[...] il estime que « la prétention fondamentaliste ne peut qu'échouer dans l'histoire, suspendue entre une origine indisponible et un présent qui ne sera jamais adéquat ».
Par Christian Lochon
Broché : 224 pages
Editeur : Karthala (4 mai 2016)
Collection : Disputatio
Langue : Français
ISBN-10 : 2811115978
Notre époque assiste à une montée des fondamentalismes religieux. Dans des milieux en crise d’identité profonde, ce type de conviction peut sécuriser en donnant des repères considérés comme sûrs, immuables, véridiques. Depuis les attentats du 11 septembre 2001 et la proclamation de l’État islamique d’Irak et du Levant, la nébuleuse fondamentaliste islamique, dans sa forme djihadiste, inquiète par sa capacité croissante à attirer des musulmans et à recruter des non-musulmans fraîchement convertis, jusqu’en Europe.
Or l’extrémisme d’inspiration musulmane, perçu à travers une actualité dramatique, ne se réduit pas à des conjonctures sociales et internationales. Il s’inscrit dans un fondamentalisme religieux particulier ou, plus exactement, dans un faisceau d’idéologies politico-religieuses qui, depuis plus d’un siècle, ont circulé dans les sociétés du monde musulman, surtout dans sa partie arabe, en réponse à une série de crises internes et externes. Malgré sa pertinence, l’analyse sociopolitique n’est donc pas en mesure, à elle seule, de rendre compte de la dérive fondamentaliste. La nature religieuse du phénomène ne peut être éludée. Elle implique une prise en compte des logiques inhérentes à la réflexion théologique. C’est ce que les spécialistes de l’islam réunis autour de Michel Younès ont entrepris d’expliquer. Ils vont au-delà d’une représentation superficielle de ce courant de pensée et des mobilisations qu’il inspire. Ils nous aident à comprendre plus profondément un phénomène religieux et politique devenu crucial en ce début du xxie siècle.
Michel Younès, professeur de théologie et d’islamologie à l’Université catholique de Lyon, dirige le Centre d’études des cultures et des religions (CECR). Ont contribué à cet ouvrage : Samir Amghar, Maurice Borrmans, Malek Chaieb, Bénédicte du Chaffaut, Philippe Dockwiller, Ali Mostfa, Emmanuel Pisani, Haoues Seniguer, Bertrand Souchard et Michel Younès.
Or l’extrémisme d’inspiration musulmane, perçu à travers une actualité dramatique, ne se réduit pas à des conjonctures sociales et internationales. Il s’inscrit dans un fondamentalisme religieux particulier ou, plus exactement, dans un faisceau d’idéologies politico-religieuses qui, depuis plus d’un siècle, ont circulé dans les sociétés du monde musulman, surtout dans sa partie arabe, en réponse à une série de crises internes et externes. Malgré sa pertinence, l’analyse sociopolitique n’est donc pas en mesure, à elle seule, de rendre compte de la dérive fondamentaliste. La nature religieuse du phénomène ne peut être éludée. Elle implique une prise en compte des logiques inhérentes à la réflexion théologique. C’est ce que les spécialistes de l’islam réunis autour de Michel Younès ont entrepris d’expliquer. Ils vont au-delà d’une représentation superficielle de ce courant de pensée et des mobilisations qu’il inspire. Ils nous aident à comprendre plus profondément un phénomène religieux et politique devenu crucial en ce début du xxie siècle.
Michel Younès, professeur de théologie et d’islamologie à l’Université catholique de Lyon, dirige le Centre d’études des cultures et des religions (CECR). Ont contribué à cet ouvrage : Samir Amghar, Maurice Borrmans, Malek Chaieb, Bénédicte du Chaffaut, Philippe Dockwiller, Ali Mostfa, Emmanuel Pisani, Haoues Seniguer, Bertrand Souchard et Michel Younès.
