Les cahiers de l'Islam
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Amine Djebbar
Co-fondateur historique du site internet "Les cahiers de l'Islam" et des "éditions Les cahiers de... En savoir plus sur cet auteur
Lundi 4 Août 2014

Cinq points d'argumentation israélienne sur Gaza - démystifiés




Noura Erakat est avocate pour les droits de l’homme et une activiste américaine d’origine palestinienne. Elle est professeur à l’École de Droit de Beasley à la Temple University. Elle est co fondatrice et éditrice du magazine Jadaliyya. Elle est diplômée de l’Université de Berkeley (BA), de la Berkeley Law School (J.D) et du Georgetown University Law Center. Noura Erakat est spécialisée dans les législations concernant les réfugiés, le domaine de l’humanitaire, la sécurité nationale, le conflit israélo-palestinien et la justice sociale. Elle est régulièrement sollicitée par les médias nationaux et internationaux (Al jazeera, msnbc, Democracy now...) en tant qu'experte. Elle est également membre de l' Institute for Policy Studies, think thank basé à Washington. Crédit Photo Al Jazeera English.


Cet article du 25 juillet 2014 est issu de l'hebdomadaire américain The Nation, vous pouvez retrouver l'article d'origine sur ce lien. Traduction par Amine Djebbar pour les Cahiers de l'Islam.

 

Fumées provenant des attaques israéliennes et qui s'élèvent sur la Bande de Gaza. (AP, Hatem Moussa)
Fumées provenant des attaques israéliennes et qui s'élèvent sur la Bande de Gaza. (AP, Hatem Moussa)

Par Noura Erakat

Israël prétend qu'il ne fait qu'exercer son droit à l'auto défense et que Gaza n'est plus occupée. Voici ce que vous avez besoin de savoir concernant ces points de discussion et plus encore.

Israël a tué près de 800 palestiniens durant ces 21 derniers jours dans la seule Bande de Gaza, son agression se poursuit. L’ONU estime que plus de 74 % des personnes tuées sont des civils. Ce qui était à prévoir dans une population qui compte 1,8 million d’habitants et dans laquelle le nombre des membres du Hamas est estimé environ à 15 000. Israël ne conteste pas le fait qu’il a tué ces Palestiniens en utilisant la technologie aérienne moderne et des armes de précision émanant de la générosité de l’unique super puissance mondiale. En fait, il ne nie même pas que ces victimes soient des civils.

La machine de propagande israélienne, cependant, insiste sur le fait que ces Palestiniens ont voulu mourir (culte du martyr), mettant en scène leur propre mort (télégénie de la mort), ou ont été les tragiques victimes du Hamas et de son utilisation des infrastructures civiles à des fins militaires (boucliers humains). Dans tous les cas, la puissance militaire blâme les victimes de leur propre mort, les accusant de dévaluer la vie et attribuant ce mépris à une déchéance culturelle. En réalité, Israël, avec l’absence de critiques des médias grand public qui incontestablement acceptent ce discours, déshumanise les Palestiniens, les prive même de leur statut de victime en légitimant ces choquantes violations des droits de l’homme et de la loi.

Ce n’est pas la première fois. Ces images horribles de corps d’enfants décapités et d’innocence volée sur les côtes de Gaza ne sont qu’une épouvantable répétition de l’attaque d’Israël sur Gaza en novembre 2012 et durant l’hiver 2008-2009. Non seulement ce sont les mêmes tactiques militaires mais également les mêmes efforts de relations publiques et arguments juridiques qui justifieraient ces attaques. Les commentateurs d'informations dans les médias grand public acceptent de façon incompréhensible ces arguments en les considérant comme des faits.

Ci-dessous, j'analyse cinq récurrents points de discussion utilisés par Israël. J’espère que cela sera utile pour les vedettes de l’actualité.


1) Israël exerce son droit à l'auto défense

En tant que puissance occupante dans la Bande de Gaza, et sur les territoires palestiniens de manière générale, Israël à l’obligation et le devoir  de protéger les civils qui sont sous son occupation. Il gouverne grâce à l’autorité militaire et l’application de la loi pour maintenir l’ordre, pour se protéger et protéger la population civile sous son occupation. Il ne peut pas simultanément occuper le territoire, usurper l’autorité qui incombe aux Palestiniens, et leur déclarer la guerre. Ces politiques contradictoires (occuper un territoire et lui déclarer la guerre) rendent la population palestinienne doublement vulnérable.

