Les réalités de la société française aujourd’hui exigent une approche plus pragmatique et plus souple, avec moins de diktats idéologiques et moins d’anxiété face à la pluralité. La France n’est plus ce qu’elle était et il est temps qu’elle se fasse à cette idée.
Que Mohamed Lahouaiej Bouhlel, qui a tué plus de 80 personnes à Nice le 14 juillet, ait agi au service de Daech ou qu’il soit un déséquilibré qui s’est approprié les symboles djihadistes du groupe, la même question essentielle se pose : Pourquoi autant d’attentats d’une telle envergure ont-ils lieu en France plutôt que dans d’autres pays d’Europe?
La Belgique a aussi été frappée récemment, mais moins souvent. En Angleterre et en Espagne, il n’y a pas eu d’attentats faisant plus de dix morts depuis plus d’une décennie. En Allemagne, il n’y a pas eu d’attentat de grande envergure du tout.
La défaillance des services de sécurité et de renseignements français ne saurait être l’explication principale de cette différence puisque que partout en Europe ces services souffrent de problèmes de communication. La réponse est autre : En matière de djihadisme aussi il existe une exception française.
La spécificité de la France tient en partie de la puissance idéologique de l’idée que la nation se fait d’elle-même depuis la Révolution française, avec son républicanisme revendicateur et sa suspicion affichée envers toute religion, à commencer historiquement par le Catholicisme. Ce modèle a été malmené depuis, d’abord par la décolonisation et plus tard par des années de crise économique, la stigmatisation de particularismes culturels, l’individualisme forcené des nouvelles générations et la globalisation, qui a réduit les marges de manoeuvre de l’Etat.
Avant tout, la France n’arrive pas à résoudre le problème de l’exclusion économique et sociale. Son modèle, trop protecteur de ceux qui détiennent un emploi et pas assez ouvert à ceux qui n’en ont pas, nourrit le mal-être des uns et des autres. Les jeunes des banlieues, exclus et avec peu de perspectives, se sentent victimisés. Ils deviennent vite les cibles privilégiées de la propagande djihadiste, souvent après avoir fait un passage en prison pour divers délits.
Ni l’Allemagne ni l’Angleterre ne connaissent le phénomène des banlieues à une telle échelle. La ville allemande de Dinslaken, partiellement ghettoïsée, est devenue un foyer de radicalisation Islamiste. Il en est de même pour Dewsbury dans le West Yorkshire, ou encore la commune de Molenbeek à Bruxelles. Mais la France semble aliéner un nombre plus important encore de ses ressortissants, et bien au-delà de ceux qui rallient Daech.
Une des raisons est que le projet de citoyenneté de la nation française, qui insiste lourdement sur une adhésion à des valeurs politiques exaltées, a très mal résisté à l’usure. Dès les années 1980, l’idéal républicain était en difficulté : Il avait promis l’égalité des chances et celle-ci faisait défaut. Le Parti communiste français, qui a longtemps apporté dignité aux groupes défavorisés en leur proposant de résister à l’injustice par la lutte des classes, s’est grandement affaibli à cette époque-là, en partie du fait de l’effondrement de l’Union soviétique.
La Belgique a aussi été frappée récemment, mais moins souvent. En Angleterre et en Espagne, il n’y a pas eu d’attentats faisant plus de dix morts depuis plus d’une décennie. En Allemagne, il n’y a pas eu d’attentat de grande envergure du tout.
La défaillance des services de sécurité et de renseignements français ne saurait être l’explication principale de cette différence puisque que partout en Europe ces services souffrent de problèmes de communication. La réponse est autre : En matière de djihadisme aussi il existe une exception française.
La spécificité de la France tient en partie de la puissance idéologique de l’idée que la nation se fait d’elle-même depuis la Révolution française, avec son républicanisme revendicateur et sa suspicion affichée envers toute religion, à commencer historiquement par le Catholicisme. Ce modèle a été malmené depuis, d’abord par la décolonisation et plus tard par des années de crise économique, la stigmatisation de particularismes culturels, l’individualisme forcené des nouvelles générations et la globalisation, qui a réduit les marges de manoeuvre de l’Etat.
