Samedi 21 Mars 2015

Rencontre avec Samir Allel : De l'action du CFCM et des conseils régionaux du culte musulman



La question d'une réorganisation de l'islam de France est de nouveau posée par les autorités politiques. Mais quel bilan peut-on faire de l'action du CFCM et des Conseils régionaux du Culte Musulman? Ces institutions sont-elles représentatives des fidèles? L'islam de France n'est-il pas un "islam des consulats"? A ces questions brulantes, Samir Allel nous apporte quelques éléments de réponse.

Samir Allel

Samir Allel est docteur en sociologie.

Les Cahiers de l’islam : Pour mieux saisir la complexité de l’islam en France, faut-il s’attacher à analyser le rôle (déterminant ?) des conseils régionaux du culte musulman dans le champ cultuel et politique ? 
 
Samir ALLEL : Force est de constater que le bilan n'est pas à la hauteur des espérances de l'Etat, mais aussi des musulmans de France. Il faut avouer que  les représentants du CFCM  ont rencontré des difficultés à être reconnus comme représentants de l’islam. Le fil conducteur   pourrait être l'émergence d'une réalité musulmane dans l'espace public français. Le processus d'institutionnalisation du culte musulman en France est passé par différentes phases. Sachant que la dernière en date a été l'élection en avril 2004 du premier conseil français du culte musulman (CFCM) par les délégués représentants 1600 mosquées et salles de prière.

En  2013, les délégués ont procédé à l'élection du cinquième CFCM. Ce conseil a pour tâche essentielle de pouvoir représenter, les intérêts des fidèles du culte musulman, auprès des pouvoirs publics nationaux. Sa création  résulte en grande partie de l'action volontariste de l'Etat et plus particulièrement du ministère de l'intérieur , dont les responsables ont impulsé en novembre 1998 une démarche de mise a pied d'un partenariat avec les principales composantes organisationnelles et sensibilités de l'islam de ce pays . Il devait déboucher sur un lent travail de concertation entre les représentants musulmans et les responsables de l'administration ( conseillers techniques du ministère , fonctionnaires du bureau central des cultes...) , avec pour double objectif de dresser un état des lieux des problèmes et des besoins objectifs des associations musulmanes en matière de conditions pratiques d'exercice du culte , mais aussi de poser les bases théoriques d'un organe collégial central susceptible de représenter le culte musulman face à l'Etat.

Si au départ l'administration et les pouvoirs publics ont cru devoir faire preuve d'un volontarisme réel en impulsant cette démarche, il était convenu qu'une fois le processus lancé, eu égard notamment au principe clef de laïcité, les pouvoirs publics devaient se borner à accompagner cette démarche , en facilitant si besoin le bon déroulement sans chercher à peser sur son cours ou a fortiori à désigner les interlocuteurs de son choix ! Les délégués des mosquées de France font en même temps un double choix . A savoir élire les membres de l'assemblée générale du CFCM , tout en élisant les membres des 25 conseils régionaux du culte musulman.

 Ces conseils sont sensés incarner à l'échelon local et  régional, les intérêts du culte musulman et d'assurer la représentation locale du culte. Les conseils régionaux du culte doivent a priori être les instances les plus proches des attentes et des besoins des fidèles du culte musulman , là ou les responsables nationaux du CFCM sont d'avantage des notables communautaires sensibles aux sollicitations des pouvoirs publics nationaux ou étrangers.

Le CFCM n’a pu empêcher que des mosquées « indépendantes »existent toujours dans différentes collectivités , Il est a noter qu’elles ont encore  un rôle d'interlocutrices privilégiées a travers leurs présidents identifiés et reconnus par les maires et les représentants de l’Etat. Ces leaders locaux sont toujours  des notables incontournables et ne se reconnaissent pas dans le CFCM. Après quelques  élections, On peut d'ores et déjà formuler quelques remarques conclusives sur le bilan du Conseil français du culte musulman  et sa réelle efficacité par rapport à des élus.  Il ne s’est peut-être pas assez préoccupé des questions liées aux populations musulmanes tout en cherchant à conserver la totale maîtrise de leur pouvoir de décision.

Je dois convenir que je soutiens l’idée du gouvernement de réformer ce conseil qui s’intègrera dans un nouveau conseil qui sera composé de représentants « laïcs ». Je défends l’idée d’1/3 de religieux, 1/3 d’intellectuels et universitaires et 1/3 de personnalités qualifiées avec une présidence dynamique et représentative de cette nouvelle génération de français qui souhaite réformer l’islam de France.

Les Cahiers de l’islam : Concernant le rapport au « politique », comment se passe-t-il au niveau local compte tenu de la laïcité ?
 
