'' Sous le titre «Trésors de l’Islam en Afrique», l’Institut du monde arabe accueille, à partir du 14 avril, une exposition d’une exceptionnelle beauté. Le mot n’est pas de trop et son usage ne procède nullement, hâtons-nous de le dire, de la manie qu’ont certains de conjuguer à tous les modes les superlatifs et l’hyperbole. Il ne s’agit pas seulement de montrer des pièces d’une singulière splendeur - cela du reste suffirait à faire de l’exposition une réussite. Il y a plus. C’est de réviser toute une concaténation de notions, de clichés et de poncifs collant à la peau de l’Afrique et de l’Islam qu’il est question. ''
Cet entretien est publié avec l'aimable autorisation de son auteur.
Djenne Mosque, Mali ©James Morris
La prégnance de la culture orale et la diffusion guerrière de l’islam sont deux exemples que l’exposition entend battre en brèche. Son objet est de se pencher sur «les processus de transmission et d’appropriation de l’islam par les peuples africains» comme l’écrit dans une formule lapidaire le président Jack Lang qui ajoute : «Du Maroc au Sénégal en passant par l’Ethiopie, le Kenya, le Mali, l’exposition retrace 13 siècles d’histoire à travers l’art, l’architecture ou les rituels». Sur près de 1100 m2, près de 300 œuvres, dont des pièces exposées pour la première fois en France comme certains manuscrits antiques d’un grand intérêt scientifique et esthétique. C’est par les réseaux commerciaux, par l’action des marchands que dès le VIIIe siècle, l’islam se répand en Afrique subsaharienne. Il importe de le signaler à l’heure où de toutes parts on répète à l’envie que l’islam s’est répandu uniquement par le sabre. Si l’oralité joue un rôle plus important en Afrique, l’écrit n’est ni oublié, ni négligé, bien au contraire. Les concepteurs de l’exposition en veulent pour preuve les manuscrits de Tombouctou : «Une dizaine de manuscrits issus de la bibliothèque Mamma Haïdara de Tombouctou seront exposés pour la première fois».
Tordre le cou aux préjugés tenaces
En outre, la spiritualité musulmane qui semble s’inscrire dans l’art et l’architecture est bien vivante. Medersas, Zaouias et mausolées sont les signes d’une ferveur spirituelle intense, les confréries Tidjaniyya, la Shadhiliya, le mouridisme, les Gnaouas sont autant de voies et de pratiques (Tûrûq) qui caractérisent la spiritualité et les cultes africains. L’occasion ici est belle pour les organisateurs de tordre le cou à un préjugé tenace. Ils remettent en question «une pratique de la religion musulmane qui serait moins ‘orthodoxe’ que dans le monde arabe». Pour mieux contester une conception d’un islam noir «relevant de la sorcellerie », ils essaient de montrer que «le recours à la magie perdure aussi après le VIIe siècle dans le reste du monde arabo-musulman». Bien que les organisateurs ne le mentionnent pas, ils auraient pu s’autoriser d’un témoin illustre, le voyageur Ibn Battûta qui, à la fin de sa Rihla, met à l’actif des Africains musulmans «la stricte observance des prières, l’astreinte à prier en communauté et les punitions infligées aux enfants pour le manquement à cette obligation » sans oublier «le zèle que ces hommes déploient pour apprendre le Coran vénéré » Cette ville si longtemps nimbée de mystère a exalté l’imagination des voyageurs occidentaux. Serait-ce en raison de l’or qui serait à l’origine de sa prospérité ? Pourtant, c’est au commerce du vêtement, du sel, du blé, des plumes d’autruche et des esclaves que Tombouctou a dû sa richesse. Au reste, Ibn Battûta, l’Arabe aux semelles de vent, qui se trouvait dans la région au XIVe siècle, note l’apparat de la cour royale : «La salle d’audience a trois fenêtres en bois recouvertes de plaques d’argent et, au-dessous, trois autres recouvertes de plaques d’or... Les écuyers arrivent avec des armes magnifiques : carquois d’or et d’argent, sabres ornés d’or ainsi que leur fourreau, lances d’or et d’argent, massues de cristal […]. Certains jours, le sultan tenait audience dans la cours du palais sous un arbre. Il était assis sur une estrade recouverte de tapis de soie, et surmontée