Dimanche 10 Aout 2014

Les musulmans et le pouvoir en Afrique noire


Par Jacques BINET,



Les musulmans et le pouvoir en Afrique noire Christian Coulon Karthala, Paris, 1983, 172 pages
Christian Coulon, Les musulmans et le pouvoir en Afrique noire, Karthala, Paris, 1983, 172 pages. Référence de la première publication de ce compte-renduBinet Jacques. Coulon (Christian) : Les musulmans et le pouvoir en Afrique noire. Religion et contre-culture. In: Revue française d'histoire d'outre-mer, tome 72, n°266, 1er trimestre 1985. pp. 98-99.

 L'auteur est chercheur au C.N.R.S. et co-directeur du C.E.A.N. de Bordeaux. Il n'étudie pas ici l'islam, mais les musulmans. Il se trouve donc justifié de ne pas aborder l'aspect philosophique ou théologique de son sujet et de n'en retenir que la « pratique ». Cependant, lorsqu'il s'agit d'une religion où le sacré et le laïc, le juridique et le religieux sont si intimement mêlés, l'absence de référence à une pensée théologique, appuyée sur le Coran, semble gênante. L'auteur évoque, par exemple, la traduction en ouolof du Coran par l'Institut islamique de Dakar. Les milieux pieux ont-ils accepté ce qui, il y a peu de temps, aurait été jugé comme une impiété ? Quelles sont les réactions à propos du droit successoral, du droit matrilinéaire, ou du mariage devant les législations nouvelles ? Les principes de laïcité sont-ils acceptés dans les milieux de ferveur traditionnelle du Mali ou du Niger ? En fait, C. Coulon consacre l'essentiel de son travail au Sénégal où l'islam est profondément marqué par la prééminence des grands marabouts. L'ouvrage est divisé en 3 parties. « La politique musulmane ; l'islam, recours contre l'État » comprend deux chapitres : « Soufisme et démocratie africaine. 

La révolution africaine aux XVIIIe et XIXe siècles » et « L'islam comme culture politique populaire dans l'Afrique d'aujourd'hui » La seconde partie est consacrée à l'école : le ch. 3 traite de « l'enseignement islamique et de la société : tradition et renouveau », le ch. 4 « les les marabouts et l'État au Sénégal » Enfin une 3e partie « La connection » traite de l'umma et de l'état. On insiste souvent sur l'intégration du monde musulman, où tous les pouvoirs doivent être éclairés par la religion. Notre auteur distingue au contraire le monde politique des États, la société religieuse traditionnelle liée aux groupes maraboutiques, et une société moderne animée par un réformisme musulman. Pour lui, les confréries sont un soufisme, qui fournit aux croyants un refuge mystique hors du monde. Mesurer les connaissances et les pratiques serait préalablement nécessaire. En effet, l'observateur étranger a parfois l'impression que ces organisations maraboutiques assurent l'encadrement de foules peu éclairées, alors que d'ordinaire le soufisme, comme toute recherche mystique, s'édifie sur une vie et une connaissance religieuses déjà intenses. Cela n'est pas sans conséquences. En effet, une proportion de fidèles éclairés et exigeants s'écarte des confréries ou du moins de certaines d'entre elles. C. Coulon se heurte à une difficulté évidente : au XVIIIe et XIXe siècles, l'islam ouest africain anime conquêtes et fondations de royaumes, cependant qu'il présente les comme des censeurs du Prince. « Ces mouvements dit-il, sont la défense de la vieille société africaine « contre » la tyrannie et l'absolutisme ». Il y a certes, dans ethnies, une tradition « démocratique ». Mais elle se rencontre dans des sociétés sans État. Plutôt que de démocratie, on parle à son propos d'anarchie familiale. Face à ces coutumes, l'existence des rois de caractère sacré est bien établie dans d'autres cultures de type « néo-soudanais » pour reprendre la terminologie de Baumann. Les rois de droit divin ont été décrits depuis le pays mossi jusqu'à Ifé, depuis les Bamiléké jusqu'au Tchad. Même s'il n'y a aucune trace de telles conceptions au Sénégal, peut-on supposer les marabouts à l'abri de toute volonté de puissance ? Les citations d'El Hadj Omar n'empêchent pas l'auteur de reconnaître que « le soufisme est néanmoins actif et vise à la constitution d'une nouvelle communauté ». En face de la classe politique, l'Islam joue un rôle décisif dans la « société civile » : il est l'âme de nombreuses associations, il assure la chaleur et l'intégration, ses utopies nourrissent toute une eschatologie populaire, avec le djihad, le Mahdi, ou le refus du monde. L'école coranique joue probablement un grand rôle dans la transmission des croyances et des valeurs musulmanes. 

Aussi eut -il été intéressant de connaître le niveau de des diverses écoles islamiques. L'ouvrage de R. Santerre, Pédagogie musulmane... Cameroun invitait en 1973, à une grande méfiance. Notre auteur ne donne pas ici d'indications sur le niveau des études, sur le des écoles, des maîtres, des élèves, sur les résultats au certificat d'études ou examens semblables. Sa distinction entre le mouvement wahhabite du Mali de 1950, lié à des milieux de commerçants modestes, et l'islam éclairé de la fédération des associations islamiques est suggestive, mais le lecteur souhaiterait des précisions. Peut-être serait -il utile de chercher la proportion des musulmans parmi les grands corps des États depuis l'indépendance jusqu'en 1984 ? Les gouvernements militaires comprennent -ils une proportion accrue de musulmans ? Est-ce un reflet d'une évolution des temps ou des milieux sociaux concernés ? L'auteur souligne en conclusion la puissance affective de la communauté musulmane. Les gouvernements ont une politique face à l'islam ou à l'arabisme. La masse des croyants est-elle sensible à une propagande islamique venue du Maghreb ou du Machrek, et dépassant les frontières des états-nations ? Là encore des précisions chiffrées seraient bien venues : volumes et affectations des investissements, importance des échanges orientation des « associations islamiques » ou développement de sectes ou nouvelles. L'exemple du Sénégal est certes intéressant, mais d'autres pays études.



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