Samedi 19 Novembre 2016

Le radicalisme islamiste, objet d’une guerre d’universitaires


La controverse dure depuis des mois: des universitaires s’affrontent sur les ressorts du radicalisme islamiste, une joute attisée par la violence du débat public dans une France où les attaques jihadistes ont fait 238 morts en moins de deux ans.



Le politologue Gilles Kepel à l'Institut d'études politiques de Paris, le 24 janvier 2012 Photo JOEL SAGET. AFP

Par AFP — 18 novembre 2016 à 17:30
Le radicalisme islamiste, objet d’une guerre d’universitaires

La controverse dure depuis des mois: des universitaires s’affrontent sur les ressorts du radicalisme islamiste, une joute attisée par la violence du débat public dans une France où les attaques jihadistes ont fait 238 morts en moins de deux ans.

Une guerre des trois. Trois politologues se répondant par médias ou livres interposés: Gilles Kepel, professeur à Sciences Po et à l’Ecole normale supérieure (ENS); Olivier Roy, enseignant à l’Institut universitaire européen de Florence (Italie); François Burgat, directeur de recherches au CNRS, basé à Aix-en-Provence.

Le duel le plus médiatisé oppose Gilles Kepel, qui évoque une «radicalisation de l’islam», à Olivier Roy qui voit une «islamisation de la radicalité».

Selon Gilles Kepel, qui a l’oreille du Premier ministre Manuel Valls, le salafisme, ce fondamentalisme sunnite de rupture, est «l’arrière-plan culturel» d’un jihadisme se nourrissant de causes religieuses et sociales. Pour Olivier Roy, le basculement jihadiste «n’est pas la conséquence mécanique de la radicalisation religieuse» mais une révolte ayant des ressorts nihilistes et mortifères, analysés à nouveau dans un récent livre, «Le djihad et la mort» (Seuil).

François Burgat, plus proche d’Olivier Roy que de Gilles Kepel, est tenté de les renvoyer dos à dos. «Face à une première thèse, celle de Kepel, qui consiste à dire +ce sont des fous de Dieu+ et à une deuxième, celle de Roy, selon laquelle il s’agit de +fous tout court+, j’en veux une troisième», explique-t-il à l’AFP.

On ne peut «ignorer l’impact des vieux rapports de domination Nord/Sud sur le comportement des acteurs concernés» et faire comme si la radicalisation n’avait «aucune relation avec le conflit israélo-arabe», soutient le chercheur dans «Comprendre l’islam politique» (La Découverte).

Problème, s’agace-t-il: «La superficie médiatique accordée à la thèse de Gilles Kepel est dix fois supérieure à celle des points de vue qui la contredisent». Au risque, selon François Burgat, de ne pas apporter de solution adaptée aux enjeux.

- 'Champ de ruines' -

Lors d’un débat mercredi soir avec le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve dans un amphithéâtre de la rue d’Ulm, siège de l’ENS, Gilles Kepel s’en est pris une nouvelle fois au Comité contre l’islamophobie en France (CCIF) et à la mouvance «islamogauchiste», qu’il accuse de «faire porter la charge de culpabilité sur la société française +islamophobe+». Ce faisant, écrit-il dans son dernier ouvrage, «La Fracture» (Gallimard), on dépossède «la France de son statut de victime pour en faire le bourreau».

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