Avant tout, la France n’arrive pas à résoudre le problème de l’exclusion économique et sociale. Son modèle, trop protecteur de ceux qui détiennent un emploi et pas assez ouvert à ceux qui n’en ont pas, nourrit le mal-être des uns et des autres. Les jeunes des banlieues, exclus et avec peu de perspectives, se sentent victimisés. Ils deviennent vite les cibles privilégiées de la propagande djihadiste, souvent après avoir fait un passage en prison pour divers délits.
Ni l’Allemagne ni l’Angleterre ne connaissent le phénomène des banlieues à une telle échelle. La ville allemande de Dinslaken, partiellement ghettoïsée, est devenue un foyer de radicalisation Islamiste. Il en est de même pour Dewsbury dans le West Yorkshire, ou encore la commune de Molenbeek à Bruxelles. Mais la France semble aliéner un nombre plus important encore de ses ressortissants, et bien au-delà de ceux qui rallient Daech.
Une des raisons est que le projet de citoyenneté de la nation française, qui insiste lourdement sur une adhésion à des valeurs politiques exaltées, a très mal résisté à l’usure. Dès les années 1980, l’idéal républicain était en difficulté : Il avait promis l’égalité des chances et celle-ci faisait défaut. Le Parti communiste français, qui a longtemps apporté dignité aux groupes défavorisés en leur proposant de résister à l’injustice par la lutte des classes, s’est grandement affaibli à cette époque-là, en partie du fait de l’effondrement de l’Union soviétique.
Farhad Khosrokhavar
L’Allemagne, quant à elle, a opté après la Seconde guerre mondiale pour un idéal nettement plus modeste et plus prudent : le progrès économique. Aujourd’hui, elle a une politique étrangère assez réservée à l’égard du monde musulman, et elle n’affiche pas la volonté de rassembler tous ses citoyens autour de principes universalistes. L’Angleterre non plus ne cherche pas à créer une société mono-culturelle. Elle a opté pour le multiculturalisme, qui tolère la coexistence d’identités à trait d’union et les conduites dites particularistes.
La France, résolument universaliste, prétend toujours vouloir et pouvoir intégrer tous les français. Mais cette ambition assimilationniste est de plus en plus en porte-à-faux avec la réalité quotidienne, et ce décalage grandissant angoisse tout le monde.
C’est donc la force, le poids, de l’identité nationale de la France qui pose problème aujourd’hui. Elle accentue en particulier le malaise des jeunes provenant d’ailleurs, surtout d’Afrique du Nord, d’autant plus que la région a été décolonisée dans la douleur et l’humiliation. Le départ de la France d’Algérie a fait des centaines de milliers de morts et laissé des séquelles qui sont encore présentes dans l’inconscient collectif. Les décolonisations anglaises peuvent paraître presque indolores en comparaison.
Certes, les Anglais, ainsi que les Allemands, émettent eux aussi des craintes face à l’immigration et à l’islam. C’était l’un des motifs essentiels du Brexit ; des actes de harcèlement sexuel apparemment commis par des immigrés à Cologne en début d’année ont provoqué un houleux débat en Allemagne (et au-delà). Mais en Angleterre comme en Allemagne une large autonomie est laissée à la pratique religieuse et communautaire de minorités issues d’ailleurs et à leur expression dans l’espace public.
La France, elle, exige qu’au nom de l’idéal républicain la religion reste une affaire strictement privée. Nation idéologique par excellence, elle se focalise sur des sujets symboliques, limitant par exemple le port du foulard ou les prières collectives en public. Ces restrictions blessent par-delà leur réalité, ce qui permet aux islamistes d’en exagérer les enjeux plus encore et de s’en prévaloir pour accuser la France d’islamophobie. En réalité, la France n’est pas plus islamophobe que ses voisins ; elle est juste plus frontale dans sa gestion de l’islam dans la sphère publique.
L’intégration à la française a eu certains succès. Parmi eux, notamment, un taux élevé de mariages mixtes. L’école républicaine, qui a permis de promouvoir les classes populaires, et donc une partie importante des jeunes d’origine nord-africaine, a aussi été un outil d’intégration (même si elle semble moins efficace dernièrement). Les enfants d’immigrés, rencontrant parfois des préjugés sur un marché de l’emploi longtemps sclérosé par le chômage, ont pu trouver refuge dans les institutions publiques comme l’armée et la police, où l’embauche se fait par concours anonymes.
