Jocelyne Cesari
Directrice du programme L’Islam en Occident de Harvard , Jocelyne Cesari est également chargée de recherche principale auprès du Berkley Center for Religion, Peace and World Affairs de l’Université de Georgetown.
Parmi ses publications : Faut il avoir peur de l'islam ?, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, Être musulman en France aujourd’hui,Paris,Hachette Littératures, 1997, L’islam à l’épreuve de l’Occident, Paris, La Découverte, 2004 et en collaboration avec Bernard Botiveau, Géopolitique des islams, Paris, Economica, 1997.
Son blog : http://www.jolpress.com/blogs/jocelyne-cesari
Parmi ses publications : Faut il avoir peur de l'islam ?, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, Être musulman en France aujourd’hui,Paris,Hachette Littératures, 1997, L’islam à l’épreuve de l’Occident, Paris, La Découverte, 2004 et en collaboration avec Bernard Botiveau, Géopolitique des islams, Paris, Economica, 1997.
Son blog : http://www.jolpress.com/blogs/jocelyne-cesari
Boston - L'islam passe souvent pour une menace éventuelle à la démocratisation. Pour justifier ce point de vue, on répète à l'envi que, pour l'islam, il n'y a pas de séparation entre politique et religion. En Occident, deux grands principes ont marqué le triomphe d'une perception libérale de l'individu au sein d'un espace publique laïcisé: la reconnaissance des droits de la personne (par opposition à l'intérêt collectif) en matière politique et la séparation de l'Eglise et de l'Etat en matière religieuse. Aucun mouvement semblable n'a existé dans le monde musulman. On pourrait donc être tenté de voir dans l'absence d'une évolution de même nature comme la preuve que l'esprit musulman rejette la laïcité dans sa totalité. Dans le monde musulman d'aujourd'hui, il n'y a pas de pays qui ne revendique l'islam comme élément fondateur de l'unité nationale. Dans les pays musulmans, l'islam est soit une religion d'état, soit sous contrôle de l'état, même dans des nations aussi ouvertement laïques que la Turquie ou l'Irak de l'époque Saddam Hussein.
C'est pourquoi l'Etat est généralement responsable en première instance de donner de la tradition l'interprétation qui fait foi. C'est pourquoi aussi la pensée islamique a perdu une certaine vitalité, non seulement sur les questions de gouvernement, mais aussi sur les problèmes de culture et de société. Ce n'est donc pas que "l'esprit musulman" soit naturellement réfractaire à la pensée critique, mais bien plutôt que les démarches d'analyse et de jugement sont trop longtemps restées la prérogative exclusive du pouvoir politique.
C'est pourquoi l'Etat est généralement responsable en première instance de donner de la tradition l'interprétation qui fait foi. C'est pourquoi aussi la pensée islamique a perdu une certaine vitalité, non seulement sur les questions de gouvernement, mais aussi sur les problèmes de culture et de société. Ce n'est donc pas que "l'esprit musulman" soit naturellement réfractaire à la pensée critique, mais bien plutôt que les démarches d'analyse et de jugement sont trop longtemps restées la prérogative exclusive du pouvoir politique.
Les relations entre l’islam et la démocratie laïque sont aussi affectées par un autre facteur, la vision des relations internationales qui s’est imposée, et qui décrit l’islam et l’Occident comme des forces opposées. Il en résulte, parmi les musulmans, une mentalité d’assiégé, et la transformation de l’islam en un outil de résistance politique. C’est ainsi que le discours religieux est devenu un élément clé de la rhétorique des temps de guerre, comme ce fut le cas des proclamations religieuses, pendant la Guerre du Golfe, en 1990, d’un Saddam Hussein, qui était pourtant, par ailleurs, manifestement laïc.
Il y a peut-être un paradoxe apparent, mais les musulmans considèrent la démocratie comme le meilleur système politique. Des sondages effectués ces dernières années montrent que les musulmans aimeraient vivre dans une société démocratique: ils plébiscitent les élections libres, la liberté de parole et les droits de l’homme. Dans le même temps, ils reconnaissent le rôle important que joue la charia dans leurs vies. C’est là qu’intervient souvent le même malentendu dans les discussions entre musulmans et non-musulmans au sujet de la démocratie: en fait, la charia n’est pas un instrument légal à proprement parler, mais un ensemble de normes et de principes moraux qui guident les musulmans dans leurs options personnelles et sociales.
Il y a peut-être un paradoxe apparent, mais les musulmans considèrent la démocratie comme le meilleur système politique. Des sondages effectués ces dernières années montrent que les musulmans aimeraient vivre dans une société démocratique: ils plébiscitent les élections libres, la liberté de parole et les droits de l’homme. Dans le même temps, ils reconnaissent le rôle important que joue la charia dans leurs vies. C’est là qu’intervient souvent le même malentendu dans les discussions entre musulmans et non-musulmans au sujet de la démocratie: en fait, la charia n’est pas un instrument légal à proprement parler, mais un ensemble de normes et de principes moraux qui guident les musulmans dans leurs options personnelles et sociales.
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C’est le même paradoxe apparent qui affecte les musulmans qui vivent en Occident sous des régimes démocratiques et laïcs. L’émigration vers Europe et ou les Etats-Unis libère les musulmans de la poigne de fer qu'ont les Etats musulmans sur la tradition islamique. Cette libération, qui se présente sous des formes diverses, produit deux résultats surprenants. Premier résultat: la plupart des musulmans qui vivent en Europe et aux Etats-Unis reconnaissent et apprécient le caractère démocratique et laïc des pays où ils résident. A l’exception de groupes marginaux comme les muhajirun au Royaume-Uni, les musulmans de l’Occident ne cherchent pas vraiment à changer les régimes politiques des pays où ils habitent pour en faire des états islamiques. Deuxième résultat: de plus en plus les musulmans de l’Occident conceptualisent et intègrent la charia dans leur code moral personnel.
