Samedi 5 Octobre 2013

Une nouvelle théorie du complot ? L’Islam vu par les think tanks de droite américains


Par Marie-Cécile NAVES, sociologue, vice-présidente en charge des publications et rédactrice en chef de l'Observatoire français des think tanks



 « Que Dreyfus soit capable de trahir, je le conclus de sa race »(Maurice Barrès, dans les années 1880) 
 
« [Il y a une] radicalisation croissante de gens, dans ce pays, qui souhaitent prendre les armes contre leur gouvernement (…). En Amérique, les musulmans ne coopèrent pas suffisamment avec les mesures législatives visant à contrer la radicalisation de jeunes supporters opérée par des groupes liés Al-Qaida »(Le parlementaire républicain Peter King, en mars 2011, repris par le New York Post).

Dans chaque pays, à l’occasion de crises internes, un bouc émissaire, individuel ou collectif, est souvent désigné. Aux États- Unis, plusieurs épisodes historiques sont bien connus. Parmi eux, le maccarthysme occupe une place privilégiée, tant il a marqué les esprits et parce que nombre de protagonistes actuels de la scène politique, intellectuelle ou artistique ont vécu cette période trouble au cœur de la guerre froide, lorsque les communistes (ou supposés tels) étaient pourchassés et ostracisés. 
 
Aujourd’hui, dans l’imaginaire collectif nationaliste occidental, les musulmans se voient attribuer le rôle de conspirateurs sans scrupule et sans vergogne. On lit et l’on entend de plus en plus souvent qu’en chacun d’eux sommeillerait un terroriste ou un délinquant, déterminé à confisquer le pouvoir par des manœuvres basses et secrètes. Si différentes soient-elles, les (extrêmes) droites européennes et américaine se rejoignent sur un point au moins : la désignation de l’Islam comme un mal intérieur. Les États-Unis n’ont pas le passé colonial et post-colonial de la France ou du Royaume-Uni, mais ils ont eu le 11 septembre 2001, qui fait craindre à beaucoup d’Américains de nouveaux attentats. Les récentes révolutions en Afrique du Nord laissent entrevoir la perspective d’une prise de pouvoir par les islamistes et nourrissent cette peur : certains se demandent si la prophétie du Choc des civilisations pourrait, une nouvelle fois, se réaliser. 
 
Cette islamophobie résulte également de l’incertitude identitaire que semble traverser l’Amérique (et l’Occident dans son ensemble), comme en témoignent les résultats du dernier recensement qui voit la part de la population blanche (non hispanique) se réduire progressivement, ainsi que de la crise économique qui ne disparaît pas aussi vite qu’annoncé. 
 
Dans les think tanks, l’existence d’un "ennemi intérieur" musulman en Amérique est largement abordée, souvent étayée, parfois déconstruite. Á droite, la "communauté" musulmane apparaît désormais comme celle dont il faut le plus se méfier : venue de l’extérieur, par vagues d’immigration somme toute récentes (et pas forcément légales), n’a-t-elle pas pour objectif d’infiltrer la nation et ses institutions afin de les manipuler pour son propre profit ? Après tout, les kamikazes de septembre 2001 n’étaient-ils pas des immigrés intégrés, éduqués dans les écoles et universités américaines, mais restés dans l’ombre pendant plusieurs années ? Dès lors, pourquoi n’y en aurait-il pas d’autres, œuvrant en secret mais se trahissant parfois, comme par exemple en "exigeant" la construction d’un centre religieux et culturel au cœur de New York, à proximité de Ground Zero ?

Publication en partenariat avec Non-fiction .




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