Lundi 22 Octobre 2018

République et islam : défis croisés. Revue Confluences Méditerranée. N°106



2018/3 (N° 106)
République et islam : défis croisés
Pages : 228
Éditeur : L'Harmattan
ISBN : 9782343158181
ISSN : 1148-2664

Contenu du numéro

Sous la direction de Haoues Seniguer
RELIGIONS ISLAM EUROPE


Les musulmans dans la République : des enjeux majeurs de société
par Haoues Seniguer
et Robert Bistolfi
Premières lignes
Sur le fond des multiples transformations du pays engagées au milieu du siècle dernier, aussi bien la présence musulmane que des mobilisations militantes affirmées en son sein font l’objet de méfiances et de craintes manifestes dans une partie significative de la société. Cependant, rares sont ceux qui, dans l’espace médiatique et politique, s’attachent à comprendre la genèse de ces mobilisations, et...

Penser le fait islamique en France en périodes troublées
par Haoues Seniguer
Maître de conférences à l’IEP de Lyon, Chercheur au laboratoire Triangle, UMR, 5206, Lyon.
Résumé
Cette contribution insiste sur la nécessité d’interroger et de préciser certains termes utilisés au sujet des mondes de l’islam, en repérant et en déconstruisant les usages fautifs. Elle souligne aussi l’importance de repenser notre rapport au fait islamique et aux musulmans de France, en particulier à l’heure d’un terrorisme internationalisé particulièrement meurtrier, qui s’appuie sur le vocabulaire et la grammaire de la religion musulmane, ce qui n’est pas sans ajouter de la confusion à une déjà omniprésente confusion. Loin de nier la réalité des violences au nom de l’islam et discours radicaux exprimés en son nom, il est question de la contextualiser et de l’identifier en toute rigueur.

De quoi le gouvernement de l’islam en France est-il le nom ?
par Franck Frégosi
Professeur de Science politique, CHERPA IEP Aix-en-Provence.
Résumé
La domestication de l’islam est la logique générale qui sous-tend le gouvernement public de l’islam dans la France laïque. Il s’agit sous couvert de favoriser une pleine intégration de l’islam dans la société française, aussi bien de contrôler, de réguler et même d’encadrer au besoin par la loi, l’organisation du culte, la visibilité sociale de la pratique publique de cette religion, que la formation des imâms. Ce processus se déploie en une série de dispositifs normatifs, législatifs et règlementaires destinés à contrôler l’expression publique de la dite religion musulmane depuis son observance cultuelle, son extériorisation dans l’espace public en passant par la production d’un islam réputé moderne et politiquement sécurisé. Mais loin de se résumer à un processus du haut vers le bas, des pouvoirs publics, du Ministère de l’Intérieur, ou de l’Assemblée nationale vers les communautés musulmanes via le CFCM et les CRCM, ledit processus transite aussi par des dynamiques d’autodiscipline portées par des opérateurs musulmans eux-mêmes. Celles-ci oscillent entre la volonté de s’ériger en gendarme de la communauté et la recherche sincère d’accommodements entre le respect des fondamentaux de l’islam et les principes républicains.

Entre répression et prévention, retour sur l’antiterrorisme en France
par Julien Fragnon Sciences Po Lyon, Chercheur-associé Laboratoire Triangle UMR 5206 et à l’IRSEM.
et Karine Roudier Maître de conférence, Sciences Po Lyon, Laboratoire Triangle UMR 5206.
Résumé
Si l’état d’urgence marque par sa durée une rupture dans le dispositif antiterroriste français, notre article démontre qu’il s’inscrit dans une histoire longue de l’antiterrorisme initiant assez tôt une inclination préventive. Ce dernier est marqué par la volonté du législateur de réprimer plus sévèrement le terrorisme par un dispositif dérogatoire au droit commun. Ce régime pénal spécifique et incrémental permettait aussi à l’Etat de lutter efficacement contre le terrorisme sans user de dispositifs d’exception grâce à la place centrale du juge judiciaire. Mais la campagne d’attentats débutée en 2015 favorisa l’organisation de la lutte dans une logique d’anticipation. Cette stratégie prit la forme de mesures de police administrative qui, de fait, sont soustraites au contrôle du juge judiciaire. Malgré un degré de perfectionnement élevé du dispositif et une érosion continue du rapport sécurité/liberté en démocratie, le système ne semble cependant jamais assez adapté pour rassurer la population et se voit renforcé régulièrement après chaque attentat.