Ce n’est pas dire, pour autant, que toutes les tensions disparaissent. Le conflit continuel entre les interprétations de la charia et les normes sociales des démocraties laïques portent sur des domaines tels que la famille, le statut des femmes dans le mariage et le divorce et l’éducation des enfants. C’est désormais devant les tribunaux civils que les musulmans exigent la reconnaissance d’une spécificité "musulmane" qui n’est pas prise en compte dans le droit civil qui prévaut en Occident.
Cette tension entre la loyauté envers l’Etat démocratique et laïc et l’importance de la religion dans la sphère personnelle se révèle dans un sondage Gallup effectué récemment dans les milieux musulmans de Paris, de Londres et de Berlin. En majorité, les répondants font l’éloge de la nation et de l’Etat dans lequel ils vivent, tout en affirmant que la religion est d’une grande importance pour eux. Ce en quoi ils diffèrent de la majorité de leurs concitoyens non-musulmans, qui répondent que la religion est sans importance aucune.
Cette situation peut désorienter les observateurs occidentaux. Plus important encore, elle reflète une tendance que les responsables politiques et les chercheurs doivent prendre en compte: il est strictement impossible de mettre en œuvre un modèle occidental de démocratie qui serait fondé sur la marginalisation ou le rejet de la religion dans les sociétés musulmanes. Les musulmans veulent être démocratiques, à leurs propres conditions. Cela signifie, pour les musulmans qui vivent en Occident comme pour ceux vivant dans des sociétés majoritairement musulmanes, qu’ils souhaitent que leurs normes religieuses soient visibles dans leur vie personnelle et quotidienne. Cela signifie aussi que les membres de sociétés démocratiques majoritairement musulmanes souhaiteraient que leurs normes religieuses régissent la vie sociale publique.
Tout cela soulève des préoccupations légitimes sur la reconnaissance et la liberté d'autres minorités religieuses dans un système social dominé par des références islamiques. A certains égards, la démocratie américaine (plus que la démocratie européenne) comporte des éléments clé d'une démocratie islamique: souveraineté populaire, séparation de l'Eglise et de l'Etat, reconnaissance sociopolitique de l'importance des religions dans la vie privée des citoyens et dans la vie publique.
Il est décisif que les milieux politiques et intellectuels occidentaux intègrent des références islamiques dans les processus de modernisation et de démocratisation, tout en s'efforçant de protéger les minorités religieuses et culturelles et de garantir la liberté de parole. Sans ces sauvegardes, aucune démocratie, qu'elle soit islamique ou autre, n'est envisageable.
Ce n’est pas dire, pour autant, que toutes les tensions disparaissent. Le conflit continuel entre les interprétations de la charia et les normes sociales des démocraties laïques portent sur des domaines tels que la famille, le statut des femmes dans le mariage et le divorce et l’éducation des enfants. C’est désormais devant les tribunaux civils que les musulmans exigent la reconnaissance d’une spécificité "musulmane" qui n’est pas prise en compte dans le droit civil qui prévaut en Occident.
Cette tension entre la loyauté envers l’Etat démocratique et laïc et l’importance de la religion dans la sphère personnelle se révèle dans un sondage Gallup effectué récemment dans les milieux musulmans de Paris, de Londres et de Berlin. En majorité, les répondants font l’éloge de la nation et de l’Etat dans lequel ils vivent, tout en affirmant que la religion est d’une grande importance pour eux. Ce en quoi ils diffèrent de la majorité de leurs concitoyens non-musulmans, qui répondent que la religion est sans importance aucune.
Cette situation peut désorienter les observateurs occidentaux. Plus important encore, elle reflète une tendance que les responsables politiques et les chercheurs doivent prendre en compte: il est strictement impossible de mettre en œuvre un modèle occidental de démocratie qui serait fondé sur la marginalisation ou le rejet de la religion dans les sociétés musulmanes. Les musulmans veulent être démocratiques, à leurs propres conditions. Cela signifie, pour les musulmans qui vivent en Occident comme pour ceux vivant dans des sociétés majoritairement musulmanes, qu’ils souhaitent que leurs normes religieuses soient visibles dans leur vie personnelle et quotidienne. Cela signifie aussi que les membres de sociétés démocratiques majoritairement musulmanes souhaiteraient que leurs normes religieuses régissent la vie sociale publique.
Tout cela soulève des préoccupations légitimes sur la reconnaissance et la liberté d'autres minorités religieuses dans un système social dominé par des références islamiques. A certains égards, la démocratie américaine (plus que la démocratie européenne) comporte des éléments clé d'une démocratie islamique: souveraineté populaire, séparation de l'Eglise et de l'Etat, reconnaissance sociopolitique de l'importance des religions dans la vie privée des citoyens et dans la vie publique.
Il est décisif que les milieux politiques et intellectuels occidentaux intègrent des références islamiques dans les processus de modernisation et de démocratisation, tout en s'efforçant de protéger les minorités religieuses et culturelles et de garantir la liberté de parole. Sans ces sauvegardes, aucune démocratie, qu'elle soit islamique ou autre, n'est envisageable.
Publication en partenariat avec CGnews .