Les conditions précaires et instables dans lesquelles vivent les Palestiniens de la Bande Gaza sont le fruit de la responsabilité d’Israël. Ce dernier affirme qu’il invoque le droit à l’auto défense  selon la loi internationale définit par l’article 51 de la Charte des Nations-Unies. La Cour internationale de Justice (CIJ) a, cependant, rejeté cette interprétation juridique erronée dans son avis consultatif de 2004

La CIJ a expliqué qu’une attaque armée qui déclencherait l’article 51 doit être attribué à un Etat souverain, il ne concerne pas les Palestiniens qui essaient de sortir du contrôle juridictionnel israélien. Israël a le droit de se défendre contre les attaques de roquettes, mais cela doit être en conformité avec la loi d’occupation et non celles qui concernent les lois relatives aux guerres. La loi d’occupation assure une plus grande protection pour les populations civiles. Les autres lois de la guerre équilibrent les avantages militaires et la souffrance des populations civiles. La déclaration selon laquelle « Aucun pays n’accepterait de recevoir des tirs de roquettes en provenance d’un pays voisin » est donc à la fois sans fondement et une diversion.  

Israël refuse aux Palestiniens le droit de gouverner et de se protéger, et évoque dans le même temps le droit à l’auto défense. Cette énigme et cette violation du droit international est une création d'Israël pour échapper à sa responsabilité.

2) Israël a évacué Gaza en 2005

Israël affirme que l'occupation de Gaza a pris fin avec le retrait unilatéral de sa population de colons en 2005. Il a ensuite affirmé que la Bande de Gaza était un territoire hostile et il a déclaré la guerre contre sa population. Ni l'argument ni la déclaration ne sont soutenables. Malgré le départ des 8000 colons et des infrastructures militaires qui protégeaient leur présence illégale, Israël a maintenu un contrôle effectif sur la Bande de Gaza et par conséquent reste la puissance occupante comme il est défini par l'article 42 du Règlement de la Haye. A ce jour, Israël maintient un contrôle sur l'espace aérien, les eaux territoriales, la sphère électromagnétique, le registre de la population et sur la circulation de tous les biens et des personnes.

Israël prétend que le retrait de la Bande de Gaza démontre que la fin de l'occupation n'apportera pas la paix. Certains sont allé jusqu'à dire que les Palestiniens ont gâché l'opportunité de construire un paradis et qu'en lieu et place ils ont construit un refuge pour terroriste. Ces arguments ont pour objectif de dédouaner Israël de ses responsabilités dans la Bande de Gaza, de même qu'en Cisjordanie. Comme l'a expliqué une fois le premier ministre Netanyahu, Israël ne doit pas "obtenir un autre Gaza en Judée ou Samarie... Je pense que le peuple israélien comprend maintenant ce que je dis toujours : qu'il ne peut pas y avoir de situation, sous quelconque accord, dans laquelle nous abandonnons le contrôle de la sécurité du territoire à l'Ouest du Jourdain."

Les Palestiniens n'ont pas encore fait l'expérience d'une seule journée d'auto gouvernance. Israël a immédiatement imposé un siège sur la Bande de Gaza lorsque le Hamas a remporté les élections législatives de janvier 2006, siège qui s'intensifia lorsque le Hamas a évincé le Fatah en juin 2007. Le siège a créé une catastrophe humanitaire dans la Bande de Gaza. Les habitants ne seront plus en mesure d'accéder d'accéder à l'eau potable, l'électricité ou même les besoins médicaux de première urgence. L'Organisation mondiale de la santé explique que la Bande de Gaza sera invivable en 2020. Non seulement Israël ne met pas fin à l'occupation mais il a créé une situation dans laquelle les Palestiniens ne peuvent pas survivre à long terme.


3) Cette opération israélienne, entre autre, à été causée par les tirs de roquettes en provenance de la Bande de Gaza

Israël prétend que les anciennes et actuelles guerres contre la population palestinienne à Gaza ont été les réponses aux tirs de roquettes. La preuve empirique de 2008, 2012 et 2014 réfute cette affirmation. Tout d'abord, selon le ministre israélien des Affaires étrangères, la réduction des tirs de roquettes est beaucoup plus due à la voie diplomatique que celle militaire. Ce graphique démontre la corrélation entre les attaques militaires israéliennes sur la Bande de Gaza et l'activité militante du Hamas. Les tirs de roquettes du Hamas augmentent suite aux attaques militaires d'Israël et ils diminuent en corrélation. Le cessez le feu a apporté une plus grande sécurité dans la région.

