À partir d’une analyse historique et philologique des sources anciennes ou récentes, cet ouvrage montre que le shi’isme est la religion du Maître comme le christianisme est celle du Christ, et Ali le premier Maître ainsi que l’Imam par excellence des Shi’ites. Le shi’isme peut donc être défini, dans ses aspects religieux les plus spécifiques, comme la foi absolue en Ali. Homme divin, lieu de la manifestation la plus parfaite des attributs de Dieu, en même temps refuge, modèle et horizon spirituels.Extrait quatrième de couverture
Cette recension a déjà fait l'objet d'une publication dans la Bulletin critique des Annales islamologiques , 35 | 2021 sous licence Creative Commons (BY NC SA).
Broché: 472 pages
Éditeur : Cnrs (5 novembre 2020)
Langue : Français
ISBN-13: 978-2271124975
Éditeur : Cnrs (5 novembre 2020)
Langue : Français
ISBN-13: 978-2271124975
Quatrième de couverture
Ali, gendre et cousin du prophète Muhammad, est au centre de trois événements historiques majeurs indissociables des débuts de l’islam : le problème de la succession de Muhammad, les conflits et guerres civiles entre Musulmans, et enfin l’élaboration du Coran et du Hadith. C’est à lui que Mohammad Ali Amir-Moezzi consacre une étude, au fait des recherches les plus récentes, et ouverte à ses multiples aspects mystiques.
À partir d’une analyse historique et philologique des sources anciennes ou récentes, cet ouvrage montre que le shi’isme est la religion du Maître comme le christianisme est celle du Christ, et Ali le premier Maître ainsi que l’Imam par excellence des Shi’ites. Le shi’isme peut donc être défini, dans ses aspects religieux les plus spécifiques, comme la foi absolue en Ali. Homme divin, lieu de la manifestation la plus parfaite des attributs de Dieu, en même temps refuge, modèle et horizon spirituels.
Par-delà les prises de position et les polémiques séculaires, Mohammad Ali Amir-Moezzi nous restitue les multiples facettes de ce personnage de l’islam des origines, le seul des Compagnons du Prophète demeuré jusqu’à nos jours l’objet d’une fervente dévotion pour des centaines de millions de fidèles en terre d’islam, notamment en Orient.
À partir d’une analyse historique et philologique des sources anciennes ou récentes, cet ouvrage montre que le shi’isme est la religion du Maître comme le christianisme est celle du Christ, et Ali le premier Maître ainsi que l’Imam par excellence des Shi’ites. Le shi’isme peut donc être défini, dans ses aspects religieux les plus spécifiques, comme la foi absolue en Ali. Homme divin, lieu de la manifestation la plus parfaite des attributs de Dieu, en même temps refuge, modèle et horizon spirituels.
Par-delà les prises de position et les polémiques séculaires, Mohammad Ali Amir-Moezzi nous restitue les multiples facettes de ce personnage de l’islam des origines, le seul des Compagnons du Prophète demeuré jusqu’à nos jours l’objet d’une fervente dévotion pour des centaines de millions de fidèles en terre d’islam, notamment en Orient.
Compte-rendu
Pierre Lory
Nous devons à Mohammad Ali Amir-Moezzi toute une série de recherches pionnières sur l’histoire et les doctrines du chiisme : Le Guide divin dans le chiisme originel (1992, rééd. 2007), La religion discrète (2006, rééd. 2015), Le Coran silencieux et le Coran parlant (2011, rééd. 2020), La Preuve de Dieu (2018), pour ne citer que quelques-unes. Le présent volume y ajoute une nouvelle somme de données recueillies et de réflexions. Il présente un recueil de neuf contributions parues précédemment dans des revues ou dans des volumes spécialisés, mais toutes regroupées autour d’un thème commun : la personne de ʿAlī ibn Abī Ṭālib, ou plutôt la figure de ʿAlī ; car, comme le rappelle d’emblée l’A. dans son introduction (p. 14), tracer un portrait de l’homme que fut ʿAlī est tout à fait hors de la portée de l’historien tant les sources sont contradictoires. L’introduction évoque du reste le paradoxe du rôle étrangement passif et discret attribué à ʿAlī dans les sources qui consacreront la sacralité d’Abū Bakr et de ʿUmar, comme sa non-participation aux conquêtes ; la question sera reprise dans l’Épilogue. Par contre, précise l’A., « faire une histoire des diverses représentations de ʿAlī dans les différents milieux musulmans est envisageable » (p. 16).
