Réputée pour son franc-parler, Asma Lamrabet, théologienne et chercheuse engagée dans la relecture réformiste de l’Islam, souligne l’urgence de la réinterprétation des textes religieux pour faire face au radicalisme. Entretien.
Par le site Maroc diplomatique.
Par le site Maroc diplomatique.
Asma Lamrabet
Pour combattre le radicalisme, il faut non seulement une approche géopolitique, sécuritaire et socio-économique, mais surtout une nouvelle approche théologique. Et elle passe par la réforme de la pensée.
Actualité oblige, le Pape a effectué, fin mars, une visite au Maroc. Cette visite renforcera-t-elle, selon vous, la position du Maroc en tant que pays d’islam du juste milieu face à la montée de la radicalisation ?
- Oui, sûrement ! La visite du Pape renforcera cette position, qui est déjà connue du Maroc. Malgré l’extrémisme et les menaces radicales, le Maroc prône un islam modéré. Un islam populaire, spontané et ouvert aux autres religions. L’hospitalité du coeur au Maroc est légendaire et le pays n’a jamais eu de réels problèmes avec les autres religions monothéistes. Les Marocains ont toujours, cette aptitude spontanée de l’acceptation de l’autre quel qu’il soit.
La Nouvelle-Zélande a été frappée récemment par une attaque terroriste sans précédent. Un homme extrémiste de droite a ouvert le feu dans deux mosquées, faisant une cinquantaine de morts. Comment expliquez-vous la montée de l’islamophobie dans le monde ?
- D’abord, l’extrémisme n’a pas de religion. On a tendance, ces dernières années, à confondre l’extrémisme radical, ce qu’on appelle le terrorisme, avec l’islam. Cet attentat terroriste nous démontre que cette idéologie extrémiste du rejet et de la haine de l’autre n’est pas intrinsèque à une religion donnée.
Oui, l’islamophobie existe bel et bien, elle est même devenue aujourd’hui banalisée et ce, entre autres, du fait de la montée de l’extrémisme, qui se fait au nom de l’islam. Ceci a créé une peur des musulmans et de l’islam. Mais, il y a aussi en jeu d’autres facteurs dont notamment le phénomène de l’immigration. Il est issu, majoritairement, des pays subsahariens ou du Moyen Orient. Cette immigration est devenue à « visibilité » musulmane. C’est ce qui a donné lieu à cette peur de l’étranger, inhérente à l’histoire des migrations humaines. Cet étranger symbolise l’altérité, autrement dit, cet Autre que l’on ne connaît pas et dont on ignore l’histoire. L’islamophobie naît plus de cette ignorance que d’autres choses.
En parallèle, l’intégrisme progresse dans les pays occidentaux parmi les communautés musulmanes. Quelles en sont les raisons ? Est-ce le rejet ressenti par les musulmans dans le pays d’accueil ou la responsabilité de l’encadrement religieux incombe entièrement au pays d’origine ?
- C’est extrêmement complexe. Il y a toutes ces raisons. La responsabilité de l’encadrement religieux est partagée entre les pays d’accueil et d’origine. Nul ne peut dire aujourd’hui qu’elle est la cause exacte du radicalisme et du terrorisme au nom de l’islam. Plusieurs études et recherches ont été réalisées à ce sujet sans toutefois trancher.
On ne peut pas lier cela à l’islam en tant que religion, ni uniquement à la précarité socio-économique et encore moins à un problème identitaire. Les causes de l’islamophobie sont multiples et en fait imbriquées. Il y a la géopolitique, l’immigration, le problème d’intégration socio-économique et la question identitaire. Toutes ces problématiques se croisent et nourrissent le sentiment de frustration, du rejet et de haine envers un Occident dominant. Mais il y a pire ! Certains idéologues au nom de l’islam donnent des arguments théologiques pour justifier cette violence. L’argumentaire théologique utilise certains versets, hors de leur contexte historique et cautionne le fait que l’on ait le droit légitime d’aller combattre voire tuer l’autre, le non-musulman, le mécréant, considéré comme un ennemi.
