ce chapitre propose un parcours original dans la littérature et la mystique musulmane et offre aux lecteurs et lectrices des extraits, soit nouvellement traduits soit retraduits depuis l’arabe, qui leur permettront de mieux comprendre et goûter la manière dont l’islam expose et réfléchit ce thème [de l'oubli] qui lui est central. Il s’agit ici de réassembler des morceaux choisis pour former un nouvel ensemble, à la fois traduit et original, interrogeant ainsi la distinction toujours fugace et problématique entre œuvre originale et œuvre traduite.
Claire Gallien
Claire Gallien est maitresse de conférences à l'université de Montpellier 3. Récemment habilitée à diriger des recherches (Paris 3) dans les domaines de l'orientalisme anglophone, littératures comparées et arabes, elle publie en 2022 Islam and New Directions in World Literature (Edinburgh University Press) et en 2023 From Corpus to Canon: Appropriations and Reconfigurations of Eastern Literary Traditions in Seventeenth- and Eighteenth-Century Britain (Oxford University Press). Elle poursuit à présent son travail en islamologie au Zentrum für Islamische Theologie de l'université de Tübingen en Allemagne.
Présentation de l'épître
Par Claire Gallien
Selon l’adage poétique arabe, le propre de la nature humaine est de vivre dans l’oubli. Le terme en arabe pour désigner l’être humain est insān et ce nom est formé sur la même racine trilitère (nun-sīn-ya) que le verbe oublier (nasiyā), indiquant dans l’imaginaire de la langue le caractère oublieux (nisīyān) de tout être humain. De même, le nom employé pour désigner le cœur (al-qalb) partage la même racine trilitère (qaf-lam-bā) avec le verbe (taqallaba) reflétant ainsi les rapides changements d’état qui l’affectent. Ainsi, l’adage use du rapprochement des sons consonantiques, et, par le biais de l’allitération, souligne ou rappelle une affiliation sémantique profonde.
Dans la perspective de la mystique musulmane, l’oubli dont il est question est l’oubli du divin, oubli de l’âme et de son lien avec la Transcendance. L’islam s’élabore précisément en contrepoint de l’oubli et sur la base du rappel (dhakara) à l’unité divine (tawḥīd) dont l’aspect rituel est la litanie, le dhikr – la racine (dha-ka-ra) ayant pour signification le rappel, la remémoration, touchant la nature sensible, intellectuelle et spirituelle inhérente à la création. L’oubli qu’évoquent les littératures musulmanes, à commencer par le corpus coranique, et plus spécifiquement l’oubli tel qu’il est abordé par la mystique musulmane, peu importe sa langue d’expression, nous parle d’éloignement, de négligence, de distraction, d’indifférence, d’ombre, et de méconnaissance non seulement du divin mais aussi de sa fitra, ou disposition naturelle de l’humain à rechercher et répondre à l’appel mystique. Pour l’être humain, le passage sur Terre sera soit celui de la distance et de l’oubli, lancé dans le monde de la distraction et de l’indifférence, des écrans et éblouissements, des éclats et du bruit, soit celui du rapprochement par la remémoration. Il existe également un autre versant, positif celui-ci, de l’oubli dans la mystique musulmane. Il ne s’agit plus alors de l’oubli du divin, mais de l’oubli (du moi) dans le divin. Le degré ultime de cet oubli du moi est nommé fanā, signifiant l’extinction de l’égo, et seul.es les mystiques, saints et saintes en ont fait l’expérience.
Inspiré formellement de la structure d’un certain type d’épître soufie (risāla), formée d’un ensemble de textes allant du Coran et des traditions prophétiques (ḥadīth), vers la littérature sapientielle et la poésie, ce chapitre propose un parcours original dans la littérature et la mystique musulmane et offre aux lecteurs et lectrices des extraits, soit nouvellement traduits soit retraduits depuis l’arabe, qui leur permettront de mieux comprendre et goûter la manière dont l’islam expose et réfléchit ce thème qui lui est central. Il s’agit ici de réassembler des morceaux choisis pour former un nouvel ensemble, à la fois traduit et original, interrogeant ainsi la distinction toujours fugace et problématique entre œuvre originale et œuvre traduite. Enfin, les morceaux choisis faisant partie d’un corpus littéraire révélé, religieux et mystique, ce chapitre interroge une compréhension par défaut séculière de ce que l’on nomme « littérature » et les a priori formels, stylistiques et génériques qui lui sont liés.
Notre Risāla ou Épître sur l’oubli débute donc par des extraits du Coran. Il y est notamment question, par le biais de la figure d’Adam, de la propension humaine à l’oubli, et plus généralement du penchant des individus pour la distraction. Cette dernière n’est pas uniquement faite de choses futiles mais trouve aussi son origine dans des activités jugées louables, qui peuvent néanmoins devenir sources de trouble pour la vision du cœur et de l’esprit si l’individu s’en préoccupe dans l’oubli de son origine et de sa destination finale. Ainsi, ces versets, et beaucoup d’autres dans le Coran, sont moins lus sur le mode du blâme que sur celui de la mise en garde contre les causes de l’oubli, à savoir une attention tournée exclusivement sur le monde de l’ici-bas, un oubli de l’être en faveur de l’avoir, une compréhension unidimensionnelle et strictement horizontale du réel.
Après la Parole révélée, prennent place, dans l’ordre de notre Risāla, les paroles du Prophète, puis celles de l’imām ‘Alī (m. 40 AH / 661 CE), cousin très proche du Prophète, son disciple et son gendre, et également connu en tant que quatrième calife de l'islam (656-661). Les extraits des paroles de l’imām ‘Alī présentés ici proviennent du Dustūr ma‘ālim al-ḥikam, compilation écrite par le juriste Abū ‘Abdallāh Muḥammad ibn Salāma ibn Ja‘far al-Quḍā‘i (m. 1062) et encore jamais traduite en français. Dans les sagesses et les sermons de l’imām ‘Alī, la référence à l’oubli est très présente et l’on note que ces deux genres (ḥikam et khuṭba) infléchissent le thème de l’oubli vers une dimension temporelle et sotériologique.