d’une ombrelle de soie, couronnée d’un oiseau en or. Le sultan porte une coiff e en or. Il est vêtu d’une tunique de velour rouge confectionnée dans de précieux tissus venus d’Europe. Il est précédé de musiciens dont les guitares sont en or et en argent. Derrière lui, 300 esclaves soldats». Peut-être qu’Ibn Battûta ne voyait pas Tombouctou à travers le même prisme que ses confrères occidentaux. Cette capitale n’était pas aussi mystérieuse pour lui, parce qu’elle ne lui était pas inaccessible. Ce n’était pas le cas de René Caillié. «Au moment où le soleil touchait à l’horizon, je voyais donc cette capitale qui, depuis si longtemps, était le but de tous mes désirs», écrit René Caillié qui courut de grands risques, affronta toutes les adversités imaginables et souffrit mille peines pour Tombouctou. Mais l’émotion poignante qui l’étreint lorsque la ville surgit devant ses yeux rachète toutes ses fatigues et ses angoisses : «En entrant dans cette cité mystérieuse, je fus saisi d’un sentiment inexprimable de satisfaction. Je n’avais jamais éprouvé une sensation pareille et ma joie était extrême », écrit-il dans son «Journal d’un voyage à Tombouctou». Cependant, René Caillié ne fut pas le premier explorateur à fouler le sol de Tombouctou.
La mystérieuse capitale enflamme les imaginations
Au XVe siècle, cet honneur échut au poète et à l’historien italien Benedetto Dei (1418-1492) qui connut bien d’autres villes, dont Beyrouth et Jérusalem. Le premier Français à avoir atteint Tombouctou fut le capitaine Paul Imbert dont le navire fut attaqué par les corsaires de Salé vers 1610. Capturé, Imbert est vendu comme esclave au maître de Marrakech. Ce marin intelligent et dégourdi attire l’attention des dignitaires de la cour royale et le Chérif saadien d’alors Moulay Zidane al- Nasser (1608-1627) qui, rêvant de déflorer l’alléchante Tombouctou, lui confie la mission de conquérir Tombouctou. C’est ainsi qu’est entreprise une expédition de 400 soldats escortée par une centaine de chevaux et des dizaines de chameaux. Les connaissances de navigateur de Paul Imbert seront mises à contribution afin de faciliter l’orientation de la troupe ; le 28 mars 1618, la colonie parvient à Tombouctou. Malgré l’exploit, Paul Imbert demeura captif et il mourut au Maroc, l’expédition du commandant Razilly en 1632 n’ayant pu l’arracher à la captivité. L’Anglais Laing fut le troisième Européen à visiter Tombouctou où il arriva le 18 août 1826. Il y laissera la vie dans des conditions troubles. C’est à René Caillié, qui craignait tant de subir un sort pareil, que l’on doit nombre de détails sur la fin du major anglais. Selon la version de l’explorateur français, «la caravane dont le major faisait partie avait été arrêtée, sur la route de Tripoli par les Touariks, et selon d’autres par les Berbides, tribu nomade… Laing reconnu pour chrétien fut horriblement maltraité, on ne cessa de le frapper que lorsqu’on le crut mort». Ainsi la principale raison que Caillié donne de cet assassinat fut le refus du major d’abjurer la foi chrétienne. Un rabbin, dont l’existence est à elle seule une véritable aventure, Mardochée Abi Srour a séjourné à Tombouctou en 1859 pour le compte de la société de géographie. Né au Maroc, vers 1830, il servira plus tard de guide à Charles de Foucauld qui explorera le Maroc, déguisé en rabbin sous le nom de Joseph Aleman. Le dernier Européen à atteindre Tombouctou fut l’Allemand Oskar Lenz. Il affiche la même joie que Caillié : «Aussi est-ce avec un sentiment indicible de satisfaction et de reconnaissance pour notre heureux destin que j’aperçois dans le lointain les maisons et les tours des mosquées, connues depuis les descriptions de Barth : Tombouctou le but ardemment désiré de tant d’explorateurs qui ont déployé leurs meilleures forces et ont dû y renoncer devant le découragement et les désillusions. L’antique emporium du commerce soudanien, l’ancienne pépinière des arts et des sciences d’Orient, Tombouctou est devant moi ». En effet, Tombouctou est un immense entrepôt et, de toute l’Afrique du Nord, on y converge.
