Le premier chapitre est consacré à l’homme qui a transporté en Algérie son identité de mulâtre descendant d’esclave qui l’a rapproché des « indigènes » et sa qualité de citoyen français qui l’a fait accepter par la société blanche d’Alger. Il sera élu bâtonnier de l’Ordre des avocats en 1913 et il le restera six ans.
Editions : Riveneuve
Dimensions : 14 X 21
Nombre de pages : 202
ISBN : 978-2-36013-259-1
Par Michel Levallois
Christian Phéline est issu d’une famille ayant vécu en Algérie pendant quatre générations, il a été coopérant au ministère de l’Agriculture peu après l’indépendance et il a participé aux débats sur la « voie algérienne de développement ». Terminant sa carrière administrative de conseiller maître à la Cour des comptes, il s’est intéressé à un personnage extraordinaire de l’Algérie coloniale : un guadeloupéen, petit-fils d’esclave « trois-quarts nègre » selon les termes de l’époque, qui débarque à Alger en Octobre 1886 à 22 ans, s’installe dans la Basse Casbah et s’inscrit au Barreau d’Alger. Il se rend célèbre dès 1903 par sa défense devant les assises de Montpellier des 106 inculpés de la révolte de Margueritte (Aïn-Torki, 26 avril 1901). Il fait de sa plaidoirie un réquisitoire très documenté contre les abus du régime colonial. Il évite toute peine de mort et obtient quelque 80 acquittements. Il a joué un rôle sur la scène publique algéroise pendant près de 70 ans, puisqu’il meurt à El Biar en juillet 1955. Cet «indigénophile» du début du siècle, a connu le début de la guerre de libération nationale.
C’est la vie professionnelle et politique de cette personnalité hors normes, d’une exceptionnelle indépendance d’esprit, respecté par chacune des communautés algérienne et française que Christian Phéline raconte dans ce petit ouvrage fort agréable à lire, illustré de caricatures et de portaits publiés dans la presse de l’époque. Chacun des trois chapitres de l’ouvrage révèle un visage de ce personnage et, ce qui ajoute à l’intérêt de cette biographie, ils font apparaître certains traits inhabituels des sociétés coloniales de l’époque, permettant une mise en miroir entre le système des « vieilles colonies » issues de l’esclavage et la colonisation de peuplement algérienne.
Le premier chapitre est consacré à l’homme qui a transporté en Algérie son identité de mulâtre descendant d’esclave qui l’a rapproché des « indigènes » et sa qualité de citoyen français qui l’a fait accepter par la société blanche d’Alger. Il sera élu bâtonnier de l’Ordre des avocats en 1913 et il le restera six ans.
Le deuxième chapitre retrace ses engagements politiques dans le second collège comme conseiller général d’Aumale de 1895 à 1901, puis comme conseiller municipal « indigène » à la mairie d’Alger. Il va jouer de 1908 à 1919 un rôle politique dans les premiers combats des élus musulmans pour l’extension des droits civiques, alors qu’à l’approche de la Grande Guerre, la France se prépare à imposer aux jeunes musulmans algériens la conscription militaire obligatoire. À l’automne 1908, l’Admiral fut, selon toute vraisemblance, membre de la première délégation des élus algériens depuis 1833 à se rendre à Paris pour remettre à Clémenceau, président du Conseil, une pétition contre la conscription indigène sans « compensation » en termes de droits civiques. Après le vote de la loi de février1912 sur la conscription indigène « sans contre-parties », il sera l’un des quatre signataires d’une nouvelle pétition des élus algérois. Elle inspirera la plateforme de revendications, devenue pour l’Histoire le « Manifeste des Jeunes-Algériens ». Une délégation de représentants des huit principales villes, dirigée par le docteur Belkacem Benthami, le remettra en juin à Raymond Poincaré.
Christian Phéline a retenu dans son troisième chapitre cinq affaires politiques pour illustrer la carrière de ce très grand pénaliste. Elle fut exceptionnellement longue : 69 ans de Barreau. L’auteur ne s’attarde pas sur l’affaire de Margueritte dont il a publié le récit en 2012 à Paris et à Alger2, mais il en cite quatre autres: la procédure engagée avec succès par une musulmane, Lalla Zineb, pour se faire reconnaître comme l’héritière de la zaouïa d’El Hamel qui dirigeait alors la confrérie des Rahmaniya; la résistance judiciaire manifestée par la tribu des Beni Dergoun pendant plusieurs décennies contre une tentative crapuleuse de dépossession de ses terres ; une intervention en faveur de Ali Bach Hamba avocat d’origine turque, principale figure du mouvement « jeunes tunisiens »; la dernière des grandes affaires traitées par L’Admiral, conserve une certaine célébrité puisqu’il en a été rendu compte par Albert Camus, un jeune journaliste d’Alger Républicain : il s’agit de la défense en juin 1939 du cheikh Tayeb El Okbi, le dirigeant du Cercle du Progrès, accusé par l’administration coloniale de l’assassinat du grand Muphti d’Alger, tué le 2 août 1936.
Dans la conclusion dont le titre est empruntée à Albert Memmi, « Une espèce de métis de la colonisation », et en puisant dans ses lectures des grands auteurs de la décolonisation, Christian Phéline nous livre une réflexion très stimulante sur la situation inconfortable de ces colonisés qui on été à la charnière, dans l’entre-deux qui les tenaient éloignés et pourtant proches de la société coloniale.
Recension réalisée par l'Académie des sciences d'outre-mer, mise à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 non transcrit.