Recension
Dix contributeurs universitaires lyonnais ont participé à cet ouvrage dont le professeur Ghaleb Bencheikh, dans sa préface, présente le but dans cette formule saisissante : « L'islamologie moderne et appliquée se doit de sauver la tradition islamique du suicide de la pensée » (p. 8). C'est pourquoi poursuit-il, « Plus qu'un aggiornamento, c'est à une refondation de la pensée théologique islamique qu'il faut en appeler ». Les « chantiers » concernent le pluralisme, la laïcité, la désintrication de la politique d'avec la religion, l'égalité foncière et ontologique, la liberté d'expression et de croyance, la désacralisation de la violence, la démocratie et l'état de droit (p. 9).
Michel Younès, professeur de théologie et d'islamologie à l'Université catholique de Lyon, et dont nous avions dans ces colonnes recensé le précédent ouvrage qu'il avait dirigé, La Vocation des chrétiens d'Orient (Karthala 2015), répartit les contributions en trois parties, d'abord les courants et idéologies fondamentalistes puis trois indicateurs fondamentalistes concernant « l'autre », « la femme » et un discours étatique officiel, enfin un décryptage philosophique, théologique, islamologique. Étudiant plus loin le hanbalisme donné comme « lecture littéraliste d'un Coran incréé », il montre comment les fondamentalistes « regardent idéologiquement un passé dans la volonté de conformer le contexte actuel aux récits reçus de la tradition » (p. 61). Il rappelle le mouvement mutazilite pour lequel le Coran, certes d'origine divine, est nécessairement créé puisque Mohamed opère une lecture prophétique du Coran, donc créé (p. 65) ; de son côté, Mohamed Arkoun décrit les trois niveaux du Coran : une Parole inaccessible, laquelle est prononcée par le prophète puis mise par écrit.
Samir Amghar, docteur en sociologie, examine les divers aspects du salafisme qui peut être quiétiste comme le mouvement Tabligh, politique comme en Grande-Bretagne et en Belgique, révolutionnaire en encourageant le jihad. L’État islamique, aujourd'hui, est une utopie pour maintenir la tension libératrice de l'énergie combattante (p. 33).
Haoues Seniguer, professeur à Sciences Po Lyon, auteur courageux d'un Petit Précis d'islamisme (l'Harmattan 2013) dont nous avions dit beaucoup de bien dans ces mêmes colonnes, est très critique du salafisme « reconstruction fantasmée et idéologique d'un passé religieux qui n'a pas existé » (p. 35) ; il fustige le « théologien belge » (sic) Al Albani qui utilise versets coraniques et hadiths comme « arguments d'autorité » (p. 45), parle de ce « discours clivant, exclusiviste, sectaire, fondé sur des apories et des paralogismes » (p. 47) de ces néo salafistes refusant tout accommodement avec le sécularisme (p. 52).
Le Père Blanc, Maurice Bormans, qui dirigea le PISAI, Institut pontifical d’études arabes et islamiques de Rome, étudie la naissance en période de crise de l'orthodoxie musulmane la plus radicale après l'expulsion des derniers croisés et les destructions des Mongols marquant la fin de l'Empire abbasside. Ibn Taymiyya (1263 Harran - 1328 Damas) réformiste intransigeant constamment emprisonné à Damas (il mourra en prison) ou au Caire, auteur de fatwas contre les chrétiens, les alaouites, les chiites. Ses écrits, notamment Le Livre de la Politique conforme à la Charia, inspireront un prédicateur hanbalite du Nadj, Mohamed Ibn Abdelwahhab (1703-1791) qui se liera à l'émir local de Dir'iyya Ibn Saoud dans une alliance du prêche et du sabre qui deviendra le mouvement wahhabite devenu redoutable après l'exploitation des ressources pétrolifères au milieu du XXe siècle (p. 84).
Bénédicte du Chaffaut, sociologue et théologienne, examine le contenu du Recueil de fatwas concernant les femmes (4e édition en 2011) d'Ibn Baz qui développe une méfiance totale de la mixité sociale (p. 103) en s'appuyant sur le verset coranique XXXIII 33 « Restez dans vos foyers et ne vous exhibez pas à la manière des femmes de la jahiliya » (p. 103). Le texte traduit la crainte de l'Occident, promoteur de la liberté féminine et traite les non musulmanes de « mécréantes ».