- Oui, sûrement ! La visite du Pape renforcera cette position, qui est déjà connue du Maroc. Malgré l’extrémisme et les menaces radicales, le Maroc prône un islam modéré. Un islam populaire, spontané et ouvert aux autres religions. L’hospitalité du coeur au Maroc est légendaire et le pays n’a jamais eu de réels problèmes avec les autres religions monothéistes. Les Marocains ont toujours, cette aptitude spontanée de l’acceptation de l’autre quel qu’il soit.
La Nouvelle-Zélande a été frappée récemment par une attaque terroriste sans précédent. Un homme extrémiste de droite a ouvert le feu dans deux mosquées, faisant une cinquantaine de morts. Comment expliquez-vous la montée de l’islamophobie dans le monde ?
- D’abord, l’extrémisme n’a pas de religion. On a tendance, ces dernières années, à confondre l’extrémisme radical, ce qu’on appelle le terrorisme, avec l’islam. Cet attentat terroriste nous démontre que cette idéologie extrémiste du rejet et de la haine de l’autre n’est pas intrinsèque à une religion donnée.
Oui, l’islamophobie existe bel et bien, elle est même devenue aujourd’hui banalisée et ce, entre autres, du fait de la montée de l’extrémisme, qui se fait au nom de l’islam. Ceci a créé une peur des musulmans et de l’islam. Mais, il y a aussi en jeu d’autres facteurs dont notamment le phénomène de l’immigration. Il est issu, majoritairement, des pays subsahariens ou du Moyen Orient. Cette immigration est devenue à « visibilité » musulmane. C’est ce qui a donné lieu à cette peur de l’étranger, inhérente à l’histoire des migrations humaines. Cet étranger symbolise l’altérité, autrement dit, cet Autre que l’on ne connaît pas et dont on ignore l’histoire. L’islamophobie naît plus de cette ignorance que d’autres choses.
En parallèle, l’intégrisme progresse dans les pays occidentaux parmi les communautés musulmanes. Quelles en sont les raisons ? Est-ce le rejet ressenti par les musulmans dans le pays d’accueil ou la responsabilité de l’encadrement religieux incombe entièrement au pays d’origine ?
- C’est extrêmement complexe. Il y a toutes ces raisons. La responsabilité de l’encadrement religieux est partagée entre les pays d’accueil et d’origine. Nul ne peut dire aujourd’hui qu’elle est la cause exacte du radicalisme et du terrorisme au nom de l’islam. Plusieurs études et recherches ont été réalisées à ce sujet sans toutefois trancher.
On ne peut pas lier cela à l’islam en tant que religion, ni uniquement à la précarité socio-économique et encore moins à un problème identitaire. Les causes de l’islamophobie sont multiples et en fait imbriquées. Il y a la géopolitique, l’immigration, le problème d’intégration socio-économique et la question identitaire. Toutes ces problématiques se croisent et nourrissent le sentiment de frustration, du rejet et de haine envers un Occident dominant. Mais il y a pire ! Certains idéologues au nom de l’islam donnent des arguments théologiques pour justifier cette violence. L’argumentaire théologique utilise certains versets, hors de leur contexte historique et cautionne le fait que l’on ait le droit légitime d’aller combattre voire tuer l’autre, le non-musulman, le mécréant, considéré comme un ennemi.
Alors comment combattre le radicalisme ?
- A mon avis, l’approche sécuritaire est certes importante mais demeure à elle seule insuffisante. Pour combattre le radicalisme, il faut non seulement une approche géopolitique, sécuritaire et socio-économique, mais surtout une nouvelle approche théologique. Et elle passe par la réforme de la pensée musulmane et du discours religieux. Chose que le monde arabo-musulman refuse encore d’entreprendre sérieusement et c’est cette impasse théologique qui, aujourd’hui, constitue la trame de fond de la majorité des problématiques structurelles aux pays musulmans.
Nous n’avons pas uniquement des problèmes liés à la violence mais également au niveau des libertés individuelles, de la liberté de conviction et de la question de l’égalité homme-femme. On ne peut plus se taire sur cela. L’islam, en tant que message spirituel, n’est pas la cause du radicalisme ou de toutes ces problématiques, cependant il faudrait reconnaître que c’est à partir d’un discours islamique littéraliste, rigoriste, puisé dans un corpus islamique traditionaliste archaïque et sacralisé que l’idéologie extrémiste puise sa force et sa matière première pour endoctriner les plus vulnérables.
