A l'occasion de l'Aïd al-Adha qui marque la fin du pèlerinage, et de la publication par Mounia Chekhab-Abudaya de l'ouvrage intitulé "Mémoires du Hajj" aux éditions les " Cahiers de l'Islam ", nous invitons nos lecteurs à prendre place au sein de la caravane des pèlerins, sur les routes d'Arabie, en direction de la Mecque.
Le lecteur intéressé pourra prolonger sa lecture avec l'entretien que nous avons réalisé avec l'auteure sur le thème de l'art Islamique.
Nota : Afin de faciliter la portabilité sur différents types d'ordinateurs, la translittération proposée dans cet article a été simplifié par rapport à celle utilisée dans l’ouvrage.
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Nota : Afin de faciliter la portabilité sur différents types d'ordinateurs, la translittération proposée dans cet article a été simplifié par rapport à celle utilisée dans l’ouvrage.
Les routes menant au hajj ont été développées par les Abbassides qui accordaient une attention particulière à la construction de citernes et de forts le long de la route vers La Mecque. Le premier calife abbasside, al-Saffāh (r. 749-754 EC), avait déjà pris des dispositions en posant tout au long de la route des « jalons » (amyāl) comme points de repère pour les pèlerins ; le point de départ du voyage était la ville de Kufa et, plus tard, Bassorah. De nombreux historiens et voyageurs de l'époque abbasside, comme al-Mas‘ūdī (m. 956 EC) et Ya'qūbī (m. 897-898 EC), ont décrit cette route célèbre. Elle le fut sans doute en raison de l'implication du calife Hārūn al-Rašīd (r. 786-809 EC) et de son épouse Zubayda, qui ont tous deux accompli ce voyage à plusieurs reprises et ont grandement amélioré les conditions de voyage pour les pèlerins. Ils mirent en effet en place de nombreuses stations où les pèlerins pouvaient se reposer et trouver un abri en route, ce qui explique le changement de nom de la route en Darb Zubayda (« chemin de Zubayda »).
L'insécurité des routes a été le facteur le plus problématique pour les pèlerins en raison des raids bédouins, et ce jusqu'à la période ottomane. Parmi ces tribus bédouines, les plus importantes étaient les Hilāl, les Sulaym, les Hafādja et les Qarmates (un groupe šī‘ite ismaélien contestataire du califat fatimide basé au Bahreïn), connus pour avoir attaqué des stations sur la route du pèlerinage puis La Mecque en 930 EC [1] .
Le mahmal (pl. mahāmil) correspond au palanquin cérémoniel richement décoré qui accompagnait l'envoi de la kiswa (ensemble des textiles couvrant la Ka‘ba) et d'autres présents à La Mecque et Médine. Dans la tradition pré-islamique, le palanquin servait à transporter les femmes bédouines nobles, comme dans la célèbre histoire du poète préislamique ‘Antara b. Šaddād (VIe siècle). Ce dernier, auteur de l'une des Odes suspendues (Mu‘allaqāt), tomba amoureux de 'Abla dès qu’il l’aperçut à travers le voile de son palanquin et la célébra dans sa poésie. Depuis le XIIIe siècle, le mahmal a été utilisé pour accompagner la caravane des pèlerins à La Mecque et a donné lieu à de grandes processions dans les villes de départ, au départ et au retour de la caravane. Tant à l'époque médiévale qu’à l’époque moderne, la route principale menant du Caire à La Mecque traverse Suez, le Sinaï, Aqaba et rejoint la côte du Hedjaz par la mer (voir fig.1 et fig.2).
