Samedi 22 Décembre 2012

Le Cheikh Abdessalam Yassine et la notion d'islamiser la modernité



Abdessalam Yassine, mort le jeudi 13 décembre, photo AFP PHOTO/ABDELHAK SENNA
Le jeudi 13 décembre 2012 après l’annonce de la mort du Cheikh  Abdessalam Yassine (voir les liens ci-dessous), à l’âge de 84 ans, les sites d’information ne tarissent pas d’adjectifs sur ce dernier, décrit par certains comme uniquement un « islamiste », par d’autres comme un « opposant » à la monarchie marocaine et d’autres, dans une sorte de synthèse, le décrivent comme « un islamiste et un opposant au régime marocain ».  

   Au-delà de ces dépêches, parfois écrites à la va-vite, et au-delà des divergences que l’on peut avoir avec les idées du Cheikh  Yassine, il faut ici reconnaître un fait : Abdessalam Yassine représente, dans la pensée islamique contemporaine, l’un des théoriciens de la notion d’« Islamiser la modernité ». Et l’on trouvera facilement dans les librairies un ouvrage à son actif sur ce sujet (Islamiser la modernité (1998)).
Les adjectifs « islamiste », « intégriste », etc., rapidement tamponnés sur la face d’une personne, ne doivent pas nous dédouaner de la tâche d’analyser ses idées, de scruter ses présupposés philosophiques et notionnels, et ainsi, éviter les catégorisations rapides.  

Si nous nous arrêtons sur la notion d’ « islamiser la modernité », certes, prise de manière brute, elle peut-être jugée comme vide de sens, mais analysée de près, elle s’inscrit dans la Critique de la modernité et de ses excès. Ici, l’idée « d’islamiser » ne doit pas être un frein à l’analyse. Chez le Cheikh  Yassine, la notion d' « islamiser la modernité » est avant tout utilisée pour penser la modernité, la post-modernité, l'idéologie moderniste, les modernités, etc. Cette réflexion est jugée comme nécessaire et indispensable, particulièrement dans un cadre où la "notion de modernité" et/ou "la nécessité d'être moderne" sont souvent évoquées pour délégitimer les discours ou références se réclamant d'une tradition autre. Et cette démarche s’inscrit, chez Abdessalam Yassine, dans l’optique d’une réflexion plus globale sur la place de la « Révélation » (c’est-à-dire le message prophétique : à la fois le Coran mais aussi le modèle prophétique) à notre époque. En effet pour le Cheikh , la « Révélation », souvent perçue par l’« homme moderne » comme symbole d’archaïsmes et d’aliénation, peut être un remède aux excès de la modernité, mais, pour cela, il faut au préalable penser « ce que la modernité est ou n’est pas » [le premier chapitre du livre mentionné s’intitulé Qu'est-ce que la modernité ?] et saisir ses limites épistémologiques (pour mieux déconstruire les mythologies qui s’y rattachent, à la Jacques Derrida ?).

Certes, nous savons que certains se limitent à l’intitulé de la notion « islamiser la modernité » pour la rejeter en bloc, mais nous continuons de penser, au-delà de ce rejet abrupte, qu’elle exprime l’idée que les "hommes de foi" doivent prendre toute leur place dans la recherche d’une modernité ouverte à la Transcendance, respectueuse des particularismes et assignant d’autres finalités à la vie humaine que celles de l’hédonisme et du consumérisme... Même si, dans le cas du Cheikh  Yassine, comme de tout autre individu, il est possible de désapprouver sa vision de "la modernité" et son argumentaire autour du message coranique, il n'en demeure pas moins que nous n’avons pas à faire, chez lui, à un simple discours ou un discours simple sur "la modernité".

Au-delà de son engagement politique dans son pays, le Maroc, Abdessalam Yassine voulait, comme beaucoup d’autres, panser les dérives de la modernité, la débarrasser de ses suffisances, etc., dans une perspective musulmane. Pour lui, c’est seulement de cette "décancérisation" que pourra naître la « libération de l’homme contemporain » des griffes aveuglantes et aliénantes d’une modernité arrogante et exclusive. Et dans cette réflexion sur la modernité, le Cheikh  Yassine s’inscrivait pleinement dans les courants de la pensée islamique contemporaine à la recherche d’une modernité autre.

[ À lire sur Jeuneafrique.com ] - Maroc : les orphelins du cheikh Yassine

« Né dans la région de Haha (Sud), Abdessalam Yassine fait ses études primaires et secondaires à Marrakech avant d'intégrer, à Rabat, l'École de formation des instituteurs et d'entamer, dans les années 1950, une carrière de cadre supérieur au ministère de l'Éducation.
Au milieu des années 1960, il intègre la confrérie religieuse Boudchichiya, d'obédience soufie, qu'il quitte quelques mois après la mort en 1972 de Cheikh Abbas, son chef spirituel. Celui que l'on surnomme désormais Cheikh Yassine fonde alors son propre mouvement, Justice et bienfaisance, qui prône l'instauration d'un régime islamique au Maroc. Il ne faudra pas plus de un an pour que cette nouvelle association, à la fois religieuse et politique, fasse parler d'elle : en 1974, Abdessalam Yassine se fait connaître du grand public en adressant une lettre ouverte à Hassan II intitulée « L'islam ou le déluge », dans laquelle il conteste au roi son statut de Commandeur des croyants et dénonce la corruption du régime. »

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Le site internet de son mouvement : http://www.aljamaa.net

Jeune Afrique : ferveur populaire et froideur officielle pour les funérailles de Cheikh Yassine

La nouvelleT.com : images des obsèques du Cheikh  Yassine

Emarrakech  : « Zamzami : La mort de Cheikh Yassine "n'est pas regrettable" »

RFI : « il a créé un mixte entre l’idéologie confrérique et celle des Frères »

Lesoir-echos  : la Jamaâ en deuil

 Le Quotidien d’Algérie : Décès de Cheikh Yassine, islamiste et adversaire de la monarchie marocaine
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