Lundi 10 Décembre 2012

Raphaël Liogier, Souci de soi, conscience du monde. Vers une religion globale ?



Nous présentons ici une lecture critique réalisée par Bruno Michon, ATER à l’Université de Lorraine, UMR 7236 Laboratoire Cultures et Sociétés en Europe/LISEC - EA 2310 publiée en partenariat avec " Liens socio", Le portail francophone des sciences sociales.


Armand Colin, 2012, 279 p., ISBN : 978-2-200-24842-0
 







Dans son ouvrage, Raphaël Liogier décrit une « métamorphose mythologique » de niveau planétaire qu’il nomme l’ « individuo-globalisation ». Coaching, université New Age, yoga, culte du bien-être et impératif de développement personnel sont pour l’auteur autant d’émanations de ce phénomène culturel global. Il introduit tout d’abord son propos en s’emparant des concepts de mythe, de métamorphose et de « désir d’être » appartenant à la sociologie durandienne (sans toutefois, semble-t-il, reconnaître son héritage), il explique en ce sens que loin de disparaître, le religieux se recompose dans l’individuo-globalisme qu’il définit ainsi : « c’est le nom de la tension mythique essentielle, irréductible, le cœur mythologique auquel s’alimente la culture des sociétés industrielles avancées ». Pour traiter de ce sujet, Raphaël Liogier se laisse quatre chapitres que nous allons à présent résumer.


Dans le premier chapitre, l’auteur décrit à grand trait le phénomène qu’il s’est donné pour tâche d’explorer. Centré autour de l’individu sommé de devenir « lui-même », l’individuo-globalisme s’inspire d’une antiquité fantasmée autant que d’un orient « hypertraditionnel » pour reprendre ces propres termes. Ce mouvement touche toutes les sphères sociales, des universités au management, l’auteur parle, non sans céder à une formule journalistique, du « règne planétaire des bobos ». Il décrit de même l’apparent paradoxe de l’institutionnalisation de ce mouvement pourtant difficilement saisissable en s’appuyant principalement sur l’exemple des ONG confessionnelles.


La seconde et la troisième partie sont les plus convaincantes d’un point de vue théorique. L’auteur passe tout d’abord en revue les trois thèmes majeurs de l’individuo-globalisme : le thème « gnosique » illustre la recherche de la vérité intérieure, de la connaissance salvatrice. Pour l’auteur ce thème constitue le « noyau religieux » de l’individuo-globalisme, le plus proche du marqueur religieux traditionnel. Autour de ce noyau émergent les thèmes de la « créativité » et du « bien-être ». Ces deux thèmes constituent des « sas » permettant le passage d’un individuo-globalisme « light » à un individuo-globalisme religieux. L’auteur donne l’exemple d’un supermarché bio, s’inscrivant typiquement dans la thématique du bien-être, proposant de nombreuses publicités pour des stages de développement personnel centré sur l’accès à une vérité intérieure plus proche de la thématique gnosique.

L’ouvrage ne manque pas d’exemples éclairants permettant de donner une certaine consistance à un phénomène multiforme largement médiatisé. L’auteur se propose ensuite d’analyser les propriétés logiques unissant les trois thèmes. Il isole ainsi l’ « interchangeabilité », la « conjonctivité » et la « commutativité ». Chacune de ces propriétés expliquerait la cohérence de l’individuo-globalisme.


Dans un troisième chapitre, l’auteur dresse les frontières de ce phénomène : celles de l’hyperscience, de l’hypertradition et de l’hypernature. L’hyper se rapporte à l’impératif du mouvement et de du changement qui, quelle que soit la sphère sociale concernée, oblige l’individu à faire un petit peu plus que le nécessaire. L’exemple du soin par les plantes se situe idéaltypiquement à l’intersection de ces trois « hypertendances ». Lié à l’hypernature en ce qu’il constitue la quintessence d’une nature idéalisée, le soin par les plantes est aussi hypertraditionnel par son origine anthropologique ancestrale supposée, redécouverte aujourd’hui par une hyperscience capable d’autocritique et de respect de l’hypernature et de l’hypertradition. Le rêve du nouvel âge, né dans les années soixante-dix, d’une conjonction globale, d’une osmose interdisciplinaire, serait donc aujourd’hui devenu réalité dans l’individudo-globalisme.


Raphaël Liogier achève son ouvrage en s’intéressant à la généalogie du phénomène qu’il étudie. Il la trouve au cœur d’un espace situé entre l’ésotérisme occidental d’une Blavatsky ou d’un Steiner, le romantisme anti-kantien d’un Herder, la fascination orientale d’un occident en recherche d’altérité et bien sûr la contre-culture américaine. Cette généalogie permet à l’auteur de terminer son ouvrage sur une description de l’être ensemble dans l’individuo-globalisme. Si celle-ci ne brille guère par son aspect novateur, connectivité, vitesse, virtualité ont déjà depuis longtemps été reliées aux nouvelles spiritualités, elle permet certainement de rappeler cet état de fait : le religieux est loin d’avoir disparu, il se recompose sans cesse.


Pour conclure cette recension, on peut affirmer que la lecture de l’ouvrage laisse le lecteur universitaire sur sa faim. Quelquefois trop léger et utilisant des expressions peu rigoureuses (le « règne planétaires des bobos » en est un bon exemple), l’auteur se laisse aller, dans la première partie particulièrement, à une description flottante du phénomène. Les exemples sont en ce sens trop nombreux et peu approfondis, ce qui nuit à l’ancrage du propos dans une description sociologique fine. Raphaël Liogier insère en effet de nombreux encadrés de quelques lignes illustrant son discours mais ne permettant pas de saisir la spécificité de chacun des phénomènes décrits. Les chapitres centraux conservent néanmoins une certaine acuité et la description des trois thèmes, gnosique, bien-être et créativité semblent bien constituer le cœur de nombreux mouvements spirituels contemporains. Les réflexions sur l’hyperscience, l’hypertradition et l’hypernature sont de même des outils herméneutiques convaincants.


On pourrait bien sûr discuter de l’intérêt de rassembler l’ensemble des phénomènes décrits par Raphaël Liogier au sein d’un même ensemble. Le lien ténu unissant le fait de consommer des légumes bio et celui de s’inscrire à un stage de développement personnel mérite-t-il qu’on englobe tous ces phénomènes dans une même acception ? En tout état de cause, l’auteur fait le pari de l’existence de ce lien et on attendra avec impatience une enquête approfondie achevant de nous persuader de la justesse de ses conclusions théoriques. On aurait enfin aimé que l’auteur délimite mieux l’impact de ce phénomène, qu’il décrit dans certains passages comme planétaire et interclassiste et dans d’autres comme se limitant aux classes moyennes des sociétés occidentales.




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