Un premier chapitre, « ʿAlī et le Coran », rappelle le rôle attribué à ʿAlī par les auteurs chiites comme principal herméneute du Coran, mais aussi comme thème de nombreux versets dont un nombre important auraient mentionné son nom et celui de sa famille, soit implicitement, soit explicitement. Les passages explicites auraient été censurés par la suite. À travers les citations et les références données se dessinent la nature métaphysique de ʿAlī et son rôle cosmique. Les idées véhiculées ne sont pas neuves, elles ne surgissent pas du néant. La circulation de doctrines voisines dans le Proche-Orient tardo-antique oriente la réflexion de Mohammad Ali Amir-Moezzi vers une vision eschatologique qui est celle du retour du Christ. C’est à ce thème qu’est consacré le second chapitre « Muhammad le Paraclet et ʿAlī le Messie », qui revient sur la dimension eschatologique de la prédication muḥammadienne. L’A. est d’avis que Muḥammad et ses premiers adeptes pensaient la fin du monde tout à fait imminente, dans le cadre d’une vision judéo-chrétienne qui nous est mal connue, et que cela constituait un ressort fondamental du message muḥammadien. Il rappelle à ce sujet la littérature scientifique de ces dernières décennies sur ce thème précis (p. 68-69). Se fondant sur un abondant appareil de références, Mohammad Ali Amir-Moezzi infère que la figure de Sauveur/Messie du message muḥammadien ne serait autre que Jésus (p. 83). Le titre de « Paraclet » désignant Muḥammad dans certaines sources ultérieures aurait signifié qu’il était l’annonciateur de la seconde venue du Christ. Or le Christ revenu ou à revenir serait bien ʿAlī. On ne peut ici que renvoyer à la riche annotation qui étaye cette idée exprimée dans les textes, chiites mais pas exclusivement (p. 90-96). Mohammad Ali Amir-Moezzi suggère que la vision de Muḥammad a pu évoluer. Constatant que la fin du monde tardait, il a pu progressivement en repousser l’horizon, penser à une vie sociale et communautaire dans la durée, et aussi envisager sa propre succession (p. 98-99). C’est toute une réécriture de l’histoire dans le sens d’une « démessianisation » et d’un refoulement de la mention de ʿAlī qui sera entreprise durant l’époque omeyyade. Durant la même période, le chiisme élaborait une doctrine où le rôle de ʿAlī était moins articulé sur la fin du monde. Cette dernière idée que ʿAlī aurait été une figure messianique indépendante et complémentaire de Muḥammad est développée dans un chapitre suivant du volume, consacré à une étude sur l’expression « dīn ‘Alī ». L’expression est spécifiquement référée à ʿAlī et à aucun autre chef de l’époque proto-islamique ; il a pu être question de la sunna des trois premiers califes, mais jamais de leur dīn. Dīn suggère qu’un corps de règles et de croyances fondamentales étaient rapporté à l’autorité de ʿAlī. Le chapitre développe surtout l’importance déterminante des liens de parenté dans l’Arabie de l’époque, qui faisaient de ʿAlī le successeur tout désigné de Muhammad. Cette idée de primauté de ʿAlī, réprimée par les Omeyyades, aurait représenté la forme primitive de ce qui allait devenir le chiisme au sens propre.
