Les cahiers de l'Islam
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Lundi 25 Janvier 2016

Adrien Candiard, En finir avec la tolérance ? Différences religieuses et rêve andalou





Adrien Candiard, En finir avec la tolérance ? Différences religieuses et rêve andalou, PUF, Paris, 2014, 112 p.

Biographie de l'auteur
Né en 1982, Adrien Candiard, ancien élève de l'École normale supérieure (Ulm) et diplômé de Sciences po, est frère dominicain au couvent du Caire et membre de l'Institut dominicain d'études orientales (Idéo). Il est notamment l'auteur de la pièce Pierre et Mohamed.
 


Publication en partenariat avec L'Oeil de Minerve .

L’actualité brûlante, le discours des politiques, les questions sociétales ou encore les relations interpersonnelles, tout cela converge aujourd’hui vers une seule question fondamentale et décisive : notre concept de tolérance est-il encore viable ? Il est assené à tours de bras dans les argumentaires les plus divers, symptôme de son ambigüité, qui pourtant résonnent tous comme des rengaines poussiéreuses et sans effet. Des écrits défendant l’esprit des Lumières aux éditos invoquant « l’esprit andalou » pour tenter de réconcilier l’Orient et l’Occident, le concept de tolérance est partout et nulle part à la fois car toujours convoqué mais jamais interrogé. Comment orienter l’action politique avec ce qui désormais, il faut bien le dire, n’est plus qu’un mot ? Adrien Candiard est un jeune frère dominicain au Caire, ancien élève de l’ENS et de Sciences Po Paris, il se propose dans En finir avec la tolérance ?  d’apporter quelques éléments de réponse aux questions formulées plus haut. En toute modestie, ce qui n’enlève rien à la pertinence de la démarche, il analyse les différents paradoxes que recèle le concept de tolérance en partant d’une question à laquelle il a, dit-il, souvent été confronté : faut-il avoir peur de l’Islam ? Premier constat : cette question n’est jamais soulevée directement. Autre chose, cette « peur » est une peur au second degré, « on ne sait même pas s’il faut avoir peur, et c’est peut-être le plus inquiétant. » (p. 3)
 
L’introduction de cet ouvrage s’articule autour de ce que l’auteur nomme le « mythe andalou ». Il s’agit pour Adrien Candiard de montrer à quel point la volonté de retour à un passé idéalisé constitue autant une négation du présent que du passé lui-même : vouloir faire d’al-Andalusla figure paradigmatique de toute tolérance, d’une coexistence harmonieuse et pacifique des trois grandes religions monothéistes, c’est méconnaître l’histoire et, plus encore, les enjeux du présent qui est avant tout incommensurable car singulier. Cela ne signifie pas que l’histoire n’a rien à nous enseigner mais qu’il faut avant tout être ouvert à la possibilité d’un enseignement car « l’Andalousie est un mythe politique » (p. 5) et que « la dénonciation du mythe n’est pas moins politique que le mythe lui-même » (p. 9). « Bref, quand les uns rêvent d’Andalousie, les autres vibrent au souvenir des croisades. Beaucoup de passion, peu de place pour l’histoire. » (p. 10). Le danger est clair : le discours politique doit être démêlé sans quoi nous sommes condamnés au cercle vicieux qui consiste à politiser tout ce que l’on touche et donc à n’avoir affaire qu’à des a priori, nos a priori.

