Farzana Hassan-Shahid est présidente des Musulmans Contre le Terrorisme (Canada). Elle est l’auteure, entre autres, de « Prophecy and the Fundamentalist Quest: An Integrative Study of Christian and Muslim Apocalyptic Religion », éd. McFarland, 2008, 196p et de l’ouvrage « Islam, Women and the Challenges of Today: Modernist Insights and Feminist Perspectives », éd. White Knight Publications, 2006, 210p. Site internet de l'auteure : http://farzanahassan.com/
M. Iqbal
Les deux décennies, ou presque, qui ont précédé la division de l'Inde et la création du Pakistan ont marqué une ère de désarroi politique et de bouleversement dans le sous-continent. C'est l'une des ironies de la vie que les temps agités encouragent la noblesse de caractère et l'aventure humaine, comme le montrent les contributions et les sacrifices de meneurs tels que Gandhi, Muhammad Ali Jinnah et Mohammad Iqbal.
Alors que Gandhi et Jinnah optèrent pour l'activisme politique, Iqbal – le bien-aimé « Poète de l'Est », le visionnaire, le philosophe, le patriote et le mumin (croyant) idéal – formula le cadre idéologique duquel résulta la création du Pakistan Musulman. Il est donc considéré avec raison comme le fondateur spirituel de la nation, même si la portée de son message s'étend bien au-delà des frontières du Pakistan et de l'ère temporelle de son travail créatif. Son message est tout aussi pertinent pour les musulmans d'aujourd'hui qui font face à une jonction cruciale dans notre histoire en tant que communauté.
Brandissant une plume puissante, Iqbal inspira les musulmans de l'Inde non divisée pour qu'ils prennent conscience de leur propre valeur et de leur identité en tant que nation distincte, avec un riche héritage et un système de croyances parfait. C'était l'immense fierté d'Iqbal en tant que musulman de communiquer avec ses disciples et ses admirateurs.
Bien que sa ferme croyance en un Dieu soit le concept pivot de son système philosophique – et sa pensée doit uniquement être comprise dans ce cadre – c'est dans sa philosophie politique que se trouve ce qui est le plus pertinent dans le présent article.
Entre 1908 et 1938, il écrivit son œuvre politique majeure, qui eut un impact significatif sur le Mouvement d'Indépendance Musulmane et la création du Pakistan en tant qu'Etat en Août 1947. Cependant, la vision d'Iqbal était plus large ; elle incluait l'unification de toute la communauté musulmane et prêchait un pan-islmamisme basé sur : la croyance en un Dieu Unique ; Khudi (soi ; la conscience de soi) ; l'universalisme de l'Islam et l’amour pour le prophète Muhammad (salla Allahu 'alayhi wa sallam) :
Aik houn Muslmi Haram kee paasbani kay liyai
Neel ki waadi-say laykar taa jahan-e Kashghar !
[Laissez tous les musulmans s'unir pour protéger la Kaaba (les valeurs islamiques), de la vallée du Nil aux vastes étendues de Kashghar !].
Iqbal était un humaniste, autant qu'un musulman convaincu et engagé ; il ne voyait pas de conflit entre l'idéal humanitaire et le panislamisme. Il considérait l'Islam comme étant universel par essence. Dans son poème intitulé « Makkah aur Geneva », Iqbal critiquera l'Occident pour son sectarisme basé sur des différences nationales et raciales qui contrastaient avec l'universalisme de l'Islam :
Tafreed-e-millat hikmat-e-Afrung ka maqsood
Islam ka maqsood faquat millat-e-Aadam
[La « sagesse » occidentale est faite pour pratiquer la discrimination parmi les nations, alors que l'Islam vise l'unité essentielle de la race humaine.]
Dans sa réponse à l'accusation du professeur Goldsworthy Lowes Dickinson (1862-1932) disant que sa philosophie était exclusiviste, Iqbal déclara : « l'objet de ma poésie Perse n'est pas de faire un cas de l'Islam : mon but est simplement de découvrir une reconstruction sociale universelle, et dans cette tentative, j'ai trouvé philosophiquement impossible d'ignorer un système social qui existe avec l'objectif délibéré de se débarrasser de toutes les distinctions de castes, de rangs et de races ». La notion de dignité humaine divinement accordée est également à la base de toute sa poésie ourdou :
Aik hee saf mein kharay ho gai Mahmood-o-Ayaaz
Na koi bunda rahar aur na koi banda nawaaz
[Mahmud (le Maître) et Ayaaz (l'esclave) se tenaient tous deux sur le même rang, accomplissant la prière (salat).
Les rangs furent supprimés, et il n'y avait pas de différenciation entre le puissant et le docile.]