Les chapitres suivants sont consacrés à la figure métaphysique de ʿAlī et des Imams dans le chiisme de tendance ésotérique. Il y est question de la correspondance entre ces doctrines et l’idée déjà présente dans le Proche-Orient tardo-antique de l’Homme Parfait. L’Imam comme Homme Parfait est la Face révélée d’une Essence divine radicalement inconnaissable (p. 152-153). Il manifeste aux hommes l’ensemble des Attributs divins. Or ces considérations explicites se retrouvent dans des textes de tradition duodécimaine, non seulement chez des auteurs taxés (de façon trop rapide) d’« exagération ». Or voir dans les Imams un reflet parfait et permanent de la Présence divine revient à les placer à un rang plus élevé encore que celui de continuateurs de la prophétie. ʿAlī et les Imams sont ici le Visage pérenne de Dieu pour les hommes, du moins pour ceux capables de le discerner. Un autre chapitre est consacré à l’exégèse chiite de la Nuit d’al-Qadr (cf. la sourate 97), laquelle discerne dans ce passage coranique une allusion à la descente sur la terre du verbe divin, à savoir ici de l’Imam. On notera aussi l’important développement sur la notion de dissimulation (kitmān, taqiyya). Mohammad Ali Amir-Moezzi souligne que cette attitude ne relève pas seulement d’une précaution devant les persécutions possibles, mais qu’elle obéit à des exigences spirituelles bien définies. La garde du secret est en effet l’une des bases de l’attitude chiite. Ce chapitre insiste sur un aspect de ce secret : le rôle des Imams comme continuateurs de la prophétie. Il récuse l’idée que le sceau de la prophétie désignerait sa clôture, l’idée que la mort de Muhammad marquerait la fin de toute révélation divine aux hommes, et montre comment ce dogme ne fait pas unanimité. Certes, le chiisme duodécimain a accepté officiellement l’idée de cette clôture, mais avec bien des nuances. Et ne peut-il pas s’agir là d’une attitude de taqiyya, précisément, s’interroge l’A. ?
Un chapitre est consacré à la pensée de l’auteur duodécimain Rajab Bursī (fin xive-début xve siècles) et plus précisément à son commentaire de versets du Coran qui auraient visé ʿAlī, intitulé al-Durr al-thamīn. Cet ouvrage fournit en effet des illustrations très parlantes d’une exégèse coranique imamologique duodécimaine d’époque moyenne, dont plusieurs sont ici traduites et commentées. ʿAlī y est présenté comme une figure complètement théophanique, une manifestation de la divinité traversant les âges. Ce chapitre illustre, si besoin était, combien l’ésotérisme est resté présent et vivace dans le chiisme duodécimain au cours des siècles. Enfin, une dernière étude nous présente l’art des « icônes portatives », petits portraits représentant ʿAlī, seul ou accompagné de membres de sa famille, encadré par des poèmes religieux, que l’on peut trouver en Iran et dans les milieux chiites indiens, diffusés à partir du xviiie siècle. L’A. s’interroge sur leur usage comme support de contemplation chez des derviches dhahabīs au xxe siècle. Il interroge plus spécialement, la pratique dévotionnelle appelée vejhe, de « contemplation de la Face divine », à savoir l’Imam lui-même. Cette contemplation a lieu avec les yeux du cœur chez le mystique avancé, mais pour les premières étapes le mystique s’aide de supports matériels.