Durant les 4 mois de négociations égyptiennes pour le cessez-le feu en 2008, les militants palestiniens ont réduit le nombre de tirs de roquettes à zéro ou à un seul chiffre dans la Bande de Gaza. Malgré ce calme et cette sécurité relative, Israël a rompu le cessez le feu pour débuter la célèbre offensive aérienne et terrestre qui a tué 1400 palestiniens en 22 jours. En novembre 2012, l'assassinat extra judiciaire par Israël de Ahmad Jabari, chef de la branche militaire du Hamas à Gaza, brise encore le cessez le feu et engendra huit jours d'offensive aérienne qui tuèrent 132 palestiniens.

Immédiatement avant la plus récente des opérations d'Israël, les attaques de roquettes et de mortiers du Hamas ne menaçaient pas Israël. Israël a délibérément provoqué cette guerre avec le Hamas. Sans produire le moindre morceau de preuve, il a accusé la faction politique d'avoir kidnappé et tué trois colons près d'Hébron. Quatre mois et près de 700 vies plus tard, Israël n'a pas encore produit la moindre preuve démontrant l'implication du Hamas. Pendant les dix jours de l'opération Brother's kepper dans la Bande de Gaza, Israël a arrêté environ 800 palestiniens, tué 9 civils et pillé près de 1300 bâtiments résidentiels, commerciaux et publics. Cette opération militaire ciblait les membres du Hamas transférés lors de l'échange avec le soldat Gilad Shalit en 2011. Ce sont ces provocations israéliennes qui ont engendré ces tirs de roquettes qui selon les déclarations d'Israël ne lui aurait pas laissé d'autre choix que celui de cette horrible opération militaire.


4) Israël évite les pertes civiles, mais le Hamas a pour objectif de tuer des civils

Le Hamas dispose d'armes brutes dont la technologie est dénuée de toute capacité de ciblage. Ainsi les attaques de roquettes ipso facto violent le principe de distinction car ce sont toutes des attaques aveugles. Cela n'est pas contesté. Israël, cependant, ne serait pas plus tolérant avec le Hamas si celui ci visait strictement des cibles militaires, comme nous l'avons vu ces derniers temps. Israël considère le Hamas, ainsi que toute forme de résistance, armée ou non, comme illégitime.

En revanche, Israël a la 11 ème armée la plus puissante du monde, assurément la plus forte, de loin, au Moyen Orient et il est une puissance nucléaire qui n'a pas ratifié l'accord de non prolifération et qui dispose d'armes et d'une technologie de pointe. Avec l'utilisation de drones, de F16 et d'un arsenal d'armes de technologie moderne, Israël a la possibilité de cibler des individus seuls et donc d'éviter des pertes civiles. Mais au lieu de les éviter, Israël a mainte fois visé des civils dans le cadre de ses opérations militaires.

La Doctrine Dahiya est au centre de ces opérations et se réfère aux attaques aveugles d'Israël sur le Liban en 2006. Le Major-général Gadi Eizenkot a dit que cela sera appliqué ailleurs : 

"Ce qui s'est passé dans le quartier Dahiya à Beyrouth en 2006 se reproduira dans chaque village qui visera Israël. Nous allons appliquer une force disproportionnée sur celui ci et causer de grand dommages et sa destruction. De notre point de vue, ce ne sont pas des villages de civils, ce sont des bases militaires."

Israël est resté fidèle à cette promesse. La mission d'enquête des nations unies de 2009 pour Gaza, plus connue sous le nom de mission Goldstone, a conclut "après un examen des faits sur le terrain que la meilleure stratégie (Doctrine Dahiya) semble bien avoir été précisément mise en pratique."

Selon les organisations National Lawyers Guild, Physicians for Human Rights-Israel, Human Rights Watch et Amnesty International, Israël a délibérément visé ou par imprudence provoqué la mort de civils durant l'opération Plomb durci. Loin d'éviter ces morts de civils, Israël les considère efficacement comme des cibles légitimes.