Mais si la France a intégré beaucoup d’étrangers et leurs descendants, ceux qu’elle a laissés en marge sont plus aigris que leurs congénères allemands ou anglais : Nombreux d’entre eux se sentent offensés dans leur identité arabe ou musulmane. La laïcité, si inflexible, semble dénier leur dignité. A cela s’ajoute une politique étrangère française musclée qui semble privilégier pour cibles des pays musulmans comme la Libye, la Syrie ou le Mali.
Le système d’intégration français est généreux dans ses principes mais trop rigide dans sa pratique. Les réalités de la société française aujourd’hui exigent une approche plus pragmatique et plus souple, avec moins de diktats idéologiques et moins d’anxiété face à la pluralité. La France n’est plus ce qu’elle était et il est temps qu’elle se fasse à cette idée.
La France, résolument universaliste, prétend toujours vouloir et pouvoir intégrer tous les français. Mais cette ambition assimilationniste est de plus en plus en porte-à-faux avec la réalité quotidienne, et ce décalage grandissant angoisse tout le monde.
C’est donc la force, le poids, de l’identité nationale de la France qui pose problème aujourd’hui. Elle accentue en particulier le malaise des jeunes provenant d’ailleurs, surtout d’Afrique du Nord, d’autant plus que la région a été décolonisée dans la douleur et l’humiliation. Le départ de la France d’Algérie a fait des centaines de milliers de morts et laissé des séquelles qui sont encore présentes dans l’inconscient collectif. Les décolonisations anglaises peuvent paraître presque indolores en comparaison.
Certes, les Anglais, ainsi que les Allemands, émettent eux aussi des craintes face à l’immigration et à l’islam. C’était l’un des motifs essentiels du Brexit ; des actes de harcèlement sexuel apparemment commis par des immigrés à Cologne en début d’année ont provoqué un houleux débat en Allemagne (et au-delà). Mais en Angleterre comme en Allemagne une large autonomie est laissée à la pratique religieuse et communautaire de minorités issues d’ailleurs et à leur expression dans l’espace public.
La France, elle, exige qu’au nom de l’idéal républicain la religion reste une affaire strictement privée. Nation idéologique par excellence, elle se focalise sur des sujets symboliques, limitant par exemple le port du foulard ou les prières collectives en public. Ces restrictions blessent par-delà leur réalité, ce qui permet aux islamistes d’en exagérer les enjeux plus encore et de s’en prévaloir pour accuser la France d’islamophobie. En réalité, la France n’est pas plus islamophobe que ses voisins ; elle est juste plus frontale dans sa gestion de l’islam dans la sphère publique.
L’intégration à la française a eu certains succès. Parmi eux, notamment, un taux élevé de mariages mixtes. L’école républicaine, qui a permis de promouvoir les classes populaires, et donc une partie importante des jeunes d’origine nord-africaine, a aussi été un outil d’intégration (même si elle semble moins efficace dernièrement). Les enfants d’immigrés, rencontrant parfois des préjugés sur un marché de l’emploi longtemps sclérosé par le chômage, ont pu trouver refuge dans les institutions publiques comme l’armée et la police, où l’embauche se fait par concours anonymes.
Mais si la France a intégré beaucoup d’étrangers et leurs descendants, ceux qu’elle a laissés en marge sont plus aigris que leurs congénères allemands ou anglais : Nombreux d’entre eux se sentent offensés dans leur identité arabe ou musulmane. La laïcité, si inflexible, semble dénier leur dignité. A cela s’ajoute une politique étrangère française musclée qui semble privilégier pour cibles des pays musulmans comme la Libye, la Syrie ou le Mali.
Le système d’intégration français est généreux dans ses principes mais trop rigide dans sa pratique. Les réalités de la société française aujourd’hui exigent une approche plus pragmatique et plus souple, avec moins de diktats idéologiques et moins d’anxiété face à la pluralité. La France n’est plus ce qu’elle était et il est temps qu’elle se fasse à cette idée.
Source : The New York Times.