Le débat sur l’égalité dans l’héritage a disparu de la scène nationale. Est-ce que les voix conservatrices ont pris le dessus sur les autres voix qui prônent l’Ijtihad notamment sur la question de Taâssib ?
- Le débat sur l’égalité dans l’héritage est omniprésent au niveau de la société civile, des centres de recherche et des universités, mais il n’est pas médiatisé. Il a même créé une prise de conscience. Face à cette mobilisation de la société civile, il y a le silence assourdissant du gouvernement et des institutions officielles, à l’exception du CNDH. La présidente du Conseil national des droits humains Amina Bouayach s’est exprimée, dernièrement, sur la nécessité de débattre de cette question. Le débat est également absent au sein des partis politiques, à l’exception de quelques rares partis, dont le PPS qui a organisé dernièrement une rencontre à ce sujet-là.
Malheureusement, le gouvernement et les institutions religieuses, sont en décalage avec les défis, les réalités et les métamorphoses de la société. Dans tous les cas, le débat continue. Il est là puisque ce sont des questionnements légitimes de notre société d’aujourd’hui. Et un jour ou l’autre, il faudra que le gouvernement et ses institutions regardent la réalité en face et décident d’ouvrir un débat serein sur ce sujet, certes, sensible mais que l’on ne peut plus continuer à éviter.
- A mon avis, l’approche sécuritaire est certes importante mais demeure à elle seule insuffisante. Pour combattre le radicalisme, il faut non seulement une approche géopolitique, sécuritaire et socio-économique, mais surtout une nouvelle approche théologique. Et elle passe par la réforme de la pensée musulmane et du discours religieux. Chose que le monde arabo-musulman refuse encore d’entreprendre sérieusement et c’est cette impasse théologique qui, aujourd’hui, constitue la trame de fond de la majorité des problématiques structurelles aux pays musulmans.
Nous n’avons pas uniquement des problèmes liés à la violence mais également au niveau des libertés individuelles, de la liberté de conviction et de la question de l’égalité homme-femme. On ne peut plus se taire sur cela. L’islam, en tant que message spirituel, n’est pas la cause du radicalisme ou de toutes ces problématiques, cependant il faudrait reconnaître que c’est à partir d’un discours islamique littéraliste, rigoriste, puisé dans un corpus islamique traditionaliste archaïque et sacralisé que l’idéologie extrémiste puise sa force et sa matière première pour endoctriner les plus vulnérables.
Le débat sur l’égalité dans l’héritage a disparu de la scène nationale. Est-ce que les voix conservatrices ont pris le dessus sur les autres voix qui prônent l’Ijtihad notamment sur la question de Taâssib ?
- Le débat sur l’égalité dans l’héritage est omniprésent au niveau de la société civile, des centres de recherche et des universités, mais il n’est pas médiatisé. Il a même créé une prise de conscience. Face à cette mobilisation de la société civile, il y a le silence assourdissant du gouvernement et des institutions officielles, à l’exception du CNDH. La présidente du Conseil national des droits humains Amina Bouayach s’est exprimée, dernièrement, sur la nécessité de débattre de cette question. Le débat est également absent au sein des partis politiques, à l’exception de quelques rares partis, dont le PPS qui a organisé dernièrement une rencontre à ce sujet-là.
Malheureusement, le gouvernement et les institutions religieuses, sont en décalage avec les défis, les réalités et les métamorphoses de la société. Dans tous les cas, le débat continue. Il est là puisque ce sont des questionnements légitimes de notre société d’aujourd’hui. Et un jour ou l’autre, il faudra que le gouvernement et ses institutions regardent la réalité en face et décident d’ouvrir un débat serein sur ce sujet, certes, sensible mais que l’on ne peut plus continuer à éviter.
Vous êtes chercheuse engagée dans la relecture réformiste de l’islam. Quels sont les domaines religieux se rapportant à la femme où il y a possibilité de l’Ijtihad ?