Enfin, notre Épître propose la traduction originale d’extraits de littérature théologique et mystique avec, pour commencer, les chapitres 130 et 131 des Futūḥāt al-Makīya (Illuminations de la Mecque) écrites par Ibn ‘Arabī entre 598/1202 et 629/1231. Dans ces chapitres concernant respectivement la station de servitude (‘ubūdīya) et l’abandon de cette station pour accéder à un niveau supérieur de réalisation, Ibn ‘Arabī propose contre l’oubli un rappel de ce que signifie vivre dans la conscience de notre pauvreté et dépendance ontologique. Parce qu’il est créé, d’après le Coran, « à l’image » de Dieu et choisi par Dieu pour être son représentant (khalīf) sur terre, avec l’ensemble des responsabilités éthiques que cette élection implique, l’homme a tendance à oublier ses basses origines faites d’argile. Son statut de khalīf devient source d’orgueil (takabbur), chaque fois que l’être humain se croit autonome, qu’il oublie que rien ne lui appartient réellement, que son pouvoir est limité et provisoire, qu’il a été mandaté par Dieu et devra rendre des comptes. Ibn ‘Arabi rappelle que l’investiture supérieure des êtres humains a lieu ici-bas, fī l-ard selon le Coran, et que Dieu emploie le terme de khalīfa et non imāma pour désigner cet exercice du pouvoir par procuration. Tout khalīf implique un mustakhlif, c’est-à-dire une instance qui le nomme pour être remplacée temporairement. Le terme imām en revanche, qui signifie « le fait d’être devant », est dépourvu de cette connotation. Ainsi, selon Ibn ‘Arabī, Dieu utilise le terme khalīf dans le Coran comme pour rappeler que le « pouvoir » des individus sur terre est par nature dérivé et contingent. Tout oubli de cette dépendance ontologique, condamne les femmes et les hommes à un exil inexorable fī asfala sāfilīn, « au plus bas des bas », dans l’abîme sans fond d'une souveraineté illusoire. Ce long extrait des Futūḥāt est suivi par de plus courtes sélections parmi les « Sagesses » (ḥikam) du savant et mystique égyptien Ibn ‘Aṭṭa Allāh (m. 709 AH / 1310 CE) et parmi les paroles du grand savant et maitre soufi algérien al-shaīkh Aḥmad al-‘Alawī (m. 1351 AH – 1934 CE), qui viennent clore notre « Épître sur l’oubli mystique ».
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Dans la perspective de la mystique musulmane, l’oubli dont il est question est l’oubli du divin, oubli de l’âme et de son lien avec la Transcendance. L’islam s’élabore précisément en contrepoint de l’oubli et sur la base du rappel (dhakara) à l’unité divine (tawḥīd) dont l’aspect rituel est la litanie, le dhikr – la racine (dha-ka-ra) ayant pour signification le rappel, la remémoration, touchant la nature sensible, intellectuelle et spirituelle inhérente à la création. L’oubli qu’évoquent les littératures musulmanes, à commencer par le corpus coranique, et plus spécifiquement l’oubli tel qu’il est abordé par la mystique musulmane, peu importe sa langue d’expression, nous parle d’éloignement, de négligence, de distraction, d’indifférence, d’ombre, et de méconnaissance non seulement du divin mais aussi de sa fitra, ou disposition naturelle de l’humain à rechercher et répondre à l’appel mystique. Pour l’être humain, le passage sur Terre sera soit celui de la distance et de l’oubli, lancé dans le monde de la distraction et de l’indifférence, des écrans et éblouissements, des éclats et du bruit, soit celui du rapprochement par la remémoration. Il existe également un autre versant, positif celui-ci, de l’oubli dans la mystique musulmane. Il ne s’agit plus alors de l’oubli du divin, mais de l’oubli (du moi) dans le divin. Le degré ultime de cet oubli du moi est nommé fanā, signifiant l’extinction de l’égo, et seul.es les mystiques, saints et saintes en ont fait l’expérience.
Inspiré formellement de la structure d’un certain type d’épître soufie (risāla), formée d’un ensemble de textes allant du Coran et des traditions prophétiques (ḥadīth), vers la littérature sapientielle et la poésie, ce chapitre propose un parcours original dans la littérature et la mystique musulmane et offre aux lecteurs et lectrices des extraits, soit nouvellement traduits soit retraduits depuis l’arabe, qui leur permettront de mieux comprendre et goûter la manière dont l’islam expose et réfléchit ce thème qui lui est central. Il s’agit ici de réassembler des morceaux choisis pour former un nouvel ensemble, à la fois traduit et original, interrogeant ainsi la distinction toujours fugace et problématique entre œuvre originale et œuvre traduite. Enfin, les morceaux choisis faisant partie d’un corpus littéraire révélé, religieux et mystique, ce chapitre interroge une compréhension par défaut séculière de ce que l’on nomme « littérature » et les a priori formels, stylistiques et génériques qui lui sont liés.
Notre Risāla ou Épître sur l’oubli débute donc par des extraits du Coran. Il y est notamment question, par le biais de la figure d’Adam, de la propension humaine à l’oubli, et plus généralement du penchant des individus pour la distraction. Cette dernière n’est pas uniquement faite de choses futiles mais trouve aussi son origine dans des activités jugées louables, qui peuvent néanmoins devenir sources de trouble pour la vision du cœur et de l’esprit si l’individu s’en préoccupe dans l’oubli de son origine et de sa destination finale. Ainsi, ces versets, et beaucoup d’autres dans le Coran, sont moins lus sur le mode du blâme que sur celui de la mise en garde contre les causes de l’oubli, à savoir une attention tournée exclusivement sur le monde de l’ici-bas, un oubli de l’être en faveur de l’avoir, une compréhension unidimensionnelle et strictement horizontale du réel.
Après la Parole révélée, prennent place, dans l’ordre de notre Risāla, les paroles du Prophète, puis celles de l’imām ‘Alī (m. 40 AH / 661 CE), cousin très proche du Prophète, son disciple et son gendre, et également connu en tant que quatrième calife de l'islam (656-661). Les extraits des paroles de l’imām ‘Alī présentés ici proviennent du Dustūr ma‘ālim al-ḥikam, compilation écrite par le juriste Abū ‘Abdallāh Muḥammad ibn Salāma ibn Ja‘far al-Quḍā‘i (m. 1062) et encore jamais traduite en français. Dans les sagesses et les sermons de l’imām ‘Alī, la référence à l’oubli est très présente et l’on note que ces deux genres (ḥikam et khuṭba) infléchissent le thème de l’oubli vers une dimension temporelle et sotériologique.