Malek Chaïeb, qui enseigne l'islam à l'Université catholique d'Angers, analyse les livres de Hani Ramadan, le frère de Tariq, directeur du Centre islamique de Genève, qui promeut les idées conservatrices de son grand-père Hassan Al Banna, fondateur égyptien des Frères musulmans ; les « Gens du Livre » (chrétiens et Juifs) ne seront sauvés de l'enfer que s'ils s'islamisent, aurait dit un hadith ; Hani Ramadan manipule de même les textes bibliques (p. 125).
Ali Mostfa, maître de conférences à l'Université catholique de Lyon, présente l'islam au Maroc ; le rôle d’Émir des croyants du monarque inscrit dans l'article 41 de la Constitution de 2011, l'attachement des Marocains au soufisme maraboutique (d'ailleurs la visite des tombeaux des Saints redevient autorisée avec Hassan II), l'obligation d’enseigner l'islam à l'école, contribuent à associer l'identité du Maroc à la sacralisation de l'islam (p. 151).
Bertrand Souchard, enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lyon, décrit les caractéristiques du fondamentalisme, attitude religieuse, religion sans la médiation d'une culture, rejet de l'autre, conception apocalyptique, réaction à la modernité (p. 159). Le sondage de Pew Research de 2007 évalue à 300.000 les Français musulmans prêts à justifier la violence terroriste (p. 179).
Le Père dominicain Emmanuel Pisani, islamologue, confirme la responsabilité d'Ibn Taymiyya dans les mouvements fondamentalistes islamistes contemporains. Le projet du salafisme djihadiste est de distinguer pour désunir (p. 206) ; ainsi Daech fait l'apologie du contraste identitaire ; le fondamentalisme islamique s'érige contre toute culture non musulmane.
Il appartenait au père dominicain Philippe Dockwiller, enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lyon, d'opérer la synthèse philosophique et théologique de ces contributions particulièrement riches. Après être revenu sur leur contenu, il estime que « la prétention fondamentaliste ne peut qu'échouer dans l'histoire, suspendue entre une origine indisponible et un présent qui ne sera jamais adéquat » (p. 190).
Michel Younès, professeur de théologie et d'islamologie à l'Université catholique de Lyon, et dont nous avions dans ces colonnes recensé le précédent ouvrage qu'il avait dirigé, La Vocation des chrétiens d'Orient (Karthala 2015), répartit les contributions en trois parties, d'abord les courants et idéologies fondamentalistes puis trois indicateurs fondamentalistes concernant « l'autre », « la femme » et un discours étatique officiel, enfin un décryptage philosophique, théologique, islamologique. Étudiant plus loin le hanbalisme donné comme « lecture littéraliste d'un Coran incréé », il montre comment les fondamentalistes « regardent idéologiquement un passé dans la volonté de conformer le contexte actuel aux récits reçus de la tradition » (p. 61). Il rappelle le mouvement mutazilite pour lequel le Coran, certes d'origine divine, est nécessairement créé puisque Mohamed opère une lecture prophétique du Coran, donc créé (p. 65) ; de son côté, Mohamed Arkoun décrit les trois niveaux du Coran : une Parole inaccessible, laquelle est prononcée par le prophète puis mise par écrit.
Samir Amghar, docteur en sociologie, examine les divers aspects du salafisme qui peut être quiétiste comme le mouvement Tabligh, politique comme en Grande-Bretagne et en Belgique, révolutionnaire en encourageant le jihad. L’État islamique, aujourd'hui, est une utopie pour maintenir la tension libératrice de l'énergie combattante (p. 33).
