Les nouvelles générations sont très appliquées dans le respect de ce rite islamique. Entre engagement spirituel, social ou communautaire, le phénomène séduit et trouve ses aficionados dans toute l'Europe.
Nous vous proposons ci-dessous une rencontre réalisée par le site Atlantico.fr avec deux chercheurs spécialites des questions liées à l'Islam : Haoues Seniguer et Mohamed-Ali Adraoui.
Cette publication s'effectue sur notre site avec l'accord de la rédaction du site Atlantico et des auteurs*.
Nous vous proposons ci-dessous une rencontre réalisée par le site Atlantico.fr avec deux chercheurs spécialites des questions liées à l'Islam : Haoues Seniguer et Mohamed-Ali Adraoui.
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Mohamed-Ali Adraoui (à gauche sur la photo) est chercheur et enseignant à Sciences Po et Fellow à l'Institut Universitaire Européen de Florence (Programme Max Weber). Il est l'auteur de l'ouvrage Du Golfe aux banlieues. Le salafisme mondialisé, Presses Universitaires de France, collection Proche-Orient, 2013.
Haoues Seniguer (à droite sur la photo) est docteur en science politique, chercheur associé au GREMMO et enseignant de science politique à l'IEP de Lyon.
Haoues Seniguer (à droite sur la photo) est docteur en science politique, chercheur associé au GREMMO et enseignant de science politique à l'IEP de Lyon.
De plus en plus de jeunes musulmans suivent le Ramadan en France. Comment l'expliquer ?
Haoues Seniguer : Il est difficile, en l'absence d'instruments de mesure sociologique ou de chiffres fiables en notre disposition, de dire si oui ou non "de plus en plus de jeunes musulmans suivent le Ramadan en France". Par ailleurs, peut-on avancer, sans nuance aucune, que seuls "les jeunes" seraient concernés par une telle croissance de l'observance de ce rite? Je serais là aussi mesuré même si je ne dénie pas une forme de "radicalité", au sens premier de l'étymologie, propre à la jeunesse. Cela dit, les jeunes, notamment ceux évoluant dans des familles pratiquantes ou observantes, suivent le mois du Ramadan pour des motivations différentes, parmi lesquelles le mimétisme et l'inscription dans l'héritage culturel familial. C'est moins forcément et systématiquement un engagement spirituel qu'un engagement fraternel, social, communautaire, etc.
Mohamed-Ali Adraoui : Tout d’abord, il est très difficile de donner des destinations précises des pratiques religieuses en France, des jeunes et de moins jeunes suivent le Ramadan. Néanmoins, on ne se trompe pas en disant qu’il y a une assiduité plus grande dans la pratique du jeûne. Je ne pense pas que cela signifie que ce sont des gens de plus en jeunes qui pratiquent ce rituel. Mais il est clair qu’en terme quantitatif, il y a depuis une quinzaine ou une vingtaine d’années, une propension plus importante à remplir ce devoir cultuel. Certaines personnes le font au nom d’une prise en compte de la foi, plus importante que par le passé. D’autres le font pour s’insérer dans un contexte familial où ce pilier de l’Islam revêt une dimension chaleureuse et festive. Ce contexte là incite un certain nombre de personnes, qui ne sont pas forcément très pratiquantes, à répondre à l’appel annuel du Ramadan.
Ce phénomène est-il spécifique à la France ?
Haoues Seniguer : Non, puisque vous observerez des attitudes ou des motivations similaires ou comparables non pas seulement ailleurs en Occident, mais également dans des sociétés majoritairement musulmanes. La mondialisation, et l'interpénétration des cultures qu'elle provoque, entraîne immanquablement une montée en puissance de l'individualisation de la religion ou de la religiosité. On assiste ainsi à ce que certains sociologues appellent "le bricolage identitaire". Celui-ci consiste en l'imbrication du rite en tant que tel, avec toutes sortes de motivations ou conduites tout à fait profanes qui en accompagnent la réalisation.
Mohamed-Ali Adraoui : Non, je ne pense pas. Un certain nombre de dynamiques sont loin d’être spécifiques à la France. La Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et d’autres pays connaissent également, au sein de leur population, un intérêt renouvelé pour le Ramadan. Au-delà de cela, je pense qu’il ne faut pas uniquement raisonner en terme de religion musulmane : au sein d’autres religions, il y a un regain des pratiques religieuses. Pour le judaïsme ou le christianisme par exemple, il y a une prise en compte grandissante de la norme religieuse. Ce phénomène n’est pas propre à l’Islam.
La jeune génération est-elle plus pratiquante que les précédentes ?
Haoues Seniguer : Les jeunes générations de musulmans français pratiquent certainement de façon plus impliquée ou conservatrice que la génération des parents. Cependant, je me garderais bien, une fois de plus, de toute forme de généralisation abusive.
