Mardi 1 Juin 2021

Mohamed Guenad, « Le Jihad chez Ibn Taymiyya ? »



L’auteur livre ici une lecture historique du parcours du savant hanbalite en se focalisant sur ses fatwas. Ces textes juridiques sont au centre de ce combat et permettent de mieux comprendre l’idéologie d’Ibn Taymiyya...
Hassan Majdi
 
Hassan Majdi est professeur de sociologie à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines (FLSH)de l'Université Ibnou Zohr d'Agadir, Maroc.

Cette note critique est publiée avec l'aimable autorisation de l'auteur. 


 

Broché: 185 pages
Éditeur :
Verone éditions (19 avril 2022)
Langue : Français
ISBN-13:
979-1028420253

Quatrième de couverture

    Utilisé le plus souvent dans une démarche polémique, le «jihad» mérite une analyse rigoureuse.

    Cet essai traite la notion de jihad et de ses multiples usages dans l'histoire islamique. Il met en relief les moments marquants de ses réinterprétations, ainsi que les débats auxquels a donné lieu la notion de jihad, tant au sein des sociétés musulmanes que dans l'historiographie orientaliste et moderne.

    La visée de cette étude n'est donc pas de militer pour un personnage ni à l'inverse d'en faire le procès, mais de comprendre. Ibn Taymiyya reste, comme le soulignait Henri Laoust et Yahia Michot, mal compris car mal lu, notamment en ce qui concerne la question du jihad.

Mohammed Guenad est Docteur en sciences politiques et diplômé de l'Université Paris Nanterre. Ses travaux se focalisent essentiellement sur les mouvements et les idéologies islamistes et jihadistes en Égypte. Il a publié, en 2010, Sayyid Qutb: Itinéraire d'un théoricien de l'islamisme politique aux Éditions L'Harmattan.


 

Note critique

   
Par
Hassan Majdi
 
    Chez Vérone est récemment paru l’ouvrage de Mohamed Guenad sous le titre Le Jihad chez Ibn Taymiyya ? . Il s’agit d’une somme de traduction des fatwas émises par Ibn Taymiyya à l’encontre des mongols. Le livre se compose de 160 pages auxquelles s’ajoutent un lexique bienvenue des mots arabes récurrents dans le manuscrit, une bibliographie aussi dense que documentée et un index des noms, des personnes et des lieux.

    L’ouvrage comporte deux parties inégales : la première d’une soixantaine de pages « Ibn
 Taymiyya et son époque », retrace avec brio les éléments marquants de sa vie (1263-1328), sa filiation intellectuelle, les fondements de sa doctrine et la foultitude de disciples séduits par les thèses et les prises de position du savant. Quant à l’époque, elle fut marquée par des bouleversements consécutifs aux invasions mongoles de la Syrie et des répercussions que les différentes campagnes (1199-1303) ont sur le régime et les sociétés mamluks.

   La seconde partie d’une centaine de pages reproduit en les analysant les fatwas anti-mongoles d’Ibn Taymiyya. Sans verser dans l’anachronisme, l’auteur revient sur la rhétorique djihadiste de l’époque et des idéologies qui animaient le monde musulman du Yémen a l’Andalousie.

   Dans la première partie, Mohamed Guenad fait œuvre de biographe d’Ibn Taymiyya et rapporte sa doctrine, pourvue qu’il en avait une, au désir de restaurer un islam conquérant, une religion de l’ordre se déployant spirituellement et temporellement. On prêtait à cet égard à Ibn Taymiyya la fameuse maxime « « Je préfère soixante ans sous un imam injuste plutôt qu'une seule nuit sans gouvernement ! ».

    Le travail de Mohamed Guenad est utile pour les non-arabisants soucieux de comprendre les ressorts historiques de l’islamisme et du djihadisme contemporains. Parmi les inspirateurs portés au pinacle par l’auteur, politiste de formation, figurent, entre autres, Sayed Qutb dont il a été rendu compte dans l’un des bulletins bibliographiques des ASSR (https://journals.openedition.org/assr/25496). Ce dernier est plus contemporain du second, Ibn Taymiyya, à quelques siècles d’intervalles. C’est dire que l’auteur traque dans une perspective de l’histoire longue les tenants et les aboutissants du radicalisme islamique.

     Pour justifier son choix des figures inspiratrices de l’idéologie religieuse, l’auteur argue que durant les dernières années, certains mouvements les plus radicaux de l’islamisme contemporain, ont été particulièrement sensibles aux écrits d’Ibn Taymiyya et plus spécifiquement encore à ses fatwas contre les mongols. Ils croient trouver dans ces textes les racines de phénomènes de violence politique contemporaine. Et de poser la question : Cela fait-il de lui pour autant le précurseur de l’organisation de l’État islamique ? Du terrorisme ?

     Ce n’est pas la première fois qu’Ibn Taymiyya est accusé - à tort ou à raison - d’être un symbole du Djihadisme et de l’intégrisme. Au 19ème siècle, Mohamed Ibn Abdelwahab, père du wahhabisme, s’inspire largement de sa pensée. Ainsi et à partir des années 1970, ses fatwas sur le Djihad seront citées abondamment par les groupes violents et terroristes dans le monde arabe. Pourtant, dans les faits, Ibn Taymiyya est bien loin de ce qu’on pourrait penser de lui, écrit Mohamed Guenad.