Personnellement, je pense que tout ce qui touche aux questions sociales est ouvert à l’Ijtihad. L’islam dans son essence est une religion de liberté (fitra), de justice et de libération des êtres humains. Ces valeurs ont été marginalisées par la lecture sclérosée (taqlid). L’islam, nous offre une éthique, des valeurs morales et des latitudes qui nous permettent, voire nous incite, à être dans cette perpétuelle exigence de contextualisation du message avec notre vécu et notre réalité. Le coran comme texte sacré, socle de l’islam, se tait des fois sur beaucoup de choses. Et justement, ce silence-là est aussi une permission ouverte à la contextualisation. On ne peut pas vivre sa religion de façon épanouie si on reste enfermé dans une seule et immuable lecture. L’Ijtihad doit être appliqué à beaucoup d’autres questions et non pas uniquement à la question de l’égalité homme femme. Bien sûr, mis à part le culte, autrement dit la dimension des « ibadates » qui reste de l’ordre de l’immuable (tawabit), la dimension sociale « mouaâmalates », doit rester ouverte à la contextualisation et à la réforme et ce contrairement à l’approche du « taqlid », qui est une lecture complètement fermée et rigoriste qui entrave l’évolution des musulmans et leur intégration dans la modernité.
Des voix s’élèvent pour dénoncer un recul des droits des femmes marocaines. Partagez-vous le même avis ?
- Je pense qu’il y a un statu quo plutôt qu’une régression des droits des femmes marocaines. Le Maroc a engagé deux réformes importantes. La première réforme est celle de la Moudawana initiée en 2004. Elle a marqué une évolution assez importante concernant les droits des femmes. Le Maroc était vraiment avant-gardiste avec la Tunisie, par rapport au reste des pays du monde arabo-musulman. Je crois qu’il ne faut pas négliger ces avancées.
Malheureusement, ces avancées sont restées limités sur le plan de la réalité. Je l’ai déjà dit précédemment, on a fait l’impasse sur la réforme de la pensée et sur l’éducation. Et donc quand on fait l’impasse sur la pensée et l’éducation il n’est pas étonnant de constater le décalage entre les lois et leur application sur le terrain.
Personnellement, je pense que tout ce qui touche aux questions sociales est ouvert à l’Ijtihad. L’islam dans son essence est une religion de liberté (fitra), de justice et de libération des êtres humains. Ces valeurs ont été marginalisées par la lecture sclérosée (taqlid). L’islam, nous offre une éthique, des valeurs morales et des latitudes qui nous permettent, voire nous incite, à être dans cette perpétuelle exigence de contextualisation du message avec notre vécu et notre réalité. Le coran comme texte sacré, socle de l’islam, se tait des fois sur beaucoup de choses. Et justement, ce silence-là est aussi une permission ouverte à la contextualisation. On ne peut pas vivre sa religion de façon épanouie si on reste enfermé dans une seule et immuable lecture. L’Ijtihad doit être appliqué à beaucoup d’autres questions et non pas uniquement à la question de l’égalité homme femme. Bien sûr, mis à part le culte, autrement dit la dimension des « ibadates » qui reste de l’ordre de l’immuable (tawabit), la dimension sociale « mouaâmalates », doit rester ouverte à la contextualisation et à la réforme et ce contrairement à l’approche du « taqlid », qui est une lecture complètement fermée et rigoriste qui entrave l’évolution des musulmans et leur intégration dans la modernité.
Des voix s’élèvent pour dénoncer un recul des droits des femmes marocaines. Partagez-vous le même avis ?
- Je pense qu’il y a un statu quo plutôt qu’une régression des droits des femmes marocaines. Le Maroc a engagé deux réformes importantes. La première réforme est celle de la Moudawana initiée en 2004. Elle a marqué une évolution assez importante concernant les droits des femmes. Le Maroc était vraiment avant-gardiste avec la Tunisie, par rapport au reste des pays du monde arabo-musulman. Je crois qu’il ne faut pas négliger ces avancées.
Malheureusement, ces avancées sont restées limités sur le plan de la réalité. Je l’ai déjà dit précédemment, on a fait l’impasse sur la réforme de la pensée et sur l’éducation. Et donc quand on fait l’impasse sur la pensée et l’éducation il n’est pas étonnant de constater le décalage entre les lois et leur application sur le terrain.