Lundi 26 Aout 2013

Les femmes et le radicalisme religieux en Indonésie

par Inayah Rohmaniyah*,



Yogyakarta (Indonésie) – Cela peut sembler surprenant mais la question des femmes est devenue la grande priorité politique et théologique de l’Indonesian Mujahideen Council (MMI). Le MMI est un groupe islamiste radical chapeautant différentes organisations. Il est connu pour ses liens avec Al-Qaïda et l’organisation militante Jemaah Islamiyah, qui opère en Asie du Sud-Est et qui est à l’origine d’une série d’attentats qui a débuté en 1999, visant les Américains et leurs alliés, en Indonésie, à Singapour et aux Philippines.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, il existe au sein de tous ces groupes une grande différence entre la façon dont les hommes perçoivent le rôle des femmes et la façon dont celles-ci le conçoivent.

Le MMI considère que le rôle essentiel des femmes est de transmettre les traditions et qu’il est de leur responsabilité de préserver et de transmettre les croyances communes aux générations futures. Les hommes du MMI veulent que les femmes restent à la maison, loin du regard des autres. Or les femmes du MMI semblent par moments avoir plus de points communs avec leurs homologues progressistes qui travaillent pour des organisations indonésiennes de défense des droits de la femme. Cela dit, l’opinion des membres féminins du MMI est apparemment tolérée par les hommes du groupe, bien que très différente de ce qu’ils préconisent officiellement.

En effet, les hommes qui tiennent les rênes du MMI n’approuvent pas que les femmes aient une activité en dehors de la sphère familiale. Muhammad Thalib, chef adjoint de la cellule des « Décideurs de la moralité », qui décide de la politique générale de l’organisation, a même écrit que les femmes qui travaillent provoquent le désordre social. Selon lui, les femmes actives contribuent au chômage des hommes, parce que ceux-ci se retrouvent en position de concurrence avec elles sur le marché de l’emploi. Il argue que cette privation économique émascule les hommes, ce qui favorise un grand nombre de crimes sociaux contre les femmes.

Étonnamment, il existe au sein de la structure du MMI, une division spéciale pour les femmes, appelée An-Nisa. Les femmes qui en sont membres ne voient pas leur rôle dans la société de la même manière que les hommes qui dirigent l’organisation. Les femmes membres du MMI essaient de trouver un équilibre délicat entre leur appartenance au mouvement, leurs responsabilités au sein de leur foyer et leur place dans la société, contestant ainsi le discours des hommes et leur conception du rôle des femmes dans la vie publique.

C’est d’ailleurs pour cela que les efforts des femmes pour repenser et remodeler les orientations culturelles et théologiques sont extrêmement importants, spécialement celles qui concernent les enseignements religieux portant sur les relations entre les sexes.

Selon certaines femmes membres d’An-Nisa qui publient des articles sur leur site Internet, les principes islamiques reconnaissent l’"égalité" entre hommes et femmes. L’une d’entre elles affirme qu’en tant que co-représentantes de Dieu, les femmes doivent travailler main dans la main avec les hommes, et que la construction d’une société musulmane exige une participation paritaire.

Les membres d’An-Nisa ont également officialisé un accord concernant les membres féminins du MMI. Cet accord, qui prend le contre-pied des déclarations de Muhammad Thalib sur les femmes, préconise que celles-ci aient les mêmes responsabilités que les hommes dans l’arène politique et les incite à être actives au sein des partis. D’ailleurs, les membres d’An-Nisa pensent que c’est une obligation religieuse pour les femmes que de s’engager politiquement.

Les membres d’An-Nisa sont relativement valorisées: tout en acceptant leur rôle au foyer et le fait que ce sont les hommes qui dirigent, elles se définissent comme les représentantes de Dieu. Elles éprouvent l'obligation de devoir s’engager dans la vie publique et de travailler aux côtés des hommes pour contribuer à faire progresser la société.

Cette dissonance entre la direction entièrement masculine du MMI et les femmes d’An-Nisa montre qu’il y a une ouverture au niveau des efforts menés pour permettre à ces femmes de dialoguer avec leurs homologues des mouvements plus radicaux sur les questions de société, les droits de la femme et leur participation égale à la vie publique.

Publication en partenariat avec CGnews .

*Inayah Rohmaniyah est professeur titulaire à la Faculté de Théologie islamique et de Philosophie de l’Université islamique Sunan Kalijaga de Yogyakarta, en Indonésie. Elle prépare également une thèse de doctorat à l’Indonesian Consortium for Religious Studies (ICRS) de Yogyakarta.



Dans la même rubrique :