Notons enfin le dense « Épilogue » (p. 309-323) venant présenter une synthèse ordonnée des principales thèses défendues dans ce volume, et notamment l’idée que des événements du viie siècle ont pu être recouverts par la réécriture de l’histoire de la succession de Muhammad opérée par les Omeyyades d’abord, puis par les Abbassides. Mohammad Ali Amir-Moezzi retrace ici sa vision de ce qui a pu se passer durant cette brève période « proto-islamique » : un mouvement eschatologique et messianique, dépassé par le succès politique et militaire de ses armées, et obligé de se transformer en courant doctrinalement constitué. Pivot de cette transformation, la personne de ʿAlī sera reléguée au second plan dans la vision omeyyade, et hissée à un rang surnaturel dans les doctrines chiites. 6Le volume est enrichi par deux compléments tous deux fort intéressants. Le premier (27 p.), « Connaissance divine et action messianique : la figure de ʿAlī dans les milieux mystiques et messianiques (xie-xvie siècles) », est dû à Orkhan Mir-Kasimov. Il offre un tableau du rôle de légitimation qu’on a fait jouer à ʿAlī au cours des siècles dans les différentes régions du monde islamique en dehors des milieux strictement chiites, depuis la tentative de futuwwa du calife al-Nāṣir, l’imprégnation chiite du soufisme oriental à partir du xiiie siècle, des courants soufis ‘mixtes’ comme la Nūrbakhshiyya, le horoufisme de Faḍl Allāh Astarabādī et de ses successeurs, jusqu’à l’alévisme et au bektashisme. Des suffusions d’idées chiites sont apparues également au Maghreb avec le chérifisme. La figure de ʿAlī apparaît à chaque fois selon un profil spécifique, encadré dans un discours et des rituels très différents, mais qui insiste sur son autorité en matière de sagesse, d’initiation ésotérique, et de légitimation de l’autorité religieuse. Une seconde annexe, de la plume de Mathieu Terrier, « Présence de ʿAlī dans la philosophie islamique » (32 p.), offre une mise au point tout en nuances et en érudition sur les rapports entre chiisme ésotérique, soufisme et philosophie. Elle contient des considérations très référencées sur l’apparition de dits de ʿAlī dans la littérature de sagesse (comme dans le Nahj al-balāgha), mais aussi dans les textes de falsafa proprement dite. Ses dits sont bien sûr mis en valeur chez les philosophes de confession chiite de l’époque ilkhanide et safavide, mais aussi de manière différente et moins attendue chez Ibn Rushd ou encore chez Suhrawardī Shaykh al-ishrāq. Le tout est résumé dans une percutante conclusion (p. 385). 7Ce volume, complété par une abondante bibliographie et un index complet, marque un progrès de plus dans la connaissance et dans la réflexion sur le chiisme bien sûr, mais aussi sur les origines de l’islam. Sa lecture stimulante, vivifiante, ne sera que féconde pour tout lecteur intéressé par ces questions.
Un premier chapitre, « ʿAlī et le Coran », rappelle le rôle attribué à ʿAlī par les auteurs chiites comme principal herméneute du Coran, mais aussi comme thème de nombreux versets dont un nombre important auraient mentionné son nom et celui de sa famille, soit implicitement, soit explicitement. Les passages explicites auraient été censurés par la suite. À travers les citations et les références données se dessinent la nature métaphysique de ʿAlī et son rôle cosmique. Les idées véhiculées ne sont pas neuves, elles ne surgissent pas du néant. La circulation de doctrines voisines dans le Proche-Orient tardo-antique oriente la réflexion de Mohammad Ali Amir-Moezzi vers une vision eschatologique qui est celle du retour du Christ. C’est à ce thème qu’est consacré le second chapitre « Muhammad le Paraclet et ʿAlī le Messie », qui revient sur la dimension eschatologique de la prédication muḥammadienne. L’A. est d’avis que Muḥammad et ses premiers adeptes pensaient la fin du monde tout à fait imminente, dans le cadre d’une vision judéo-chrétienne qui nous est mal connue, et que cela constituait un ressort fondamental du message muḥammadien. Il rappelle à ce sujet la littérature scientifique de ces dernières décennies sur ce thème précis (p. 68-69). Se fondant sur un abondant appareil de références, Mohammad Ali Amir-Moezzi infère que la figure de Sauveur/Messie du message muḥammadien ne serait autre que Jésus (p. 83). Le titre de « Paraclet » désignant Muḥammad dans certaines sources ultérieures aurait signifié qu’il était l’annonciateur de la seconde venue du Christ. Or le Christ revenu ou à revenir serait bien ʿAlī. On ne peut ici que renvoyer à la riche annotation qui étaye cette idée exprimée dans les textes, chiites mais pas exclusivement (p. 90-96). Mohammad Ali Amir-Moezzi suggère que la vision de Muḥammad a pu évoluer. Constatant que la fin du monde tardait, il a pu progressivement en repousser l’horizon, penser à une vie sociale et communautaire dans la durée, et aussi envisager sa propre succession (p. 98-99). C’est toute une réécriture de l’histoire dans le sens d’une « démessianisation » et d’un refoulement de la mention de ʿAlī qui sera entreprise durant l’époque omeyyade. Durant la même période, le chiisme élaborait une doctrine où le rôle de ʿAlī était moins articulé sur la fin du monde. Cette dernière idée que ʿAlī aurait été une figure messianique indépendante et complémentaire de Muḥammad est développée dans un chapitre suivant du volume, consacré à une étude sur l’expression « dīn ‘Alī ». L’expression est spécifiquement référée à ʿAlī et à aucun autre chef de l’époque proto-islamique ; il a pu être question de la sunna des trois premiers califes, mais jamais de leur dīn. Dīn suggère qu’un corps de règles et de croyances fondamentales étaient rapporté à l’autorité de ʿAlī. Le chapitre développe surtout l’importance déterminante des liens de parenté dans l’Arabie de l’époque, qui faisaient de ʿAlī le successeur tout désigné de Muhammad. Cette idée de primauté de ʿAlī, réprimée par les Omeyyades, aurait représenté la forme primitive de ce qui allait devenir le chiisme au sens propre.