Mohamed-Ali Adraoui : Il est extrêmement dur de savoir si la jeune génération pratique plus que la précédente. Expliquer cette importance accrue de certaines pratiques cultuelles par le fait que les nouvelles générations sont plus pratiquantes est très superficiel : l’Islam a vraiment commencé à s’implanter en France à partir de la Seconde guerre mondiale, et parmi les premiers migrants, certains étaient beaucoup plus pratiquants. Aussi, certains musulmans ne tiennent pas vraiment compte de la religion parmi les nouvelles générations. Certains s’affranchissent, assez allègrement, des injonctions religieuses. La réalité des faits est beaucoup plus transversale. Au sein d’autres traditions religieuses, du judaïsme par exemple, une partie de la jeunesse se dit plus regardante, par rapport aux générations précédentes, à la problématique du mariage, à l’identité juive…
Quel sens ces jeunes donnent-ils à cette pratique ? Quelles sont leurs motivations à la suivre ?
Haoues Seniguer : Comme je vous l'ai signifié plus en amont, ces jeunes, selon le milieu idéologique, intellectuel, social, etc., dans lequel ils évoluent, donneront à cette pratique des significations différentes qui ne s'opposent pas nécessairement; elles peuvent à cet égard aller quelquefois de pair. Ils pourront la considérer comme une obligation religieuse, l'occasion d'un ascétisme, une fidélité à la tradition familiale, la manifestation d'une solidarité avec les plus démunis du monde, etc.
Mohamed-Ali Adraoui : Certaines personnes le font véritablement par sensibilité religieuse, d’autres parce qu’ils ont une conception de la religion qui se veut plus « authentique », rigoureuse, orthodoxe. Faire le Ramadan c’est aussi s’inscrire dans un mode de vie, un réseau social… c’est beaucoup plus large que le cadre du jeûne. Il y a cette même volonté chez les plus anciens. Le Ramadan est un réel investissement. Certaines personnes assistent à des conférences sur le sujet, d’autres quittent la France pour se baigner dans un climat musulman, faire des pèlerinages…
Photo AFP
Quel est le profil de ces jeunes musulmans les plus fidèles aux préceptes de l’islam ?Sont-ils issus de l’immigration ou sont-ils nés en France ?
Haoues Seniguer : Il y a des profils sociaux différents. Il est permis de dire que les musulmans des deuxième et troisième générations sont sinon "les plus fidèles aux préceptes de l'islam" – car un tel énoncé impliquerait de notre part un jugement de valeur–, à tout le moins plus ritualistes.
Mohamed-Ali Adraoui : On peut difficilement faire des généralités. Certains sont très éduqués et disposent de moyens intellectuels importants pour améliorer leur capital religieux. De fait, cela exclut certaines générations, ne maîtrisant pas la langue ou ne disposant pas des moyens d’améliorer la qualité de leur connaissances religieuses. Chez les jeunes, il y a une déconnexion claire entre l’héritage culturel et la pratique religieuse stricto sensu. Certaines personnes en viennent à une vision qui se veut plus authentique, rigoureuse, de la religion, par la modernité, la maîtrise de la langue, d’Internet…
Le renforcement des pratiques religieuses islamiques est-il un moyen d’affirmer son identité dans un pays à traditions chrétiennes ?
Haoues Seniguer : Il y a effectivement une dimension identitaire dans l'accomplissement des pratiques religieuses qui peuvent quelquefois s'amplifier et se radicaliser quand le rapport à l'environnement est conflictuel ou perçu, à tort ou à raison, comme hostile. Cette conflictualité, quand elle affleure, peut par ailleurs s'exprimer dans n'importe quel contexte, pas forcément chrétien ou laïque, entendons-nous bien.
Mohamed-Ali Adraoui : Non, je ne pense pas. J’ai beaucoup de mal avec cette idée de réaffirmation identitaire dans la mesure où il s’agit de vivre un héritage religieux selon les codes culturels dominants. Les musulmans de France ne s’affirment pas contre mais dans la continuité de la société française. Là où les parents auraient pu dire "il n’y a de véritable Islam que dans les pays d’origine", ces générations peuvent très bien défendre l’idée qu’on peut être musulman et Français. On voit parfaitement dans les structures de consommation que certains comportements islamiques se sont moulés sur les codes culturels dominants. Il n’y a ni plus ni moins qu’une formation, une banalisation en un sens, de la référence musulmane sur les codes majeurs. Les gens pensent qu’il y a une certaine islamisation des comportements, ce qui est vrai d’une certaine manière car une référence religieuse a été importée, mais les comportements de certains musulmans s’alignent sur les structures dominantes. Il faut voir dans les grandes surfaces quels profils sociologiques consomment les halals : ce sont des musulmans français et non des migrants. Il est impossible pour un certain nombre de personnes immigrées de consommer à l’occidentale.
*Lien de la première publication : Atlantico.