La laïcité, nouvel étendard de l’intégration ?
par Laure Chebbah-Malicet Docteure en science politique, chargée de cours à Sciences Po Lyon.
Résumé
Depuis la fin des années 1980, la question de la laïcité a croisé celle de l’immigration et plus spécifiquement celle de l’intégration. Ce glissement d’une approche de l’immigration centrée sur une dimension identitaire et religieuse a été progressif. A mesure que la figure du « travailleur immigré » venu du Maghreb pour l’essentiel cédait la place aux « jeunes issus de l’immigration » vivant en banlieue, au discours sur l’intégration s’est alors substitué celui sur une laïcité marqueur d’identité.

La construction des prières de rue comme problème public
par Fatima Khemilat Doctorante à Sciences-Po Aix, ATER à l’UPEC.
Résumé
Les politiques publiques adoptées suite aux controverses autour de la visibilité du fait religieux musulman dans l’espace public font l’objet au préalable de tout un travail de formulation et de problématisation. Cette phase loin d’être anodine, conditionne la manière dont le « problème musulman » est mis en mots et en « maux », publicisé et potentiellement « solutionné » par des acteurs politiques soucieux de faire la démonstration de leur efficacité et fermeté. En l’occurrence, la formulation du problème « prière de rue » a découlé de la mobilisation d’une atypique « coalition de cause », réunissant des acteurs de gauche comme de droite, évoquant la « laïcité » et le champ lexical de l’Occupation et de la Résistance. Le « problème prières de rue » a ensuite fait l’objet d’une politisation par la droite (extrême) réinterrogeant entre autres, les grilles d’analyse d’action publique et le clivage gauche/droite.

La pratique religieuse personnelle du musulman face au principe français de laïcité. Regard du juriste
par David-André Camous Maître de conférences Sciences Po Lyon.
Résumé
À travers l’exemple de l’interdit alimentaire et de l’accessoire vestimentaire, nous verrons comment la pratique religieuse personnelle du musulman dans l’espace public (de la cantine scolaire à la plage en passant par l’hôpital) peut se heurter plus ou moins frontalement au principe de laïcité et quelle réponse le juge administratif apporte.

Aux limites de la diversité, la religion : un angle mort des politiques de lutte contre les discriminations
par Milena Doytcheva Sociologue, Université de Lille.
Résumé
Alors que les convictions religieuses font partie des libertés fondamentales et qu’elles sont un éléments intégrant du dispositif juridique antidiscriminatoire depuis l’article 13 du Traité d’Amsterdam de 1997 et la première loi française qui transpose les mesures législatives européennes en 2001 [1], la « diversité religieuse » n’est pas visée par l’entreprise et n’y est pas non plus tout à fait admise, ou à condition d’être rendue invisible. C’est une lecture extensive des principes de la laïcité et de la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école qui justifient cette posture [2]. Or, tout comme la législation sur l’école qui se veut en théorie générique, ces interdictions visent majoritairement dans les faits une population seule et unique, de confession musulmane.