Les chapitres suivants sont consacrés à la figure métaphysique de ʿAlī et des Imams dans le chiisme de tendance ésotérique. Il y est question de la correspondance entre ces doctrines et l’idée déjà présente dans le Proche-Orient tardo-antique de l’Homme Parfait. L’Imam comme Homme Parfait est la Face révélée d’une Essence divine radicalement inconnaissable (p. 152-153). Il manifeste aux hommes l’ensemble des Attributs divins. Or ces considérations explicites se retrouvent dans des textes de tradition duodécimaine, non seulement chez des auteurs taxés (de façon trop rapide) d’« exagération ». Or voir dans les Imams un reflet parfait et permanent de la Présence divine revient à les placer à un rang plus élevé encore que celui de continuateurs de la prophétie. ʿAlī et les Imams sont ici le Visage pérenne de Dieu pour les hommes, du moins pour ceux capables de le discerner. Un autre chapitre est consacré à l’exégèse chiite de la Nuit d’al-Qadr (cf. la sourate 97), laquelle discerne dans ce passage coranique une allusion à la descente sur la terre du verbe divin, à savoir ici de l’Imam. On notera aussi l’important développement sur la notion de dissimulation (kitmān, taqiyya). Mohammad Ali Amir-Moezzi souligne que cette attitude ne relève pas seulement d’une précaution devant les persécutions possibles, mais qu’elle obéit à des exigences spirituelles bien définies. La garde du secret est en effet l’une des bases de l’attitude chiite. Ce chapitre insiste sur un aspect de ce secret : le rôle des Imams comme continuateurs de la prophétie. Il récuse l’idée que le sceau de la prophétie désignerait sa clôture, l’idée que la mort de Muhammad marquerait la fin de toute révélation divine aux hommes, et montre comment ce dogme ne fait pas unanimité. Certes, le chiisme duodécimain a accepté officiellement l’idée de cette clôture, mais avec bien des nuances. Et ne peut-il pas s’agir là d’une attitude de taqiyya, précisément, s’interroge l’A. ?
Un chapitre est consacré à la pensée de l’auteur duodécimain Rajab Bursī (fin xive-début xve siècles) et plus précisément à son commentaire de versets du Coran qui auraient visé ʿAlī, intitulé al-Durr al-thamīn. Cet ouvrage fournit en effet des illustrations très parlantes d’une exégèse coranique imamologique duodécimaine d’époque moyenne, dont plusieurs sont ici traduites et commentées. ʿAlī y est présenté comme une figure complètement théophanique, une manifestation de la divinité traversant les âges. Ce chapitre illustre, si besoin était, combien l’ésotérisme est resté présent et vivace dans le chiisme duodécimain au cours des siècles. Enfin, une dernière étude nous présente l’art des « icônes portatives », petits portraits représentant ʿAlī, seul ou accompagné de membres de sa famille, encadré par des poèmes religieux, que l’on peut trouver en Iran et dans les milieux chiites indiens, diffusés à partir du xviiie siècle. L’A. s’interroge sur leur usage comme support de contemplation chez des derviches dhahabīs au xxe siècle. Il interroge plus spécialement, la pratique dévotionnelle appelée vejhe, de « contemplation de la Face divine », à savoir l’Imam lui-même. Cette contemplation a lieu avec les yeux du cœur chez le mystique avancé, mais pour les premières étapes le mystique s’aide de supports matériels.
