Rashad Bukhari, universitaire pakistanais possédant une maîtrise en sciences politiques, travaille… En savoir plus sur cet auteur
Dimanche 18 Novembre 2012

Repenser les notions de "Dâr al-islâm" et de "Dâr al-harb"



Shaykh Tahir ul-Qadri
Ces dernières années, la réputation d’un Islam religion de paix a été soumise à rude épreuve tant par les paroles que par les actes de violence d’extrémistes venant, de temps à autre, déclarer dans les médias qu’ils agissent au nom de la religion. C’est dans ce contexte que Tahir ul-Qadri, docteur islamique pakistanais, a publié, à Londres, au mois de mars 2010, une fatwa (c’est-à-dire un avis religieux non contraignant sur le droit islamique) de 600 pages contre le terrorisme.
C’est sans doute l’argumentaire le plus complet sur le terrorisme jamais produit, en 1400 ans d’histoire de l’islam, et qui dénonce fermement tous les aspects, toutes les formes, toutes les justifications du terrorisme pratiqué au nom de la religion, sur la foi de références irréfutables aux textes, à l’histoire et aux écoles de pensée islamiques.


J’ai eu, il y a peu, la chance extraordinaire de pouvoir m’entretenir avec Tahir ul-Qadri, pour comprendre ce qui le motivait : « J’ai senti qu’il était urgent de laver le nom de l’Islam, actuellement diffamé et déformé par des fanatiques qui usurpent le nom de musulmans ».
Notre conversation a duré deux heures, et un de ses moments les plus instructifs fut d’entendre Tahir ul-Qadri réfuter l’argument dont se servent d’ordinaire les extrémistes pour justifier le terrorisme au nom de la religion, à savoir que le monde se compose d’une “Maison de la paix”, abritant les pays vivant sous les principes islamiques, et d’une “Maison de la guerre”, celle des pays où les musulmans ne jouissent ni de paix ni de sécurité, et où ils ne sont pas libres de pratiquer leur religion. Cependant tous les docteurs musulmans n’admettent pas cette définition, et pour nombre d’entre eux les deux “maisons” ne doivent pas nécessairement vivre en état de guerre permanent.

Ces expressions, qui furent employées pour la première fois au 8e siècle, par l’imam juriste Abou Hanifah, et qui correspondaient aux divisions politiques de l’époque, ne figurent ni dans le Coran ni dans les hadith (dits et actes du prophète Muhammad (ç)). Exemple : au 14e siècle, le docteur de l’islam Ibn Taymiyyah, réagissant à l’occupation mongole de territoires musulmans, publiait un avis religieux utilisant ces termes pour justifier la violence contre des dirigeants injustes et autoritaires, dans la mesure ou son but était de rétablir un ordre fondé sur les principes de l’islam.

Une réfutation sans acrobatie rhétorique...de l'extrémisme

Bien souvent, les musulmans qui invoquent cet avis religieux pour justifier les actes de terreur qu’ils commettent aujourd’hui ne sont conscients ni de ses origines, ni du contexte géopolitique dans lequel il a vu le jour.

Tahir ul-Qadri déplore que, selon les terroristes qui prétendent agir au nom de l’islam aujourd’hui, même les pays à majorité musulmane ne sont pas dans la Maison de la paix, dans la mesure où ils ne respectent pas intégralement la loi islamique. Selon eux, en effet, le monde entier est une Maison de la guerre. C’est ainsi qu’ils justifient les assassinats qu’ils commettent au mépris flagrant des principes islamiques, qui interdisent clairement de tuer des civils.


Pour cet érudit, cette philosophie n’a aucun fondement dans les textes et dans les enseignements islamiques. En effet, la représentation islamique de l’ordre international, telle qu’admis par de nombreux juristes islamiques, classe les nations en cinq catégories et édicte des règles de comportement envers chacune d’elles.

La première catégorie est celle des pays à majorité musulmane et dirigeants musulmans, qui font partie de la Maison de la paix, qu’ils appliquent ou non le droit islamique au plan intérieur.


Les nations auxquelles ces pays à majorité musulmane sont liés par un traité de paix temporaire entrent dans la deuxième catégorie, la “Maison de la trêve”. Leur statut est égal à celui des pays de la Maison de la paix, aussi longtemps que le traité reste inviolé.

La troisième catégorie, la “Maison de la promesse”, comprend les pays liés par un traité de paix permanent.

La quatrième comprend les pays qui ne sont ni alliés ni ennemis. Ils relèvent aussi de la Maison de la paix, jouissant du droit à la vie, à la propriété, à l’honneur et à la liberté pour tous, sans distinction de religion, de langue ou de race.

La cinquième et dernière est la Maison de la guerre. Elle inclut les pays avec lesquels il n’existe aucun traité de paix, ceux qui sont en guerre avec des Etats à majorité musulmane et ceux dans lesquels les musulmans ne sont pas en sécurité. Certains affirment que cette définition autorise chaque musulman à user de violence contre ces Etats et leurs habitants. Tahir ul-Qadri explique que, même pour la Maison de la guerre, des règles de conduite s’appliquent.

Le droit islamique ne permet sous aucun prétexte à un individu ou à un groupe de personnes de déclarer la guerre...

Ainsi, les combattants musulmans ne peuvent s’attaquer ni nuire aux non-combattants. On rapporte que le calife Abou Bakr, beau-père du prophète Muhammad(ç), aurait donné à son armée l’ordre suivant : “Ne pratique ni la fourberie ni la mutilation. Ne tue ni le jeune enfant, ni le vieillard, ni la femme. Ne déracine ni ne brûle les palmiers, n’abats pas l’arbre fruitier. N’abats ni mouton, ni vache, ni chameau, si ce n’est pour ta nourriture.

Plus important encore, le droit islamique ne permet sous aucun prétexte à un individu ou à un groupe de personnes de déclarer la guerre. Cet acte est une prérogative absolue de l’Etat et n’intervient qu’en dernier recours, lorsque tous les efforts de paix ont échoué.

La fatwa de Tahir ul-Qadri a déjà été largement diffusée et discutée, dans l’espoir que la vague de l’extrémisme puisse être endiguée, et afin qu’une jeunesse vulnérable, sensible à la rhétorique des extrémistes, dispose enfin des arguments religieux nécessaires pour résister à tous ceux qui prétendent faussement parler au nom de l’islam, et pour pouvoir restaurer l’image d’un islam porteur de paix.

Rashad Bukhari

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En partenariat avec le Service de Presse de Common Ground (CGNews)



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