Samedi 18 Octobre 2014

[Le Monde.fr] Plaidoyer pour un peu plus de théologie


Par Stéphane Lavignotte (Théologien, pasteur de la Mission populaire) et Olivier Abel (Philosophe, professeur de philosophie et d'éthique à la faculté de théologie protestante de Montpellier)




Le Monde.fr / Le 14 octobre 2014

On est surpris et heureux de voir que pour expliquer ce qui se passe en Irak avec l'auto-proclamé « Etat islamique » et ses conséquences en France, on ne sollicite pas seulement les géopolitologues, les sociologues ou les historiens mais aussi les théologiens musulmans.

Bien sûr, nous avons un doute sur ce soudain intérêt pour la théologie : ne serait-ce pas une nouvelle manière de faire de l'Islam une exception ? D'en faire une réalité un peu barbare, pas complétement entrée dans l'histoire ? Car le reste du temps, nous constatons que la théologie est la grande absente du débat public. Elle nous semble pourtant essentielle pour comprendre le monde, y compris le nôtre, soi-disant sorti de la religion.

Dans bien des enceintes intellectuelles, l'interjection « c'est de la théologie ! » suffit à disqualifier un propos, écho à la formule courante « nous n'allons pas rentrer dans un débat théologique ». Les théologiens ne peuvent être que des « talibans » fanatiques ou des idiots inutiles. Malheur aux philosophes, historiens, sociologues, mais aussi militants ou enseignants, qui oseraient s'intéresser de quelque façon que ce soit à la moindre idée « théologique ».

 L’ennui, c’est que, comme le montrait Walter Benjamin par une image saisissante, cette théologie honnie et honteuse se trouve être le nain bossu caché sous le théâtre qui fait encore tourner les principaux rouages de nos pensées, de nos idéologies, de nos histoires : et plus ce nain a été refoulé, plus on lui a laissé paresseusement le travail !

Nos sociétés ont été victimes d' avoir transformé en mythes trois de ses grands espérances de dépérissement : du capital, de l'Etat, de la religion. Le mythe du dépérissement du capital nous a trop longtemps interdit de penser sérieusement la mise en place de régulations spécifiquement économiques, de contre-pouvoirs sans lesquels la force économique devient barbare. Le mythe du dépérissement de l'État, sous lequel se sont abrités des régimes d'autant plus totalitaires qu'on les pensait provisoires, nous empêche toujours de penser la rationalité propre du politique comme ses maux spécifiques.

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