientaliste Louis Massignon: "La naissance d'un embryon de Droit international public chez ces canonistes fondamentalistes, bien avant que Grotius y songe en Chrétienté" [12]).
 
Le statut des non-musulmans en Islam a été traité par ces oulémas musulmans sous l'angle de l'égalité. Un examen du statut juridique des non-musulmans est indispensable. Ce statut est régi, d'une part, par un certain nombre de dispositions du droit musulman et, d'autre part, par la place réservée pour ces non musulmans dans l'Etat islamique.

II. Le statut des non-musulmans en Islam

A. Le droit d'asile ou amân et dhimma

Si la majorité des oulémas musulmans est d'accord, dans ses études et travaux, sur l'existence en droit musulman de trois catégories de pays (Dar al-Islam, Dar al-Harb, Dar al-Sulh), il convient de faire une distinction entre les définitions données par les anciens et celles données par les contemporains:
L'appellation de pays de l'Islam (Dar al-Islam): pour les anciens et les oulémas musulmans contemporains désigne les pays dans lesquels les principes de l'Islam sont respectés, les règles de droit musulman sont applicables, les musulmans sont en sécurité et ne sont menacés ni dans leur personne, ni dans leurs biens. Le pays de la guerre (Dar al-Harb) renvoie à un espace territorial dans lequel les principes et les règles de l'Islam ne sont, dans ce type de pays, ni respectés ni appliqués parce que l'autorité n'est pas entre les mains des musulmans, et les musulmans ne sont pas en sécurité [15]. Le pays de traité (Dar al-'ahd/ Dar al-Sulh): pour les anciens oulémas, les musulmans n'exercent, dans ce troisième type de pays, aucune autorité, mais ils ont conclu un traité avec le gouvernement du pays. Dans certains cas et en vertu de ce traité, ce gouvernement paye un tribut aux musulmans. Quelques oulémas musulmans contemporains sont d'avis que cette notion couvre en fait l'ensemble des pays non-musulmans aujourd'hui car des traités existent entre les différents pays du monde, ainsi que des relations diplomatiques, culturelles et commerciales régulières entre eux [16].

Nous pouvons ajouter, également, que les Etats sont liés entre eux par des traités bilatéraux et multilatéraux. Ils sont membres de différentes organisations internationales et sont supposés travailler ensemble pour la paix et la sécurité dans le monde, ce qui signifie que nous sommes donc en fait aujourd'hui face à deux catégories de pays: les pays dits de l'Islam et les pays dits de traité. Si un pays de traité déclare la guerre à un pays de l'Islam, l'envahit, occupe son territoire ou attaque sa population, il sera alors considéré, selon les critères du droit musulman classique, comme un pays en état de guerre, et le pays de l'Islam aura alors le droit de se défendre.

Dans le pays d'Islam, le Souverain, ou celui qui le représente, peut accorder une protection ou une sauvegarde amân à un non-musulman une fois que ce dernier pénètre dans ce Pays; on peut appeler cette protection: une protection officielle. Egalement un musulman, homme ou femme, adulte ou enfant, voir esclave, peut également accorder une telle protection à un non-musulman: c'est alors une protection non officielle. L'amân officielle ou non officielle couvre aussi la famille et les propriétés des non-musulmans.

Une fois l'amân accordé, le non-musulman s'appelle musta'man. Le musta'mân, donc, est un homme qui est entré dans le pays d'Islam, sans aucune intention d'y résider, pour une période limitée qui peut être renouvelée, pour faire du commerce, ou du tourisme, et en vertu du contrat qui s'appelle le contrat d'amân.

Cet amân nous rappelle ce que les juristes appellent aujourd'hui, le droit d'asile [17]. Ce droit qui trouve son fondement, en Islam, dans le Coran: "Si un polythéiste cherche un asile auprès de toi, accueille-le pour lui permettre d'entendre la Parole de Dieu; fais-le ensuite parvenir dans son lieu sûr" [18]. Et, les Docteurs musulmans sont d'accord pour dire que le gouvernement musulman, dans le Pays d'Islam, n'a pas le droit d'extrader le musta'man contre son gré, même pas en échange d'un prisonnier musulman [19].

Sans entrer dans le détail des conditions du contrat d'amân, sachons, à titre d'exemple, que le droit musulman s'applique aux affaires financières du musta'man.

Mais en tout état de cause, le musta'man doit toujours respecter les droits d'un musulman ou un autre musta'man ou dhimmi.

La condition la plus importante dans le contrat d'amân est que sa durée est limitée. L'amân n'est valable que pour un an [20] période qui peut être renouvelée, sans aucune obligation financière, mais à la fin de cette période le musta'man a le choix de quitter le pays d'Islam ou d'y rester. S'il choisit cette dernière solution, le musta'man devient un dhimmi et nous serons en présence d'un nouveau contrat: le contrat de la dhimma.

Le dhimmi est donc un non-musulman qui réside dans le pays d'Islam, ou dans les territoires conquis par les musulmans en vertu d'un contrat appelé le contrat de la dhimma. La dhimma a été définie comme "la convention en vertu de laquelle les non-musulmans résidant sur les territoires conquis par les musulmans obtiennent de ces derniers la reconnaissance de leurs droits publics et privés" [21].
Le contrat de dhimma, une fois conclu, est un contrat sans limitation de durée. Il n'est jamais abrogé même si le dhimmi est mort, car ses héritiers, après lui, sont engagés par le contrat. Dans ce cas, la dhimma passe aux descendants.
 
