L’auteur souligne également que la culture laïque peut enfermer de la clôture dogmatique laïciste fondamentaliste. Il faudra éviter la confrontation entre deux attitudes dogmatiques : les prétentions théologiques des croyants et les postulats idéologiques du rationalisme positiviste...
Christian Lochon
Une recension de l’Académie des sciences d'outre-mer, sous licence Creative Commons (BY NC ND).
Broché: 254 pages
Editeur : Albin Michel (29 août 2018)
Langue : Français
ISBN-13: 978-2226437488
Editeur : Albin Michel (29 août 2018)
Langue : Français
ISBN-13: 978-2226437488
Par Christian Lochon
Le Professeur Mohamed Arkoun (1928-2010) fut un grand et exigeant islamologue, pionnier d’une lecture scientifique des textes sacralisés de l’islam. Nous avions, dans ces colonnes, recensé en 2008 son ABC de l’Islam, pour sortir des clôtures dogmatiques (Paris Grancher) où nous recommandions de lire du même auteur Pour une critique de la Raison islamique (1984), Lectures du Coran (1990), Humanisme et Islam (2004). Cet ouvrage posthume intitulé Quand l’islam s’éveillera reprend d’ailleurs les thèmes de la réforme des sociétés islamiques contemporaines, mais à l’intention de publics aussi divers que des associations féminines à Casablanca en 2000 et 2001 ou des psychanalystes lacaniens à Fès en 2006.
Il y ajoute des souvenirs personnels « L’ijtihad (exégèse) m’a aidé à trouver des réponses à la pauvreté intellectuelle de la présentation des cours sur l’islam à l’Université d’Alger et au fait que la civilisation moderne soit considérée comme une civilisation universelle » (p.10).
L’auteur regrette que l’enseignement ultime soit le Coran qui détermine la méthodologie avec laquelle tirer des textes saints, les lois divines (p.26). Ainsi, les sermons dans les mosquées diffusent un islam ritualiste, dogmatique, anhistorique (p.110) ; les Ulémas ignorant le pluralisme doctrinal et la pratique de la « munazara » (disputatio) des cinq premiers siècles de l’hégire, condamnent les chercheurs en sciences de l’homme (p.152) ; les sociétés musulmanes vivent encore sous le régime mythologique et sacralisant de la vérité religieuse (p.199). Tout se passe comme si aucun événement intellectuel ne s’était produit depuis Ibn Taymiyya et le XIVe siècle (p.176). Ni le kémalisme, le nassérisme, le baathisme, la révolution dite islamique en Iran n’ont apporté les progrès annoncés parce qu’ils n’ont pas intégré les acquis positifs de la modernité (p.203). La Loi divine est affirmée dans des constitutions approuvées par le suffrage universel, sujettes à des remaniements discrétionnaires. On élude le terme fiqh pour accentuer la sacralisation de la charia. (p.86). L’islam est otage des activités politiques au sommet des États et de la démographie (p.108). L’islam est ainsi le refuge d’une jeunesse frustrée (p.109). Nous constatons donc le retour des formes claniques, tribales de solidarité au nom des droits à l’identité, à la différence, à l’autonomie (p106). La pensée théologique et éthique est réapparue dans la pensée islamique contemporaine sous la forme de l’idéologie de la libération politique et économique (p.58)