5) Le Hamas cache des armes dans les maisons, les mosquées, les écoles et se sert de boucliers humains

Ceci est sans doute l'argument le plus insidieux d'Israël car il accuse les Palestiniens de leur propre mort, les privant même de leur statut de victimes. Israël a utilisé le même argument dans sa guerre contre le Liban en 2006 et contre les Palestiniens en 2008. Malgré ses croquis et sa cartographie militaire, Israël doit encore prouver que le Hamas a utilisé des infrastructures civiles pour stocker des armes militaires. Les deux cas où le Hamas a stocké des armes dans les écoles de l'UNRWA, les écoles étaient vides. L'UNRWA a découvert les roquettes et a publiquement condamné cette violation de son intégrité.

Les organisation internationales des droits de l'homme ont enquêté sur ces allégations et ont déterminé qu'elles n'étaient pas vraies. Elles ont attribué le grand nombre de décès dans la guerre contre le Liban en 2006 aux attaques aveugles d'Israël. Human Rights Watch note :

Les preuves que Human Rights Watch a découvert dans ses enquêtes sur le terrain réfute l'argument (d'Israël)...Nous avons trouvé des preuves solides qui prouvent que le Hamas a stocké la plupart des roquettes dans des bunkers et des installations de stocks d'armes dans des domaines inhabités et des vallées, que la majorité des combattants du Hamas ont quitté les zones d'habitations civiles dès le début des combats et que le Hamas a lancé la plupart de ses roquettes depuis des positions situées hors des villages.

En réalité, seuls les soldats israéliens ont systématiquement utilisé les Palestiniens comme des boucliers humains. Depuis l'incursion d'Israël dans la Bande de Gaza en 2002, il a utilisé les Palestiniens comme des boucliers humains en attachant des jeunes Palestiniens sur les capots de leur voitures ou en les forçant à entrer dans des maisons où des potentiels militants pouvaient se cacher.

Même en supposant que les allégations d'Israël étaient possibles, le droit humanitaire oblige Israël a éviter les pertes civiles "qui seraient excessives par rapport à l'avantage militaire concret, direct et attendu." Une force belligérante doit vérifier si des civils ou des infrastructures civiles ne sont pas qualifiés comme un objectif militaire. En cas de doute, "si un objet, qui est normalement destiné à des usages civils, comme un lieu de culte, une maison, un logement ou une école, est utilisé pour contribuer efficacement à une action militaire, il doit être présumé comme n'étant pas utilisé pour ceci."

Durant les trois semaines de l'opération militaire, Israël a démoli 3175 maisons, avec au moins une dizaine de familles à l'intérieur, détruits cinq hôpitaux et six cliniques, partiellement endommagé 64 mosquées et deux églises, partiellement ou complètement détruit 8 ministères, blessé 4620 personnes, tué plus de 700 Palestiniens (*). A la vue de tous, ces chiffres indiquent les violations évidentes par Israël du droit humanitaire et ils constituent des crimes de guerre.

Au delà du décompte du nombre de corps et de référence à la loi, qui est un produit du pouvoir, la véritable question à se poser est : Quel est l'objectif final d'Israël ? Et si c'était les tunnels que le Hamas et le Jihad islamique ont creusé sous l'ensemble de la Bande Gaza, et ils ne l'ont manifestement pas faits, mais supposons que ce soit le cas pour notre raisonnement. Selon la logique d'Israël, l'ensemble des 1,8 millions de Palestiniens de la Bande de Gaza sont donc nés pour être des boucliers humains. La solution est de détruire les 360 km² de terre et d'attendre que le monde regarde et accepte cette perte catastrophique de façon accessoire. Ceci n'est possible que par l'encadrement et l'acceptation de la déshumanisation de la vie palestinienne. Malgré l'absurdité de cette affirmation, c'est précisément ce que la société israélienne exhorte de faire à ses dirigeants militaires. Israël ne peut pas bombarder les Palestiniens dans la soumission et il ne peut certainement pas les bombarder dans la paix.


(*) Note de la Rédaction : le bilan des victimes palestiniennes tuées suite à l'opération militaire israélienne serait à ce jour, selon l'hôpital de Shifa à Gaza, de 1865 personnes dont 429 enfants et adolescents de moins de 18 ans, 79 de plus de 60 ans et 243 femmes (source Le Point).




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