Une des critiques marquantes dans l’autobiographie de Muḥammad ‘Abduh (1849-1905), un des initiateurs de la pensée réformiste musulmane, porte sur les méthodes de l’enseignement traditionnel religieux, en particulier à al-Azhar. Au moins deux points cristallisent les critiques de ce théologien égyptien : (1) un enseignement privilégiant l’apprentissage par cœur à la compréhension historique des idées et des doctrines ; (2) l’aspect hermétique de cet enseignement aux méthodes nouvelles et à l’évolution des savoirs humains. Ici se pose clairement, chez ‘Abduh, la question du rapport de l’Islam au savoir et à son évolution. Question fondamentale à cette fin du XIXe siècle, comme en témoignent ces mots de Jamāl al-Dīn al-Afghānī (1838-1897), figure incontournable de cette pensée réformiste et qui fut longtemps le compagnon de route de ‘Abduh :
Pour ces deux figures de la pensée islamique moderne, il y avait urgence à repenser le rapport au savoir et à sa transmission en Islam. Dans le sillage de ces idées critiques, des penseurs musulmans ne cessent de questionner ce rapport. Du pakistanais Muḥammad Iqbāl (1877-1905), qui proposa de faire de l’ijtihād le principe du mouvement en Islam ; à l’égyptienne ‘Ā’isha ‘Abd al-Raḥmān (1913-1998), qui, dans son ouvrage al-Shakhṣiyya al-islāmiyya (La personnalité musulmane), fustigea le conservatisme (al-muḥāfaẓa) et appela au renouveau (al-tadīd) de la pensée religieuse ; en passant par l’iranien Abdelkarim Soroush (né 1945), qui invite encore de nos jours à distinguer clairement entre le texte fondateur de l’Islam, i.e. le Coran, et les interprétations historiques et contextualisées de celui-ci.
« N’est-il pas surprenant de voir que nos savants […] se vantent d’être des ‘‘sages’’ alors qu’ils ne sont que des incapables, impuissants à distinguer la droite de la gauche ? N’est-il pas surprenant que ces messieurs ne se posent jamais les questions suivantes : ‘‘qui sommes-nous ?’’, ‘‘que faut-il ?’’ et ‘‘qu’est-ce qui nous convient ?’’. L’électricité, les bateaux à vapeur et les chemins de fer dans les gares les laissent indifférents. […] Ils veillent, accroupis devant une lampe à pétrole, durant toute la nuit, pour étudier […] mais il ne leur vient pas à l’esprit de se demander une seule fois : ‘‘pourquoi cette lampe fume-t-elle lorsqu’elle est couverte ?’’ Malheur à un tel sage ; malheur à une telle sagesse ».
Pour ces deux figures de la pensée islamique moderne, il y avait urgence à repenser le rapport au savoir et à sa transmission en Islam. Dans le sillage de ces idées critiques, des penseurs musulmans ne cessent de questionner ce rapport. Du pakistanais Muḥammad Iqbāl (1877-1905), qui proposa de faire de l’ijtihād le principe du mouvement en Islam ; à l’égyptienne ‘Ā’isha ‘Abd al-Raḥmān (1913-1998), qui, dans son ouvrage al-Shakhṣiyya al-islāmiyya (La personnalité musulmane), fustigea le conservatisme (al-muḥāfaẓa) et appela au renouveau (al-tadīd) de la pensée religieuse ; en passant par l’iranien Abdelkarim Soroush (né 1945), qui invite encore de nos jours à distinguer clairement entre le texte fondateur de l’Islam, i.e. le Coran, et les interprétations historiques et contextualisées de celui-ci.
Programme
Mardi 11 juin (10h-12h45)
Interroger les impensés 10h00-11h15
Olfa Youssef fera une introduction générale sur la problématique de relire le Coran à la lumière des savoirs modernes. Elle répondra ensuite aux questions suivantes : Que vous inspirent ces mots du Tunisien Mohamed Talbi (m. 2017) : « Lire, interpréter et méditer le Coran avec l’éclairage des sciences dont on dispose ici et maintenant est une tradition permanente au sein de l’Islam, une tradition qui a toujours eu ses partisans et ses adversaires, une tradition qui, aussi, a toujours oscillé entre la mesure et la démesure ». Selon l’Égyptienne ‘Ā’isha ‘Abd al-Raḥmān (m. 1998) : « La doctrine de l’islam ne reconnait pour aucun humain, y compris les meilleurs des envoyés, qu’il a cerné toute chose par [sa] science. Cela est réservé exclusivement à Dieu », qu’en est-il dans les faits : n’y a-t-il pas des monopoles (notamment sur le savoir religieux) qui s’exercent à l’intérieur de l’Islam et au nom de l’islam ? S’interrogeant sur le rapport à l’héritage des premières générations de l’Islam, le Tunisien Abdelmajid Charfi soulève cette question : « Le musulman a-t-il le droit de passer outre les dogmes et les interprétations produits par les générations précédentes dans un contexte historique et culturel qui n’a plus grand rapport avec le contexte actuel ? ». Face au poids de ce patrimoine (turāth) intellectuel, comment refonder ou renouveler une épistémologie musulmane à la lumière des défis contemporains ?