Iqbal voyait le principe humanitaire universel comme un ingrédient essentiel dans la philosophie islamique. Il exprima mieux ces notions dans « Javed Nama » en parlant du Prophète Muhammad (salla Allahu 'alayhi wa sallam) :
Sa croyance traverse l'autorité et la lignée
de Koreish [sa tribu], nie la suprématie des arabes.
Dans ses yeux nobles et modestes résident les mêmes choses,
Il s'est assis à la même table que son esclave.
Incontestablement, il imagine l'amour pour le Prophète (salla Allahu 'alayhi wa sallam) comme une force unifiante pour la solidarité musulmane. Il croyait aussi que le tawhîd – la croyance en un Dieu Unique – se reflétait dans l'unité de l'existence humaine et dans les idéaux humains universels. Si la pensée islamique pouvait apporter à l'unification du septième siècle en Arabie, elle pouvait nourrir les mêmes idéaux dans la pensée musulmane contemporaine, à travers le développement de soi, exprimé au travers de l'ishq, ou l'amour de Dieu. Pour Iqbal, l'ishq était la force conductrice, la raison d'être de l'action. C'était une émotion caractérisée par l'intensité et la ferveur et, en conséquence, capable de fournir un élan pour la révolution et le changement. Dans la philosophie d'Iqbal, l'ishq ne doit pas être confondu avec l'amour romantique de la poésie typique ourdou et perse. C'est plutôt un sentiment de dévotion désintéressée envers Dieu, un désir irrépressible de chercher perpétuellement la présence divine.
Dans la vision d'Iqbal, l'autre composant nécessaire pour le changement était l'affirmation de l' « homme comme concepteur de sa propre destinée ». En conséquence, Iqbal rejeta le concept de qismat, de sort ou de prédétermination. Il croyait fermement que le changement ne pouvait survenir que si les musulmans le mettait en œuvre dans leurs cœurs et dans leurs esprits. Il citait souvent le verset coranique : « En vérité, Dieu ne modifie point l’état d’un peuple tant que les hommes qui le composent n’auront pas modifié ce qui est en eux-mêmes. » (13:11). Il condamna également avec véhémence l'apathie et l'inertie des musulmans du sous-continent de cette époque. Iqbal déclara, dans son livre « Reconstruire la pensée religieuse de l’islam », que si une personne « ne prend pas l'initiative, si elle ne développe pas la richesse intérieure de son être, si elle cesse de sentir la poussée intérieure d'avancer dans la vie, l'esprit en son sein se durcit comme de la pierre et elle est réduite au niveau de matière morte ». Pour Iqbal, il était impératif que les musulmans développent cette conscience de soi qui inspirerait l'action. Cette conception – un conseil important pour les musulmans contemporains également – était mieux affirmée dans les quelques vers du « Zarb-e-Kalim » d'Iqbal :
Ta prière ne peut pas changer l'Ordre de l'Univers,
Mais il est possible que prier changera ton être ;
S'il y a une révolution dans ton Toi intérieur
Ce ne sera pas étrange alors que le monde entier change aussi.
Alors que Gandhi et Jinnah optèrent pour l'activisme politique, Iqbal – le bien-aimé « Poète de l'Est », le visionnaire, le philosophe, le patriote et le mumin (croyant) idéal – formula le cadre idéologique duquel résulta la création du Pakistan Musulman. Il est donc considéré avec raison comme le fondateur spirituel de la nation, même si la portée de son message s'étend bien au-delà des frontières du Pakistan et de l'ère temporelle de son travail créatif. Son message est tout aussi pertinent pour les musulmans d'aujourd'hui qui font face à une jonction cruciale dans notre histoire en tant que communauté.
Brandissant une plume puissante, Iqbal inspira les musulmans de l'Inde non divisée pour qu'ils prennent conscience de leur propre valeur et de leur identité en tant que nation distincte, avec un riche héritage et un système de croyances parfait. C'était l'immense fierté d'Iqbal en tant que musulman de communiquer avec ses disciples et ses admirateurs.
Bien que sa ferme croyance en un Dieu soit le concept pivot de son système philosophique – et sa pensée doit uniquement être comprise dans ce cadre – c'est dans sa philosophie politique que se trouve ce qui est le plus pertinent dans le présent article.
Entre 1908 et 1938, il écrivit son œuvre politique majeure, qui eut un impact significatif sur le Mouvement d'Indépendance Musulmane et la création du Pakistan en tant qu'Etat en Août 1947. Cependant, la vision d'Iqbal était plus large ; elle incluait l'unification de toute la communauté musulmane et prêchait un pan-islmamisme basé sur : la croyance en un Dieu Unique ; Khudi (soi ; la conscience de soi) ; l'universalisme de l'Islam et l’amour pour le prophète Muhammad (salla Allahu 'alayhi wa sallam) :
Aik houn Muslmi Haram kee paasbani kay liyai
Neel ki waadi-say laykar taa jahan-e Kashghar !