[1] Loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations.
[2] Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application des principes de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

Islam-République-Armée : une poursuite de la laïcité par d’autres moyens ?
par Eric Frécon Ecole navale.
Résumé
L’armée française doit tenir compte de la présence de musulmans dans ses rangs. Etant donné le nombre croissant des opérations extérieures en général et les exigences du milieu maritime en particulier, se pose la question de l’islam au sein de la Marine nationale et la façon de le vivre au quotidien, avec les outils de la laïcité et dans le cadre du projet républicain. Or, dans la lignée de la loi de 1905 et après une prise de conscience dans les années 1990, tout est mis en œuvre pour veiller à la « liberté » de pratique (piliers de l’islam et nourriture halal), à l’« égalité » de traitement (mise en place des aumôniers musulmans en 2005) et à la « fraternité » face au combat, que l’ennemi soit musulman ou pas. Reste à savoir si les autorités n’en font pas trop, quitte à laisser la porte ouverte aux excès. A moins qu’il ne s’agisse que d’efforts de façade ? Il n’empêche, jusqu’à présent, un pragmatisme éclairé permet aux musulmans et non-musulmans de vivre en bonne intelligence.

Le drapeau ou le djihad ! Regard comparé sur les logiques d’engagement militaire et djihadiste
par Elyamine Settoul
Laboratoire Interdisciplinaire de Recherches en Sciences de l’Action, Conservatoire National des Arts et Métiers, Paris.
Résumé
Cette contribution s’attache à dresser un parallèle entre les logiques d’engagement militaire et celle de nombreux djihadistes. Partant du constat que l’enrôlement djihadiste constitue une mosaïque agrégeant divers profils, elle émet l’hypothèse selon laquelle les trajectoires sociales de certains combattants de Dieu sont très comparables à celles de jeunes désireux d’intégrer des armées régulières. Cette approche contre-intuitive se vérifie tant du point de vue des profils sociologiques que des motivations profondes ou des modes de communication développés par Daesh ou par les institutions militaires classiques.

Un islam aux couleurs du drapeau ?
par Vincent Geisser
Chargé de recherche au CNRS, Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulman d’Aix-en-Provence, enseignant à Sciences Po Aix.
Résumé
Depuis les actions terroristes de janvier 2015 qui ont ensanglanté la société française (attaques contre la rédaction du journal Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes), la « question musulmane » tend à redevenir une thématique centrale du débat public. Mais contrairement aux prévisions pessimistes, loin de se traduire par une montée en flèche de l’islamophobie, les interrogations ont plutôt porté sur la capacité ou plutôt l’incapacité des organisations et des personnalités musulmanes de l’Hexagone à adopter une position cohérente face au terrorisme. D’où une injonction paradoxale qui consiste à exiger des musulmans à se faire discrets dans l’espace public, tout en les sommant d’adopter une position commune sur les questions du terrorisme et de l’islamisme radical. Si dans un premier temps, l’immense majorité des acteurs du champ musulman ont refusé ce régime d’injonction, parce qu’il les assignait à un statut particulariste, ils ont fini par le « retourner », afin d’en faire un levier d’actions et de mobilisations au sein de l’espace public. Loin de se cantonner au silence et à l’immobilisme, les acteurs institutionnels de l’islam de France mais aussi de nombreux musulmans anonymes ont exprimé leur solidarité avec les victimes du terrorisme et la communauté nationale, en conciliant rituels républicains et rituels musulmans, religion civile et religion civique, expérimentant une forme de symbiose islamo-patriotique inédite dans l’histoire de la France contemporaine.

 
Entretien avec Abdelaziz Chaambi
Entretien le 2 avril 2018 avec Haoues Seniguer
Résumé
Militant lyonnais d’origine tunisienne. Il est issu d’une famille très fortement engagée contre la présence coloniale française en Tunisie. Il a été un acteur important de la construction de l’islam de France hors région parisienne au cours des années 1980. En effet, il fut, entre autres, l’une des chevilles ouvrières de l’Union des Jeunes Musulmans de France qu’il a cofondée à Lyon en 1987. Très tôt sensible à la cause des plus démunis, de la condition coloniale et postcoloniale, il a milité dès son plus jeune âge dans différentes structures associatives ou au sein de mouvements politiques à l’instar de Lutte Ouvrière. Dans l’entretien accordé à Confluences Méditerranée, Abdelaziz Chaambi revient, sans ambages, sur les grandes étapes de ses engagements successifs et multiples dans la cité, sur la façon dont il articule foi musulmane et militantisme, sa lutte sans relâche contre les effets du capitalisme néo-libéral, le regard qu’il porte sur la situation de l’islam de France, le conspirationnisme dans les milieux musulmans, etc., notamment dans le contexte post-attentats de 2015 qu’il a vécu avec beaucoup de tristesse et de sidération.