Le refus de l’historicité apparaît pour le Professeur Arkoun la raison de la régression de la pensée islamique. Le fait de proclamer que l’islam convienne à tous les lieux et pour tous les temps est un refus d’historicité (p.204). La doctrine religieuse annule l’historicité (p.220).En fait, la théorisation théologique a transformé en vérités transcendantes révélées par Dieu ce qui avait été des événements historiques (p.42). Les biographies de Mohamed sont la production de l’imaginaire social influencé par la vision mythique élaborée par le Coran (p.53). De même pour l’affirmation que l’espace cognitif médiéval aurait été un âge d’or (p.206) et pour la sacralisation du califat (219). En fait, le Coran est l’expression du processus historique, social, politique, culturel et psychologique qui a conduit le petit groupe de croyants au pouvoir. L’histoire, pour eux, est l’incarnation de la révélation interprétée par les Ulémas et préservée dans la mémoire collective (p.55)
Il est donc urgent de sortir de la clôture idéologico-islamique où se joue le destin du sujet humain dans l’ignorance institutionnalisée (p.192). L’auteur rappelle que le réformisme par l’ijtihad a toujours existé. Ainsi des Mutazilites qui s’efforcèrent de rendre pensable la question du discours créé par Dieu, mais le calife Al Qâdirbillah imposa le dogme du Coran incréé (p.37), du travail critique des hadiths (p.148) effectué par Al Hakim Al Nishabouri (933-1014), de la « disputatio » entre Al Ghazali et Averroès sur la connexion entre philosophie et révélation (p.72), d’Ibn Khaldoun (1332-1406), qui, après Mikawayh au Xe siècle, introduit le concept de société comme un objet de connaissance et de pensée (p.32). Puis le pouvoir en place exclut le pluralisme doctrinal appliqué jusqu’au XIVe siècle (p.63). Penser l’islam, c’est évaluer la complexité des connaissances historiques et mythiques (p.11) à travers l’explication moderne séculière de la religion comme production sociale et historique (p. 37). Ainsi du rôle imparti à la femme comme le rappelle Qassem Amine (1865-1908) dans sa Libération de la Femme dès 1899 (p.83). Aujourd’hui, le statut personnel confirme malheureusement le statut divin de la législation sur la condition féminine (p.199) qui fait persister l’inégalité dans le Coran homme/femme (p.239). La régression de la pensée islamique est visible au XXe siècle avec les condamnations de Mohamed Abdo, Ali Abderrazeq, Taha Hussein, Nasr Abou Zeyd (p.71).
M.Arkoun recommandait le comparatisme religieux : « Les trois religions révélées n’ont encore jamais été étudiées comparativement» (p.39) ; il y a eu une trop longue stagnation des religions monothéistes dans leurs clôtures dogmatiques respectives (p.119). L’imaginaire social contrôlé par les Ulémas est structuré aussi par les croyances et les représentations empruntées aux cultures qui ont précédé l’islam (p.45). Le judaïsme, le christianisme, l’islam présentent des mythes fondateurs à comprendre dans un jeu de réfractions multiples dans cet espace géohistorique méditerranéen, comme le souligne Rémi Brague » (p.93 et p.126) et de regretter que les habitants d’Afrique du Nord devenus progressivement arabo-musulmans aient oublié Saint-Augustin (p.118) ; c’est pourquoi les Kabyles et les Algériens arabophones adhèrent à l’islam fondamentaliste militant (p.238).
L’auteur souligne également que la culture laïque peut enfermer de la clôture dogmatique laïciste fondamentaliste (p.181). Il faudra éviter la confrontation entre deux attitudes dogmatiques : les prétentions théologiques des croyants et les postulats idéologiques du rationalisme positiviste (p.12). Une nouvelle fois, de manière posthume, ces textes revisités du Professeur Arkoun, nous l’espérons, nous éveilleront également.
Il y ajoute des souvenirs personnels « L’ijtihad (exégèse) m’a aidé à trouver des réponses à la pauvreté intellectuelle de la présentation des cours sur l’islam à l’Université d’Alger et au fait que la civilisation moderne soit considérée comme une civilisation universelle » (p.10).