Alors que les sources historiques citent le sultan mamelouk Baybars (1260-1277 EC) comme celui qui aurait envoyé un maḥmal vers La Mecque pour la première fois en 664 H (1 266 EC), l’origine de son envoi est souvent liée à la figure mythique de Šadjar al-Durr, qui était à la fois la dernière princesse ayyoubide et la première mamelouk. Elle aurait également envoyé la première sitara (textile couvrant la porte de la Ka‘ba). Le mahmal est considéré comme le symbole de l'autorité du sultan Baybars sur La Mecque et Médine ; il a été organisé pour remplacer et représenter symboliquement le sultan sur la route du pèlerinage. Même si les califes abbassides et les sultans ayyoubides et mamelouks par la suite avaient l'habitude d'aller à La Mecque pour accomplir le hajj et de financer la caravane, Baybars ne s’est jamais rendu à La Mecque en 664 H (1266 EC), car il était déjà occupé avec la reconquête des territoires croisés en Syrie et en Palestine [2].
Fig.2 Mahmal en partance pour La Mecque s. d. (début du XXe siècle ?), Impression en demi-tons, 20 cm x 28.5 cm. IMM.PH.PH.3442. © QMAMedia Collections Department, Doha.
Le plus ancien mahmal préservé du Caire date de l'époque du sultan mamelouk al-Qanṣūh Ġawrī (r. 1501 -1516), qui a été défait et tué par l'empereur ottoman Selim Ier. Préservé à Istanbul, ce mahmal est de couleur jaune (couleur officielle des Mamelouks), tandis que les mahāmil ottomans du Caire étaient généralement rouges et ceux de Damas étaient verts.
La route de la Syrie est, quant à elle, beaucoup mieux documentée que l’irakienne, car Damas était sans aucun doute un centre plus important et cosmopolite, rassemblant des communautés venant des différentes régions du Dār al-Islām. Les dossiers administratifs des périodes mamelouke et ottomane, ainsi que des descriptions des voyageurs arabes et européens de cette période, nous aident à comprendre plus précisément l'organisation de la caravane syrienne. Pour citer quelques exemples célèbres, Ibn Battūta a pris la route de Damas en 1326 EC et Ludovico de Varthema le 8 avril 1503. Malgré l’intervalle de plusieurs siècles qui sépare leurs expériences, l'insécurité des routes est un point phare de leurs descriptions : ils présentent tous deux le passage de Sawan comme l'un des plus dangereux sur la route de La Mecque depuis Damas en raison des raids bédouins. Evliya Çelebi est aussi une source précieuse au XVIIe siècle, car il décrit en détail le hajj syrien de 1672.
Au cours de la période ottomane, la Sublime Porte a consacré une partie des revenus des provinces de la Syrie et de l'Égypte au financement de la caravane, qui quittait Damas au cours du mois de šawwāl (dixième mois du calendrier lunaire musulman, soit deux mois avant le hajj) pour rentrer au cours du mois de Safar (deuxième mois du calendrier lunaire musulman, deux mois après le hajj). Le baktefetardar, trésorier du sultan, préparait un budget pour la caravane longtemps à l'avance. L'Amīr al-hajj (généralement le gouverneur de Damas) dirigeait la procession en tête de cortège avec les dignitaires et diplomates venus d'Istanbul et organisait la route. Des moyens considérables étaient déployés pour assurer la sécurité des pèlerins, notamment grâce à des accords financiers avec les Bédouins et à l'établissement d'une escorte militaire, les cipayes ou « spahis ». Comme les Abbassides, les Ottomans ont amélioré le chemin de pèlerinage en ajoutant des stations à intervalles réguliers du voyage, par exemple à Madā’in Sāliḥ en 1779-1780 [2] (fig.3).
La route de la Syrie est, quant à elle, beaucoup mieux documentée que l’irakienne, car Damas était sans aucun doute un centre plus important et cosmopolite, rassemblant des communautés venant des différentes régions du Dār al-Islām. Les dossiers administratifs des périodes mamelouke et ottomane, ainsi que des descriptions des voyageurs arabes et européens de cette période, nous aident à comprendre plus précisément l'organisation de la caravane syrienne. Pour citer quelques exemples célèbres, Ibn Battūta a pris la route de Damas en 1326 EC et Ludovico de Varthema le 8 avril 1503. Malgré l’intervalle de plusieurs siècles qui sépare leurs expériences, l'insécurité des routes est un point phare de leurs descriptions : ils présentent tous deux le passage de Sawan comme l'un des plus dangereux sur la route de La Mecque depuis Damas en raison des raids bédouins. Evliya Çelebi est aussi une source précieuse au XVIIe siècle, car il décrit en détail le hajj syrien de 1672.