Le moment Gaza 2018 et les armes de la non-violence
par Bernard Ravenel Membre du comité de rédaction de Confluences Méditerranée, historien, auteur de « La résistance palestinienne : des armes à la non-violence », L’Harmattan, 2017.
Résumé
Tout au long du deuxième trimestre 2018 s’est déroulée dans la bande de Gaza une mobilisation massive et pacifique organisée par la société civile palestinienne. Celle-ci a voulu faire connaître au monde sa souffrance due principalement au blocus établi par Israël depuis plus d’une décennie. Refusant, sur la pression de la jeunesse, la voie armée pratiquée par le Hamas et le Djihad islamique, cette mobilisation populaire non-violente a été l’objet d’une répression immédiate et violente de la part de l’armée israélienne qui a fait au moins 118 morts et des milliers de blessés graves. Ce massacre commis délibérément par l’armée israélienne signe aux yeux du monde la défaite morale donc politique d’Israël dans sa confrontation centenaire avec le peuple palestinien ; il exprime l’impasse dans laquelle se trouve Israël, avec son immense potentiel de violence, obligé de s’interroger sur sa capacité politique d’apporter une solution au problème palestinien.

Au cœur de la résilience algérienne : un jeu calculé d’alliances
par Louisa Dris-Aït Hamadouche
Maître de Conférences à la faculté des sciences politiques et des Relations internationales, Alger III.
Résumé
La pérennité du système politique algérien trouve ses explications dans le temps long de l’histoire de ce pays et des acteurs qui l’animent. Ces acteurs appartiennent à deux catégories d’inégale importance néanmoins complémentaires, dans le cadre d’alliances à géométrie variable. Les acteurs fondateurs de ce système sont le produit du mouvement national et de la guerre d’indépendance. Ils structurent une alliance complexe, faite de rapports de forces évolutifs entre la présidence et l’institution militaire. Les acteurs consolidateurs se trouvent dans le milieu des affaires, dans le secteur associatif et médiatique. Ils sont devenus indispensables aux gouvernants algériens, qui usent de leur pouvoir discursif et infrastructurel comme mécanisme de résilience.

Du bon usage du « judéo-christianisme »
par Mohammed M. Bettahar
Université de Lorraine.
Nous examinons dans cet article le contenu et l’usage de l’expression « civilisation judéo-chrétienne », utilisée dans les mass-média comme synonyme de civilisation européenne. Apparue il y a deux ou trois décennies, cette définition ethno-religieuse de l’identité européenne ne nous semble pas pertinente car en contradiction avec l’approche historique habituelle des civilisations, avec l’histoire des nations européennes. Largement admise dans les opinions publiques, elle pourrait, dans un contexte propice aux replis identitaires, contribuer à alimenter des dérives préjudiciables aux équilibres politiques à l’intérieur et à l’extérieur de l’Europe. Il est important d’en discuter et le contenu et l’utilisation.

Notes de lecture
par Christophe Chiclet
Guillaume Perrier, Dans la tête de Recep Tayyip Erdoğan Arles, Actes Sud, 2018, 240 p.
Nicole Dubois-Tartacap, Kaliméra. Séjours et songes en terre grecque Paris, ed. Transboréal, 2017, 432 p.
Serge Avédikian, Tigrane Yégavian, Diasporalogue Marseille, ed. Thaddée, 2017, 214 p.
Vahé Ter Minassian Arménie, chronique de la IIIe République Paris, L’Harmattan, 2018, 450 p.
Dir. Paul Arnould Les géographies de Tintin Paris, CNRS éditions, 2018, 270 p.




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