Le Coran parle d'une catégorie spéciale de non-musulmans "Les gens du Livre", c'est-à-dire les juifs et les chrétiens. "Dis: "Ô gens du Livre! Venez à une parole commune entre nous et vous: nous n'adorons que Dieu; nous ne lui associons rien; nul parmi nous ne se donne de Seigneur, en dehors de Dieu" [22]. "Les gens du Livre" sont les plus proches des fidèles de la religion musulmane: "Tu constateras que les hommes les plus proches des croyants par l'amitié sont ceux qui disent: "Oui, nous sommes Chrétiens!" parce qu'on trouve parmi eux des prêtres et des moines qui ne s'enflent pas d'orgueil" [23].

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[1] R. MONACO, "Minorités nationales et protection internationale des droits de l'homme" dans Amicorum Discipulorumque Liber. Problème de protection internationale des droits de l'homme, Mélanges René Cassin, tome I, Paris, Pedone, 1969, p. 176.

[2] Ch. ROUSSEAU, "Droits de l'homme et droits des gens" dans Amicorum Discipulorumque Liber. Méthodologie des droits de l'homme, Mélanges René Cassin, tome IV, Paris, Pedone, 1969, p. 318.

[3] A. BEREDIMAS, "Les droits des minorités nationales", dans La CSCE: dimension humaine et règlement des différends, Centre de droit international de Paris X – Nanterre, Paris, Montchrestien, 1993, p. 63.

[4] Voir notre article: "Les tentatives pour adopter une définition du terme "minorité" sur le plan européen", Revue Egyptienne de Droit International, vol. 57, 2001, pp. 124 et s.

[5] Voir concernant la notion d'Etat islamique notre article: "Les Etats islamiques et la Déclaration universelle des droits de l'homme", Conscience et Liberté, n° 59, 2000, pp.31 et s.

[6] L'Islam, comme l'a expliqué GARDET, régit "une communauté qui prend en charge en un seul et indissociable élan les relations de chaque croyant avec Dieu, et les relations des croyants les uns avec les autres sur le plan moral, social, politique". Voir L. Gardet, L'Islam. Religion et Communauté, Paris, Desclée de Brouwer, 1967, p. 273.

[7] Voir, concernant la distinction entre ces deux catégories de droits et la conception des droits de l'homme en Islam, M. A. AL-MIDANI, Les apports islamiques au développement du droit international des droits de l'homme, Thèse d'Etat en Droit Public, Université de Strasbourg III, octobre 1987, pp. 15 et s.

[8] Savvas, cité par A. Rechid, "L'Islam et le droit des gens", Revue des Cours de l'Académie de Droit International de la Haye,Tome 60, 1937, p. 401.
 
[9] Nous pressentons dans cette études les sources élaborées par les écoles sunnites de fiqh, et il y a aussi les écoles chi'ites qui sont assez riches et importants comme fiqh.

[10] Voir concernant les sources du droit musulman notre article, "Introduction au droit musulman", I Tre Annelli, les trois anneaux, revue des trois cultures monothéistes, n°7, avril 2004, pp31 et s.

[11] Nous allons utiliser, dans cette étude, l'expression (oulémas musulmans) pour désigner les juristes, les jurisconsultes, les savants et les mujtahids (théologiens-juristes musulmans qualifiés).

[12] L. MASSIGNON, "Le respect de la personne humaine en Islam, et la priorité du droit d'asile sur le devoir de juste guerre" Revue Internationale de la Croix Rouge, 1952, p. 450.

[13] Le lundi 12 (Rabi' al-'awal ) de l'an 1 de l'hégire, correspondant au 31 mai 622 de l'ère chrétienne, le prophète Muhammad arrivait à Médine quittant ainsi sa ville natale (La Mecque) pour émigrer dans cette ville, marquant ainsi le commencement de l'hégire.

[14] M. HAMIDULLAH, "La tolérance dans l'œuvre du Prophète à Médine", dans L'Islam. La philosophie et les sciences. Les Presses de l'Unesco, Paris, Unesco, pp. 15 et s.

[15] W. AL-ZUHAYLI, Les relations internationales en Islam, comparées avec le droit international moderne, Beyrouth, éd. al-Risala, 1981, p. 105 et s. (en langue arabe).

[16] M. AL-KATAN, Le séjour du musulman dans un pays non-musulman, Amiens, éd. Euro-Media, (s.d.), pp. 7-8. (en langue arabe).

[17] Voir, H. SBAT, L'asile politique en Islam, Amman, éd. Dar al-Bayark, Dar Amar, 1997, pp. 17 et s. (en langue arabe).

[18] Le Coran. Introduction, traduction et notes par D. Masson, Gallimard, Paris 1967. Chapitre 9, verset 6.

[19] A. FATTAL, Le statut légal des non-musulmans en pays de l'Islam. Recherches publiées sous la direction de l'Institut de Lettres Orientales de Beyrouth, Beyrouth, 1958, p. 72.

[20] A. K. ZIDAN, "Etude sur le traitement des minorités non-musulmanes et des étrangers en droit musulman" Journal of Law, Koweït, n° 3, septembre 1983, p. 324 (en langue arabe).

[21] FATTAL, op. cit., p. 74.

[22] Le Coran, chapitre 3, verset 64.

[23] Le Coran, chapitre 5, verset 82.

[24] Le Coran, chapitre 3, verset 32






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