Enfin, notre Épître propose la traduction originale d’extraits de littérature théologique et mystique avec, pour commencer, les chapitres 130 et 131 des Futūḥāt al-Makīya (Illuminations de la Mecque) écrites par Ibn ‘Arabī entre 598/1202 et 629/1231. Dans ces chapitres concernant respectivement la station de servitude (‘ubūdīya) et l’abandon de cette station pour accéder à un niveau supérieur de réalisation, Ibn ‘Arabī propose contre l’oubli un rappel de ce que signifie vivre dans la conscience de notre pauvreté et dépendance ontologique. Parce qu’il est créé, d’après le Coran, « à l’image » de Dieu et choisi par Dieu pour être son représentant (khalīf) sur terre, avec l’ensemble des responsabilités éthiques que cette élection implique, l’homme a tendance à oublier ses basses origines faites d’argile. Son statut de khalīf devient source d’orgueil (takabbur), chaque fois que l’être humain se croit autonome, qu’il oublie que rien ne lui appartient réellement, que son pouvoir est limité et provisoire, qu’il a été mandaté par Dieu et devra rendre des comptes. Ibn ‘Arabi rappelle que l’investiture supérieure des êtres humains a lieu ici-bas, fī l-ard selon le Coran, et que Dieu emploie le terme de khalīfa et non imāma pour désigner cet exercice du pouvoir par procuration. Tout khalīf implique un mustakhlif, c’est-à-dire une instance qui le nomme pour être remplacée temporairement. Le terme imām en revanche, qui signifie « le fait d’être devant », est dépourvu de cette connotation. Ainsi, selon Ibn ‘Arabī, Dieu utilise le terme khalīf dans le Coran comme pour rappeler que le « pouvoir » des individus sur terre est par nature dérivé et contingent. Tout oubli de cette dépendance ontologique, condamne les femmes et les hommes à un exil inexorable fī asfala sāfilīn, « au plus bas des bas », dans l’abîme sans fond d'une souveraineté illusoire. Ce long extrait des Futūḥāt est suivi par de plus courtes sélections parmi les « Sagesses » (ḥikam) du savant et mystique égyptien Ibn ‘Aṭṭa Allāh (m. 709 AH / 1310 CE) et parmi les paroles du grand savant et maitre soufi algérien al-shaīkh Aḥmad al-‘Alawī (m. 1351 AH – 1934 CE), qui viennent clore notre « Épître sur l’oubli mystique ».
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Coran
Avant toi [Mahomet], Nous avions remis à Adam un pacte, mais ce dernier oublia et manqua de constance.
Sūra Taha, āya 115
Adam, présenté comme le premier humain, père de l’humanité, acquiert dans le Coran une dimension prophétique et, comme les autres prophètes, il est caractérisé par un certain nombre d’attributs. Dieu lui donne par exemple la science du langage et le place au-dessus des anges qui se prosternent devant lui. Malgré ces attributs positifs, Adam est aussi marqué par une propension à l’oubli.
Le Coran, en de multiples versets, souligne le penchant des hommes et des femmes pour la distraction et l’oubli. La distraction n’est pas uniquement faite de choses futiles. Toute distraction n’est pas de l’ordre du strict divertissement. Elle peut aussi trouver origine dans des activités jugées louables, utiles, et bonnes, comme être parent par exemple, s’engager dans l’étude et le travail. Ces activités ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi : elles deviennent l’une ou l’autre en fonction de la manière dont l’individu s’en préoccupe, suivant qu’il s’y adonne dans le rappel ou dans l’oubli de son origine et de sa destination finale.
Adam, présenté comme le premier humain, père de l’humanité, acquiert dans le Coran une dimension prophétique et, comme les autres prophètes, il est caractérisé par un certain nombre d’attributs. Dieu lui donne par exemple la science du langage et le place au-dessus des anges qui se prosternent devant lui. Malgré ces attributs positifs, Adam est aussi marqué par une propension à l’oubli.
Le Coran, en de multiples versets, souligne le penchant des hommes et des femmes pour la distraction et l’oubli. La distraction n’est pas uniquement faite de choses futiles. Toute distraction n’est pas de l’ordre du strict divertissement. Elle peut aussi trouver origine dans des activités jugées louables, utiles, et bonnes, comme être parent par exemple, s’engager dans l’étude et le travail. Ces activités ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi : elles deviennent l’une ou l’autre en fonction de la manière dont l’individu s’en préoccupe, suivant qu’il s’y adonne dans le rappel ou dans l’oubli de son origine et de sa destination finale.
Sūra Yūnus, āya 12Lorsque l’être humain est affligé, il ne manque pas de Nous appeler, qu’il soit allongé sur sa couche, assis, ou debout; mais dès que Nous le délivrons de ses afflictions, il s’éloigne, comme s’il n’était jamais venu Nous supplier. En réalité, Nous embellîmes les actions des gens de la dissipation.
Il est Celui qui facilite pour vous le voyage sur mer et sur terre. Vous naviguez et vous réjouissez que des vents cléments portent vos bateaux. Une tempête approche. De fortes vagues assaillent l’équipage de tous bords. Ils sont encerclés, pris au piège. C’est à ce moment-là qu’ils appellent Dieu et promettent d’être des croyants sincères en déclarant: « Si Tu nous sauves de ceci, nous te promettons d’être à jamais reconnaissants ».Sūra Yūnus, āya 22-23
Malgré cela, à peine de retour sur la terre ferme, sains et saufs, ils transgressent et négligent le droit. Ô gens, vos manquements ne pourront que se retourner contre vous. Profitez de la vie ici-bas autant qu’il vous plaira. Vous retournerez à Nous et c’est à ce moment-là que vous aurez à répondre de vos actes.
Notre générosité ne fait qu’augmenter la suffisance de l’être humain; mais, dès que nous l’affligeons d’une peine, c’est alors seulement qu’il se tourne vers Nous en prière et avec ferveur.Sūra Fuṣṣilat, āya 51
Lorsque affligé d’un malheur, l’être humain implore son Seigneur et se tourne vers Lui en demandant de l’aide. Mais à peine leur permet-il de gouter Ses bienfaits que certains Lui associent d’autres dieux ; et perdent toute notion de gratitude pour ce que nous leur avons donné. Profitez autant que vous le souhaitez! Plus tard seulement vous comprendrez.
Sūra Rūm, āya 33-34
Avant toi, ô Prophète, nous avons envoyé d’autres Messagers à de nombreuses communautés et Nous les avons aussi éprouvées de maux et de douleurs afin qu’elles comprennent le sens du mot « humilité ».Sūra al-An‘ām, āya 42-44
Si seulement elles avaient compris à ce moment-là lorsque le malheur les toucha. Mais non, au lieu de cela, leurs cœurs se durcirent et Shaytan rendit même leurs actes séduisants. Une fois prises dans l’oubli le plus complet, Nous ouvrîmes grand les portes de la délectation et les laissèrent aller à leurs inclinations sans poser de limite. Elles se repurent de ce qu’elles reçurent, mais furent prises au dépourvu une fois touchées.