Remontons donc avec l’auteur jusqu’à l’Andalousie d’Averroès et des Almohades au XIIème pour comprendre l’émergence de notre concept de tolérance et se demander si celui-ci est en accord avec son contenu. Il s’agit premièrement de souligner qu’à cette époque, les communautés religieuses cohabitent mais que cette cohabitation ne signifie ni égalité ni rapports harmonieux et paisibles. Averroès, héros mythologique des partisans d’une Andalousie idéalement tolérante, serait à l’origine du concept de tolérance fondé sur la thèse de la double vérité. En effet, il semblerait que les philosophes occidentaux comme orientaux aient attribué à Averroès l’idée selon laquelle il existe d’un côté les vérités de la foi et, de l’autre, les vérités de la raison. Ce que Raymond Lulle, fermement opposé à cette thèse, résumera de la façon suivante : Credo fidem esse veram et intellego quod non est vera (p. 19). Selon Adrien Candiard, l’attribution de cette thèse à Averroès résulte d’un malentendu qui peut être dissipé par une analyse attentive de ses textes philosophiques plus que de ses commentaires. Mais au-delà de cette question de spécialiste gît une autre interrogation d’importance : « On ne peut plus les (dogmes) critiquer ou chercher à les comprendre : il faut se contenter de croire. » (p. 21) Une seule alternative alors : « le rejet ou le fidéisme, autrement dit l’athéisme ou la bêtise. » (ibid.) Dès lors, faut-il céder à cette thèse qui, sous-prétexte de permettre la cohabitation de vérités opposées, ne fait qu’exclure l’une ou l’autre du champ de la compréhension ? Tolérer est-ce renvoyer dos à dos deux ordres de vérité ? Quelles sont les conséquences de cela ?
            Ce qui avait valu à Averroès d’être accusé d’impiété par le moyen-âge, tant occidental qu’oriental, est « par un étrange retournement » (p. 23), à partir de la renaissance, la cause de son retour en grâce. A la suite des guerres religieuses qui ont dévasté l’Europe, il s’agit pour les penseurs de trouver un moyen de concilier la religion et la paix civile. En proposant d’examiner ce qui a des conséquences directes sur la société et en l’opposant à ce dont les conséquences ne sont que secondaires, Locke, le premier, fait des vérités de la foi, des questions sans intérêt réel et immédiat. Il entraîne dans son sillage Spinoza pour qui les vérités « sont de deux types, mais certaines – philosophiques – sont supérieures aux autres – religieuses » (p. 28).  L’apogée de la thèse de la double vérité est atteinte avec Kant : le vérités de la foi sont reléguées dans le champ du nouménal, elles sont donc au-delà de la portée de toute connaissance positive. Le geste de Kant n’est pas irréligieux ou antireligieux, il s’agit d’ « écarter le savoir pour faire place à la foi » (p. 30), « croire est un choix éthique » (ibid.). En somme, à l’issue de l’âge moderne, « la foi propose des vérités à croire, la raison des vérités à comprendre. A chacun son domaine. » (p. 31) Pourtant, un problème se pose : dans la mesure où les questions religieuses sont laissées à la subjectivité dans tout ce qu’elle a de tyrannique et d’arbitraire, comment composer avec les questions qui occupent le devant du débat public sans ne faire qu’en appeler, en vain, à cette tolérance mise à mal ? Que comprendre de ce concept de tolérance, quelle est sa portée et quelles sont ses conséquences ?
            Le risque, souligne l’auteur, est de s’en remettre à justifier sa propre intolérance par l’intolérance de l’autre, comme aux Pays-Bas, où, puisque l’islam est intolérant, il devient intolérable. Nous concevons aisément la faiblesse et la stérilité d’une telle position. « (…) L’enjeu est donc double : il faut d’une part réintégrer, au point de vue intellectuel, l’islam dans le mouvement des idées, le convaincre d’accepter la modernité occidentale ; et d’autre part, convaincre les non-musulmans que cette évolution de l’islam est possible. (…) L’Andalousie apparaît comme un argument de choix. » (p. 35) Le problème est le suivant : nous voyons dans l’Andalousie (al-Andalus) les prémisses de nos Lumières. Autrement dit, « (a)ux occidentaux, elle n’a rien à apprendre qu’ils ne sachent déjà, c’est aux musulmans qu’elle doit servir. » (p. 37) Nous ne faisons que nous contempler dans un miroir déformé politiquement par nos soins, vanité occidentale, et nous ne voyons même pas la question que le recours systématique à ce mythe soulève. « On ne défend avec tant d’énergie que ce qui est en danger » (p. 39), constate Candiard à propos de notre tolérance.