Notons enfin le dense « Épilogue » (p. 309-323) venant présenter une synthèse ordonnée des principales thèses défendues dans ce volume, et notamment l’idée que des événements du viie siècle ont pu être recouverts par la réécriture de l’histoire de la succession de Muhammad opérée par les Omeyyades d’abord, puis par les Abbassides. Mohammad Ali Amir-Moezzi retrace ici sa vision de ce qui a pu se passer durant cette brève période « proto-islamique » : un mouvement eschatologique et messianique, dépassé par le succès politique et militaire de ses armées, et obligé de se transformer en courant doctrinalement constitué. Pivot de cette transformation, la personne de ʿAlī sera reléguée au second plan dans la vision omeyyade, et hissée à un rang surnaturel dans les doctrines chiites. 6Le volume est enrichi par deux compléments tous deux fort intéressants. Le premier (27 p.), « Connaissance divine et action messianique : la figure de ʿAlī dans les milieux mystiques et messianiques (xie-xvie siècles) », est dû à Orkhan Mir-Kasimov. Il offre un tableau du rôle de légitimation qu’on a fait jouer à ʿAlī au cours des siècles dans les différentes régions du monde islamique en dehors des milieux strictement chiites, depuis la tentative de futuwwa du calife al-Nāṣir, l’imprégnation chiite du soufisme oriental à partir du xiiie siècle, des courants soufis ‘mixtes’ comme la Nūrbakhshiyya, le horoufisme de Faḍl Allāh Astarabādī et de ses successeurs, jusqu’à l’alévisme et au bektashisme. Des suffusions d’idées chiites sont apparues également au Maghreb avec le chérifisme. La figure de ʿAlī apparaît à chaque fois selon un profil spécifique, encadré dans un discours et des rituels très différents, mais qui insiste sur son autorité en matière de sagesse, d’initiation ésotérique, et de légitimation de l’autorité religieuse. Une seconde annexe, de la plume de Mathieu Terrier, « Présence de ʿAlī dans la philosophie islamique » (32 p.), offre une mise au point tout en nuances et en érudition sur les rapports entre chiisme ésotérique, soufisme et philosophie. Elle contient des considérations très référencées sur l’apparition de dits de ʿAlī dans la littérature de sagesse (comme dans le Nahj al-balāgha), mais aussi dans les textes de falsafa proprement dite. Ses dits sont bien sûr mis en valeur chez les philosophes de confession chiite de l’époque ilkhanide et safavide, mais aussi de manière différente et moins attendue chez Ibn Rushd ou encore chez Suhrawardī Shaykh al-ishrāq. Le tout est résumé dans une percutante conclusion (p. 385). 7Ce volume, complété par une abondante bibliographie et un index complet, marque un progrès de plus dans la connaissance et dans la réflexion sur le chiisme bien sûr, mais aussi sur les origines de l’islam. Sa lecture stimulante, vivifiante, ne sera que féconde pour tout lecteur intéressé par ces questions.
Référence électronique
Pierre Lory, « Mohammad Ali Amir-Moezzi, avec des contributions de Orkhan Mir-Kasimov et Mathieu Terrier, Ali, le secret bien gardé – figures du premier maître en spiritualité shi’ite », Bulletin critique des Annales islamologiques [En ligne], 36 | 2022, mis en ligne le 01 mai 2021, consulté le 01 avril 2023. URL : http://journals.openedition.org/bcai/873 ; DOI : https://doi.org/10.4000/bcai.873
Pierre Lory, « Mohammad Ali Amir-Moezzi, avec des contributions de Orkhan Mir-Kasimov et Mathieu Terrier, Ali, le secret bien gardé – figures du premier maître en spiritualité shi’ite », Bulletin critique des Annales islamologiques [En ligne], 36 | 2022, mis en ligne le 01 mai 2021, consulté le 01 avril 2023. URL : http://journals.openedition.org/bcai/873 ; DOI : https://doi.org/10.4000/bcai.873