Les passages du Coran parlant de l’oubli sont nombreux : on pourrait citer également sūra al-Baqara, āya 44, sūra al-Mujādila, āya 19, sūra al-Takkathūr, āya 1-2. Ces versets mettent en garde contre les causes de l’oubli, à savoir une attention tournée exclusivement sur le monde de l’ici-bas, un oubli de l’être en faveur de l’avoir, une compréhension mono-dimensionnelle et strictement horizontale du réel, excluant le plan vertical et remettant en cause la profondeur de champ ontologique.
Ḥadīth, ou paroles et actes du Prophète
Ibn Mas‘ūd rapporte du Messager de Dieu la parole suivante : « Bien pauvre est l’homme qui dit : ‘J’ai oublié telle ou telle sourate, ou tel ou tel verset’. Il devrait dire qu’il a été poussé dans l’oubli ».
Saḥīḥ Muslim
Abu Dharr al-Ghifārī rapporte du Messager de Dieu la parole suivante : « Dieu a appris à ma communauté trois choses : s’éloigner de l’erreur, de l’oubli, et de ce qui est détesté ».
Sunan Ibn Majah
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Paroles et sermons de l’imām ‘Alī (m. 40 AH / 661 CE)
Parole 125, extrait
Je m’étonne de l’avare, qui, craignant la pauvreté, se jette dans l’avarice et se précipite ainsi de lui-même dans un état de misère et de dénuement […] Je m’étonne de l’arrogance de la personne hautaine et vaniteuse : hier, il n’était qu’une goutte de sperme et demain il sera corps sans vie. Je m’interroge sur l’homme qui observe l’Univers créé par Dieu et doute ensuite de l’Être et de l’Existence du Créateur […] Je suis perplexe face à cet homme qui prend grand soin d’embellir et de rendre confortable son habitat provisoire dans l’ici-bas, tout en oubliant de préparer sa demeure éternelle.
Parole 149, extrait
Quelqu'un demanda à l'imām ‘Alī de le conseiller sur la façon de mener une vie utile et sobre. L’imām ‘Alī lui répondit : « Ne sois pas de celles et ceux qui veulent profiter sans avoir mérité, qui nourrissent des espoirs vains mais ne cessent de reporter à plus tard le repentir et la pénitence, qui parlent comme des personnes pieuses mais courent après des plaisirs frivoles. Ne sois pas de ces personnes perpétuellement insatisfaites, qui ne remercient jamais Dieu pour ce qu'elles reçoivent et continuent d’exiger plus que ce qu’elles n’ont déjà ; qui conseillent les autres à telle bonne action dont elles s'exemptent elles-mêmes [...]; qui, si elles sont confrontées à des malheurs, des dangers ou des afflictions, se tournent vers Dieu et le supplient assidument afin d’obtenir le soulagement de leurs peines, et lorsqu’elles obtiennent ce soulagement, ou sont favorisées par le confort et la facilité, sont trompées par ces conditions favorables, oublient Dieu et abandonnent les prières; ou encore de ces personnes dont les esprits sont séduits par les rêveries et les vains espoirs et qui ne font jamais face aux réalités de la vie; qui craignent pour les autres les conséquences des péchés mais pour eux-mêmes imaginent les plus grandes récompenses et les plus légères punitions.
Sermon 42, extrait
Frères et sœurs, les deux choses que je crains le plus pour vous sont d’une part l’action lorsqu’elle est dictée par le désir et d’autre part le fait d’entretenir de faux-espoirs. Agir selon ses désirs empêche d’accéder à la vérité ; quant aux faux-espoirs prolongés, ils nous font oublier l’au-delà.
Vous devez savoir que la vie en ce bas-monde défile à toute allure et qu’elle touche bientôt à sa fin, comme une jarre déjà vidée mais dans le fond de laquelle il resterait encore quelques dépôts. Prenez garde à ce monde de l’au-delà qui approche. Celui-ci comme celui dans lequel vous vivez à présent ont leurs suivants. Soyez les disciples de l’autre monde et non de l’ici-bas […] Aujourd’hui il vous est encore possible d’agir et le Jugement n’a pas encore eu lieu, demain sera trop tard.
Sermon 85, extrait
Dieu sait les choses cachées et connait les sentiments intérieurs. Il englobe toute chose. Son contrôle et pouvoir sont absolus. Chacun et chacune d’entre vous doit se préoccuper de ses obligations pendant le temps de la vie et avant l’approche de la mort, pendant son temps de repos et avant son temps de travail, alors qu’il respire encore et avant que son souffle ne s’arrête. Il doit pouvoir subvenir à ses besoins pendant le voyage et ne pas oublier de s’approvisionner sur ses lieux de halte en vue de l’ultime séjour.
Souvenez-vous de Dieu, ô frères et sœurs, de ce dont Il vous a demandé de prendre soin par l’intermédiaire de Son Livre, et des responsabilités qu’Il vous a confiées. En vérité, Dieu ne vous a pas créés en vain, ni ne vous a laissés sans notion de ce que signifie la juste mesure, ou seuls dans l’ignorance et l’obscurité. Il a précisé ce que vous devez laisser de côté, vous a appris les gestes nécessaires, a écrit pour vous le moment de votre mort. Il a fait descendre le Livre dans lequel les choses sont « expliquées avec perfection » (Coran, 16 : 89) et a permis à son Prophète de vivre parmi vous jusqu'à ce que le Message du Coran soit révélé dans son intégralité, allant jusqu’à exposer les subtilités de la religion et en expliquer le sens par la pratique des bonnes et des mauvaises actions, et la connaissance de ce qui est enjoint et ce qui est proscrit. […]
Méfiez-vous du mensonge car il est contraire à la foi. Une personne attachée au vrai a atteint le sommet du salut et de la dignité, tandis que le menteur se tient au bord de l’abjection et de l’avilissement. Ne sois pas jaloux car la jalousie ronge la foi comme le feu brûle le bois sec. N’accepte pas la malice car elle mine et flétrit les vertus. Et sache que les désirs rendent l’esprit déraisonnable et la mémoire négligente […]
Sermon 98, extrait
Nos louons Dieu pour ce qui nous arrive, et nous recherchons Son secours pour ce que nous souhaitons accomplir et pour ce qui nous arrivera. Nous Le prions pour qu’Il accorde tranquillité à nos âmes, tout comme nous le prions pour la santé de nos corps. Ô créatures de Dieu ! Mon conseil pour vous serait de prendre vos distances par rapport à ce monde qui va sous peu disparaître, même si l’idée de son départ vous déplait, dans lequel vos corps sont éprouvés et vieillissent, quand bien même vous souhaiteriez les garder jeunes ! Vous êtes comme des voyageurs qui parcourent une distance entre deux points à la vitesse de l’éclair ; comme si vous visiez un point et l’atteigniez aussitôt. Comme la distance qui vous sépare de ce point est courte et comme vous l’atteignez rapidement ! Combien est courte l’étape pour celle ou celui […] qui est conduit rapidement de ce monde vers l’au-delà. Ne convoitez pas les honneurs de l’ici-bas et ne recherchez pas la fierté, ne vous réjouissez pas de ses beautés et richesses, ni ne vous lamentez de ses accidents et malheurs. Les honneurs et fiertés de ce monde ont une fin, sa beauté et ses richesses périssent, de même pour ses accidents et malheurs. Chaque période est limitée dans le temps et chaque être vivant doit mourir. N’y a-t-il pas pour vous un rappel dans ce que vos ancêtres ont laissé après leur passage, n’y a-t-il pas dans cette mémoire clairvoyance et lucidité à gagner, pourvu qu’enfin vous compreniez ?
