Sociologue des religions (Maghreb, islam), membre du CISMOC (Université de Louvain, Belgique) et… En savoir plus sur cet auteur
Lundi 1 Aout 2016

Quand j'étais imam... C'est en forgeant qu'on devient forgeron


Le septième volet de la série de chroniques publié par nos confrères de Zaman France sur Omero Marongiu-Perria. Ce volet fait référence à son parcours d'imam et dresse la critique des discours de peur excessive de certains prédicateurs sur l'Enfer et les châtiments consécutifs aux péchés.



Omero Marongiu-Perria

Publication en partenariat avec nos confrères de Zaman France.


Quand j'étais imam... C'est en forgeant qu'on devient forgeron (7/10)

Le septième volet de la série de chroniques d'Omero Marongiu-Perria sur son parcours d'imam dresse la critique des discours de peur excessive de certains prédicateurs sur l'Enfer et les châtiments consécutifs aux péchés.


Comme le dit l'adage : «C'est en forgeant que l'on devient forgeron» ; pour ma part, comme pour celle d'une bonne partie des «imams» et des prédicateurs de ma génération, nous avons eu à peu près les mêmes parcours d'autodidactes qui ont forcé, à l'époque, l'admiration d'une large majorité de notre public.

De ce point de vue, l'aura du tribun repose à la fois sur sa capacité à rompre avec le discours traditionnel de l'imam venu des pays d'islam, en s'ouvrant à la rhétorique dans la langue de Voltaire, mais également sur la mise en avant de son parcours autodidacte ou au sein de son institution d'appartenance.

Par institution, j'entends bien entendu ici le cadre idéologique dans lequel il s'insère et qui va asseoir sa légitimité. Il n'en demeure pas moins que nous avons appris le métier sur le tas ; nous avons forgé, puis forgé à nouveau, créé des discours à partir de scories, nous avons parfois raconté tout et n'importe quoi, jusqu'à trouver, les uns et les autres, une espèce d'identité propre et une façon de discourir.

Les leçons de l'aspirant imam

J'ai tant d'anecdotes dans mon escarcelle à ce propos que je pourrais remplir des pages et des pages, mais je me contenterai d'en livrer ici juste quelques unes, ni par simple plaisir masochiste, ni par désir d'auto-flagellation, mais simplement pour laisser à la postérité quelques fragments d'un parcours, au sein d'une histoire globale qui a tout de même influencé la situation actuelle de l'islam français.

J'ai gardé en mémoire, notamment, quelques situations au cours desquelles j'ai bénéficié du regard bienveillant de musulmans qui, par leur façon de m'indiquer mes bourdes, ont été de véritables éducateurs d'un instant pour ma progression à long terme.

Ils n'étaient pas forcément des gens de science, souvent c'étaient des gens ayant tout simplement mis en œuvre leur esprit critique et soucieux d'avoir face à eux un tribun qui soit mesuré dans ses propos, aussi bien au plan rhétorique qu'au plan théologique.

Une première anecdote qui me vient à l'esprit concerne un prêche du vendredi que j'avais donné à la salle de prière de la résidence Boucher, sur le campus de Villeneuve d'Ascq.

Instiller la crainte de l'Enfer aux fidèles

Alors que j'étais déjà quelque peu aguerri à l'exercice, je prenais la parole sur le sujet de la crainte du péché. J'avais bâti tout mon sermon à partir de deux ouvrages en arabe : kitâb at-takhwîf minan-nâr – le Livre de la crainte de l'Enfer [qu'il faut susciter chez le musulman] – de l'illustre savant hanbalite Ibn Rajab, et kitâb muhâsabah an-nafs – le Livre de l'autocritique de l'âme – du spiritualiste musulman Ibn Abî ad-Duniâ.

Durant ce sermon, j'ai du présenter une bonne partie des supplices physiques qu'on peut s'auto-infliger pour développer un rapport de crainte vis-à-vis de Dieu ; pour susciter chez les étudiants la crainte du péché, j'ai raconté un tas d'histoires rapportées dans ces livres sur le fait que non seulement il fallait vivre constamment avec la peur du châtiment divin, mais qu'en plus de cela il fallait suivre l'exemple de nos pieux prédécesseurs qui n'hésitaient pas, comme untel, à demeurer une nuit entière la main au dessus d'une bougie pour sentir la douleur de la flamme, ou tel autre qui s'infligeait des douleurs pour ressentir la peur, etc.

«Omero, tu as vraiment exagéré»

A la fin de l'office, alors que les étudiants quittaient rapidement la salle de prière, l'un des responsables qui gérait le lieu s'est approché de moi et, sur un ton cordial mais exigeant, il m'a dit, simplement «Omero, tu as vraiment exagéré» en m'expliquant qu'il était mal-venu, voir dangereux, de bâtir un discours sur une approche négative de la sorte.

Sur le coup, je me suis rendu compte de mon exagération, mais je ne comprendrai la portée d'un tel propos que quelques années plus tard, lorsqu'un ami médecin, à Lille, nous indiquera à mon mentor et à moi-même la portée catastrophique, auprès du public, de discours qui peuvent les amener à franchir certaines limites, pouvant même les conduire au suicide.

Oui, le suicide, un énième tabou complètement occulté par les leaders religieux musulmans, lesquels préfèrent l'envisager sous l'angle strict de la déviance d'un individu par rapport à un interdit religieux fermement établi en islam.

De mémoire, c'est également l'époque où le fameux Livre des grands péchés – Kitâb al-kabâ'ir – de l'imam adh-Dhahabî sera traduit et diffusé par la maison d'édition libanaise Dar El Fikr, dans une version française criblée de coquilles et de fautes de syntaxe, et sans aucune mention de la multitude des contenus apocryphes du livre.

C'est le type d'ouvrages qui occasionneront des polémiques incessantes chez les musulmans, notamment pour certains contenus apocryphes qui seront diffusés à tout-bout-de-champ chez les publics francophones, plutôt jeunes, avec pas mal d'abus de la part des prédicateurs, mais pour la bonne cause bien entendu, sous-entendu pour susciter la crainte de l'Enfer chez les jeunes…



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