L’auteur regrette que l’enseignement ultime soit le Coran qui détermine la méthodologie avec laquelle tirer des textes saints, les lois divines (p.26). Ainsi, les sermons dans les mosquées diffusent un islam ritualiste, dogmatique, anhistorique (p.110) ; les Ulémas ignorant le pluralisme doctrinal et la pratique de la « munazara » (disputatio) des cinq premiers siècles de l’hégire, condamnent les chercheurs en sciences de l’homme (p.152) ; les sociétés musulmanes vivent encore sous le régime mythologique et sacralisant de la vérité religieuse (p.199). Tout se passe comme si aucun événement intellectuel ne s’était produit depuis Ibn Taymiyya et le XIVe siècle (p.176). Ni le kémalisme, le nassérisme, le baathisme, la révolution dite islamique en Iran n’ont apporté les progrès annoncés parce qu’ils n’ont pas intégré les acquis positifs de la modernité (p.203). La Loi divine est affirmée dans des constitutions approuvées par le suffrage universel, sujettes à des remaniements discrétionnaires. On élude le terme fiqh pour accentuer la sacralisation de la charia. (p.86). L’islam est otage des activités politiques au sommet des États et de la démographie (p.108). L’islam est ainsi le refuge d’une jeunesse frustrée (p.109). Nous constatons donc le retour des formes claniques, tribales de solidarité au nom des droits à l’identité, à la différence, à l’autonomie (p106). La pensée théologique et éthique est réapparue dans la pensée islamique contemporaine sous la forme de l’idéologie de la libération politique et économique (p.58)
Le refus de l’historicité apparaît pour le Professeur Arkoun la raison de la régression de la pensée islamique. Le fait de proclamer que l’islam convienne à tous les lieux et pour tous les temps est un refus d’historicité (p.204). La doctrine religieuse annule l’historicité (p.220).En fait, la théorisation théologique a transformé en vérités transcendantes révélées par Dieu ce qui avait été des événements historiques (p.42). Les biographies de Mohamed sont la production de l’imaginaire social influencé par la vision mythique élaborée par le Coran (p.53). De même pour l’affirmation que l’espace cognitif médiéval aurait été un âge d’or (p.206) et pour la sacralisation du califat (219). En fait, le Coran est l’expression du processus historique, social, politique, culturel et psychologique qui a conduit le petit groupe de croyants au pouvoir. L’histoire, pour eux, est l’incarnation de la révélation interprétée par les Ulémas et préservée dans la mémoire collective (p.55)
Il est donc urgent de sortir de la clôture idéologico-islamique où se joue le destin du sujet humain dans l’ignorance institutionnalisée (p.192). L’auteur rappelle que le réformisme par l’ijtihad a toujours existé. Ainsi des Mutazilites qui s’efforcèrent de rendre pensable la question du discours créé par Dieu, mais le calife Al Qâdirbillah imposa le dogme du Coran incréé (p.37), du travail critique des hadiths (p.148) effectué par Al Hakim Al Nishabouri (933-1014), de la « disputatio » entre Al Ghazali et Averroès sur la connexion entre philosophie et révélation (p.72), d’Ibn Khaldoun (1332-1406), qui, après Mikawayh au Xe siècle, introduit le concept de société comme un objet de connaissance et de pensée (p.32). Puis le pouvoir en place exclut le pluralisme doctrinal appliqué jusqu’au XIVe siècle (p.63). Penser l’islam, c’est évaluer la complexité des connaissances historiques et mythiques (p.11) à travers l’explication moderne séculière de la religion comme production sociale et historique (p. 37). Ainsi du rôle imparti à la femme comme le rappelle Qassem Amine (1865-1908) dans sa Libération de la Femme dès 1899 (p.83). Aujourd’hui, le statut personnel confirme malheureusement le statut divin de la législation sur la condition féminine (p.199) qui fait persister l’inégalité dans le Coran homme/femme (p.239). La régression de la pensée islamique est visible au XXe siècle avec les condamnations de Mohamed Abdo, Ali Abderrazeq, Taha Hussein, Nasr Abou Zeyd (p.71).
M.Arkoun recommandait le comparatisme religieux : « Les trois religions révélées n’ont encore jamais été étudiées comparativement» (p.39) ; il y a eu une trop longue stagnation des religions monothéistes dans leurs clôtures dogmatiques respectives (p.119). L’imaginaire social contrôlé par les Ulémas est structuré aussi par les croyances et les représentations empruntées aux cultures qui ont précédé l’islam (p.45). Le judaïsme, le christianisme, l’islam présentent des mythes fondateurs à comprendre dans un jeu de réfractions multiples dans cet espace géohistorique méditerranéen, comme le souligne Rémi Brague » (p.93 et p.126) et de regretter que les habitants d’Afrique du Nord devenus progressivement arabo-musulmans aient oublié Saint-Augustin (p.118) ; c’est pourquoi les Kabyles et les Algériens arabophones adhèrent à l’islam fondamentaliste militant (p.238).
L’auteur souligne également que la culture laïque peut enfermer de la clôture dogmatique laïciste fondamentaliste (p.181). Il faudra éviter la confrontation entre deux attitudes dogmatiques : les prétentions théologiques des croyants et les postulats idéologiques du rationalisme positiviste (p.12). Une nouvelle fois, de manière posthume, ces textes revisités du Professeur Arkoun, nous l’espérons, nous éveilleront également.