Sermon 98, extrait
*** Les Futūḥāt al-Makīya d’Ibn ‘Arabī (m. 638 AH – 1240 CE)
Chapitre 130. La station de la soumission (‘ubūdīya)
[…]
Le terme de soumission (‘ubūdīya) est lié au terme de servitude (‘ubūda). On emploie le terme de servitude (‘ubūda) pour tout ce qui se passe de lien et n’accepte plus de mise en relation, que cela soit avec Dieu ou avec le moi. Ainsi, le suffixe de l’affiliation en īya disparaît. L’être le plus vil est celui ou celle qui se place en relation de filiation avec quelque chose de bas dans le but d’en retirer quelque gloire. C’est pourquoi le Coran décrit la Terre comme ce qui le plus bas (Coran 67 : 15) car même les plus avilis marchent encore sur elle.
La station de soumission (‘ubūdīya) est la station de l’abaissement (dhila) et de la pauvreté (īftiqār). La soumission ne peut en aucun cas être considérée comme un attribut divin. Ainsi, le mystique Abū Yazīd al-Basṭāmī ne trouvait pas le moyen qui le rapprocherait de Dieu car il voyait bien que tous les attributs désignés pour permettre ce rapprochement contenaient déjà une part de l’essence divine. Il implora alors : « Oh Dieu, par quel moyen pourrais-je me rapprocher de Toi? ». Dieu lui répondit de la manière avec laquelle il répond à ses aimé.es : « Tu gagneras cette proximité en t’associant aux attributs qui ne me caractérisent pas, par l’abaissement et la pauvreté ». […] Ici se dévoile le secret pour qui Dieu a ouvert les yeux de la vision intérieure.
Le terme de servant.e (‘abd) est sémantiquement lié à ce qui est bas (dhalīl). Dans le Coran, on trouve l’expression, la terre faite servante, c’est-à-dire rendue à un état inférieur. Dieu dit également : « J’ai créé les jinns et les humains pour qu’ils puissent me servir » (Coran 51 : 56). Dieu mentionna seulement ces deux catégories d’être car, de toutes les créatures, seuls les humains et les jinns prétendent s’arroger ce qui revient à Dieu. Aucune autre créature ne plaça le divin ailleurs qu’en Dieu, et aucune ne se montra fière au point d’asservir la création. Ibn ‘Abbās, jeune Compagnon du Prophète, dit au sujet du verset cité plus haut : « L’expression ‘me servir’ est employée dans le sens de ‘me connaitre’. Ainsi, ce verset ne peut être expliqué par le simple phénomène de dénotation (dalāla) […] ». Ibn ‘Abbās explique l’adoration éprouvée dans le culte (‘ibāda) à partir de la connaissance gnostique (ma‘arifa), qui en constitue la compréhension intérieure.
Aucun individu n’a réalisé cette station de soumission de manière aussi complète que le Messager de Dieu car il en était le pur serviteur, celui qui avait renoncé à tous les états qui l’auraient fait sortir des différents niveaux de soumission. Dieu témoigne dans le Coran de la manière dont il fut à la fois serviteur de son Essence et de ses Noms. Il dit au sujet de ses Noms: « lorsque le serviteur de Dieu se leva et l’implora » (Coran 72 : 19) et au sujet de Son Essence : « Gloire à Celui qui transporta son serviteur pour le Voyage Nocturne » (Coran 17 : 1) où il est précisé que Mahomet est transporté en tant que « serviteur » pour cette rencontre avec Dieu lors du Voyage Nocturne. […]
La relation du serviteur avec Dieu dans cet état de soumission est comme celle de l’ombre avec la personne qui la projette lorsque placée face à une lampe: plus cette personne se rapproche de la lampe et plus l’ombre s’allonge. La proximité avec Dieu s’acquiert en cultivant vos attributs spécifiques [de pauvreté, de dépendance] et non en vous affublant des Siens. Plus la personne s’éloigne de la lampe et plus l’ombre devient courte: car rien ne vous éloigne plus de Dieu que d’oublier les attributs qui vous caractérisent et de ne vous préoccuper que de ceux qui Lui appartiennent. « Alors Dieu scelle les cœurs à l’arrogance outrecuidante » (Coran 40 : 35). Fierté et pouvoir absolu sont deux attributs qui ne peuvent appartenir qu’à Dieu.
Ainsi le Prophète dit : « Je cherche refuge en Toi de Toi ». [1] La station de soumission est une protection pour le serviteur qui se préserve ainsi de l’illusion de partager les attributs positifs, négatifs et corrélatifs qui appartiennent exclusivement et uniquement à Dieu et qui ne peuvent être partagés. […] Mais lorsque tu Le rencontres par le biais des attributs partagés, alors il t’apparait sous forme de théophanie et tu parviens à la connaissance des mystères de Sa relation à toi par le biais de ta relation à Lui. Cette science est exceptionnelle et tu trouveras peu y ayant goûté.
Quant à la pure servitude (‘ubūda’), tu ne sais à quelles sciences elle te permettra d’accéder, car il y a annihilation du lien avec ton Créateur. […] Le signe du passage à cette station de pure servitude est que le Manifesté est décrit dans le lieu de la manifestation d’après les attributs du serviteur. Le Manifesté est coloré par la réalité du lieu de la manifestation. Cependant, le Manifesté ne provient pas de la soumission car Il ne peut pas se situer en dessous de celle-ci et ce qui provient d’une origine est nécessairement en dessous du niveau de cette dernière. […]
Chapitre 131. Concernant l’abandon de la station de soumission (tark al-‘ubudīya).