Samir ALLEL : Longtemps enfoui, le culte musulman est aujourd'hui candidat à la citoyenneté et à l'intégration dans la vie de la cité. Cette revendication, différée, se développe dans une situation de concurrence exacerbée, tant entre groupes musulmans qu'entre élus nationaux et locaux qui doivent donner des garanties à une population dont l'identité s'affirme sans pour autant donner l'impression à l'électorat traditionnel qu'ils remettent en question le modèle laïc.

Il est intéressant de relever que depuis une dizaine d'années, l'islam en tant que fait social est inscrit dans l'agenda de nombreuses communes sous la forme de dossier des mosquées en attente de règlement ou de carrés musulmans dans les cimetières , autant de dossiers auxquels les élus sont confrontés et pas toujours préparés ni outillés pour y répondre. Certains élus ont néanmoins pris des initiatives visant à améliorer les conditions pratiques d'exercice du culte musulman en se déclarant par exemple favorable  à la construction de lieux de culte. Certaines expériences locales montrent que si dans l'ensemble les élus n'ont pas pris conscience des modifications durables du paysage institutionnel en matière de représentation de l'islam avec l'émergence des CRCM, d'autres se voient enclins à les instrumentaliser à des fins de pacification sociale ou plus globalement de pouvoir disposer par la même, du droit de préemption sur un hypothétique vote musulman.

 dLes Cahiers de l’islam : Vous semblez voir dans la création d’une institution « représentative » du culte musulman en France une « rencontre » entre « l’Islam et la République ». Pouvez-vous nous en dire plus ? Que pensez-vous de l’idée selon laquelle cette institution ne serait pas « représentative » des musulmans de France et serait, au contraire, à la solde du « Politique » ou des « consulats » ?
 

Samir ALLEL : Je l’ai souvent écrit et je l’affirme, il n’y a aucune incompatibilité entre la pratique juste et modérée de cette religion et les lois de la République et notamment la loi de 1905 qui a instauré la séparation des églises et de l'État. N'oublions pas, d'ailleurs que cette même loi, dès son premier article rappelle que "la République assure la liberté de conscience".
Quel est le bilan du CFCM en matière de formation des Imams ? Il est temps que les chancelleries étrangères cessent de s’ingérer dans un processus qui doit être franco-français car il ne concerne que des français. Il est temps que les prêches du vendredi soient en français. Il est temps que les imams soient des érudits et que leur formation se fassent en France après le baccalauréat. Que ces diplômes soient des diplômes universitaires reconnus. Que des fondations financent ces formations sur la base d’un partenariat avec le ministère de l’enseignement supérieur pourrait être par exemple une solution.
Aucun bilan en matière de débat sociétal! je ne parlerai pas de la communication cacophonique pour les dates de début et de fin de ramadan ou autres fêtes.

Que les représentants du CFCM n’aient pas réussi en quelques années à prouver une visibilité auprès des institutions et une légitimité auprès des musulmans de France est une question majeure…Demandez aux musulmans de vous donner les noms de leurs représentants ? Il est temps que les responsables du CFCM  fassent un bilan introspectif plutôt que de se quereller pour un quelconque pouvoir qui n’a pas lieu d’être ! Toutes ces raisons font que je défends un nouveau conseil du culte musulman qui ne soit pas représenté uniquement par des mosquées ou selon le bon vouloir de chancelleries étrangères.
Pour répondre à votre question sur leur rapport au politique , je crains que les responsables du CFCM n’aient aucune légitimité. La maîtrise de la langue française me semble être le minimum pour vouloir représenter les musulmans de France…    

Les Cahiers de l’islam : Enfin, ces institutions –au niveau local ou national – participent-elles à faire vivre ce que vous avez appelez « Les valeurs de notre République  » ?
 
Samir ALLEL : Si je devais résumer votre question en un seul mot, je vous répondrai NON ! Ce sont les citoyens que nous sommes qui font vivre les valeurs communes de chaque français. Etre musulman, fait partie de notre savoir être, mais en même temps j’aurais aimé les entendre dénoncer avec force le racisme et la discrimination subis par les musulmans, lorsqu’il y a lieu d’être, comme le font avec justesse les institutions juives de France pour leurs coreligionnaires . Je crois  qu’Il faut savoir être ferme sur nos valeurs et sur les grands principes qui régissent notre société laïque et le CFCM ne l’a pas assez compris.
 Le nouveau conseil musulman  devra s’intéresser aux problèmes sociétaux des musulmans de France. 
 Je trouve très bien que l’islam  soit représenté lors des manifestations protocolaires. Il m’importe que ses représentants soient des citoyens français.
Il est temps que l’islam soit géré par une nouvelle génération de français, fiers d’être des citoyens français sans aucun dualisme avec la pratique de leur religion.



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