Dimanche 22 Juin 2014

Pas de printemps pour la Syrie. Les clés pour comprendre les acteurs et les défis de la crise (2011-2013). François Burgat, Bruno Paoli (dir.)

Par Fella Adimi.



Présentation de l'éditeur

Depuis le déclenchement en mars 2011 de la révolte syrienne, sa brutale répression par le régime de Bachar el-Assad et la guerre civile internationalisée qui a suivi ont fait des dizaines de milliers de morts et des millions de déplacés. Bouleversant la lecture des transitions démocratiques arabes, ce conflit affecte également les équilibres d'une région stratégique. Cette nouvelle « guerre sans fin », alimentée par les jeux cyniques des grandes puissances et des États régionaux, se révèle d'autant plus malaisée à décrypter qu'elle fait l'objet de toutes sortes de désinformations. 

C'est dire l'importance de cet ouvrage, qui réunit les contributions de vingt-huit spécialistes, membres ou familiers de l'Institut français du Proche-Orient (Ifpo) et fins connaisseurs de la Syrie et de la région. De façon très accessible et en privilégiant les informations recueillies au plus près des acteurs, ils apportent des clés indispensables pour comprendre les racines historiques et les ressorts politiques, économiques et idéologiques de la crise. Non sans exprimer des sensibilités différentes, échos de la diversité des réactions face à ce drame. Certains, qui avaient très tôt pointé les risques de dérives sectaires et d'instrumentalisation de la révolte par des puissances étrangères, craignent pour la Syrie un avenir d'« irakisation ». D'autres, sans écarter une telle issue, espèrent que l'extrémisme d'activistes des deux camps n'empêchera pas l'émergence d'une société civile capable de résister aux sirènes de la division confessionnelle ou du radicalisme islamiste. 
Un livre indispensable pour en finir avec les simplifications sur la tragédie syrienne, et mieux percevoir ce que vivent ses acteurs et ses victimes.
 



Relié: 356 pages
Éditeur : LA DECOUVERTE (5 décembre 2013)
Collection : Cahiers libres
Langue : Français
ISBN-10: 270717775X

ISBN-13: 978-2707177759
Dimensions du produit: 23,8 x 15,4 x 3,6 cm

Cet ouvrage, très riche, invite à regarder un conflit en cours sous différents angles, au plus loin des passions et des simplifications. Vingt-huit spécialistes offrent de nombreuses clés pour comprendre et appréhender les ressorts de cette crise syrienne qui dure depuis trois ans et qu’il n’est pas toujours facile de suivre par le biais des grands canaux d’information.
Alors que le journalisme de reportage est de moins en moins pratiqué en raison de son coût (1) , l’accès au terrain syrien est complexifié par la difficulté d’obtenir des visas. Les images de professionnels étant rares, ce sont celles d’amateurs qui apparaissent. Dans ce contexte, la vidéo s’impose comme un nouvel outil d’expression, facilitant la mobilisation et l’organisation des opposants et la diffusion des messages via Internet. Cécile Boëx s’intéresse à cet outil d’action collective et de mobilisation dont l’impact reste toutefois limité – ces vidéos, trop nombreuses et anonymes, étant peu reprises par les médias. Le livre met en exergue les spécificités de la révolte syrienne, ses motivations et ses composantes. Comment a-t-elle commencé ? Les premières mobilisations syriennes sont restées pacifiques, regroupant principalement des sunnites (ils constituent 75 % à 80 % de la population), après la prière du vendredi (2) . Elles se sont par la suite progressivement transformées en une guerre civile sectaire. L’ouvrage insiste sur le rôle joué par la répression du gouvernement dans la radicalisation des manifestants.

3Ce soulèvement s’inscrit dans un contexte plus large, celui des révoltes arabes. La dénonciation de l’autoritarisme, du clientélisme et de la corruption des gouvernants sont, çà et là, au cœur des protestations des peuples. Pourquoi les Syriens ont-ils pour le moment échoué dans leur entreprise révolutionnaire, contrairement à la Tunisie, à l’Egypte, à la Libye et au Yémen ? La stratégie de Bachar al-Assad est décortiquée dans les deux premiers chapitres de l’ouvrage, qui permettent d’envisager comment a pu perdurer un régime dont la chute semblait inévitable au printemps 2011.