[Laissez tous les musulmans s'unir pour protéger la Kaaba (les valeurs islamiques), de la vallée du Nil aux vastes étendues de Kashghar !].
Iqbal était un humaniste, autant qu'un musulman convaincu et engagé ; il ne voyait pas de conflit entre l'idéal humanitaire et le panislamisme. Il considérait l'Islam comme étant universel par essence. Dans son poème intitulé « Makkah aur Geneva », Iqbal critiquera l'Occident pour son sectarisme basé sur des différences nationales et raciales qui contrastaient avec l'universalisme de l'Islam :
Tafreed-e-millat hikmat-e-Afrung ka maqsood
Islam ka maqsood faquat millat-e-Aadam
[La « sagesse » occidentale est faite pour pratiquer la discrimination parmi les nations, alors que l'Islam vise l'unité essentielle de la race humaine.]
Dans sa réponse à l'accusation du professeur Goldsworthy Lowes Dickinson (1862-1932) disant que sa philosophie était exclusiviste, Iqbal déclara : « l'objet de ma poésie Perse n'est pas de faire un cas de l'Islam : mon but est simplement de découvrir une reconstruction sociale universelle, et dans cette tentative, j'ai trouvé philosophiquement impossible d'ignorer un système social qui existe avec l'objectif délibéré de se débarrasser de toutes les distinctions de castes, de rangs et de races ». La notion de dignité humaine divinement accordée est également à la base de toute sa poésie ourdou :
Aik hee saf mein kharay ho gai Mahmood-o-Ayaaz
Na koi bunda rahar aur na koi banda nawaaz
[Mahmud (le Maître) et Ayaaz (l'esclave) se tenaient tous deux sur le même rang, accomplissant la prière (salat).
Les rangs furent supprimés, et il n'y avait pas de différenciation entre le puissant et le docile.]
Iqbal voyait le principe humanitaire universel comme un ingrédient essentiel dans la philosophie islamique. Il exprima mieux ces notions dans « Javed Nama » en parlant du Prophète Muhammad (salla Allahu 'alayhi wa sallam) :
Sa croyance traverse l'autorité et la lignée
de Koreish [sa tribu], nie la suprématie des arabes.
Dans ses yeux nobles et modestes résident les mêmes choses,
Il s'est assis à la même table que son esclave.
Incontestablement, il imagine l'amour pour le Prophète (salla Allahu 'alayhi wa sallam) comme une force unifiante pour la solidarité musulmane. Il croyait aussi que le tawhîd – la croyance en un Dieu Unique – se reflétait dans l'unité de l'existence humaine et dans les idéaux humains universels. Si la pensée islamique pouvait apporter à l'unification du septième siècle en Arabie, elle pouvait nourrir les mêmes idéaux dans la pensée musulmane contemporaine, à travers le développement de soi, exprimé au travers de l'ishq, ou l'amour de Dieu. Pour Iqbal, l'ishq était la force conductrice, la raison d'être de l'action. C'était une émotion caractérisée par l'intensité et la ferveur et, en conséquence, capable de fournir un élan pour la révolution et le changement. Dans la philosophie d'Iqbal, l'ishq ne doit pas être confondu avec l'amour romantique de la poésie typique ourdou et perse. C'est plutôt un sentiment de dévotion désintéressée envers Dieu, un désir irrépressible de chercher perpétuellement la présence divine.
Dans la vision d'Iqbal, l'autre composant nécessaire pour le changement était l'affirmation de l' « homme comme concepteur de sa propre destinée ». En conséquence, Iqbal rejeta le concept de qismat, de sort ou de prédétermination. Il croyait fermement que le changement ne pouvait survenir que si les musulmans le mettait en œuvre dans leurs cœurs et dans leurs esprits. Il citait souvent le verset coranique : « En vérité, Dieu ne modifie point l’état d’un peuple tant que les hommes qui le composent n’auront pas modifié ce qui est en eux-mêmes. » (13:11). Il condamna également avec véhémence l'apathie et l'inertie des musulmans du sous-continent de cette époque. Iqbal déclara, dans son livre « Reconstruire la pensée religieuse de l’islam », que si une personne « ne prend pas l'initiative, si elle ne développe pas la richesse intérieure de son être, si elle cesse de sentir la poussée intérieure d'avancer dans la vie, l'esprit en son sein se durcit comme de la pierre et elle est réduite au niveau de matière morte ». Pour Iqbal, il était impératif que les musulmans développent cette conscience de soi qui inspirerait l'action. Cette conception – un conseil important pour les musulmans contemporains également – était mieux affirmée dans les quelques vers du « Zarb-e-Kalim » d'Iqbal :
Ta prière ne peut pas changer l'Ordre de l'Univers,
Mais il est possible que prier changera ton être ;
S'il y a une révolution dans ton Toi intérieur
Ce ne sera pas étrange alors que le monde entier change aussi.