La tolérance bâtie sur la thèse de la double vérité conduit à un triple effet, véritable anesthésiant pour la raison. Premièrement, l’affaiblissement des vérités religieuses, loin d’aller dans le sens d’une tolérance facilitée, produit inévitablement le rejet des questions religieuses, ou plutôt théologiques, hors du débat et donc de la réflexion constructive et positive. La foi étant exemptée d’une exigence de cohérence, « elle délaisse absolument l’échange, elle perd un précieux garde-fou qui la protège de l’absurde, mais aussi du sectarisme et de la violence. » (p. 40) « A vérité faible, esprits faibles », se désespère l’essayiste. Ensuite, « (r)envoyée à l’identité, la religion cesse d’être un choix pour devenir un simple fait. » ( p. 42) Il faut rappeler que la religion ne se reçoit pas comme un héritage génétique mais qu’elle peut faire l’objet d’un choix mûri et délibéré, ce que masque précisément le fait d’en faire une « affaire privée » car elle devient alors constitutive de l’identité. Ainsi, débattre de religion, c’est inévitablement débattre du droit à l’existence, chose absurde à l’origine de tensions toujours plus grandes. « Exclure la religion du domaine de l’opinion pour la considérer exclusivement comme une identité, c’est la rendre aussi indiscutable que la couleur des yeux ou la langue maternelle. » (p. 43) Enfin, le respect prôné et revendiqué, est-il au fond respectueux ? Cette invitation perpétuelle au respect devrait nous faire songer au fait que l’on respecte, mais aussi que l’on tient en respect et que ce concept est parfois l’autre nom d’un fossé que l’on constate sans le réduire. Respecter, en ce sens, c’est anéantir le droit à la parole, c’est fabriquer de l’ineffable entre des êtres doués de logos. Ce respect de bas étage nous dit Candiard est le respect dû, comme une concession, aux enfants capricieux, et pas aux êtres perfectibles. Loin d’être vertueux, le respect que tous arborent comme l’arme humaniste par excellence n’est en fait que le constat d’une incapacité à faire face au dialogue et découle d’un concept d’humanité bien médiocre. « C’est celui qu’on réserve aux imbéciles, aux gâteux, aux enfants de cinq ans avec qui on estime qu’il ne vaut pas la peine de discuter quand ils disent quelque chose de faux. » (p. 46) Comment repenser la tolérance depuis cette tolérance qui va jusqu’à nier notre humanité au sens fort, celle faite de singularités fortes plutôt que d’une universalité creuse et satisfaite ?
 