On ne saurait mieux caractériser la réputation acquise par Tombouctou. Mais que découvraient vraiment ces explorateurs en atteignant cette mystérieuse capitale qui avait enflammé leurs imaginations et nourri cet appel à la connaître qui avait occupé leurs esprits et leurs journées ? Au moment où René Caillié s’y promène, Tombouctou est au crépuscule de son antique splendeur. Les rues sont étroites, les maisons basses et on y dénombre beaucoup de cases en paille. Deux grandes mosquées surmontées chacune de minarets en brique qu’on pouvait escalader par un escalier, situé à l’intérieur, se détachaient du reste. Autrefois le commerce y fut prospère, car la ville était le carrefour de toutes les caravanes qui relient l’Afrique du Nord et le Soudan.
On ne saurait mieux caractériser la réputation acquise par Tombouctou. Mais que découvraient vraiment ces explorateurs en atteignant cette mystérieuse capitale qui avait enflammé leurs imaginations et nourri cet appel à la connaître qui avait occupé leurs esprits et leurs journées ? Au moment où René Caillié s’y promène, Tombouctou est au crépuscule de son antique splendeur. Les rues sont étroites, les maisons basses et on y dénombre beaucoup de cases en paille. Deux grandes mosquées surmontées chacune de minarets en brique qu’on pouvait escalader par un escalier, situé à l’intérieur, se détachaient du reste. Autrefois le commerce y fut prospère, car la ville était le carrefour de toutes les caravanes qui relient l’Afrique du Nord et le Soudan.
Conjurer les périls de tous les ethnocentrismes
Elle ne comptait alors guère plus de 20 000 habitants, alors qu’à des époques plus prospères elle pouvait en atteindre jusqu’à 200 000, dit-on. Sur la population de la ville, René Caillié, qui y séjourna une quinzaine de jours, écrit que le teint des habitants est d’un «beau noir», qu’ils ont «les lèvres minces et de très beaux yeux», que les femmes sont «jolies, ne sortent pas voilées et jouissent de la plus grande liberté». Cette liberté avait déjà suscité la réprobation d’Ibn Battûta qui, prude, s’en était offusqué. Caillié conclut en disant que cette «race est intelligente, industrielle , douce et hospitalière». Du Xe au XVIIe siècle, Tombouctou est un centre de rayonnement savant, religieux et spirituel. La mosquée Sankore, sise dans le quartier éponyme, est une «université» où s’enseignent les savoirs religieux traditionnels. Des générations de savants en sont issus dont le fameux al-Sa’di (1594-1655), fils du pays, auteur d’une histoire de Tombouctou considérée par les spécialistes «une source de première importance pour l’histoire du moyen Niger du milieu du XVe siècle au milieu du XVIIe».
Une autre manière de voir les arts islamo-africains
«En entraînant le visiteur de l’Afrique de l’Ouest à l’aire swahilie en passant par la Corne de l’Afrique, à la découverte d’un monde nouveau, éclos à partir du VIIIe siècle», c’est une autre manière de voir les arts islamo-africains que le visiteur se voit convié. Par la diffusion de l’islam en Afrique, par les pratiques de la religion et enfin par le surgissement d’un certain nombre d’œuvres artistiques, l’exposition propose au visiteur de contempler des arts et une architecture où le religieux est intimement mêlé à la vie sociale et culturelle. L’Afrique n’est pas figée, hors de l’histoire, mais au contraire elle a sa propre manière d’envisager l’histoire. C’est ainsi seulement que l’on pourra conjurer les périls de tous les ethnocentrismes. L’enjeu est d’attirer l’attention du public sur les liens historiques, économiques et commerciaux, savants qui ont été tissés pendant une histoire plusieurs fois séculaire. «Peu enseignée, peu étudiée, cette histoire est pourtant forte de 13 siècles d’intenses échanges» y insiste le président Lang. C’est aux sources mêmes de cette histoire que s’abreuvent les œuvres artistiques et qu’elles y trouvent la matière de leur inspiration et leur fécondité esthétique.
Omar Merzoug
Cet article publié dans un premier temps dans le quotidien Reporters et repris ici avec l'aimable autorisation de l'auteur.
Omar Merzoug
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