Dimanche 25 Aout 2013

Mettre tout sur le dos de l’islamophobie est une solution médiocre face aux manifestations au Royaume-Uni


Par Emre Kazim*, doctorant en philosophie



L'islamophobie n'est pas un phénomène médiatique mais un fléau qu'il faut combattre. Mais comment lutter, de manière efficace, contre ce fléau ? A cette question, l’auteur du présent article pense que c’est aux musulmans d’œuvrer en premier lieu, dans leur vie quotidienne, à restaurer l’image de l’islam et à refuser tout discours de victimisation.
Pour aller plus loin, consultez nos articles sur l'Islamophobie .



Londres – Le meurtre du soldat britannique, Lee Rigby, à Woolwich, dans le sud-est de Londres, par des extrémistes a provoqué une vague de violence et de manifestations contre la communauté musulmane au Royaume-Uni. Selon l’organisation Faith Matters, qui se bat contre la haine de l’islam : depuis l’assassinat de Lee Rigby, il y a eu 212 incidents à l’encontre des musulmans, dans l’ensemble du pays, dont 11 attaques contre des mosquées.

Les médias nationaux et internationaux expliquent que ces attaques sont nourries par l’islamophobie. D’ailleurs, de nombreux musulmans s’érigent en victimes et dénoncent cette nouvelle vague de violence contre leur communauté qui représente à leurs yeux une recrudescence de la xénophobie latente. Je voudrais proposer une autre manière de réagir et dépasser ce stade car mettre tout sur le dos de l’islamophobie ne mène à rien et en plus, si je puis me permettre, c’est une attitude qui va à l’encontre des enseignements de l’islam.

Crier au scandale et à l’islamophobie est une tactique négative : on proteste contre quelque chose sans apporter de solution au problème. En partant du principe qu’on a à priori le droit de critiquer l’islam, la meilleure façon de faire taire ses détracteurs est de prouver le contraire de ce qu’ils affirment, en montrant une autre vérité. Riposter, en les taxant d’islamophobes, ne constitue pas une défense très convaincante.

Le seul choix face aux critiques, c’est de faire un effort intellectuel pour changer l’image de l’islam, par tous les moyens adéquats dont nous disposons, et montrer le vrai visage de notre religion et ses fidèles, en informant les Britanniques – et les Occidentaux de manière général.

Faire des amalgames de ce que les gens ressentent, en les critiquant ou les taxant de « racistes » ou de « fascistes » fait naître de la rancœur. C’est aussi une forme de défense très primaire – qui consiste à dire qu’on défend l’indéfendable.

Cela ne sert à rien non plus de dire que ce sont les médias qui encouragent l’islamophobie. En tant que musulmans, nous devons prendre nos responsabilités et contrôler notre image et l’information qui circule à propos de notre religion dans les sphères d’influence sur lesquelles nous pouvons personnellement avoir un impact. Ecrire des rapports et compiler ce qui se dit dans les médias est important, mais ce serait encore mieux de dépenser notre énergie à véhiculer des messages positifs. En réponse aux manifestations, on aurait pu par exemple parler de l’initiative de ces fidèles d’une mosquée de York, qui distribuaient de la nourriture autour d’un petit événement sportif.

Par principe, il faut éviter d’étouffer les débats et les discussions. Qu’on le veuille ou non, dans notre monde moderne, rien n’est à l’abri d’une critique grossière - ou intelligente. Il est impossible de bloquer ou de stopper ce phénomène, et d’ailleurs, ce ne serait pas une bonne chose de le faire.

Certains commentateurs disent que la nature du débat sur l’islam est telle, qu’il est impossible d’éviter la désinformation et les déformations. Pour ma part, je dis qu’il est vain de se battre contre cette tendance.

Nous devrions réécrire ce que disent des médias, qui se focalisent sur le côté sensationnel des événements et sur les termes opaques telle que « la radicalisation » et offrir une approche plus nuancée.

Si l’on continue de parler d’islamophobie, il y aura forcément un phénomène de victimisation, qui engendre l’isolation et l’inaction. La victimisation est peut-être la conséquence la plus grave de l’islamophobie. Les musulmans doivent résister et ne pas se poser en victimes, s’ils veulent avoir une chance d’améliorer la perception de l’islam et leur condition au sein de la société. Ce n’est pas grâce à la compassion des autres que nous allons nous épanouir mais en gagnant leur respect, par nos actions et notre force.

Nous devons nous servir de nos ressources – matérielles, intellectuelles et spirituelles – avec diligence. Si nous souhaitons réussir dans les communautés où nous vivons, le recours à la carte de l’islamophobie (comme c’est le cas en ce moment) nous rapportera peu par rapport à nos ressources.

Tout imputer à l’islamophobie pourrait nous nuire, sans parler du fait que ce n’est pas une façon de faire conforme aux enseignements du Prophète, qui pour moi sont les meilleurs principes à suivre. Au cours de l’histoire, il y a toujours eu des discours qu’on appelle islamophobes. La biographie du Prophète et les études orientalistes le montrent.

Aujourd’hui, au lieu de compliquer la situation en faisant de l’islamophobie un outil politique, face à l’avènement de la haine et de la violence contre les musulmans, au Royaume-Uni et en Occident de manière générale, il est temps que la communauté musulmane réagisse positivement, et qu’elle ne se contente pas de s’ériger en victime de l’islamophobie pour se défendre. C’est ainsi que nous regagnerons le contrôle de l’image de notre foi et de notre communauté et que nous serons enfin capables d’exprimer notre volonté et nous assurer un avenir meilleur.


Publication en partenariat avec CGnews .

*Emre Kazim est doctorant en philosophie, au Kings College de Londres. Il est le co-fondateur d’une organisation communautaire locale, à Londres, appelée Olive Tree Education Foundation.



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