[…]
Le terme de soumission (‘ubūdīya) est lié au terme de servitude (‘ubūda). On emploie le terme de servitude (‘ubūda) pour tout ce qui se passe de lien et n’accepte plus de mise en relation, que cela soit avec Dieu ou avec le moi. Ainsi, le suffixe de l’affiliation en īya disparaît. L’être le plus vil est celui ou celle qui se place en relation de filiation avec quelque chose de bas dans le but d’en retirer quelque gloire. C’est pourquoi le Coran décrit la Terre comme ce qui le plus bas (Coran 67 : 15) car même les plus avilis marchent encore sur elle.
La station de soumission (‘ubūdīya) est la station de l’abaissement (dhila) et de la pauvreté (īftiqār). La soumission ne peut en aucun cas être considérée comme un attribut divin. Ainsi, le mystique Abū Yazīd al-Basṭāmī ne trouvait pas le moyen qui le rapprocherait de Dieu car il voyait bien que tous les attributs désignés pour permettre ce rapprochement contenaient déjà une part de l’essence divine. Il implora alors : « Oh Dieu, par quel moyen pourrais-je me rapprocher de Toi? ». Dieu lui répondit de la manière avec laquelle il répond à ses aimé.es : « Tu gagneras cette proximité en t’associant aux attributs qui ne me caractérisent pas, par l’abaissement et la pauvreté ». […] Ici se dévoile le secret pour qui Dieu a ouvert les yeux de la vision intérieure.
Le terme de servant.e (‘abd) est sémantiquement lié à ce qui est bas (dhalīl). Dans le Coran, on trouve l’expression, la terre faite servante, c’est-à-dire rendue à un état inférieur. Dieu dit également : « J’ai créé les jinns et les humains pour qu’ils puissent me servir » (Coran 51 : 56). Dieu mentionna seulement ces deux catégories d’être car, de toutes les créatures, seuls les humains et les jinns prétendent s’arroger ce qui revient à Dieu. Aucune autre créature ne plaça le divin ailleurs qu’en Dieu, et aucune ne se montra fière au point d’asservir la création. Ibn ‘Abbās, jeune Compagnon du Prophète, dit au sujet du verset cité plus haut : « L’expression ‘me servir’ est employée dans le sens de ‘me connaitre’. Ainsi, ce verset ne peut être expliqué par le simple phénomène de dénotation (dalāla) […] ». Ibn ‘Abbās explique l’adoration éprouvée dans le culte (‘ibāda) à partir de la connaissance gnostique (ma‘arifa), qui en constitue la compréhension intérieure.
Aucun individu n’a réalisé cette station de soumission de manière aussi complète que le Messager de Dieu car il en était le pur serviteur, celui qui avait renoncé à tous les états qui l’auraient fait sortir des différents niveaux de soumission. Dieu témoigne dans le Coran de la manière dont il fut à la fois serviteur de son Essence et de ses Noms. Il dit au sujet de ses Noms: « lorsque le serviteur de Dieu se leva et l’implora » (Coran 72 : 19) et au sujet de Son Essence : « Gloire à Celui qui transporta son serviteur pour le Voyage Nocturne » (Coran 17 : 1) où il est précisé que Mahomet est transporté en tant que « serviteur » pour cette rencontre avec Dieu lors du Voyage Nocturne. […]
La relation du serviteur avec Dieu dans cet état de soumission est comme celle de l’ombre avec la personne qui la projette lorsque placée face à une lampe: plus cette personne se rapproche de la lampe et plus l’ombre s’allonge. La proximité avec Dieu s’acquiert en cultivant vos attributs spécifiques [de pauvreté, de dépendance] et non en vous affublant des Siens. Plus la personne s’éloigne de la lampe et plus l’ombre devient courte: car rien ne vous éloigne plus de Dieu que d’oublier les attributs qui vous caractérisent et de ne vous préoccuper que de ceux qui Lui appartiennent. « Alors Dieu scelle les cœurs à l’arrogance outrecuidante » (Coran 40 : 35). Fierté et pouvoir absolu sont deux attributs qui ne peuvent appartenir qu’à Dieu.
Ainsi le Prophète dit : « Je cherche refuge en Toi de Toi ». [1] La station de soumission est une protection pour le serviteur qui se préserve ainsi de l’illusion de partager les attributs positifs, négatifs et corrélatifs qui appartiennent exclusivement et uniquement à Dieu et qui ne peuvent être partagés. […] Mais lorsque tu Le rencontres par le biais des attributs partagés, alors il t’apparait sous forme de théophanie et tu parviens à la connaissance des mystères de Sa relation à toi par le biais de ta relation à Lui. Cette science est exceptionnelle et tu trouveras peu y ayant goûté.
Quant à la pure servitude (‘ubūda’), tu ne sais à quelles sciences elle te permettra d’accéder, car il y a annihilation du lien avec ton Créateur. […] Le signe du passage à cette station de pure servitude est que le Manifesté est décrit dans le lieu de la manifestation d’après les attributs du serviteur. Le Manifesté est coloré par la réalité du lieu de la manifestation. Cependant, le Manifesté ne provient pas de la soumission car Il ne peut pas se situer en dessous de celle-ci et ce qui provient d’une origine est nécessairement en dessous du niveau de cette dernière. […]
Chapitre 131. Concernant l’abandon de la station de soumission (tark al-‘ubudīya).
Tu seras réprimandé pour avoir recherché tes origines et t’être arrêté au simple effet – Dis-toi bien que tu appartiens à Dieu et non à la création !
Nous sommes le lieu de la Manifestation et Celui qui est vénéré le manifeste – Le lieu de la manifestation de l’être correspond aussi à l’essence de l’être ; dès lors, prends garde !
Il ne nous fit pas venir en vain, mais dans le but de Le vénérer – Tel est bien l’enseignement des sagesses révélées et rationnelles.
Cependant, nous ne pouvons le vénérer sauf au travers de Sa forme – Il est le Dieu dans le pli duquel repose chaque être humain.
Dès lors, quel est ce décret divin, si ce n’est ce qui constitua notre forme ? – Et que sont le contrôle, le jugement et la destinée ?
Tout n’est qu’avertissement, si tu es doué de raison – La personne qui suit les avertissements ne sera jamais dans l’erreur.