4L’on découvre notamment que le pouvoir en place s’est appuyé sur les services de renseignement, les moukhabarat, omniprésents en Syrie, pour fragmenter l’opposition et entraver son organisation. Parallèlement, l’ouvrage indique comment, face à cette répression, les protestataires se rassemblent et mettent en place des structures locales autogérées. Dans des zones libérées comme Alep, durant les premiers mois du conflit, des embryons d’institutions civiles et militaires apparaissent.

C’est en exploitant, voire en accentuant les divisions au sein de la société syrienne que Bachar al-Assad est parvenu à se maintenir. Il a notamment œuvré pour une confessionnalisation du conflit, ce qui lui a par la suite permis de se poser comme garant de la laïcité d’État et protecteur des minorités. Pourtant, comme l’indique Mathieu Rey, c’est dans des contours territoriaux, ceux des quartiers, que se sont façonnés les espaces de lutte et d’engagement.

 

Les revendications des Syriens sont avant tout politiques : ils souhaitent l’institution d’un État de droit, de la liberté et de la justice. Mais le régime a fait basculer ce soulèvement politique vers une révolte armée, pour s’assurer de son échec. Il a, ensuite, surfé sur la confusion, notamment en investissant le champ médiatique. En désinformant, il a discrédité les contestataires et effrayé les minorités, notamment les alaouites. Bruno Paoli s’intéresse à cette population et va puiser dans ses racines historiques pour expliquer le repli communautaire des alaouites qui se sont rangés derrière le pouvoir syrien, comme la majorité des chrétiens – réticents à l’égard de l’opposition islamiste. Les alaouites sont loin d’être une communauté dominante, comme l’explique l’auteur. Le régime syrien est un pouvoir au service non d’une communauté mais d’un clan. Samir Aïta invite à ne pas négliger les fondements économiques de la révolte. Il évoque, à ce propos, la libéralisation économique intervenue depuis 2005 ou encore l’arrivée massive de réfugiés irakiens en 2006-2007.

 

Ce livre, qui puise ses sources dans des recherches, des témoignages de terrain mais aussi dans la presse, permet d’appréhender les différentes composantes qui façonnent la Syrie depuis 2011. Il y a une multitude d’acteurs : des chababs de Daraya (Mouvement syrien pour la non-violence), une partie de la jeunesse kurde ou encore les oulémas (l’élite religieuse syrienne). Ces derniers, divisés, ne seront pas soutenus par la bourgeoisie conservatrice, qui bénéficie d’un certain confort et ne juge pas la situation assez catastrophique pour s’opposer à Bachar al-Assad. Malgré ce manque de soutien, des clercs vont peser dans la construction d’un nouvel ordre institutionnel dans les endroits échappant au contrôle du régime. Des oulémas opposants fuient, laissant la place libre à de nouveaux prédicateurs islamistes.

 

L’ouvrage aborde la question de l’insurrection armée et précise que c’est la militarisation de la révolte, avec la création de l’Armée Syrienne Libre (ASL), qui explique la confessionnalisation sunnite de la résistance. Les composantes idéologiques de la révolte vont se modifier avec l’apparition de divers groupes de combattants islamistes ; certains sont proches des Frères musulmans, d’autres sont salafistes. François Burgat et Romain Caillet s’intéressent aux noyaux les plus radicaux et aux motivations de leurs membres. Le groupuscule Jabhat al-Nosra, qui deviendra l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), œuvre à la création d’un État religieux transnational. Plus largement, l’action de ces groupes radicaux, qui mobilisent des combattants étrangers, déborde les frontières syriennes et se démarque du combat national de l’ASL, tout en mettant en danger les composantes non sunnites de la société syrienne.

 

Nicolas Dot-Pouillard démontre que le dirigeant syrien n’a, face à lui, aucun leader, aucune coalition politique stable et unie. Il y a, au sein des différents groupes, des divergences concernant les possibles négociations avec le régime, la nécessité du recours aux armes ou encore les alliances internationales à établir.

