Aux racines du djihadisme
Surenchères traditionalistes en terre d’islam
Le monde musulman sunnite est confronté à un phénomène de réislamisation, avivé par la faiblesse des forces modernistes et des sociétés civiles ainsi que par la duplicité des pouvoirs politiques. Tout porte à croire que, malgré leur opposition idéologique, le wahhabisme saoudien et le courant des Frères musulmans vont poursuivre leur expansion. Leur avatar commun, le djihadisme, devrait lui aussi se renforcer.
Par Nabil Mouline, mars 2015
Dans le monde arabe, les ambitions hégémoniques du traditionalisme musulman ne datent pas d’hier. Quelles que soient sa forme ou sa dénomination, ses dépositaires ont réussi à y occuper, depuis la seconde moitié du IXe siècle, une place centrale. Cela s’est fait au prix de combats acharnés, et au détriment d’autres discours dont certains étaient novateurs, ou du moins rénovateurs.
Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que l’ordre ancien est progressivement, quoique involontairement, secoué par le choc colonial. Des discours s’appuyant sur les systèmes de valeurs et de représentations occidentaux s’introduisent en terre d’islam. Ils offrent une nouvelle conception du monde et permettent à des courants intellectuels, politiques et religieux de s’épanouir. Le traditionalisme musulman ne disparaît pas pour autant. Après une période d’adaptation forcée au début du XXe siècle, ses promoteurs réapparaissent et prétendent jouer un rôle structurant en tant que défenseurs des vraies valeurs de l’islam contre une modernité trop envahissante. Le renouveau et l’expansion du traditionalisme, qu’il soit religieux (wahhabisme ) ou politico-religieux (frérisme et djihadismes), ont plusieurs causes. Sans négliger les facteurs socio-économiques, dont l’importance est indéniable, il nous paraît nécessaire ici d’isoler quelques variables déterminantes et de les mettre en perspective.
Tout au long du XXe siècle, plusieurs pays musulmans ont essayé d’utiliser leur capital religieux pour étendre leur prestige et leur influence au niveau international. Mais l’expérience saoudienne est la plus impressionnante, par son ampleur et par sa longévité. Le wahhabisme, avatar du hanbalisme (l’une des quatre écoles juridiques et théologiques du sunnisme), se conçoit dès son apparition au XVIIIe siècle comme la seule vraie religion. Son interprétation littéraliste, conservatrice et exclusiviste de l’islam doit donc s’imposer à tous ; ceux qui la refusent sont déclarés égarés, hypocrites, hérétiques, voire mécréants. Cependant, les autorités politiques et (...)
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