Dans le Coran, Dieu révéla : « Ceux qui disent ‘Dieu est le troisième des trois’ sont dans le blasphème » (Coran 5 : 77). Évite le blasphème celui qui dit plutôt « Dieu est le quatrième des trois ». S’Il était le troisième des trois ou le quatrième des quatre, tel que l’imaginent ceux qui conspirent, Il serait du même ordre de réalité que les choses du possible. Mais le Tout-Puissant n’est pas du même ordre ! On ne peut donc dire qu’Il est l’un d’eux, car Il est Un éternellement pour le multiple comme pour l’individuel, sans jamais participer de leur espèce. On dira ainsi qu’Il est le quatrième des Trois et qu’Il est Un, le cinquième des quatre et qu’il est Un, et ainsi de suite…
C’est en ce sens qu’Il est nommé Allah. Bien qu’il soit l’Existence manifestée en toute forme devenue lieu de la Manifestation, Il est absolument étranger à leur espèce, car Il est l’Être par essence nécessairement existant, alors que la forme est par essence nécessairement non-existante. La forme possède la capacité d’ordonner la chose qui la revêt, tout comme les ornements apportent certains traits pour qui s’en pare. La relation du possible vis-à-vis du Manifeste est caractérisée par la connaissance et le pouvoir du Sachant et le Tout-Puissant. Ainsi, d’après cette relation on pourra dire que les existants sont doués de savoir et de pouvoir ; en revanche, pour bien maintenir la distinction avec Dieu on dira de Lui qu’il est sachant par essence et tout-puissant par essence.
[…] Il n’y a d’autre existant que Dieu, tandis que le possible demeure dans un état de non-existence. Ainsi, la chose devient existante, sans être Dieu et tout en n’étant plus le possible, ou bien elle est considérée comme existante en tant qu’expression de l’essence divine. Mais s’il s’agit d’existence comme ajout dès lors il ne s’agit ni de Dieu ni de l’essence des possibles. Seul Dieu possède une existence effective et par elle-même, puisqu’il a été prouvé qu’il n’y a pas d’existence éternelle et sans commencement, excepté celle Dieu. Il est le seul Être nécessaire en lui-même. Il a aussi été établi qu’il n’y a pas d’existence en elle-même si ce n’est par Dieu. […] Ainsi, il est indiqué dans le Coran : « Nous avons créé les cieux et la Terre et tout ce qui se situe entre deux par l’intermédiaire de l’unique Vérité » (Coran 15 : 85). [2] De Lui proviennent tout ce qui est d’ordinaire attribué aux réalités des choses. De cette manière, les limites sont bien occasionnées, les mesures manifestées, les jugements et décrets sont exercés, le haut, le bas, le milieu positionnés, les choses dans leurs diversités et ressemblances, les types, genres, espèces, individus, les états et propriétés des existants, tous deviennent des manifestations au sein d’une seule et même Essence. Les formes se distinguent en Lui et les Noms de Dieu se manifestent. Les traces de cette Essence se retrouvent dans ce qui est manifesté sur le plan de l’existence. Cependant, les traces sont systématiquement rapportées aux Noms Divins afin de ne pas être prises pour la manifestation d’entitées potentielles. Tout comme le Nom est le Nommé, il n’y a rien dans l’existence si ce n’est Dieu. Il est le Juge et Celui qui reçoit la pénitence et s’est lui-même décrit par cette capacité à recevoir.
Il est extrêmement difficile d’établir une formulation claire de cette question. Les mots sont trop pauvres et les concepts ne parviennent pas à rendre compte de ce qui est en jeu tant ces réalités nous échappent rapidement et du fait de l’aspect contradictoire des propositions. Ce problème apparait dans le Coran lorsque Dieu dit, en parlant d’une poignée de terre : « Ce n’est pas toi, Prophète, qui l’as jetée lorsque tu la jetas », avec une négation suivie d’une affirmation, et de la conclusion « mais Dieu qui la lança » (Coran 8 : 17). Ici Dieu nie d’abord l’être de Mahomet puis se confirme comme essence mahommédienne et lui apporte le nom de Dieu. Ici on trouve le cœur de cette question et le sens de l’abandon de la station de soumission pour les gens de l’élite proche de Dieu.
Celles et ceux qui descendent de ce niveau diront alors qu’il n’est pas permis d’abandonner intérieurement cette station car l’être temporel ne nie pas la condition de pauvreté ontologique qui lui est propre. Cette pauvreté l’abaissera nécessairement et cet abaissemement est l’essence même de la soumission (‘ubūdīya). Cette personne est maintenue dans la station de soumission à moins de parvenir à un état de connaissance supérieure des choses.
En revanche, l’abandon de la station de soumission par le porte de la gnose se produit grâce au contrôle de soi auquel parvient le serviteur de Dieu, et non par son pouvoir d’action. Cette porte permet d’associer le terme de servitude à cette personne et la station de soumission est alors quittée. Le statut de soumission implique en réalité de ne pas aller au-delà des injonctions du maître. Le serviteur de Dieu qui reçoit l’injonction est déjà dans un état où ses actes sont en accord avec l’injonction. Les actes sont créés par Dieu. Il est l’Ordre et Celui qui ordonne. Dès lors, où se trouve le véritable contrôle de soi, auprès du serviteur se tenant prêt à répondre aux ordres du Maître, ou bien auprès de celui qui est dans la contestation et choisit la fuite ?
Au moment où se manifeste le pouvoir divin par l’occurrence d’actions intérieures et extérieures, la personne nommée « serviteur » de Dieu se trouve en état soit de conformité ou d’opposition avec l’injonction. S’il en est ainsi, alors il ne s’agit pas de soumission par contrôle de soi et la personne appartenant à cette station est un être qui existe sans avoir à se soumettre à la règle. Ceci est la station de la vérification pour les savants ayant goûté la connaissance parmi les gens de Dieu. Tous s’accordent sur ce point sauf un groupe parmi nos compagnons et d’autres qui ne sont pas de notre communauté. Ces gens maintiennent que la chose contingente possède ses actes et que Dieu a délégué à ses serviteurs et les a rendus responsables de l’accomplissement d’actes contingents. Ainsi, le Coran prescrit l’accomplissement d’actes [de dévotion]. Étant donné qu’ils confirment que ses actes appartiennent au serviteur, le contrôle de soi ne permettra pas l’abandon de la station de la soumission.
***
Les Sagesses (Ḥikam) du savant et mystique égyptien Ibn ‘Aṭṭa Allāh (m. 709 AH / 1310 CE)
Treizième Sagesse
Comment le cœur peut-il être illuminé
Alors que les formes des choses créées se reflètent encore dans son miroir ?
Comment peut-il partir en quête de Dieu Alors qu’il est enchaîné par ses désirs ?
Comment peut-il désirer entrer dans la Présence de Dieu
Alors qu’il ne s’est pas encore lavé de la tache de la négligence et de l’oubli ?
Comment peut-il comprendre les mystères subtils
Alors qu’il ne s’est toujours pas repenti de sa chute ?