Au cours de la période ottomane, la Sublime Porte a consacré une partie des revenus des provinces de la Syrie et de l'Égypte au financement de la caravane, qui quittait Damas au cours du mois de šawwāl (dixième mois du calendrier lunaire musulman, soit deux mois avant le hajj) pour rentrer au cours du mois de Safar (deuxième mois du calendrier lunaire musulman, deux mois après le hajj). Le baktefetardar, trésorier du sultan, préparait un budget pour la caravane longtemps à l'avance. L'Amīr al-hajj (généralement le gouverneur de Damas) dirigeait la procession en tête de cortège avec les dignitaires et diplomates venus d'Istanbul et organisait la route. Des moyens considérables étaient déployés pour assurer la sécurité des pèlerins, notamment grâce à des accords financiers avec les Bédouins et à l'établissement d'une escorte militaire, les cipayes ou « spahis ». Comme les Abbassides, les Ottomans ont amélioré le chemin de pèlerinage en ajoutant des stations à intervalles réguliers du voyage, par exemple à Madā’in Sāliḥ en 1779-1780 [2] (fig.3).
Fig.3. Mahmal, Damas, XIXe siècle, Fils métalliques brodés sur soie, 390 x 1 65 x 1 30 cm. © Collection de Son Excellence Sheikh Faisal bin Qassim Al Thani.
La signification politique du mahmal (sürre en turc ottoman) a été clairement comprise par les sultans ottomans qui ont organisé un départ symbolique du mahmal d'Istanbul avec une procession majeure ; en parallèle, les Rasulides du Yémen, Mustafā Pasha en particulier, ont envoyé un mahmal rival à partir de 967 H (1559 EC), date à laquelle trois mahāmil étaient envoyés chaque année sous leurs bannières impériales respectives. Le premier mahmal envoyé par les Ottomans date du 8 šawwāl 923 H (24 octobre 1517 EC) à la demande du sultan Selim Ier qui le fait envoyer d’Égypte. Ce n’est qu’au XVIIe siècle que le mahmal est envoyé à la fois du Caire et de Damas (ils sont respectivement consacrés à Fātima et ‘Ā’iša) (fig.4). À l'arrivée à La Mecque, les trois mahāmil stationnaient au pied du mont 'Arafat. C'est pourquoi ils sont le plus souvent représentés au pied de cette montagne dans les manuscrits illustrant les lieux sacrés de pèlerinage (comme le Futūh al-Haramayn) ou encore sur certains carreaux de céramique architecturaux d’Iznik [4] (fig. 5).
Fig.4. Mont 'Arafat, Muhyi’l-Dīn Lārī, Kitāb Futūh al-Haramayn (« La Révélation des Deux Sanctuaires »), Inde du Nord, Daté du 5 Ravab 1123 H (19 Août 1711 ), Encre, aquarelles opaques et or sur papier, 28 x 1 9.4 cm. Museum of Islamic Art, Doha, MS.594.2007. © Museum of Islamic Art, Doha.