On ne peut enlever au titre de la seconde partie de l’ouvrage le mérite de la clarté : « Eloge de la dispute ». En réexaminant la forme du discours religieux et de la tolérance suivie en Andalousie au XIIème siècle, Adrien Candiard se propose ici de redéfinir la tolérance non plus comme le silence d’un respect inconditionnel mais plutôt comme la reconnaissance d’un droit de cité pour les questions théologiques. Position audacieuse et pertinente qu’il éclaire en cinq mouvements de réflexion.
Dans un premier temps, Candiard revient sur le concept de vérité tel qu’il est admis par les scolastiques depuis Thomas d’Aquin. Cette question est d’importance car, nous l’avons vu, notre tolérance repose sur la distinction de deux formes de vérité. Et la chose sur laquelle Averroès et Thomas d’Aquin étaient indubitablement d’accords est que la vérité se définit comme adaequatio rei et intellectus. Tous deux admettent que la vérité est une et qu’elle s’exprime  dans la relation qu’entretiennent la pensée et la réalité, « une définition réaliste » (p. 50). L’auteur loue ce parti pris d’un accord sur une définition claire, et qui plus est en accord avec le sens commun : cette définition nous parle et indique clairement que quelque chose peut et doit être recherché comme vérité. Il blâme au contraire les définitions floues et sans accord possible introduites par la phénoménologie ou la théorie quantique qui s’éloignent du sens commun et qui ne font que ruiner toute possibilité de dialogue : « Cela n’est pas secondaire dans la possibilité d’un dialogue effectif (…), la discussion risque de tourner court. » (p. 51) Comme l’affirme l’auteur, il faut admettre que « le Christ est ressuscité au sens obvie, ou (qu’)il ne l’est pas. » (p. 54) Mais cela ne va-t-il pas à l’encontre d’un relativisme culturel que la diversité des religions nous impose d’admettre et qui devrait nous conduire à relativiser la vérité recherchée en fonction du sujet qui la recherche ?
            L’Andalousie n’était pas ignorante de la thèse relativiste en matière de religion, thèse qu’elle a vivement combattue. En effet, l’esprit moderne était déjà incarné par certains comme le médecin juif Ismaël ben Yonas, qui réduit son appartenance religieuse à un simple folklore en argumentant en faveur d’une religion universelle (p. 55). Mais, comme nous l’indique Candiard, le cas de l’athée pose un réel problème à la thèse d’une religion universelle dont les religions particulières ne seraient que l’expression fortuite. De même, une religion universelle, pour peu qu’elle soit positive, demeure une religion avec ses dogmes, ses pratiques, etc. et cela ne change donc rien au problème, sinon en le rendant plus ambigu encore. L’Andalousie est allergique au relativisme, comme le phénomène de la conversion sincère et volontaire en témoigne (p. 58) : il s’agit de redéfinir son identité à partir d’une vérité trouvée à la suite d’un questionnement. « Car, en Andalousie, l’appartenance à une religion n’est pas affaire d’identité mais de vérité. » (p. 59) Ce que nous enseigne cette parenthèse dans la réflexion de Candiard est qu’une définition unique de la vérité n’est pas incompatible avec la diversité religieuse. La diversité religieuse n’est-elle pas alors source de conflit ?
            Le troisième moment de la démarche revient sur les traductions abondantes produites à l’époque dont nous parlons (p. 61). Ces traductions sont symptomatiques de l’envie de connaître et de diffuser présente alors. Et cela nous prouve que la recherche d’une vérité unique, malgré la diversité des religions, loin d’être la source de conflits, est plutôt une occasion de s’ouvrir à l’autre par la connaissance. Car si la vérité est unique, quelqu’un doit avoir raison, il faut alors réfuter, argumenter, contre-attaquer, tenter de convaincre et pour cela il faut connaître. « (L)a polémique se révèle plus productive pour la connaissance de l’autre que l’indifférence polie. C’est peut-être la principale leçon que nous pouvons tirer de l’histoire intellectuelle andalouse. La polémique n’est pas nécessairement dangereuse. » (p. 64) C’est la polémique qui nous impose de reconnaître l’autre comme sujet auquel il s’agit d’abord de demander ce qu’il pense pour pouvoir l’étudier. Quelle tolérance donc ?
            Pour prendre connaissance de façon objective de ce que fut l’Andalousie, Candiard nous explique qu’il convient davantage de faire appel aux polémistes plutôt qu’à un Averroès « aussi irénique que fantasmé » (p. 65). Il propose alors de rappeler que ceux qui contribuèrent à la tolérance alors en vigueur ne sont autres que des polémistes comme Ibn Hazm ou encore Raymond Lulle. Ces auteurs ont déployé tout leur zèle à traiter les questions théologiques les plus ardues dans le but d’établir la vérité de leur foi (pp. 65-67). Ils ne se privaient pas de rabaisser allant jusqu’à insulter leurs adversaires, ce qui est certes peu louable mais qui a le mérite de la sincérité. Candiard nous montre à quel point ces invectives féroces qui poussaient l’autre dans ses retranchements sont un outil pour le développement de l’intellect et le dépassement de soi, ce qui semble être la seule forme de vertu : « en les réfutant, il accepte de penser avec eux, de construire sa pensée contre la leur, comme on peut construire contre un mur à condition qu’il soit solide » (p. 67). Et l’auteur de conclure : « Le respect tel qu’ils l’entendent passe d’abord par le travail et la connaissance » par opposition au manque de respect des « débats oiseux des forums internet » et à la glose des « éditorialistes de comptoir », et ce respect incarne bien mieux la tolérance que « nos sympathiques rêves de réconciliation syncrétiques ou agnostiques » (pp. 71-72). Cette partie s’achève sur un rappel essentiel : si les questions religieuses échappent à la raison alors « nous créons des humanités différentes » (p. 72).
            Le chapitre s’achève sur une « leçon de polémique » : Candiard se fait le défenseur de la recherche de la vérité, vérité religieuse comprise, par l’argumentation raisonnée en analysant un extrait du Livre du gentil et des trois sages de Raymond Lulle dans lequel trois représentants des différentes religions tentent tour à tour de convaincre un gentil de la vérité de leur foi et de la fausseté des deux autres. Ils y parviennent mais ils quittent leur interlocuteur avant de connaître la pensée religieuse qu’il a reconnue comme vraie. Car ce qui importe est qu’il ait pu reconnaître et concevoir une vérité par lui-même. Loin d’affirmer que la différence entre les religions importe peu en comparaison de la recherche de la vérité, cet extrait nous invite plutôt à comprendre que les religions se fondent sur une ambition commune qui ne peut pas être comprise si l’on relativise la vérité de la foi. Bien au contraire, il est indispensable, pour l’auteur, d’admettre que la vérité est une et qu’elle doit se trouver quelque part. A charge alors pour chacun d’argumenter en faveur de ce qu’il pense être vrai. Ce type d’échange demeure violent mais « il n’y a pas de confrontation sans affirmation de ses opinions aux dépens des opinions des autres. Mais cette forme de violence, adoucie par les règles qu’ils (les interlocuteurs) se fixent, en évite une autre, bien moins évidente mais sans doute plus oppressive : la violence de l’obligation du consensus, qui au fond empêche tout véritable dialogue en gommant les différences. » (p. 78) Et c’est là la véritable tolérance que l’occident, obsédé par le consensus et l’idée d’une essence humaine évidente et partagée, ne parvient pas à concevoir. Contre « le syncrétisme (…) totalitaire », il s’agit de cultiver « non l’analogie mais la distinction. »
 