***
Approche théologique et normative 11h30-12h45
Tareq Oubrou fera une introduction générale sur : quelle place la théologie musulmane accorde-t-elle au savoir et à son évolution (une nécessité ?) ? Il répondra ensuite aux questions suivantes : Qu’en est-il dans le droit musulman ? L’élévation du fiqh en science suprême dans l’histoire islamique n’est-elle pas à l’origine de la marginalisation d’autres champs de la connaissance humaine chez les érudits ? L’orientaliste italien Giorgio Levi della Vida (m. 1967) parlait d’une « scission malheureuse entre la science religieuse et la science mondaine » en Islam, qu’en est-il réellement ? Tareq Oubrou sera invité à commenter ce verset et ce hadith Si tout est dans le Coran, pourquoi se mettre en quête du savoir ?
Tareq Oubrou fera une introduction générale sur : quelle place la théologie musulmane accorde-t-elle au savoir et à son évolution (une nécessité ?) ? Il répondra ensuite aux questions suivantes : Qu’en est-il dans le droit musulman ? L’élévation du fiqh en science suprême dans l’histoire islamique n’est-elle pas à l’origine de la marginalisation d’autres champs de la connaissance humaine chez les érudits ? L’orientaliste italien Giorgio Levi della Vida (m. 1967) parlait d’une « scission malheureuse entre la science religieuse et la science mondaine » en Islam, qu’en est-il réellement ? Tareq Oubrou sera invité à commenter ce verset et ce hadith Si tout est dans le Coran, pourquoi se mettre en quête du savoir ?
« Nous avons fait descendre le Livre sur toi, comme un éclaircissement de toute chose » (Coran 16, 89).
Le rapport au temps (au savoir ?) et à l’histoire : régression et délabrement ? « Les meilleurs de ma communauté sont ceux de mon siècle. Au-dessous d’eux seront ceux du siècle suivant, et, au-dessous de ces derniers, ceux du siècle qui viendra ensuite » (hadith, al-Bukhārī).
N’y a-t-il pas, en islam, une vision négative du savoir et de son évolution dans le temps ?
N’y a-t-il pas, en islam, une vision négative du savoir et de son évolution dans le temps ?
***
Mardi 11 juin après-midi (14h00-17h00)
Comment renouveler le savoir islamique ? 14h00-15h15 Abdennour Bidar fera une introduction générale sur la philosophie de la réforme et celle du mouvement en Islam. Il répondra ensuite aux questions suivantes : « Nous ne devons pas avoir honte d’admirer la vérité et de l’accueillir d’où qu’elle vienne, même si elle nous vient de générations antérieures et de peuples étrangers, car il n’y a rien de plus important pour celui qui cherche la vérité, et la vérité n’est jamais vile ; elle ne diminue jamais qui la dit ni qui la reçoit. Personne n’est avili par la vérité ; au contraire, on est ennobli par elle » (al-Kindī, mort en 873). Que pensez-vous des controverses en contexte islamique sur la nécessaire ouverture aux sciences humaines et sociales dans les formations religieuses ? La condamnation (parfois indistincte) de toute innovation (bid‘a) dans des sources musulmanes n’est-elle pas un frein au renouvellement du savoir ? Comment comprenez-vous cette parole attribuée au prophète de l’islam : « Toute innovation est égarement » (kull bid‘a ḍalāla) ? Un commentaire sur ces mots de M. Iqbāl : « « Ne t’emprisonne pas dans les chaînes de la destinée ; il y a toujours une voie sous les cieux. Si tu en doutes, alors lève-toi et vois que dès que tu te mets en route, un monde entier s’ouvre devant toi ».
***
L’ijtihād au féminin 15h30-16h45 Kahina Bahloul fera une introduction générale sur la participation des femmes à la vie intellectuelle au sein de l’Islam, hier et aujourd’hui. Elle répondra ensuite aux questions suivantes : Que pensez-vous de ces mots de ‘Ā’isha ‘Abd al-Raḥmān : « On ne peut dire d’aucun savoir humain qu’il est définitif et qu’il n’y aurait rien de nouveau à y examiner et à découvrir ». Où en est la question de l’ijtihād en Islam depuis ces lignes écrites par M. ‘Abduh : « Ma voix s’éleva pour […] libérer la pensée des jougs de l’imitation (taqlīd), à comprendre la religion comme la comprenaient les premiers musulmans, avant que les dissensions (khilāf) n’eussent surgi entre eux ; à remonter à ses sources premières […] » ? Selon al-Shāṭibī (m. 1388) les cinq finalités de la Révélation sont la préservation : de la religion, de la vie, de l’intellect (‘aql), de la progéniture et enfin des biens. Quelle est la place du savoir dans ces finalités ? Préserver l’intellect/la raison est-ce promouvoir le savoir (pluriel) ?
A retrouver également sur le site de l'Inalco