Des éléments de cadrage historiques permettent de mieux comprendre le conflit syrien. Une ville comme Hama, qui a été depuis 2011 au cœur de l’insurrection contre le pouvoir en place, a été en février 1982 le théâtre d’une révolte des Frères musulmans, réprimée dans le sang par Hafez al-Assad. Cet épisode est resté vif dans les esprits syriens.

Pour discréditer les opposants, le régime a aussi diffusé, par le biais des médias officiels, la thèse d’un complot orchestré par l’Occident. Si cette accusation relève de la propagande étatique, la Syrie n’en apparaît pas moins comme un terrain d’affrontements régionaux et internationaux : Téhéran contre Riyad, Moscou contre Washington et Paris. Entre le printemps 2011 et l’année 2013, Damas a su attirer les soutiens et est parvenu à être de moins en moins isolé. Qu’ils soient favorables ou non au régime, ces pays tiers ont des motivations diverses mais qui sont tout d’abord intérieures. L’Arabie Saoudite s’oppose au régime syrien pour des raisons stratégiques régionales, ceci dans le but de sauvegarder et de renforcer sa légitimité, c’est pourquoi elle craint de voir des démocraties se multiplier dans le monde arabe. Elle souhaite contrecarrer l’arc chiite composé de l’Iran, qui quant à lui ne veut pas se retrouver entouré par des sunnites – même si le nouveau président, Hassan Rohani, a montré une volonté de dialogue avec l’Arabie Saoudite. Le Qatar, lui aussi actif en Syrie et notamment dans l’armement de rebelles, désire favoriser l’accès des Frères musulmans au pouvoir, ce qui constitue un sujet de discorde entre l’émirat et le régime wahhabite (3).

 

12La Russie, qui soutient Damas, craint aussi, pour des raisons intérieures et régionales, l’arrivée des islamistes au pouvoir et, surtout, met un point d’honneur à opposer son veto à toute sanction car, comme la Chine, elle s’est sentie flouée sur le dossier libyen. Moscou profite de ce conflit pour s’imposer comme une puissance et retrouver une place sur la scène diplomatique. Cette crise occasionne, plus largement encore, des bouleversements pour d’autres pays (la Turquie, le Liban, l’Irak…) et jusqu’aux gauches arabes, déchirées entre aspirations révolutionnaires, peur de l’islamisme et anti-impérialisme.

13Les conséquences humanitaires du conflit en font aussi une crise particulière. Près de 7 millions de Syriens auraient besoin d’aide humanitaire ; ils se dirigent vers les pays voisins, ce qui est source de déstabilisation : « La seule Jordanie devrait en accueillir, à la fin 2013, 1,2 million (soit un cinquième de la population hachémite) », précise Laura Ruiz De Elvira Carrascal.

14L’ouvrage se termine sur le soutien des diasporas d’Amérique Latine au régime. Certains points auraient mérité d’être développés, comme celui des forces armées du régime ou l’incapacité des Occidentaux à mobiliser la communauté internationale, que note Alain Gresh. Quoi qu’il en soit, et malgré la difficulté de la tâche, que les auteurs soulignent, l’ouvrage offre une synthèse assez remarquable sur cette crise et de nombreuses clés pour en saisir les tenants et aboutissants. Il a également le mérite de donner la parole à des Syriens dont les témoignages, souvent poignants, invitent à percevoir ce qu’est la vie sous Bachar al-Assad.


Publié en partenariat avec le site Liens Socio

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1 Ignacio Ramonet, L’explosion du journalisme, Des médias de masse à la masse des médias, Paris, Galilée, 2011.

2 Il s’agit là d’une tradition « quasi-millénaire réactualisée dans les années 1930 », comme le précise François Burgat.

3 Le 5 mars 2014, l’Arabie Saoudite a rappelé son ambassadeur à Doha. Barthe Benjamin, « Le Koweït en médiateur dans la guerre froide entre le Qatar et l’Arabie Saoudite », Le Monde, 24mars 2014 : http://lc.cx/GCk.



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