            Pour conclure, ce à quoi s’oppose Candiard est le « sentiment d’être en terrain familier », la volonté de réduire le divers à l’identique et l’autre au même, comme si je le connaissais déjà. Il s’y oppose en proposant une éthique de l’effort. Faire l’effort de s’opposer sincèrement, par le biais de la connaissance, voilà ce qui mérite le nom de « tolérance ». Ainsi, la solution est claire : contre la sécularisation et le rejet des questions théologiques dans la sphère privée, il faut les réintroduire dans l’espace public pour inciter chacun à s’élever par la connaissance en dialoguant avec l’autre sans jamais abandonner l’idée qu’il y a une vérité et qu’elle doit être recherchée. L’auteur se désole entre autres qu’un lycéen d’aujourd’hui ne puisse plus comprendre les débats sur la grâce présents dans les Provinciales, que les questions sociales aient pris le pas sur les questions religieuses et que tant d’adultes responsables soient séduits par des « spiritualités creuses »… Tolérer donc en renouant avec l’interrogation théologique, solution très audacieuse, pour « ne jamais renoncer, au milieu des satisfactions du confort et de la technique, à nos aspirations à l’infini et à la vérité » (p. 92).
           
Il semblerait donc que cette peur de l’islam ne soit qu’une peur de nous-mêmes, incapables que nous sommes de nous élever au-dessus de ce que l’on est devenus. Ce qui frappe, en lisant l’ouvrage d’Adrien Candiard, est de voir à quel point nous ne sommes jamais sortis d’une morale des essences aux dépens toujours d’une éthique des puissances telle que pouvait la souhaiter Deleuze dans son Spinoza. Philosophie pratique. A une tolérance morale qui tenterait de se justifier à partir d’une essence commune de l’homme (conception au demeurant purement occidentale), Candiard oppose finalement une tolérance éthique qui se manifeste dans l’acte même d’un dialogue sans concessions ouvert avec autrui qui nous le révèle alors comme Autre sans tenter de le réduire à un Même qui en nierait l’altérité : il ne faut pas présupposer l’humanité chez l’autre pour en appeler au respect, il faut l’expérimenter homme pour le respecter dans le geste même de cette expérience. Cette réforme profonde du concept de tolérance et du rapport à Autrui dans son altérité la plus radicale ouvre une brèche : et si notre tolérance, celle de l’occident consumériste et avide de concepts universaux, n’était que le résultat d’une mentalité « efféminée par les lettres » (des lettres dévoyées car ininterrogées il s’entend) et annonçant le déclin d’un monde de fats incapables d’autre chose que de satisfaction en guise de vertu – au sens où Montaigne l’évoquait déjà dans ses Essais ?
 
Détail pratique : une fois le livre acheté, lisez le vite et bien, la reliure de piètre qualité ne laisse que peu de temps à l’ouvrage avant qu’il ne vole en feuilles éparses.




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