La caravane a été souvent décrite comme une véritable « ville mobile », réunissant des milliers de pèlerins riches et pauvres, esclaves, soldats, guides bédouins, suivant le mahmal et les nombreux cadeaux envoyés à La Mecque et à Médine, le tout sous l'autorité de L'Amīr al-hajj. Le pèlerinage pouvait être très coûteux à cette époque, selon le type de chameaux utilisés et si un muqawwim était engagé par un pèlerin : il s’agissait d’une sorte d'agent de voyage avec lequel un contrat était signé et qui se chargeait de tous les arrangements de voyage, y compris fournir des animaux et des domestiques. Les archives ottomanes et les descriptions des voyageurs indiquent par exemple qu’au XVIIIe siècle, le voyage coûtait environ 200 piastres par pèlerin, l'équivalent du prix d'une maison à Damas à la même période. Selon les documents fiscaux turcs, le nombre de voyageurs à La Mecque à cette époque variait chaque année entre 70 000 et 1 00 000 personnes [5]. À partir de 1914, la guerre a mis un terme à l’expédition du mahmal syrien, tandis que l’égyptien continuait d’être envoyé jusqu'à la prise finale des lieux saints par les Sa‘ūd en 1926 [6]. La kiswa a cependant été de nouveau envoyée sans le mahmal de l'Égypte entre 1937 et 1962 jusqu’à la création de la Dār al-Kiswa à La Mecque, qui marqua la fin de sa confection au Caire.
Fig.5. Tawfiq Tareq, Caravane sacrée s. d. (début du XXe siècle). Gouache sur papier, 34.6 cm x 57 cm. Mathaf, Arab Museum ofModern Art, Doha. 2007.1 .401 . © Mathaf, Arab Museum of Modern Art.
Né à Damas, Tawfiq Tareq (1875-1940) s’inscrit dans le courant avant-gardiste arabe moderne. Dans la continuité d’une renaissance sociale et intellectuelle dans la région, orchestrée par les pionniers de ce qu’on nomme communément la nahda, Tareq fait partie de ces artistes qui s’illustrent en reprenant les techniques et conceptions européennes de l’art en les adaptant aux thématiques de la vie orientale. Tareq a réalisé beaucoup de portraits, de paysages de ruine, des sujets historiques dans un style réaliste, s’inspirant à la fois de son expérience de la peinture et de l’architecture qu’il a étudiées à Paris mais également de son poste officiel à Damas au Ministère des Awqāf où il supervise les restaurations des minarets syriens. Cette scène du mahmal quittant Damas avec les officiels ottomans est tout à fait remarquable de réalisme. Ibn Battūta avait décrit au XIVe siècle un point de halte en sortant de Damas (Muzayrib) où se réorganisait la caravane après la procession. Ce point est devenu un marché important et il s’agit sans doute de cette place qui est représentée ici.
Le lecteur intéressé pourra prolonger sa lecture avec l'entretien sur le thème de l'art Islamique que nous avons réalisé avec l'auteure.
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[1] BUHL Frederick, JOMIER Jacques, “Mazmal”, Encyclopaedia ofIslam, (2e éd.), vol. 6, Leiden, Brill, 2002, pp. 44-46.
[2] JOMIER, Jacques, Le Mahmal et la caravane égyptienne des pèlerins de La Mecque (XIIIe- XXe siècles), Le Caire, Institut Français d'Archéologie Orientale, 1 953. MAYEUR JAOUEN, Catherine, “Les processions pèlerines en Égypte: pratiques carnavalesques et itinéraires politiques, les inventions successives d’une tradition”, dans CHIFFOLEAU, Sylvia, et MADOEUF, Anna, (dir), Les pèlerinages au Maghreb et au Moyen-Orient. Espaces publics, espaces du public, Beyrouth, IFPO, 2005, pp. 21 7-236.
[3] PETERS, Francis E., The Hajj: The Muslim Pilgrimage, pp. 69-85.
[4] BAYHAN, Nevzat (ed.), Imperial Surre, cat. exp. , exposition Musée du Palais de Topkapı du 16 avril au 25 mai 2008, trad. en anglais de Zeynep Güder, Istanbul, Korpus Publishing House, 2008, pp. 7-1 5 et 29-42.
[5] PETERS, Francis E., The Hajj: The Muslim Pilgrimage, pp. 1 45-1 61
[6] Les Wahhabites avaient déjà attaqué la caravane du mahmal en 1 807 puis de nouveau en 1 926.