Haoues Seniguer, professeur à Sciences Po Lyon, auteur courageux d'un Petit Précis d'islamisme (l'Harmattan 2013) dont nous avions dit beaucoup de bien dans ces mêmes colonnes, est très critique du salafisme « reconstruction fantasmée et idéologique d'un passé religieux qui n'a pas existé » (p. 35) ; il fustige le « théologien belge » (sic) Al Albani qui utilise versets coraniques et hadiths comme « arguments d'autorité » (p. 45), parle de ce « discours clivant, exclusiviste, sectaire, fondé sur des apories et des paralogismes » (p. 47) de ces néo salafistes refusant tout accommodement avec le sécularisme (p. 52).
Le Père Blanc, Maurice Bormans, qui dirigea le PISAI, Institut pontifical d’études arabes et islamiques de Rome, étudie la naissance en période de crise de l'orthodoxie musulmane la plus radicale après l'expulsion des derniers croisés et les destructions des Mongols marquant la fin de l'Empire abbasside. Ibn Taymiyya (1263 Harran - 1328 Damas) réformiste intransigeant constamment emprisonné à Damas (il mourra en prison) ou au Caire, auteur de fatwas contre les chrétiens, les alaouites, les chiites. Ses écrits, notamment Le Livre de la Politique conforme à la Charia, inspireront un prédicateur hanbalite du Nadj, Mohamed Ibn Abdelwahhab (1703-1791) qui se liera à l'émir local de Dir'iyya Ibn Saoud dans une alliance du prêche et du sabre qui deviendra le mouvement wahhabite devenu redoutable après l'exploitation des ressources pétrolifères au milieu du XXe siècle (p. 84).
Bénédicte du Chaffaut, sociologue et théologienne, examine le contenu du Recueil de fatwas concernant les femmes (4e édition en 2011) d'Ibn Baz qui développe une méfiance totale de la mixité sociale (p. 103) en s'appuyant sur le verset coranique XXXIII 33 « Restez dans vos foyers et ne vous exhibez pas à la manière des femmes de la jahiliya » (p. 103). Le texte traduit la crainte de l'Occident, promoteur de la liberté féminine et traite les non musulmanes de « mécréantes ».
Malek Chaïeb, qui enseigne l'islam à l'Université catholique d'Angers, analyse les livres de Hani Ramadan, le frère de Tariq, directeur du Centre islamique de Genève, qui promeut les idées conservatrices de son grand-père Hassan Al Banna, fondateur égyptien des Frères musulmans ; les « Gens du Livre » (chrétiens et Juifs) ne seront sauvés de l'enfer que s'ils s'islamisent, aurait dit un hadith ; Hani Ramadan manipule de même les textes bibliques (p. 125).
Ali Mostfa, maître de conférences à l'Université catholique de Lyon, présente l'islam au Maroc ; le rôle d’Émir des croyants du monarque inscrit dans l'article 41 de la Constitution de 2011, l'attachement des Marocains au soufisme maraboutique (d'ailleurs la visite des tombeaux des Saints redevient autorisée avec Hassan II), l'obligation d’enseigner l'islam à l'école, contribuent à associer l'identité du Maroc à la sacralisation de l'islam (p. 151).
Bertrand Souchard, enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lyon, décrit les caractéristiques du fondamentalisme, attitude religieuse, religion sans la médiation d'une culture, rejet de l'autre, conception apocalyptique, réaction à la modernité (p. 159). Le sondage de Pew Research de 2007 évalue à 300.000 les Français musulmans prêts à justifier la violence terroriste (p. 179).
Le Père dominicain Emmanuel Pisani, islamologue, confirme la responsabilité d'Ibn Taymiyya dans les mouvements fondamentalistes islamistes contemporains. Le projet du salafisme djihadiste est de distinguer pour désunir (p. 206) ; ainsi Daech fait l'apologie du contraste identitaire ; le fondamentalisme islamique s'érige contre toute culture non musulmane.
Il appartenait au père dominicain Philippe Dockwiller, enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lyon, d'opérer la synthèse philosophique et théologique de ces contributions particulièrement riches. Après être revenu sur leur contenu, il estime que « la prétention fondamentaliste ne peut qu'échouer dans l'histoire, suspendue entre une origine indisponible et un présent qui ne sera jamais adéquat » (p. 190).