Comment le cœur peut-il être illuminé
Alors que les formes des choses créées se reflètent encore dans son miroir ?
Comment peut-il partir en quête de Dieu Alors qu’il est enchaîné par ses désirs ?
Comment peut-il désirer entrer dans la Présence de Dieu
Alors qu’il ne s’est pas encore lavé de la tache de la négligence et de l’oubli ?
Comment peut-il comprendre les mystères subtils
Alors qu’il ne s’est toujours pas repenti de sa chute ?
Quarante-septième Sagesse
N'abandonne jamais l'invocation,
Même si la raison que tu en donnes est que tu ne perçois pas la présence de Dieu.
Car ta négligence et ton oubli de l’invocation sont pire que ta négligence dans l’invocation.
Peut-être t’élèvera-t-il d’une invocation mêlée d’oubli,
Vers une invocation vigilante, puis vers une invocation mêlée de Sa présence, et de cette dernière, vers une invocation où toute chose est délaissée excepté l’Invoqué.
Et {Ceci ne représente aucune difficulté pour Dieu} (Coran 35 : 17).
N'abandonne jamais l'invocation,
Même si la raison que tu en donnes est que tu ne perçois pas la présence de Dieu.
Car ta négligence et ton oubli de l’invocation sont pire que ta négligence dans l’invocation.
Peut-être t’élèvera-t-il d’une invocation mêlée d’oubli,
Vers une invocation vigilante, puis vers une invocation mêlée de Sa présence, et de cette dernière, vers une invocation où toute chose est délaissée excepté l’Invoqué.
Et {Ceci ne représente aucune difficulté pour Dieu} (Coran 35 : 17).
Cent Quatorzième Sagesse
L’être humain oublieux se lève le matin et se demande ce qu’il va faire de sa journée.
L’être humain intelligent observe au contraire ce que Dieu va faire de lui !
L’être humain oublieux se lève le matin et se demande ce qu’il va faire de sa journée.
L’être humain intelligent observe au contraire ce que Dieu va faire de lui !
Paroles du savant et maitre soufi algérien al-shaīkh Aḥmad al-‘Alawī (m. 1351 AH – 1934 CE)
De même, si vous interrogez quelqu’un qui porte un chapelet à la main, cette personne vous dira probablement : « Je le tiens pour le rappel à Dieu et garder en mémoire Sa présence. Le Prophète disait que « le chapelet est un objet merveilleux qui permet de toujours se souvenir Dieu » et qualifiait ceci de « pieuse intention ». Il y a aussi celles et ceux qui portent des chapelets en imitation des gens de la dévotion, dans l’espoir un jour d’arriver à leur degré, et ceci est également une pieuse intention. Enfin, il y en a d’autres que vous avez qualifié d’hypocrites, et qui {ne se souviennent que très peu de Dieu} (Coran 4 : 142).
À la lecture de versets tels que ce dernier, les gens du taṣawwuf ont choisi de s’imprégner du souvenir de Dieu de manière publique et en visant l’abondance dans le rappel. De cette façon, ils passent de la catégorie de « peu » à celle de « beaucoup » et échappent au risque d’imposture concernant celles et ceux qui ne se souviennent que peu de Dieu. Puisse l’inspiration venue de Dieu nous habiter, et puisse-t-il nous inviter à Son souvenir ainsi qu’à celui de Ses saints ! .
(Extraits tirés du journal al-Balāgh al-jazā’irī, édité par le shaīkh al-‘Alawī)
Bien que Dieu se manifeste sous certaines formes, Il n’en délaisse pas moins celles que nous ne savons voir, car les formes limitées auxquelles nous nous attachons sont souvent aussi les plus éphémères. […] Le Prophète Abraham se méfiait des formes éphémères de la manifestation et préférait Le reconnaître en tout. C'est pourquoi dans le Coran Abraham dit qu’il ne souhaite plus se tourner vers les choses dont la nature est de disparaître, même pour reconnaître en elles la présence de Dieu, de peur qu’avec leur disparition il L’oublie aussi. Il ajoute : « Je tourne mon visage exclusivement vers Celui qui a créé les cieux et la terre ». Partout où son regard se porte se trouve la Beauté de Dieu.
(Extrait de l’ouvrage al-Minaḥ al-Quddūssiya par le shaīkh al-‘Alawī)
Fixe par les yeux du cœur les lettres contenues dans le nom de Dieu
Par Sa grâce tu les verras briller,
Claires à l’horizon, bien qu’elles ne s’illuminent que dans ton cœur.
Lorsque ton moi et le Nom s’assemblent, l’oubli et la négligence disparaissent.
Élargis donc les lettres du Nom autant que possible !
(al-shaīkh al-‘Alawī, Extrait du premier poème de son Diwān)
À la lecture de versets tels que ce dernier, les gens du taṣawwuf ont choisi de s’imprégner du souvenir de Dieu de manière publique et en visant l’abondance dans le rappel. De cette façon, ils passent de la catégorie de « peu » à celle de « beaucoup » et échappent au risque d’imposture concernant celles et ceux qui ne se souviennent que peu de Dieu. Puisse l’inspiration venue de Dieu nous habiter, et puisse-t-il nous inviter à Son souvenir ainsi qu’à celui de Ses saints ! .
(Extraits tirés du journal al-Balāgh al-jazā’irī, édité par le shaīkh al-‘Alawī)
Bien que Dieu se manifeste sous certaines formes, Il n’en délaisse pas moins celles que nous ne savons voir, car les formes limitées auxquelles nous nous attachons sont souvent aussi les plus éphémères. […] Le Prophète Abraham se méfiait des formes éphémères de la manifestation et préférait Le reconnaître en tout. C'est pourquoi dans le Coran Abraham dit qu’il ne souhaite plus se tourner vers les choses dont la nature est de disparaître, même pour reconnaître en elles la présence de Dieu, de peur qu’avec leur disparition il L’oublie aussi. Il ajoute : « Je tourne mon visage exclusivement vers Celui qui a créé les cieux et la terre ». Partout où son regard se porte se trouve la Beauté de Dieu.
(Extrait de l’ouvrage al-Minaḥ al-Quddūssiya par le shaīkh al-‘Alawī)
Fixe par les yeux du cœur les lettres contenues dans le nom de Dieu
Par Sa grâce tu les verras briller,
Claires à l’horizon, bien qu’elles ne s’illuminent que dans ton cœur.
Lorsque ton moi et le Nom s’assemblent, l’oubli et la négligence disparaissent.
Élargis donc les lettres du Nom autant que possible !
(al-shaīkh al-‘Alawī, Extrait du premier poème de son Diwān)