     Pour comprendre son rapport au Djihad, il convient de replacer ses fatwas et ses différents écrits dans leur contexte. Nous sommes encore au temps des Mamluks, vers le 13ème siècle. Devant eux se dresse la menace mongole qui a anéanti le califat de Bagdad en 1258. C’est dans ce contexte que naît Ibn Taymiyya en 1263, à Harran. Face à l’invasion mongole qui menace sa ville natale, sa famille prend la fuite vers Damas. Le Djihad apparaît comme une nécessité, un moyen de se défendre contre les Mongols et leur occupation. Pour les habitants de Damas, Ibn Taymiyya se présente alors comme le porte parole du mouvement de résistance. Vers 1300, le jeune théologien prend les armes et participe à une expédition militaire menée par les autorités mamluks pour sévir contres les chiites de Kasrawan, accusés d’aider les Mongols. Durant la même année, Ibn Taymiyya est également chargé d’exhorter les autres musulmans au Djihad. Il se rend donc au Caire pour demander au sultan mamluk Qalawun d’intervenir en Syrie. Plus tard, le théologien officie sur le champ de bataille pour émettre des fatwas qui dispensent les combattants du jeûne. Les fatwas du Djihad d’Ibn Taymiyya sont donc à placer dans ce contexte historique et militaire. Pour les Mamluks, et face à l’invasion des Mongols, le recours au Djihad paraît comme un acte juste et moral.

     Ibn Taymiyya est l’un des grands théologiens du monde musulman. Personne ne peut contester son apport à la pensée musulmane. Et il ne peut être responsable des interprétations erronées et tronquées que font de ses textes les partisans du wahhabisme ou quelques djihadistes.

     Sa vie est souvent érigée en exemple par les islamistes de par le monde, car elle fournit une similitude avec leur trajectoire. Comme eux, Ibn Taymiyya a été emprisonné et exclu par les autorités, mais il a fini par braver les difficultés sans faillir à ses principes. Passé par la prison plusieurs fois pour ses pensées et ses positions avant-gardistes pour son époque, il a rendu l’âme en 1328 à l’âge de 65 ans dans une prison de Damas.

     L’intérêt des écrits d’Ibn Taymiyya est multiple. A sa situation personnelle (particulière), il faut ajouter l’époque pendant laquelle il vécut. En quoi ce personnage est-il donc si important ?

    L’auteur livre ici une lecture historique du parcours du savant hanbalite en se focalisant sur ses fatwas. Ces textes juridiques sont au centre de ce combat et permettent de mieux comprendre l’idéologie d’Ibn Taymiyya, et ce par rapport aux textes antérieurs émanant d’autres auteurs : al-Sulami (mort 1106), Ibn Hazm (mort 1064), Al-Mawardi (mort 158), et d’autres qui ont influencé Ibn taymiyya.

     Comme tout théologien et juriste, il s’appuie sur des références que personne de la Oumma ne peut contester : Le Coran, la Sunna, Ijma’a [1] et le Qiyâs [2]. Ibn Taymiyya effectue un certain nombre de comparaisons entre les événements mongols et les premiers siècles de l’islam émaillés des premières fitan (conflits entre musulmans).

     Ibn taymiyya est depuis le 18ème siècle un auteur qui ressort de l’ombre dans laquelle il avait été jeté, avec l’école hanbalite dès la fin du 14ème (avec la mort du grand biographe Ibn Raghab 1394). C’est ‘Abd Mohammed Ibn Abd Wahab (1703-1792), fondateur du wahhabisme, qui va s’appuyer sur les doctrines d’Ibn Taymiyya . Depuis, il connait un succès sans cesse croissant, notamment avec le mouvement réformiste au début avec Afghâni (1838-1897) et ensuite Rachid Ridha (1865-1935).

      C’est à l’orientaliste Henri Laoust (1905-1983) que revient la paternité d’une véritable renaissance des études Taymiyenne. Le travail monumental qu’il a engagé a fait découvrir la vie et l’œuvre d’Ibn Taymiyya. L’étude menée par Mohamed Guenad se veut un prolongement de ce travail. Il participe d’une meilleure connaissance de la pensée théologique et politique d’Ibn Taymiyya, et apporte quelques éclairages sur son intervention dans les guerres contre les Mongols de même que sur ses relations avec les pouvoirs local et central. Il n’en demeure pas moins que la question majeure soulevée par Ibn Taymiyya reste, à travers la légitimation du Djihad, celle de la définition des traits du musulman fidèle et sincère, qui ne peut se contenter de la double profession de foi. Poussé par ses propres convictions, Ibn Taymiyya se retrouve plongé au cœur de la propagande mamluk, à laquelle il participe. Sans prendre position, l’auteur éclaire de mille feux la pensée d’Ibn Taymiyya en s’appuyant sur ses écrits et sur les interprétations contemporaine de sa pensée.

      Lire aujourd’hui un livre sur Ibn Taymiyya, écrit par un universitaire, peut réhabiliter l’intérêt des études islamologiques autour des personnages qui continuent de servir de référence dans le monde musulman, mais l’ouvrage ne donne pas à voir avec netteté les filiations nouées avec les salafistes qui puisent à toutes les sources. La notion même du Djhad n’a pas fait l’objet d’une analyse fouillée qui la sortirait des sentiers battus. Nonobstant, le livre est captivant en ce qu’il nous permet de voir de quoi la vie d’antan était faite et comment les idéologies d’aujourd’hui se rivalisent pour un retour aux sources doctrinales un tantinet « surannées ».

Références

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[1] Il s'agit du consensus.
[2] Il s'agit du raisonnement analogique.


 



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